LE LIVRE DE LA JUNGLE (2016)

Jon Favreau réalise un remake spectaculaire du classique animé de 1967 en plongeant son jeune héros dans un univers 100% virtuel…

THE JUNGLE BOOK

 

2016 – USA

 

Réalisé par Jon Favreau

 

Avec Neel Sethi et les voix de Bill Murray, Ben Kingsley, Idris Elba, Lupita Nyong’o, Scarlett Johansson, Giancarlo Esposito, Christopher Walken, Gary Shandling

 

THEMA EXOTISME FANTASTIQUE

Réalisateur chouchou de Disney depuis le succès d’Iron Man en 2008, Jon Favreau hérite quelques années plus tard de la mise en scène d’un nouveau Livre de la jungle qui revisite le long-métrage animé de 1967 en s’appuyant sur les toutes dernières avancées technologiques en matière d’images de synthèse. « Je pense que partir tourner dans la jungle en extérieurs ne nous aurait pas permis de retrouver la magie du film de 1967 », explique-t-il. « Or je voulais m’assurer que nous préservions cette qualité » (1). Les choix techniques du film sont donc radicaux. Si Mowgli est incarné par un être humain en chair et en os (en l’occurrence le débutant Neel Sethi, déniché au milieu d’un gigantesque casting de milliers d’enfants auditionnés aux États-Unis, en Angleterre, en Nouvelle-Zélande et au Canada), tous les animaux qui lui donnent la réplique sont des créations numériques, dans l’esprit du tigre créé par Rythm & Hues pour L’Odyssée de Pi. Les décors eux-mêmes n’existent pas. L’intégralité du tournage se déroule en effet en studio à Los Angeles, devant de grands fonds bleus. Le jeune comédien interagit certes pendant les prises de vues avec des marionnettes grandeur nature créée par le Jim Henson’s Creature Shop, mais celles-ci sont ensuite remplacées par leurs contreparties numériques, confiées aux compagnies MCP et Weta Digital.

Après la version réalisée par Stephen Sommers en 1994 et le téléfilm mis en scène quatre ans plus tard par Nick Marck, il s’agit de la troisième adaptation « live » des écrits de Kipling produite sous la houlette de Disney, et il fallait créer l’événement. Le pari technique était sacrément osé, sans garantie de succès, malgré les énormes pas en avant effectués par des films comme Avatar ou La Planète des singes : les origines et l’affrontement. Or force est de reconnaître que de ce point de vue, Le Livre de la jungle de Favreau est une réussite. En immersion dans une forêt indienne imaginaire reconstituée de toutes pièces, ce remake se dote d’une atmosphère fantasmagorique bienvenue qui n’est pas sans évoquer une autre adaptation, le fameux Livre de la jungle d’Alexandre Korda. Le scénario recycle dans les grandes lignes celui du classique de Wolfgang Reitherman, qui prenait lui-même énormément de libertés avec le matériau littéraire original. Élevé par une meute de loups et menacé par le tigre Shere-Khan, notre « petit d’homme » entame une nouvelle fois son grand voyage en direction d’un village humain, sous la protection de la panthère noire Bagheera, et multiplie les rencontres inattendues…

Digital world

Nous avons sans conteste affaire ici à l’un des meilleurs remakes dont Disney ait cru bon d’affubler ses dessins animés les plus célèbres depuis le début des années 2010, mais il faut reconnaître que la concurrence n’était pas rude. Face à La Belle et la Bête, Aladdin, Pinocchio ou La Petite sirène (qui seront réalisés dans la foulée), Le Livre de la jungle de Favreau ferait même presque office de chef d’œuvre. Mais ce long-métrage nous laisse tout de même une étrange impression liée à sa nature hybride mais aussi à son absence de positionnement stylistique. La quête d’hyperréalisme visuel (les animaux, la végétation, les pelages, les regards) nous emmène très loin des graphismes joyeux et volontairement caricaturaux du dessin animé des sixties. Pourtant, Favreau se sent obligé de payer son tribut à son prédécesseur en réutilisant les célèbres chansons de Baloo, King Louie et Kaa. Voir ces animaux numériques « zoologiquement corrects » pousser la chansonnette a quelque chose de très bizarre qui suscite presque un certain malaise. Les choses deviennent même absurdes lorsque le singe ajoute un couplet à son fameux « I wanna be like you » pour nous expliquer qu’il n’est pas un orang-outan mais un gigantopithèque, histoire de justifier auprès des spectateurs sa taille inhabituelle. En refusant de trancher et d’adopter un point de vue clair, en cherchant à faire plaisir à tout le monde, en se mettant en quête à la fois de la performance technique et de la séduction des fans du classique original, Favreau finit par se perdre dans cette jungle de pixels. Il nous offre certes un très joli film, mais la coquille est un peu vide.

 

(1) Extrait d’un entretien paru dans « Business Standard » en février 2016

 

© Gilles Penso

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HELLRAISER : HELLWORLD (2005)

Lance Henriksen mène la danse dans ce huitième épisode où les plus curieux pourront découvrir un Henry Cavill mal dégrossi !

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HELLRAISER : HELLWORLD

 

2005 – USA

 

Réalisé par Rick Bota

 

Avec Katheryn Winnick, Lance Henriksen, Henry Cavill, Khary Payton, Christopher Jacot, Doug Bradley, Anna Tolputt, Stelian Urian, Désirée Malonga

 

THEMA DIABLE ET DÉMONS I SAGA HELLRAISER

La franchise Hellraiser étant en singulière perte de vitesse, la compagnie Dimension décide de réduire les frais en réalisant des économies d’échelle. Hellraiser : Hellworld, huitième opus de la saga, est donc tourné en Roumanie dans la foulée de l’épisode précédent, Hellraiser : Deader, sollicitant le même réalisateur et la même équipe technique principale. Le scénario s’appuie sur une nouvelle écrite par le producteur Joël Soisson, « Dark Can’t Breathe », qui n’avait initialement aucun rapport avec Clive Barker et que le scénariste Carl V. Dupre est chargé de réadapter pour l’insérer dans l’univers d’Hellraiser. Cette méthode avait déjà été employée pour les épisodes Inferno, Hellseeker et Deader, preuve que le monde des Cénobites est depuis longtemps devenu un fourre-tout prêt à accueillir toutes les idées – mêmes les plus saugrenues – susceptibles de faire encore un peu bouillir la marmite. Les cordons de la bourse étant bien serrés, la production cherche à recruter des acteurs anglo-saxons qui se trouvent déjà en Roumanie pendant la période du tournage, histoire d’éviter des frais de voyage supplémentaires. Voilà comment Lance Henriksen atterrit dans ce film. À peine libéré de ses obligations sur Mimic 3, il enchaîne donc avec Hellraiser : Hellworld dont il ne gardera plus tard aucun souvenir. On ne saurait lui en vouloir.

Les premières minutes du film ne nous laissent pas beaucoup d’illusions quant à la qualité du métrage. Les protagonistes auxquels il va falloir s’intéresser sont en effet des jeunes idiots au comportement joyeusement absurde. Parmi eux, les spectateurs reconnaîtront Katheryn Winnick, future Lagertha de la série Vikings, Khary Payton, qui sera le King Ezekiel de The Walking Dead, et surtout un Henry Cavill pré-Man of Steel pas encore très bien dégrossi, dont la prestation de grand nigaud obsédé sexuel laisse perplexe. Accros au jeu vidéo « Hellworld », ils pleurent la disparition de leur ami Adam, tellement obsédé par cet univers macabre qu’il a fini par se donner la mort. Deux ans plus tard, ils sont invités à une fête privée autour du monde d’« Hellworld » dans un grand manoir isolé au milieu des bois. La soirée s’annonce mouvementée et riche en surprises. Mais c’est bien sûr l’horreur qui les attend au bout de la nuit…

« On se croirait dans un film d’horreur »

Lance Henriksen joue ici le rôle de l’hôte, un sexagénaire qui couve d’un regard inquiétant tous ces jeunes adultes venus festoyer chez lui et qui cache bien son jeu. Doug Bradley rempile pour cachetonner une énième fois dans le rôle du Cénobite Pinhead, le temps d’une poignée d’apparitions très furtives. Cette huitième variante autour du roman de Clive Barker se distingue surtout par son caractère « meta ». L’un des personnages porte ainsi un t-shirt à l’effigie de Pinhead, le hall du manoir est décoré avec une version géante du cube de LeMarchand, le musée privé du mystérieux hôte se révèle être une vaste collection d’objets dérivés de l’univers Hellraiser. Bref, on se regarde un peu le nombril faute de construire une intrigue digne de ce nom. « On se croirait dans un film d’horreur » dit même Henriksen lorsque la voiture d’une protagoniste paniquée refuse de démarrer, comme s’il s’était échappé d’un épisode de Scream. La mécanique narrative d’Hellraiser : Hellworld est celle d’un simple slasher enchaînant sur un rythme régulier les meurtres violents, avec au passage une bonne rasade de lieux communs hérités des ghost-stories éléphantesque façon William Malone (13 fantômes, La Maison de l’horreur). On sent aussi l’influence de Saw dans une scène de torture qui en reprend les tics de mise en scène (notamment les prises de vues accélérées et les effets sonores tonitruants en cours d’action). Rien de bien palpitant, donc. Cet opus est pourtant un chef d’œuvre si on le compare avec le suivant…

 

© Gilles Penso


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TERREUR (2009)

Des étudiants en cinéma décident de tourner un documentaire dans lequel les participants décrivent leurs peurs les plus intimes…

DREAD

 

2009 – USA

 

Réalisé par Anthony di Blasi

 

Avec Jackson Rathbone, Shaun Evans, Hanne Steen, Laura Donnelly, Jonathan Readwin, Vivian Grau

 

THEMA TUEURS I CINÉMA ET TÉLÉVISION

« Terreur » est l’une des nombreuses nouvelles horrifiques écrites par Clive Barker dans le cadre de son recueil en plusieurs tomes baptisé « Livres de Sang », mais elle y tient une place à part. D’abord parce qu’elle est la seule à ne contenir aucun élément surnaturel, ensuite parce que l’auteur la considère comme l’un de ses travaux les plus personnels. Ses fréquentations universitaires et la surdité passagère dont il souffrit pendant l’enfance semèrent les graines de ce récit torturé. Le projet d’adaptation de cette nouvelle, écrite en 1984, commence à se développer au sein de la 20th Century Fox, mais en réalité aucun grand studio ne peut assumer une telle histoire sans en édulcorer le propos. Car le récit est sombre, dur, très violent psychologiquement. C’était à prévoir, la Fox finit par jeter l’éponge. Le film aurait pu ne jamais voir le jour si les compagnies Matador Pictures et Seraphim Films n’en avaient pas récupéré les droits. Terreur se concrétise donc en 2009 avec Anthony di Blasi qui effectue là ses premiers pas de réalisateur. Cela dit, notre homme est déjà familier avec l’univers de Clive Barker puisqu’il a produit Le Fléau de Hal Masonberg, The Midnight Meat Train de Ryhuei Kitamura et Livre de sang de John Harrison.

Stephen Grace (Jackson Rathbone, le Jasper de la saga Twilight) est un étudiant en cinéma marginal encore profondément marqué par la perte de son frère dans un accident de voiture. Sur le campus, il se lie d’amitié avec Quaid (Shaun Evans, vu dans Cashback) qui lui-même fait des cauchemars épouvantables depuis la mort de ses parents survenue quand il avait six ans. Tous deux décident d’effectuer des recherches sur les peurs et les phobies de chacun. Stephen y voit la possibilité de développer une thèse originale pour l’université et invite son amie Cheryl (Hanne Steen) à travailler avec eux.  Petit à petit, ce projet de documentaire commence à prendre forme. L’une des collègues de Stephen, Abby (Laura Donnelly), qui travaille avec lui à la bibliothèque, accepte ainsi de témoigner sur ses terreurs intimes et sur un complexe lié à son apparence (la moitié de son corps est recouverte par une immense tache de naissance). Mais bientôt, les choses commencent à échapper à tout contrôle. Confrontés aux choses qu’ils redoutent le plus, les participants vont basculer dans le cauchemar et l’expérience va se terminer dans un bain de sang…

« Si on ne cherche pas la bête, tôt ou tard elle nous trouvera »

Terreur est un film qui instille un malaise profond et durable sans recourir aux effets traditionnels du cinéma d’horreur. Clive Barker et Anthony di Blasi nous démontrent ainsi qu’il n’est pas nécessaire de recourir à des hectolitres de sang – comme dans la saga Saw qui en est alors à son sixième opus – pour décrire la souffrance humaine. Les excellents acteurs, l’ambiance oppressante, la mise en scène millimétrée, la photographie, la bande son, tout finit par remuer les tripes des spectateurs qui sentent bien que les choses ne vont aller qu’en empirant. Certaines séquences clés poussent le curseur très loin, comme le flash-back éprouvant au cours duquel la famille de Quaid est massacrée par un tueur armé d’une hache, ou ce climax d’autant plus terrifiant qu’aucun effet spécial, aucune torture physique, aucune goutte d’hémoglobine ne s’y déploie. Tout se passe dans le hors-champ et le non-dit. « Si on ne cherche pas la bête, tôt ou tard, la bête nous trouvera » finira par dire Quaid pour décrire le monstre qui sommeille en chacun de nous. Terreur n’est certes pas la plus célèbre des adaptations de Barker, mais elle mérite sans conteste de figurer parmi les plus marquantes.

 

© Gilles Penso


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DR. JEKYLL ET MR. HYDE (1989)

Sans aucune demi-mesure, Anthony Perkins entre dans la peau du célèbre médecin schizophrène face à la caméra d’un spécialiste du cinéma X

EDGE OF SANITY

 

1989 – GB / FRANCE / USA

 

Réalisé par Gérard Kikoïne

 

Avec Anthony Perkins, Glynis Barber, Sarah Maur Thorp, David Lodge, Ben Cole, Ray Jewers, Jill Melford, Lisa Davis, Noel Coleman, Briony McRoberts

 

THEMA JEKYLL & HYDE

Extrêmement prolifique depuis ses débuts dans les années 50, le producteur britannique Harry Alan Towers s’est spécialisé dans le cinéma populaire, à mi-chemin entre la série B honorable (la saga des Fu Manchu avec Christopher Lee) et le cinéma bis déviant (notamment un grand nombre de films d’exploitation signés Jess Franco). Alors que les années 80 déclinent, l’infatigable vétéran souhaite mettre sur pied une nouvelle version du mythe de docteur Jekyll et Mister Hyde avec une tête d’affiche pour aider à son financement et attirer un maximum de spectateurs dans les salles. L’heureux élu est Anthony Perkins, immense star des années 50 et 60 (Barrage contre le Pacifique, Le Dernier rivage, Le Procès, Paris brûle-t-il ?) passé à la postérité grâce au Psychose d’Alfred Hitchcock. À la fin des années 80, l’aura de Perkins a considérablement pâli, le poussant à accepter des rôles de moins en moins prestigieux pour continuer à faire bouillir la marmite. Il signe donc pour être cette nouvelle incarnation de Jekyll et Hyde. Pour la mise en scène, le producteur pense à Gérard Kikoïne. Grand spécialiste du cinéma X depuis le milieu des seventies, Kikoïne a aussi monté plusieurs longs-métrages de Jess Franco. Alan Towers a collaboré avec lui sur une poignée de films d’aventure et sait qu’il saura respecter la modeste enveloppe de 2 millions de dollars mis à sa disposition. Pour composer avec ce budget, Kikoïne emmène son équipe de tournage dans les rues de Budapest où sera reconstitué le Londres de l’époque victorienne.

Une imagerie de film érotique s’installe d’emblée dans ce Dr Jekyll et Mr Hyde à travers le cauchemar – ou le souvenir refoulé ? – du bon docteur qui se voit enfant en train de regarder un couple en pleine fornication dans une grange. Les amants le surprennent et corrigent violemment le jeune voyeur. Le médecin se réveille alors en sueur puis reprend ses activités respectables, partagées entre l’hôpital et son propre laboratoire installé à domicile. Des expériences pratiquées sur de la cocaïne lui démontrent qu’il peut en tirer un anesthésiant efficace. Mais un soir, il absorbe accidentellement la poudre blanche mélangée à de l’éther et l’impensable se produit : son double maléfique émerge. A l’instar du Docteur Jekyll et Sister Hyde de David WIckes, le Dr Jekyll et Mr Hyde de Gérard Kikoïne entremêle le récit imaginé par Robert Louis Stevenson avec les exactions de Jack l’éventreur. L’alter-ego violent du médecin s’appelle d’ailleurs ici Jack Hyde et arpente les rues de Whitechapel à la recherche de prostituées qui lui rappellent la femme libidineuse de ses souvenirs/cauchemars d’enfance. Londres s’ensanglante, Scotland Yard ne sait plus où donner de la tête et Elizabeth (Glynis Barber), la femme de Jekyll, commence à se demander si son époux se rend bien à l’hôpital chaque nuit, comme il le prétend…

En roue libre

Le film fait l’économie des séquences de métamorphose et des effets spéciaux de maquillage. Tout se joue dans l’expression du visage d’Anthony Perkins, abandonnant toute velléité de subtilité au profit d’une mine crispée, d’un regard fou encadré de rimmel, d’un teint blafard et d’une tignasse désordonnée. Visiblement laissé en roue libre, l’acteur gesticule bizarrement, tord sa bouche, malaxe les fesses et les poitrines des prostituées, débite des propos grossiers et insultants, bref part dans tous les sens comme s’il se savait déjà en bout de course (déjà très malade, il s’éteindra en 1992). Dans le film, la distinction entre Hyde et Jekyll finit par devenir floue. Car le gentil docteur, après deux ou trois transformations, devient lui-même arrogant, cynique et provocateur, non seulement avec sa femme mais aussi avec ses collègues et son entourage social. Si la mise en scène se révèle souvent aussi fonctionnelle que celle d’un téléfilm des eighties, Kikoïne se laisse aller chaque fois qu’il le peut à des sursauts baroques, inclinant sa caméra, allongeant les ombres portées et saturant son image d’éclairages colorés. Ce Docteur Jekyll et Mister Hyde est donc à cheval entre deux écoles, classique par moments, complètement bis et déviant par ailleurs, comme s’il était lui-même frappé de schizophrénie. Présenté hors compétition en 1989 au festival d’Avoriaz puis sorti en salles en catimini, le film de Kikoïne n’aura guère déplacé les foules et serait sans doute tombé dans l’oubli s’il n’offrait pas au public curieux la possibilité d’assister à l’une des dernières prestations – si outrée soit-elle – d’Anthony Perkins.

 

© Gilles Penso


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THE HOUSE OF THE DEVIL (2009)

Dans ce faux film des années 80 conçu par un Ti West au sommet de son art, la soirée d’une jeune babysitter bascule dans le cauchemar…

THE HOUSE OF THE DEVIL

 

209 – USA

 

Réalisé par Ti West

 

Avec Jocelin Donahue, Tom Noonan, Mary Woronov, Greta Gerwig, A. J. Bowen, Dee Wallace, Danielle Noe

 

THEMA DIABLE ET DÉMONS

« Dans les années 1980, plus de 70% des Américains croyaient en l’existence de cultes sataniques. 30% pensaient que les preuves étaient étouffées par le gouvernement. Cette histoire est basée sur des faits réels inexpliqués. » C’est sur ce texte d’introduction que commence House of the Devil. En réalité, aucun « fait réel » ne sous-tend le scénario écrit par Ti West, et il y a fort à parier que les pourcentages énoncés soient purement imaginaires. Le principe de ce texte d’ouverture exploitant l’argument de « l’histoire vraie » est avant tout un gimmick que le cinéaste emprunte aux films de genre des années 70/80 comme Massacre à la tronçonneuse ou Amityville, la maison du diable. A vrai dire, la seule information importante de ce texte introductif est d’ordre temporel. The House of the Devil se déroule en effet au début des années 80, ce qui permet à West d’imiter les films d’exploitation de cette époque. Tourné sur pellicule 16mm, préférant les effets de zoom aux mouvements de travelling, affichant son générique de début en caractères jaune vif sur des plans en freeze-frame tandis que retentit une musique vintage électro-rock composée par Jeff Grace, The House of the Devil ressemble tant à un long-métrage de l’aube des eighties qu’on pourrait facilement s’y tromper. La démarche du réalisateur n’est pourtant pas comparable aux effets de style nostalgiques d’un Super 8 ou d’un Stranger Things. S’il connaît bien ses classiques, Ti West ne cherche pas à les imiter servilement ou à leur rendre hommage à coup de clins d’œil appuyés, mais surtout à retrouver une atmosphère, un esprit et une coloration qui semblaient ne pouvoir appartenir qu’au passé.

Samantha Hughes (Jocelin Donahue) est à court d’argent. Maintenant qu’elle vient d’emménager dans un petit appartement, cette jeune étudiante cherche le moyen de pouvoir rapidement payer son premier loyer. Sur le campus, une petite annonce attire son attention : un certain monsieur Ullman est à la recherche urgente d’une babysitter. Au téléphone, l’homme semble affable, alors pourquoi pas ? La grande maison où Samantha doit passer la soirée étant isolée et à l’écart de la ville, sa meilleure amie Megan (Greta Gerwig, la future réalisatrice de Barbie) décide de l’accompagner en voiture en lui donnant une consigne simple : si les potentiels employeurs semblent bizarres, toutes deux décampent aussitôt et rebroussent chemin. La maison est certes un peu sinistre, bâtie non loin d’un cimetière, mais les occupants sont plutôt chaleureux et accueillants. Mais il faut évidemment se méfier des apparences, et Samantha s’apprête à vivre la nuit la plus éprouvante de son existence…

Voyage dans le temps

Bien sûr, choisir d’offrir des seconds rôles à Tom Noonan (Le Sixième sens, Robocop 2) et Dee Wallace (Hurlements, E.T., Cujo) n’est pas innocent et ravive volontairement les souvenirs cinéphiliques des spectateurs amateurs du cinéma de genre des années 80. Il n’est pas non plus impossible de deviner l’influence des synthétiseurs de John Carpenter ou des violons de Vendredi 13 et Evil Dead dans la bande originale. Mais encore une fois, Ti West ne cherche pas le post-modernisme. Le voyage dans le temps auquel il nous convie est avant tout sensoriel. Dans l’époque où se situe le film, dénuée de smartphones et d’Internet, la perception du temps n’est pas la même, les minutes s’allongent, il faut trouver le moyen de tromper son ennui, l’esprit est aux aguets car l’attention n’est pas détournée par un écran déversant un flot ininterrompu d’informations. Voilà pourquoi West prend le pari de faire durer très longtemps l’attente de son héroïne dans cette maison de moins en moins rassurante. Le film ne cède pas à la tentation de l’effet choc toutes les cinq minutes. Sans se précipiter, en étirant plus que de raison des situations à priori banales, The House of the Devil rend bientôt angoissante chaque touche d’étrangeté. Le moindre zoom avant sur un lavabo ou sur une poignée de porte, le moindre grincement, la moindre variation lumineuse devient support d’un effroi insidieux. Et lorsque la violence éclate soudain et que la retenue n’est plus de mise, son impact en est décuplé, jusqu’à un climax ébouriffant et un épilogue d’une noirceur vertigineuse.

 

© Gilles Penso

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INFINITY POOL (2023)

Le fils de David Cronenberg nous emmène dans un hôtel touristique situé au cœur d’un cadre idyllique dont les apparences sont trompeuses…

INFINITY POOL

 

2023 – CANADA / CROATIE / HONGRIE

 

Réalisé par Brandon Cronenberg

 

Avec Alexander Skarsgård, Mia Goth, Cleopatra Coleman, Jalil Lespert, Thomas Kretschmann, John Ralston, Amanda Brugel, Caroline Boulton, Jeff Ricketts

 

THEMA DOUBLES

Après Antiviral et Possessor, ce troisième long-métrage permet de cerner de mieux en mieux la personnalité de Brandon Cronenberg qui, s’il partage plusieurs obsessions thématiques et visuelles avec son père, s’efforce de développer un univers qui lui soit propre. Infinity Pool est d’ailleurs sorti sur les écrans américains sept mois après Les Crimes du futur, nous offrant la possibilité d’apprécier les partis pris artistiques qui distinguent David Cronenberg de son fils. Le point de départ d’Infinity Pool est né d’une expérience personnelle. « Je n’arrêtais pas de repenser à des vacances que j’ai passées il y a une vingtaine d’années sur un site “all-inclusive“ en République dominicaine », raconte Brandon Cronenberg. « C’était surréaliste, parce qu’ils vous emmenaient en bus au milieu de la nuit, de sorte que vous ne pouviez pas voir le pays. Ils vous déposaient simplement dans l’enceinte du complexe hôtelier, qui était protégé par une clôture avec des barbelés. Il était impossible d’en sortir, et il y avait une sorte de fausse ville où vous pouviez faire du shopping. Et puis, à la fin de la semaine, ils vous ramenaient en bus pendant la journée, et vous pouviez découvrir alors la campagne environnante, qui était très pauvre. Des gens vivaient dans des cabanes. Ce contraste était évidemment horrible » (1). Pour pouvoir restituer ce sentiment étrange et y développer une intrigue cauchemardesque, le réalisateur s’installe avec son équipe en Croatie, plus particulièrement à Šibenik.

Le malaise s’installe dès les premières minutes, dans un cadre pourtant joyeux et rassurant : un hôtel de luxe situé dans une destination de rêve où lézarde un couple avant d’aller prendre son petit déjeuner. Mais les dialogues bizarres, les angles de prise de vue désaxés, les masques hideux et difformes que portent les autochtones, tout annonce d’emblée que quelque chose ne tourne pas rond. « C’est quoi cet endroit ? » finit par demander James Foster (Alexander Skarsgård) à son épouse Em (Cleopatra Coleman). C’est pourtant lui qui a souhaité ce dépaysement dans l’espoir d’y trouver l’inspiration pour son nouveau roman. Les choses commencent à prendre une tournure inattendue lorsque nos protagonistes font la rencontre d’un couple sympathique incarné par Mia Goth et Jalil Lespert. Ces derniers leur proposent une virée en voiture en dehors du complexe touristique pour s’aventurer sur une plage tranquille, loin de la foule. Pourquoi pas ? Sauf que l’excursion improvisée ne va pas tarder à tourner très mal…

Vacances, j’oublie tout…

La petite chronique se transforme ainsi en drame puis bascule dans la science-fiction et dans l’horreur sans pour autant en emprunter les codes classiques. Brandon Cronenberg tient à imprimer son propre style, loin des conventions connues. Sans cesse, le film joue sur l’incongruité que peut prendre l’industrie touristique, jusqu’au faux restaurant chinois tenu par des occidentaux en tenue asiatique, aux démonstrations de danses de Bollywood ridiculement réductrices, au portail de l’hôtel gardé comme une prison, au fossé immense qui se dresse entre les nantis en vacances et la population locale qui vit dans la misère. Ici, le pays étranger économiquement défavorisé se mue en terrain de jeu pour de riches oisifs en mal de sensations fortes, un peu à la manière de ce que raconte maladroitement Eli Roth dans Hostel. Féru d’expériences sensorielles déstabilisantes, Cronenberg Jr. n’hésite pas devant les gros plans anatomiques les plus suggestifs, à la lisière de la pornographie, et se permet quelques brèves envolées gore. Le postulat d’Infinity Pool est captivant et la démonstration fait mouche. Mais l’intrigue finit par s’étioler dans une sorte de nébulosité auto-contemplative qui amoindrit progressivement l’implication du spectateur. Dommage, car le concept reste fort, le malaise savamment instillé perdurant longtemps après le générique de fin.

 

(1) Extrait d’un entretien publié dans « Fangoria » en 2023

 

© Gilles Penso

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IMMACULÉE (2024)

Une jeune religieuse américaine s’installe dans un couvent italien pour y prononcer ses vœux, mais de terribles secrets hantent les lieux…

IMMACULATE

 

2024 – USA

 

Réalisé par Michael Mohan

 

Avec Sydney Sweeney, Álvaro Morte, Benedetta Porcaroli, Dora Romano, Giorgio Colangeli, Simona Tabasco

 

THEMA DIEU, LA BIBLE, LES ANGES

D’un bout à l’autre, Immaculée aura été porté à bout de bras par Sydney Sweeney. En 2014, alors qu’elle n’a que 17 ans, la jeune actrice auditionne pour ce film écrit par Andrew Lobel mais le projet ne parvient pas à se concrétiser, faute de financements et de l’engagement d’une compagnie de production. Une décennie plus tard, Sweeney ne lâche pas l’affaire et décide de redonner une chance à ce scénario pour lequel elle a eu un véritable coup de cœur. Grâce à la notoriété que lui a apportée la série lycéenne Euphoria et à son nouveau statut de productrice, elle achète les droits du script, le fait réviser, trouve le budget nécessaire et cède l’exploitation du long-métrage à la société de distribution Neon. Pour la mise en scène, la comédienne sollicite Michael Mohan, qui l’avait déjà dirigée dans le film The Voyeurs et dans la série Everything Sucks. Le réalisateur est emballé par le projet, qui va lui permettre de régler ses propres comptes avec une éducation religieuse rigide. « En grandissant dans un environnement très fervent, j’ai pu constater que tous les catholiques éprouvent de la culpabilité et des traumatismes », déclare-t-il. « J’étais même le chef de notre groupe de jeunes. Ça va vous paraître fou, mais au cours d’un week-end nous avons tous apporté des cassettes et des disques qui, selon nous, contenaient des messages sataniques, et nous les avons brûlés dans un grand bûcher ! » (1) À n’en pas douter, Michael Mohan est bien l’homme de la situation.

En découvrant Immaculée, il est difficile de ne pas immédiatement penser à La Malédiction : l’origine. Les deux films présentent en effet un incalculable nombre de points communs qui finissent par provoquer un certain trouble. Le point de départ est le même (une jeune novice américaine débarque dans un couvent italien austère, est accueillie avec une certaine froideur, y découvre une copine de chambrée aux mœurs un peu plus légères que la normale, se rend bientôt compte qu’un terrible secret hante les lieux), de nombreuses séquences sont similaires et le concept fou qui sous-tend les deux intrigues est rigoureusement identique. C’est bien simple : Immaculée et La Malédiction : l’origine ressemblent à deux facettes d’un même scénario, l’un explorant l’angle satanique et l’autre le point de vue divin. Le fait que les deux films soient sortis sur les écrans américains à quinze jours d’écart accroit évidemment la tentation de les comparer. Pourtant, il n’y a sans doute pas de plagiat, juste une de ces coïncidences qui, jadis, accouchèrent des diptyques Le Pic de Dante & Volcano ou Deep Impact & Armageddon.

Le fruit de vos entrailles

La pleine implication de Sydney Sweeney est l’un des atouts majeurs d’Immaculée, l’actrice laissant évoluer son personnage d’un extrême à l’autre : l’ingénue candide, chaste et pieuse se mue ainsi progressivement en survivante prête à tout pour sauver sa peau et à échapper à la monstruosité qui menace de s’emparer d’elle. Le carcan rigide de la religion, qu’elle était prête à épouser corps et âme malgré plusieurs alertes et mises en garde en début de métrage, prend en effet la forme la plus abominable – ce que nous laisse explicitement comprendre une séquence d’introduction sans concession. S’il cède volontiers à l’influence incontournable de Rosemary’s Baby, Michael Mohan tient aussi à rendre hommage à tout un pan du cinéma italien gothique dont il détourne l’imagerie (l’héroïne en chemise de nuit qui arpente les couloirs nocturnes du couvent, éclairée par un chandelier), mais aussi à plusieurs films anticléricaux des années 70 comme Les Diables de Ken Russell ou La Marque du diable de Michael Armstrong (dont il reprend une séquence à l’identique). Très efficace dans son établissement d’une atmosphère anxiogène, le film s’achève sur un climax éprouvant et résolument nihiliste.

 

(1) Extrait d’une interview parue dans « Indiewire » en mars 2024.

 

© Gilles Penso


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SANS UN BRUIT : JOUR 1 (2024)

Ce troisième épisode nous raconte les origines de l’invasion des monstres en pleine ville de New York…

A QUIET PLACE : DAY ONE

 

2024 – USA

 

Réalisé par Michael Sarnoski

 

Avec Lupita Nyong’o, Joseph Quinn, Alex Wolff, Djimon Hounsou, Eliane Umuhire, Takunda Khumalo, Alfie Todd, Avy-Berry Worrall, Ronnie Le Drew, Benjamin Wong

 

THEMA EXTRA-TERRESTRES I SAGA SANS UN BRUIT

Au départ, c’est Jeff Nichols qui devait réaliser cet épisode « prequel », troisième opus de la franchise initiée en 2018. Dès 2020, l’auteur de Take Shelter et Midnight Special se met au travail sur une histoire développée par John Krasinski. Mais Nichols préfère finalement se désister pour s’impliquer dans un autre projet du studio Paramount. Après avoir envisagé plusieurs réalisateurs prestigieux, Krasinski et ses co-producteurs arrêtent leur choix sur un cinéaste indépendant, Michael Sarnoski, séduits par son étonnant Pig avec Nicholas Cage. « J’ai souhaité m’orienter vers une histoire très intime, et John Krasinski m’a beaucoup soutenu dans cette voie », raconte Sarnoski. « Il m’a laissé énormément de liberté. Il n’essayait pas de faire un autre épisode de Sans un bruit “à la façon de John“. Il voulait vraiment ouvrir ce monde et y laisser s’exprimer d’autres voix » (1). Sarnoski écrit et réalise donc le film lui-même en s’entourant de plusieurs de ses collaborateurs réguliers, comme le directeur de la photographie Pat Scola, le compositeur Alexis Grapsas et l’acteur Alex Wolff. Si le prologue de Sans un bruit 2 nous donnait déjà un aperçu du début de l’invasion des monstres au milieu de la population, Sans un bruit : jour 1 prend le même parti mais change de cadre. Après la petite ville américaine, place à l’une des cités les plus denses et les plus bruyantes du monde : New York.

Un texte en ouverture nous dit d’ailleurs que le niveau sonore moyen de New York est de 90 décibels, soit l’équivalent d’un hurlement continu, ce qui ne manque pas d’ironie lorsqu’on sait que la clef de la survie des personnages sera le silence. La protagoniste de cet opus est Samira (Lupita Nyong’o, héroïne de Us et Black Panther : Wakanda Forever), une femme atteinte d’un cancer en phase terminale qui vit dans une maison de repos avec son chat et d’autres patients. Même si c’est à contrecœur, elle accepte de participer à une sortie de groupe pour assister à un spectacle à Manhattan. Là, le drame ne tarde pas à survenir sous forme d’une multitude d’objets lumineux tombés du ciel. En un clin d’œil, une nuée de créatures voraces et indestructibles envahit les rues et attaque tout ce qui fait du bruit. Alors que le chaos s’empare de la population, le titre du film apparaît enfin, après treize minutes d’exposition. La ferme rurale de Sans un bruit et l’usine abandonnée de Sans un bruit 2 cèdent désormais la place à la « Grosse Pomme », siège de visions impressionnantes et quasi-surréalistes comme ces panoramas de la cité entièrement dévastée ou le gigantesque exode de la population errant comme une horde de zombies au milieu des carcasses fumantes de véhicules réduits en bouillie.

Après la chute de New York

Ironiquement, presqu’aucune séquence du film n’a réellement été tournée à New York, les rues de la ville, ses bâtiments et son métro ayant été reconstitués avec beaucoup de minutie à Londres. Si le cadre de l’action s’est considérablement élargi par rapport aux deux premiers films, l’intrigue se révèle paradoxalement plus minimaliste. À la préservation de la cellule familiale, cœur des enjeux des deux films précédents, Michael Sarnoski préfère la faible étincelle qui naît entre deux parfaits inconnus : Samira, celle qui n’attend plus rien de l’existence et se raccroche pourtant désespérément à son instinct de survie, et Eric (Joseph Quinn, alias Eddie Munson dans Stranger Things), l’homme qui assume pleinement son manque de courage et son incapacité à affronter seul la menace. Cette dynamique nouvelle induit une approche mélancolique. Face à la fin du monde, on s’agrippe faute de mieux à des souvenirs d’enfance, à une pizzeria de quartier désormais dévastée, aux touches d’un piano qu’on ne peut plus qu’effleurer en silence… Là réside le renouveau d’une franchise qui aurait pu se contenter d’exploiter tranquillement des recettes éprouvées – travers dans lequel tombait un peu Krasinsiki lui-même dans Sans un bruit 2. Pour autant, Sarnoski ne fait pas l’économie de séquences de suspense éprouvantes, de destructions spectaculaires et de mises à mort brutales. Djimon Hounsou vient même compléter le casting pour assurer un lien avec le film précédent. Rafraîchissant, ce troisième épisode possède un supplément d’âme particulièrement appréciable.

 

(1) Extrait d’un entretien paru dans « The Hollywood News » en juin 2024

 

© Gilles Penso


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UNCLE SAM (1996)

Le plus patriotique des tueurs psychopathes se déchaîne face à la caméra de William Lustig, l’homme qui réalisa Maniac et Maniac Cop

UNCLE SAM

 

1996 – USA

 

Réalisé par William Lustig

 

Avec David Fralick, Christopher Ogden, Leslie Neale, Anne Tremko, Bo Hopkins, Timothy Bottoms, Robert Forster, P.J. Soles, Isaac Hayes, Tim Grimm

 

THEMA TUEURS

William Lustig à la réalisation, Larry Cohen au scénario : l’équipe gagnante de Maniac Cop se remet en selle pour lâcher sur les écrans un nouveau tueur psychopathe à forte tendance surnaturelle. Le prégénérique d’Uncle Sam permet un démarrage sans temps morts. Dans le désert d’Irak, des militaires américains trouvent la carcasse d’un hélicoptère victime d’un « tir ami » qui l’a abattu par erreur. Sam Harper (David Fralick), le seul survivant du crash, a le visage et le corps passablement brûlés. Soudain, il s’empare d’une arme et abat tous les hommes venus le secourir. Le générique enchaîne alors les images d’Épinal patriotiques : un drapeau américain, des archives militaires et diverses représentations d’Oncle Sam au fil du temps… Ce décalage volontairement appuyé n’est qu’une mise en bouche. Nous voilà transportés dans la petite ville tranquille et résidentielle de Twin Rivers, quelques jours avant la fête nationale du 4 juillet. Sam s’apprête à revenir d’entre les morts par le biais d’une alchimie paranormale. Son neveu Jody (Christopher Ogden) est en effet très admiratif de ce « héros de guerre ». Or un cadre avec la photo du cher tonton tombe soudain par terre. Lorsque l’ado marche sur le verre brisé et se coupe, le sang touche la photo, des chœurs mystérieux s’invitent dans la bande originale et le miracle opère…

Le 4 juillet, à minuit, Sam s’éveille donc et sort de son cercueil en émettant un râle d’outre-tombe. C’est un zombie au visage brûlé, proche de celui de Freddy Krueger. Notre soldat revenu d’entre les morts récupère les médailles que Jody gardait précieusement, les accroche à son uniforme puis s’en va occire tous les antipatriotes qui auront le malheur de croiser son chemin ! Une scène comique montre un voyeur déguisé en Oncle Sam et monté sur échasses qui reluque une fille nue à l’étage de sa maison puis prend la fuite une fois qu’il a été repéré. Notre zombie patriote n’apprécie évidemment pas ce détournement d’un symbole américain. Armé d’un sécateur, il réduit en charpie l’insolent et se revêt du costume et du masque d’Oncle Sam. Ce sera sa tenue de croquemitaine. Ainsi, Uncle Sam ne se contente pas de décliner une nouvelle variante sur le thème du psycho-killer indestructible en uniforme dans la droite lignée de Maniac Cop. Il propose à travers une seconde grille de lecture une réflexion politique sur le sens de la guerre, sur la nécessité de l’armée et des soldats, sur l’absurdité de certains combats, sur l’antimilitarisme et le patriotisme.

« Il n’y a pas de héros, seulement des cinglés ! »

Un dialogue situé pendant la veillée mortuaire de Sam est en ce sens révélateur. Face à Jody qui rêve de faire carrière dans l’armée, un ancien collègue du défunt affublé d’une jambe de bois (qu’interprète Isaac Hayes) contre-argumente. « Deviens médecin, sauve des vies ! » lui dit-il, avant d’ajouter : « Il n’y a pas de héros, seulement des cinglés qui perdent les pédales au milieu d’une bataille ! » Le scénario nous fait d’ailleurs découvrir en cours de route que Sam était loin d’être le héros modèle que son neveu imaginait, mais plutôt un homme violent qui frappait sa sœur et sa femme et combattait sur le terrain moins pour la patrie que par goût du sang. Uncle Sam bénéficie d’une mise en scène élégante, d’acteurs convaincants, de dialogues percutants, d’une série de meurtres inventifs, mais son réalisateur n’en est qu’à moitié satisfait. « Je sais que ç’aurait pu être un meilleur film », confesse-t-il. « Je savais déjà, au moment du tournage, comment l’améliorer. Mais cela aurait nécessité d’innombrables bras de fer avec la production, et j’avais vécu assez de conflits de ce type par le passé. Alors j’ai fait du mieux que j’ai pu avec les moyens mis à ma disposition » (1). Lustig évoque notamment les déconvenues survenues pendant le tournage de Maniac Cop 3. « Au final, je trouve que le film n’est pas si mal », ajoute-t-il. « Il y a des choses que j’aime, d’autres que je n’aime pas, d’autres que j’aurais aimé ajouter si le budget nous l’avait permis. Je ne le renie pas du tout, je l’assume et mon nom est au générique. Mais il marque la fin d’une époque pour moi. » Lustig arrêtera donc là ses activités de réalisateur pour se concentrer sur la production et sur un label vidéo dédié à la restauration et la distribution de classiques du cinéma de genre.

 

(1) et (2) Propos recueillis par votre serviteur en septembre 2016

 

© Gilles Penso

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SANS UN BRUIT 2 (2020)

Après avoir longtemps hésité, John Krasinski donne une suite à son film post-apocalyptique peuplé de monstres voraces et quasi-indestructibles…

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A QUIET PLACE PART II

 

2020 – USA

 

Réalisé par John Krasinski

 

Avec Emily Blunt, Cillian Murphy, Millicent Simmonds, Noah Jupe, Djimon Hounsou, John Krasinski, Scoot McNairy, Alice Sophie Malyukova, Dean Woodward

 

THEMA EXTRA-TERRESTRES I SAGA SANS UN BRUIT

Dès sa sortie sur les écrans américains en avril 2018, Sans un bruit s’annonce comme le gros succès surprise du printemps. Il n’en faut pas plus pour que la Paramount réfléchisse aussitôt à un second épisode. Les scénaristes du premier film, Scott Beck et Bryan Woods, préfèrent passer leur tour pour pouvoir se consacrer à d’autres projets. John Krasinski lui-même conseille au studio de se mettre en quête d’un autre réalisateur pour cette suite. « Le film vient à peine de sortir et j’entends déjà des gens dire qu’ils voudraient se replonger dans cet univers », affirme-t-il à l’époque. « Je suis surpris qu’ils ne disent pas plutôt : “c’est bon, nous avons vu ce film, laissons-le tel quel“. Pour être tout à fait honnête, je n’ai jamais pensé qu’on pourrait en tirer d’autres films pendant le tournage. Je l’ai toujours vu comme un œuvre unique » (1). Après avoir rejeté plusieurs scénarios proposés par divers auteurs axant Sans un bruit 2 dans l’optique d’une grande franchise (façon « Cinematic Universe »), Paramount propose tout de même à Krasinski de réfléchir à une histoire possible pour cet hypothétique deuxième opus. L’homme se prête au jeu en imaginant un récit qui rendrait hommage à ses propres enfants. En lisant le premier jet (rédigé en trois semaines et demie), son épouse Emily Blunt accepte aussitôt de reprendre son rôle. Le studio donne aussi son feu vert. Sans un bruit 2 est lancé.

Le prologue du film prend la forme d’une prequel qui raconte en dix minutes le début de l’invasion des monstres tel qu’il fut vécu par la famille Abbott. Virtuose, la mise en scène nous plonge d’emblée au cœur du chaos en suscitant un sentiment d’immersion, d’urgence et de panique. Après une telle entrée en matière, il semble difficile de conserver la même intensité. Effectivement, le soufflé nous donne ensuite le sentiment de retomber. 474 jours plus tard, le récit se raccorde sur la fin des événements décrits dans le premier film. Les créatures ayant détruit une grande partie de la population, Evelyn Abbott, ses deux enfants Regan et Marcus et son bébé errent dans un paysage dévasté, armés d’un fusil et d’une radio dont les fréquences, couplées avec l’appareil auditif de Regan, permettent d’éloigner momentanément les prédateurs. La mine défaite, au bout du rouleau, nus pieds au milieu des ruines du monde, nos rescapés trouvent refuge dans une fonderie d’acier abandonnée. Mais ils n’y sont pas seuls…

Silence radio

Après l’entame, le scénario s’installe dans une certaine routine qui ne parvient pas à réitérer le miracle du premier film. Certains moments de tension restent certes très efficaces, prouvant une fois de plus la versatilité du talent de Krasinski, autant à l’aise avec la comédie qu’avec l’horreur, le suspense et l’action, mais l’effet de surprise s’est fatalement émoussé. Les situations nous sont désormais familières, même si l’intrigue est relancée par le nouveau personnage qu’incarne Cillian Murphy. Un excellent triple montage parallèle à mi-parcours du métrage redynamise les choses, jouant très efficacement sur les nerfs des spectateurs avant de les transporter vers un troisième acte un peu moins convenu. S’il a coûté trois plus cher que son prédécesseur, Sans un bruit 2 nous donne malgré tout l’étrange sentiment d’être plus anecdotique – plus étriqué – que le premier film. Sans doute aurait-il été intéressant d’élargir le scope pour mieux explorer les conséquences de cette situation désormais post-apocalyptique sur les derniers survivants (ce que laissait par ailleurs espérer le prélude). Cette séquelle reste de très haute tenue, mais les réserves initiales du metteur en scène étaient sans doute justifiées : tout semblait déjà avoir été dit en un seul long-métrage. Le troisième opus de la saga, Sans un bruit : jour 1, se fera d’ailleurs sans lui, Michael Sarnoski héritant du scénario et de la mise en scène.

 

(1) Extrait d’une interview parue dans « Deadline » en mai 2018.

 

© Gilles Penso


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