LE BARON DE LA TERREUR (1962)

Trois siècles après son exécution, un sorcier maléfique revient sur Terre sous la forme d’un monstre improbable…

EL BARON DEL TERROR

 

1961 – MEXIQUE

 

Réalisé par Chano Urveta

 

Avec Abel Salazar, German Robles, Rosa Maria Gallardo, Ariadna Welter, David Silva, Luis Aragon, Mauricio Garces, Rene Cardona

 

THEMA SORCELLERIE ET MAGIE

Après trois films consacrés aux suceurs de sang (Les Proies du vampire, Le Retour du vampire et Le Monde des vampires), le fort prolifique producteur Abel Salazar persévère dans la voie du folklore fantastique, les amateurs d’hémoglobine aux dents longues cédant cette fois le pas aux malédictions ancestrales en tout genre. Premier de cette nouvelle série, Le Baron de la terreur met en scène le maléfique Bertélius, brûlé vif par l’inquisition mexicaine en 1661 pour ses nombreuses exactions, blasphèmes et perversions. 300 ans plus tard, le sinistre baron revient sur Terre pendant le passage d’une comète. Respectable aristocrate aux yeux de la société, il se mue régulièrement en monstre hideux pour tuer les descendants de ceux qui le condamnèrent jadis. Le Baron de la terreur est entré dans la légende pour son monstre au design franchement improbable. Qu’on en juge : une peau velue, un nez exagérément crochu, des canines proéminentes, des oreilles pointues, des ventouses à la place des mains et une langue de serpent démesurée qui lui sert à perforer le crâne de ses victimes pour leur aspirer le cerveau !

Sous son apparence humaine, le baron est incarné par Abel Salazar en personne, qui fut acteur de la plupart des films qu’il produisit, et qui s’octroie ici l’un de ses meilleurs rôles. Loin des faire-valoir comiques ou des silhouettes dispensables dont il se contenta souvent, Salazar déploie toute l’étendue de son talent, magnétisant l’écran avec presque autant de charisme que son confrère German Robles (héros sanglant des Proies du vampire), lequel est ici relégué au petit rôle de victime impuissante. Doté d’un redoutable pouvoir d’hypnotiseur, le baron Bertelius paralyse les hommes, séduit les femmes et conserve les cerveaux de ses proies dans une urne pour venir régulièrement s’y délecter avec une petite cuiller, histoire de se requinquer entre deux attaques ! Le Baron de la terreur ne recule ainsi devant aucun excès et contourne la faiblesse de ses moyens par de nombreuses astuces de mise en scène.

Sorbets de cerveaux à la petite cuiller !

Ainsi, les forêts sont reconstituées en studio avec une poignée de branchages tremblants, le grand bûcher du prologue fait appel à une maquette et à une dizaine de figurants, la météorite qui s’écrase est un gros morceau de carton, le panorama de l’observatoire est obtenu à l’aide d’une photo projetée derrière les acteurs… À ces bricolages ingénieux, le film ajoute quelques effets visuels simples mais très efficaces, notamment lorsque le visage des bourreaux apparaît furtivement sous leur cagoule d’inquisiteurs en fondu enchaîné, un procédé repris plus tard dans le récit pour montrer le visage des descendants devenir celui de leurs ancêtres. Le scénario se permet même quelques incartades potaches, comme lorsque les deux inspecteurs de police discutent de l’affaire dans un restaurant et déchantent quelque peu au moment où le serveur leur apporte des tacos de cervelle ! Les policiers surgiront au final telle la cavalerie pour occire le monstre à coup de lance-flammes. Bref, Le Baron de la terreur est une œuvre diablement distrayante, qui connut aux États-Unis les honneurs d’une distribution en salles sous le titre fort imagé de The Brainiac.

 

© Gilles Penso


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THE MARVELS (2023)

Trois super-héroïnes issues de périodes distinctes de l’univers Marvel unissent leurs forces dans ce long-métrage choral boudé lors de sa sortie…

THE MARVELS

 

2023 – USA

 

Réalisé par Nia DaCosta

 

Avec Brie Larson, Teyonah Parris, Iman Vellani, Samuel L. Jackson, Zawe Ashton, Gary Lewis, Park Seo-joon, Zenobia Shroff, Mohan Kapur, Saagar Shaikh

 

THEMA SUPER-HÉROS I SAGA MARVEL COMICS I MARVEL CINEMATIC UNIVERSE

Avec une écurie de super-héros vedettes plus que remplie, Marvel a mis du temps à porter à l’écran une super-héroïne de la stature de Wonder Woman, mais Brie Larson confirme dans ce second opus qu’elle a indéniablement la carrure et le profil de l’emploi. A ses côtés, Monica Rambeau (Teyonah Parris, aka Captain Marvel dans une autre vie, mais ne nous embrouillons pas), et Kamala Khan (Iman Vellani, aka Miss Marvel dans la série TV du même nom), s’invitent dans cette suite de Captain Marvel pour former un trio qui doit coordonner ses actions afin de fusionner leurs super-pouvoirs et multiplier leur force de frappe. Si l’idée que « l’union fait la force », que « trois valent mieux qu’une » ou qu’« on a toujours besoin d’un plus petit que soi », semble aller de soi, elle n’est pas forcément évidente à concrétiser, surtout lorsque les super-pouvoirs en question ne sont accompagnés d’aucun mode d’emploi, ou lorsqu’il s’agit de se trouver une nouvelle identité secrète. C’est ainsi que nous retrouvons nos trois héroïnes s’empêtrer dans des questions très terre à terre (si on peut dire), avant d’être à même de sauver l’univers dans une ultime bataille contre les Krees en passe d’asservir le peuple Skrull et de mettre en péril l’équilibre de l’univers. Sur la question de l’identité du groupe, les scénaristes ont réussi, non pas à démêler l’embrouillamini qui perdure à la seule évocation du nom de Captain Marvel, mais à prendre un virage intéressant tout en puisant respectueusement dans les origines d’un des tout premiers super-héros de l’histoire. Dans sa version costume rouge orné d’un éclair jaune, le Capitaine Marvel est apparu au départ dans Whiz Comics au début des années 40, dans l’idée de concurrencer le succès de Superman. 

Effectivement, le héros de papier Bill Batson, un adolescent orphelin qui se transforme en super-héros adulte, a immédiatement conquis le jeune public de l’époque, donnant naissance à un serial et à un comic book éponymes. Pour des questions de droits, les seuls films du 21°siècle à afficher la volonté de célébrer fidèlement ces origines portent le nom de la formule que l’adolescent doit prononcer pour se transformer en Captain Marvel : Shazam ! et sa suite Shazam ! La Rage des dieux. Ici, les personnages de Kamala Khan, jeune américaine d’origine pakistanaise, née dans le New Jersey, et Monica Rambeau (lorsqu’elle évoque son drame familial), viennent brièvement nous rappeler les lieutenants adolescents du héros originel : Captain Marvel Junior et Mary Marvel qui formaient eux aussi un trio avec Bill. Si ces aventures n’ont jamais cessé d’inspirer auteurs et dessinateurs au cours des décennies suivantes sous différentes appellations, c’est au cours de nouvelles aventures créées chez Marvel Comics que les noms de Monica Rambeau et Carol Danvers, apparaissent pour la première fois. Si les amateurs trouveront de quoi s’amuser dans l’imbroglio des diverses publications, pour retrouver les correspondances avec les héroïnes de papier, dont la valse des adaptations a de quoi donner le vertige, le film n’exige pas d’être spécialement familier avec l’univers Marvel pour l’apprécier.  A contrario, la réussite du film peut donner envie de retrouver Kamala Khan sous les traits d’Iman Vellani dans la mini-série TV Miss Marvel (2022), Teyonah Parris en Monica Rambeau dans une autre mini-série TV, WandaVision (2021), ou encore Nick Fury sous les traits de Samuel Jackson dans tout l’univers Marvel.

Drôles de dames

Boudé à sa sortie en France, le film est pourtant dirigé avec brio par Nia DaCosta, réalisatrice, scénariste et productrice multi-primée, qui s’est déjà distinguée dans le fantastique avec sa suite du Candyman de 1992, répondant ainsi aux autres films de la série par un reboot. The Marvels s’inscrit au contraire dans la continuité du premier épisode tout en en rebattant le plus habilement possible les cartes. Cette idée de trio féminin à la Charlie est ses drôles de dames, non pas autour de Charlie mais de Nick Fury, nous donne le plaisir de retrouver Samuel L. Jackson dans son rôle de prédilection. A noter une séquence bollywoodienne rafraichissante, des immersions dans la théorie quantique, ou la confrontation à un trou de ver, autant d’idées qui participent à une action divertissante et somme toute originale, qui laissent espérer la suite, à présent que la team The Marvels est nommée et composée, capitaine Carol Danvers – ex-pilote de l’US Air Force – en tête.  En effet, il serait dommage de changer une équipe qui gagne. Enfin, l’absence de Stan Lee nous rappelle que son dernier caméo aura été dans Captain Marvel. Ce sera son au revoir puisqu’il décédera lors du montage et ne verra jamais le film fini. Son sourire adressé à Brie Larson est une sorte de consécration en soi, qui nous assure de son affection pour l’héroïne qui porte le nom de ses studios et son interprète.

 

© Quélou Parente


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SIDONIE AU JAPON (2023)

Une histoire intimiste et poétique entre Le Fantôme de Madame Muir et Lost in Translation…

SIDONIE AU JAPON

 

2023 – FRANCE

 

Réalisé par Élise Girard

 

Avec Isabelle Huppert, August Diehl, Tsuyoshi Ihara

 

THEMA FANTÖMES

Sidonie Perceval est écrivaine. A-t-elle un mauvais pressentiment, une appréhension, un simple vertige à l’idée de quitter la terre ferme pendant de trop longues heures de vol pour se rendre au Japon ? Nous n’en savons encore rien au moment où nous la découvrons à l’aéroport de Roissy hésiter à laisser sa valise décider de son destin et suivre son chemin sur le tapis roulant du guichet d’enregistrement. Contre toute attente, l’histoire nous apprendra que, malgré les apparences, Sidonie ne voyage pas seule. Elle est en fait accompagnée partout et tout le temps par le fantôme de son défunt mari, mais elle-même ne le sait pas encore. Car Sidonie est visiblement une personne de bon sens, qui a les pieds sur terre et n’est pas en proie à des lubies. Nous le voyons à sa façon de vivre, de s’organiser, de réagir, mais aussi à sa manière de s’habiller impeccablement, au pli près. Cette rigueur semble maintenir la vie intérieure riche et prolifique qui nourrit ses romans. Car à l’instar de la réalisatrice, en puisant dans son intimité, Sidonie parle aussi des autres, des émotions qu’elle partage avec ses lecteurs, ce qui lui vaut son franc succès. Aussi, son éditeur nippon qui l’espérait avec impatience, pour provoquer des rencontres avec son public, l’attend en personne à sa descente d’avion, pour assurer la promotion de son dernier roman.

Là, au rythme d’une nature sans cesse évoquée avec poésie, le temps semble interrompre sa course pour nous laisser le temps d’observer la douceur du pays du soleil levant et nous promener dans ses lieux iconiques. C’est donc dans une atmosphère propice à l’introspection et au rêve que son fantôme – puisque seule Sidonie peut le voir – se matérialise sous ses yeux effarés. Effrayée au plus haut point, puis résignée à accepter l’impensable tandis que son nouvel ami la rassure : au Japon, les morts ne le sont pas vraiment. Ce phénomène est banal et fait partie de la religion shintoïste la plus répandue dans le pays. Sidonie se laisse donc porter par cette situation singulière qui la conduit à faire son deuil et à découvrir une nouvelle vie où l’attend un bonheur inespéré et radieux. Le spectateur est convié lui aussi à prendre le message très au sérieux, à se l’approprier et à aller à la rencontre de lui-même et de ses propres fantômes, dans ce pays aux cerisiers en fleurs et aux mille merveilles qui sont mises en relief tout au long du film.

Sidonie Perceval en quête de son graal !

Sidonie nous offre ce voyage sous le regard d’une occidentale solitaire qui peu à peu s’abandonne au charme son pays d’accueil. L’Aventure de Mme Muir de Joseph L. Mankiewicz y côtoie la douceur des films sur le couple de Mikio Naruse. Après Valérie Donzelli et Lolita Chammah, pour son troisième long-métrage, Elise Girard (véritable cinéphile qui a également signé deux documentaires sur les exploitants des cinémas Action et St André des Arts) met en scène la mère de cette dernière : Isabelle Huppert qui, contrairement à la réalisatrice avant ce film, comptait déjà des films fantastiques dans sa filmographie (Au bonheur des ogres de Nicolas Bary ou Madame Hyde de Serge Bozon). La protégée de Claude Chabrol se glisse dans la peau de Sidonie comme dans un fourreau de haute-couture et illumine l’écran dans chaque plan, entre situations comiques pince-sans rire et romantisme, face à son partenaire, Tsuyoshi Ihara (acteur vu entre autres dans Letters from Iwo Jima de Clint Eastwood), qui incarne le personnage de Kenzo Mizoguchi, nom banal au Japon mais pas pour autant choisi par hasard dans le film ! La photo et les cadrages rendent une image épurée à l’extrême avec des couleurs qui, sans pour autant bénéficier des techniques du technicolor ou du cinémascope, nous font penser à la ligne claire du Godard des bons jours, celui du Mépris ou de Pierrot le fou. Bien que ce film d’auteur aux allures de série B fantastique, non exempt d’humour, se regarde indépendamment des deux autres, on peut dire qu’Elise Girard a signé avec Belleville Tokyo, Drôles d’oiseaux, et Sidonie au Japon, une trilogie rare et personnelle qui parle de solitude, d’amour, du fil des saisons, et qui résonne en nous comme les trois lignes d’un haïku.

 

© Quélou Parente


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APOCALYPSE 2024 (1975)

Un jeune homme incarné par Don Johnson et un chien télépathe tentent de survivre dans un monde futuriste réduit à l’état sauvage…

A BOY AND HIS DOG

 

1975 – USA

 

Réalisé par L.Q. Jones

 

Avec Don Johnson, Susanne Benton, Jason Robards, Alvy Moore, Helene Winston, Charles McGraw, Hal Baylor, Ron Feinberg et la voix de Tim McIntire

 

THEMA FUTUR I MAMMIFÈRES

Après avoir écrit la nouvelle post-apocalyptique « A Boy and his dog » en 1969, l’auteur de science-fiction Harlan Ellison envisage d’en tirer un scénario pour le cinéma mais se heurte au syndrome de la page blanche. C’est finalement L.Q. Jones qui lui propose de se charger lui-même du scénario et de la réalisation. Jones est surtout connu comme acteur mais il a déjà signé un film, le western The Devil’s Bedroom en 1964 (sous le pseudonyme de Justus McQueen), et parvient à convaincre Ellison qu’il est l’homme de la situation. Trouver des financements et une structure de production est une autre paire de manches. Face aux refus répétés qu’il essuie, Jones décide de produire A Boy and His Dog de manière indépendante, réunissant 400 000 dollars auprès d’investisseurs privés. Voilà comment le film entre en production. « La quatrième guerre mondiale dura cinq jours », nous annonce un texte en début de métrage, avant de poursuivre par : « Les politiciens ont finalement trouvé une solution pour régler les problèmes urbains. » L’ironie pointe donc le bout de son nez dès l’entame et annonce la tonalité du film. Après l’apocalypse nucléaire, le monde n’est plus qu’un désert jonché de détritus et l’humanité a basculé dans une sauvagerie primitive. Ici et là traînent les « rovers », des pillards adeptes du viol, et les « hurleurs », des mutants contaminés par les radiations (dont nous entendons les cris mais que nous ne voyons jamais).

Les protagonistes auxquels il nous faut nous attacher ne sont pas particulièrement héroïques ni vertueux, mais ce sont les seuls qui s’offrent à nous. Il s’agit d’un jeune homme, Vic, et de son chien Blood. Petite particularité insolite : tous deux sont télépathes et communiquent donc sans se parler, via des dialogues en voix-off qui prennent la plupart du temps la tournure de joutes verbales acerbes. La répartition des rôles est simple dans ce duo improbable : Vic cherche des denrées alimentaires et Blood rabat des femmes pour satisfaire les besoins sexuels de son maître (grâce à son flair exceptionnel). Nous comprenons vite que le plus intelligent, le plus cultivé et le plus fin des deux n’est pas l’humain mais le canin. C’est Don Johnson, alors en tout début de carrière, qui incarne Vic. La future star de Deux flics à Miami donne ainsi la réplique à un toutou hirsute à qui Tim McIntrire prête sa voix lasse. James Cagney était initialement envisagé pour prononcer les dialogues de Blood, mais Jones craignait que son timbre très reconnaissable ne détourne l’attention des spectateurs. Choisi après une longue session de casting, McIntire est aussi le compositeur de la musique du film et l’interprète de la chanson du générique de fin.

Ruptures de ton

À mi-parcours, Apocalypse 2024 change radicalement de cap, de style et d’environnement en nous laissant découvrir à quoi ressemble le monde souterrain de ce futur dévasté : une communauté rurale bigote, conformiste, fardée et étriquée qui jouit de nombreux privilèges dont sont privés ceux de la surface. La société bien-pensante américaine en prend pour son grade, moquée dans cette portion ouvertement satirique du film dont le caractère absurde n’est pas sans évoquer la série Le Prisonnier. Déstabilisant par son approche souvent anti-dramatique, ses emprunts aux figures de style du western et ses fréquentes ruptures de ton, Apocalypse 2024 s’achève sur une note d’humour très noir qui participera grandement à son statut d’œuvre culte auprès d’une petite communauté de fans de science-fiction (mais qui, de notoriété publique, ne sera pas du tout du goût d’Harlan Ellison). Le film aura une influence durable, notamment sur la saga Mad Max de George Miller mais aussi sur la série de jeux « Fallout ». Après Apocalypse 2024, L.Q. Jones ne réalisera plus rien, à part un épisode de L’Incroyable Hulk, avant de revenir à sa prolifique carrière d’acteur.

 

© Gilles Penso


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DREAM SCENARIO (2023)

Nicolas Cage incarne un banal professeur de biologie dont la vie bascule lorsqu’il découvre que tout le monde rêve de lui…

DREAM SCENARIO

 

2023 – USA

 

Réalisé par Kristoffer Borgli

 

Avec Nicolas Cage, Lily Bird, Julianne Nicholson, Jessica Clement, Star Slade, David Klein, Kaleb Horn, Liz Adjei, Paula Boudreau, Marnie McPhail, Noah Lamanna

 

THEMA RÊVES

Ari Aster ne pouvait qu’être attiré par le concept de Dream Scenario. Ce récit troublant à la lisière de la comédie noire et de l’épouvante paranoïaque semblait taillé sur mesure pour le réalisateur d’Hérédité, Midsommar et Beau is Afraid. Séduit par le scénario de Kristoffer Borgli (inspiré par les théories de Carl Jung sur l’inconscient), Aster envisage de le porter à l’écran en donnant le rôle principal à Adam Sandler. Mais entretemps, Borgli réalise le long-métrage Sick of Myself qui reçoit un excellent accueil et démontre son savoir-faire derrière la caméra. Aster lui conseille alors de mettre lui-même en scène Dream Scenario sous la houlette de sa compagnie de production A24. L’auteur/réalisateur franchit donc le pas et change de tête d’affiche, jetant son dévolu sur Nicolas Cage. Ça tombe bien : la star de Sailor et Lula admire les films du label A24 et accepte immédiatement de se lancer dans l’aventure. Selon lui, Dream Scenario constituera un troisième volet idéal à la trilogie insolite entamée avec Pig de Michael Sarnovski et poursuivie avec Un talent en or massif de Tom Gormican. Cage s’implique dans le film au point d’imaginer le look du personnage très ordinaire qu’il y joue : un professeur mal fagoté dans un blouson trop ample, affublé d’une barbe broussailleuse, d’une grande paire de lunettes et d’un crâne largement dégarni.

Cage incarne Paul Matthews, un professeur de biologie qui peine à passionner ses étudiants et ambitionne d’écrire un livre sur le comportement des fourmis. Paul est sympathique mais un peu insipide, survolant sa vie plus qu’il ne semble la vivre pleinement, menant une existence sans éclat auprès de son épouse et de ses deux filles adolescentes. Un jour, la bizarrerie s’invite dans son quotidien : plusieurs personnes de son entourage affirment avoir rêvé de lui. Le phénomène s’étend bientôt un peu partout dans le monde. Il semblerait que les rêves de la grande majorité de la population soient hantés par la présence de Paul, qui se contente la plupart du temps d’apparaître de manière passive, comme un simple figurant dénué d’émotion. Alors que chacun se perd en conjectures sur cet événement inexplicable et récurrent, Paul cherche à gérer cette célébrité soudaine et inattendue. Peu à peu, cette situation prend une tournure inquiétante et vire au cauchemar…

Le poids de la célébrité

Drôle, effrayant, triste, déstabilisant, Dream Scenario aborde frontalement le caractère incontrôlable de la célébrité, le dictat de la popularité et le phénomène de la « cancel culture », sans pour autant chercher à délivrer un quelconque message ni même une réflexion claire sur ces sujets. Certains pourront reprocher au film de ne pas discourir de manière plus approfondie sur de telles thématiques, mais telle n’est pas l’intention de Kristoffer Borgli. Sa démarche semble être d’en cerner les aspects les plus absurdes et de forcer le trait. Dans le rôle de cet homme transparent devenu soudain le centre de toutes les attentions, Nicolas Cage est parfait, jouant pour une fois sur le registre de la demi-mesure. Il y avait longtemps qu’il n’avait pas été aussi juste et aussi touchant. Ce film conceptuel et insaisissable nous rappelle d’ailleurs une autre de ses prestations : celle de Charlie et Donald Kaufman dans Adaptation de Spike Jonze. Dream Scenario est donc un exercice de style fascinant, même s’il peine à offrir à ses spectateurs une résolution digne de ce nom, comme si son postulat était trop singulier pour pouvoir s’acheminer vers une fin convaincante. Borgli nous délivre alors un épilogue en demi-teinte, nous abandonnant sur une note frustrante et douce-amère.

 

© Gilles Penso


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RÉVEILLON SANGLANT (1987)

Six jeunes adultes s’échouent sur une île mystérieuse dans laquelle le temps semble s’être arrêté le soir du réveillon de l’année 1959…

BLOODY NEW YEAR

 

1987 – GB

 

Réalisé par Norman J. Warren

 

Avec Suzy Aitchison, Nikki Brooks, Colin Heywood, Mark Powley, Catherine Roman, Julian Ronnie, Steve Emerson, Steve Wilsher, Jon Glentoran, Val Graham

 

THEMA FANTÔMES

Norman J. Warren est un grand spécialiste du cinéma d’épouvante. Même si ses films ne brillent jamais par leur finesse, notre homme continue de creuser le même sillon avec opiniâtreté, gorgeant sa filmographie de sorcières sanglantes, de créatures extra-terrestres anthropophages et de mutants agressifs. Après L’Esclave de Satan, Le Zombie venu d’ailleurs, La Terreur des morts-vivants et Inseminoïd, le voilà à l’œuvre sur Réveillon sanglant, aussi connu chez nous sous le titre Les Mutants de la Saint-Sylvestre. C’est la productrice Maxine Julius qui est à l’initiative du film. Après avoir collaboré avec Warren sur la comédie d’espionnage Gunpowder, elle lui demande de réfléchir à un nouveau film d’horreur. En sept jours seulement, avec l’aide du producteur délégué Hayden Pearce, le réalisateur écrit le script improbable de ce Réveillon sanglant conçu comme un hommage aux films d’épouvante et de science-fiction des années 50, ce que confirmera l’emploi d’extraits de la sympathique série B Monstres invisibles (Fiend Without a Face) qui sont fournis gratuitement à Warren par le producteur Richard Gordon. L’une des sources d’inspiration avouées de Réveillon sanglant est la série La Quatrième dimension. Au fil du film, on décèle aussi l’influence de Shining et Evil Dead.

Le prologue, tourné en noir et blanc, se situe dans la salle de bal de l’hôtel Grand Island, le soir du réveillon du Nouvel An, le 31 décembre 1959. Les jeunes fêtards festoient aux accents d’un rock’n roll endiablé, mais un événement mystérieux semble tout interrompre subitement… et nous voilà dans les années 80. Avec la mise en scène brute et maladroite qui le caractérise, la caméra souvent portée, Norman J. Warren filme des acteurs manifestement semi-amateurs dans des décors naturalistes qu’il s’efforce de rendre inquiétants. Ses protagonistes sont trois couples de jeunes gens qui échappent aux griffes de trois voyous agressifs dans une fête foraine et prennent la fuite à bord d’un petit bateau. Au large, l’embarcation heurte des récifs et se met à couler, poussant nos six naufragés à trouver refuge sur l’île de Grand Island. L’hôtel local semble désert, décoré pour les fêtes de fin d’année alors que nous sommes au mois de juillet. Bientôt, nos héros découvrent que les voyous les ont suivis jusque sur l’île. Mais un danger encore plus grand les menace sur place…

Le monstre en tissu et les zombies fripés

Le scénario basique et très évasif de Réveillon sanglant s’affuble de dialogues un peu idiots constellés de répliques au second degré (« on se croirait dans un film d’horreur », « on dirait que tu as vu un fantôme »). Le comportement souvent absurde de ces jeunes écervelés n’aide évidemment pas les spectateurs à s’intéresser à leur sort. Les bizarreries n’arrivent qu’au compte-goutte, sur la pointe des pieds : une femme de chambre venue de nulle part, un reflet étrange dans un miroir, des boules de billard qui bougent seules, un groupe de rock qui apparaît et disparaît dans la salle de bal, un feu d’artifice qui se déclenche dans la cave, un aspirateur qui n’en fait qu’à sa tête… Quand le surnaturel s’invite enfin plus frontalement, les effets spéciaux sont si primitifs, la mise en scène si maladroite et les acteurs tellement peu concernés que l’on ne peut s’empêcher de rire là où Warren aurait visiblement voulu que l’on frissonne. Mais comment garder son sérieux face à ce monstre en tissu, ces zombies au visage fripé, ce mobilier qui mord les gens ou cet ascenseur qui attaque ses occupants ? Tout ça finit par ressembler à un mauvais train fantôme – comme celui que Warren montrait en tout début de métrage dans la fête foraine. Mettant la pédale douce sur le gore et l’érotisme – deux de ses ingrédients favoris – pour toucher un plus large public, le cinéaste nous livre un petit film mal-fichu qui sera directement exploité sur le marché vidéo en septembre 1987 en Angleterre puis dans le reste du monde.

 

© Gilles Penso


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BAD TRIP (2003)

Deux amis partent se réfugier dans la campagne néo-zélandaise pour se changer les idées et se heurtent à des phénomènes inexpliqués…

THE LOCALS

 

2003 – NOUVELLE-ZÉLANDE

 

Réalisé par Greg Page

 

Avec John Barker, Dwayne Cameron, Kate Elliott, Aidee Walker, Paul Glover, Peter McCauley, Dave Gibson, Glen Levy

 

THEMA FANTÔMES

« Un croisement entre Evil Dead, Délivrance et Sixième sens ». C’est en ces termes que Greg Page définit Bad Trip, un modeste film d’épouvante tourné en pleine nuit dans la campagne néo-zélandaise à partir d’un pitch plutôt prometteur. Grant (John Barker) a du mal à se remettre de sa récente rupture avec sa petite amie. La raison de leur séparation est cependant très sérieuse : il n’a pas aimé Le Seigneur des Anneaux de Peter Jackson ! Avec la vive intention de lui changer les idées, son ami Paul (Dwayne Cameron) parvient à le convaincre de s’extirper de son lit et de prendre la route un week-end pour aller surfer sur les plages néo-zélandaises. Les voilà donc partis vers le sud d’Auckland, en direction de la région de Waikato. Empruntant un vieux pont qui semble faire office de raccourci, nos deux héros finissent par se perdre, jusqu’à l’arrivée providentielle de deux jeunes filles, Lisa (Aidee Walker) et Kelly (Kate Elliot). Habillées façon années 80, elles leur proposent de les rejoindre pour une grande soirée en rase campagne. Grant et Paul s’efforcent de suivre leur voiture, lancée à vive allure, mais ils ratent un virage et plantent leur véhicule dans le décor.

Lorsqu’ils cherchent de l’aide auprès des autochtones, nos héros constatent que quelque chose ne tourne pas rond dans le coin. D’étranges activités nocturnes animent le cimetière, des meurtres violents se perpétuent, et chaque habitant de la région semble en savoir plus qu’il ne le dit. Y compris Lisa et Kelly… Le point de départ de The Locals (autrement dit « les autochtones », bizarrement traduit par Bad Trip en français) pique la curiosité des spectateurs, dont l’adhésion est emportée par l’efficacité de la mise en scène et le naturalisme des comédiens. Mais le scénario, un peu léger, se met rapidement à tourner à vide sans s’avérer capable de tenir ses promesses. Il y avait pourtant un bon potentiel dans ce récit énigmatique jouant la carte du paradoxe temporel et des apparitions spectrales, en un lieu coupé du reste du monde où la mort est devenue une notion toute relative.

Un survival soft

Moins brutal que Délivrance (dont il emprunte l’aspect « survival » et le choc entre citadins et campagnards), moins excessif qu’Evil Dead (dont il adopte bizarrement quelques effets de décomposition en animation image par image en rupture nette avec l’aspect réaliste du métrage), moins surprenant que Sixième sens (auprès duquel il puise une grande partie de son inspiration), Bad Trip évoque les classiques sans les transcender et ne sort jamais du lot. Aux références citées par le cinéaste, il faudrait d’ailleurs ajouter Brigadoon, comme le confirme ce final étrange. Trop soft, lisse et policé pour marquer suffisamment les mémoires, le premier long-métrage de Greg Page, jusqu’alors spécialisé dans les clips et les spots publicitaires permet aux amateurs d’épouvante mâtinée de Quatrième dimension de passer un agréable moment puis s’oublie aussitôt après son visionnage. Nommé au Festival du Film Fantastique de Gerardmer, Bad Trip est pourtant prometteur, et laisse augurer de belles choses de la part de cet ambitieux metteur en scène, pour peu qu’un scénario plus audacieux que cette sage « ghost-story » n’atterrisse entre ses mains.

 

© Gilles Penso


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LES AMANTS D’OUTRE-TOMBE (1965)

Dans ce fleuron de l’épouvante gothique italienne, Barbara Steele incarne une défunte dont l’esprit revient hanter les lieux de son assassinat…

AMANTI D’OLTRETOMBA

 

1965 – ITALIE

 

Réalisé par Mario Caiano

 

Avec Barbara Steele, Paul Muller, Helga Line, Lawrence Clift, Rik Battaglia, Giuseppe Addobbati

 

THEMA FANTÔMES I MÉDECINE EN FOLIE

En 1965, la reine de l’épouvante Barbara Steele nous offre une double prestation mémorable dans Les Amants d’outre-tombe de Mario Caiano, qui signe ce film sous le pseudonyme d’Alan Grünewald. Dans l’Angleterre de la fin du 19ème siècle, l’éminent professeur Stephen Arrowsmith (Paul Muller) étudie la régénération sanguine. Dès les premières secondes, son épouse Muriel (Barbara Steele) nous apparaît comme un personnage antipathique. Elle se moque de son époux, rabaisse leur vieille servante Solange (Helga Liné) et semble portée sur la bouteille. Sensible comme nombre de ses confrères à la photogénie très particulière de la comédienne, Caiano l’iconise via de nombreux choix artistiques. Un grand portrait qui force ses traits tout en préservant sa beauté trône au-dessus de la cheminée du château qu’elle habite avec son époux, son ombre portée immense la précède sur les murs de la vaste demeure, son visage est souvent scindé entre une zone de lumière et une part d’ombre grâce à la somptueuse photographie d’Enzo Barboni. La musique d’Ennio Morricone elle aussi contribue à cette iconisation, reprenant souvent le thème au piano que joue Muriel au début du métrage pour le décliner tout au long du film.

L’intrigue bascule lorsque le scientifique surprend son épouse dans les bras du jardinier David (Rik Battaglia). Furieux, il défigure ce dernier d’un coup de canne et enchaîne les amants dans une crypte en les soumettant à maints sévices. « Si tu voyais la haine que j’éprouve pour toi, tu frémirais d’horreur », lui dit-elle, à bout de force. « Même en me tuant, tu ne détruiras pas ma haine. Tu peux tuer mon corps mais je te hanterai à tout jamais. » Peu sensible aux menaces, et révélant une cruauté sans borne, le professeur brûle la poitrine de sa femme avec de l’acide après l’avoir violée, puis tue les amants à grands coups de décharges électriques ! Il injecte ensuite le sang électrisé de Muriel dans le corps de Solange, la vieille gouvernante, pour lui redonner beauté et jeunesse.

Ange ou démon ?

Le scénario oscille ainsi entre horreur et science-fiction sans s’encombrer de demi-mesure. C’est alors qu’intervient Jenny, la demi-sœur de Muriel, qui s’installe au château pour disposer de l’héritage et que le savant entend bien épouser pour en profiter. Parfait sosie de Muriel, la jeune femme est aussi incarnée par Barbara Steele, qui nous offre dès lors un visage angélique. Blonde, fragile, docile, elle est peu à peu possédée par l’esprit de sa sœur. Le jeu de la comédienne est alors fascinant, passant en une seconde d’une personnalité à l’autre, d’un sourire, d’un regard, avant de redevenir elle-même. Plus que jamais, la dualité qu’elle incarna si souvent s’exprime dans tout son paradoxe et dans toute sa latitude. Le surgissement final des amants maudits, le visage blafard et à moitié défiguré, fait basculer le film dans le cauchemar, et l’on mesure face à une telle vision l’impact que le film a pu avoir sur Tim Burton, qui en déclinera souvent l’imagerie à travers son œuvre.

 

© Gilles Penso


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INSECT (1987)

Transporté d’urgence dans un hôpital, un homme est victime d’une étrange mutation et donne naissance à un insecte géant !

BLUE MONKEY

 

1987 – CANADA / USA

 

Réalisé par William Fruet

 

Avec Steve Railsback, Susan Anspach, Gwynyth Walsh, Don Lake, Helen Hughes, Sandy Webster, Peter Van Wart, Stuart Stone, Marsha Moreau, Ivan E. Roth

 

THEMA INSECTES ET INVERTÉBRÉS

Impressionnée par Aliens de James Cameron (et par son succès au box-office), la productrice Sandy Howard (Un Homme nommé Cheval, Le Convoi Sauvage, La Pluie du diable, Embryo, L’Île du docteur Moreau, Meteor) décide d’initier dans la foulée un petit film d’horreur et de science-fiction qui fera partie d’un pack de trois longs-métrages distribués par RCA-Columbia (les deux autres étant Dark Tower de Freddie Francis et Ken Wiederhorn et Nightstick de Joseph L. Scanlan). Trompeur, le titre original Blue Monkey laisse imaginer une histoire de « singe bleu », mais il n’en est rien. Ce primate est en réalité un monstre imaginaire surgi dans le cauchemar d’un enfant dans l’une des scènes du film. Rien à voir avec le sujet développé dans le scénario, donc, le titre alternatif Insect (choisi notamment pour la France) s’avérant bien plus approprié. Les Anglais, eux, joueront la carte de la surenchère en rebaptisant le film Invasion of the Body Suckers (« L’invasion des suceurs de corps ») pour sa distribution en VHS ! La mise en scène d’Insect est confiée à William Fruet, qui avait réalisé le film d’horreur Spasmes en 1983 avec Peter Fonda et Oliver Reed. Quant au rôle principal, il échoit à Steve Railsback, tête d’affiche du Lifeforce de Tobe Hooper.

Fred Adams (Sandy Webster), mécanicien à Hill Valley, se coupe en touchant une plante inconnue dans la serre d’une amie. Ce végétal étrange aux fleurs jaunes provient visiblement d’une île volcanique nouvellement formée au large de la Micronésie. Bientôt, Fred est saisi par un malaise et transporté à l’hôpital le plus proche où les docteurs de garde, Rachel Carson (Gwynyth Walsh) et Judith Glass (Susan Anspach), lui détectent une très forte fièvre. Toutes deux sont parallèlement sollicitées par l’inspecteur de police Jim Bishop (Steve Railsback) qui leur amène son partenaire avec une grave blessure par balle. Les deux hommes ont en effet participé à une planque qui s’est mal passée, et le partenaire de Jim s’est fait tirer dessus à bout portant. Alors que la tension monte d’un cran, Fred est pris de convulsions violentes et expulse une énorme larve qui se métamorphose en insecte gigantesque…

Sur les traces d’Alien

Conformément à l’idée initiale de la productrice Sandy Howard, l’insecte géant du film évoque bien plus les xénomorphes d’Alien et d’Aliens que les monstres radioactifs des années 50 qu’évoquent pourtant les posters et les jaquettes. Il faut dire que dès que quelques personnages sont prisonniers dans un huis-clos et poursuivis par un monstre plongé dans la pénombre, à grand renfort de couloirs interminables et de tuyaux divers, on ne peut s’empêcher de penser aux trains fantômes spatiaux de Ridley Scott et James Cameron. Ici, la comparaison est accentuée par la naissance de la créature, surgie à l’état larvaire de la bouche d’un malade. A la manière typique des films catastrophe, le réalisateur dresse un portrait rapide et superficiel de différents protagonistes qui auront par ailleurs un rôle quasi-inexistant à jouer par la suite : l’inspecteur blessé, la vieille dame fiévreuse, la femme enceinte, le petit garçon leucémique… L’idée de l’hôpital mis en quarantaine et menacé d’être détruit par l’armée pour cause de contamination amplifie efficacement la tension. Quant au monstre, toujours furtif et à contre-jour, il est servi par des effets mécaniques des plus convaincants concoctés par une équipe d’artistes experts en la matière, notamment Steve Neill (Vampire vous avez dit vampire?), Todd Masters (Horribilis), Mark Williams (Aliens) et Michael F. Hoover (Le Blob). Cette bébête est bien sûr l’attraction principale du film, l’influence de la saga Alien finissant par se mêler à celle – inévitable – de La Mouche de David Cronenberg.

 

© Gilles Penso


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THE OPEN (2015)

Trois survivants de la fin du monde trompent leur ennui et donnent du sens à leur vie grâce à des parties de tennis sans balles ni filets…

THE OPEN

 

2015 – FRANCE

 

Réalisé par Marc Lahore

 

Avec James Northcote, Maia Levasseur-Costil, Pierre Benoist

 

THEMA FUTUR

Marc Lahore est un cinéphile compulsif et un grand amateur de bandes dessinées qui allait forcément, tôt ou tard, franchir le pas du long-métrage. Après une série de courts-métrages expérimentaux et de fictions cultivant volontairement leur singularité et leur approche esthétique, il se lance dans un défi qui n’a rien de simple. Son premier film sera en effet une fable de science-fiction futuriste, rien que ça ! Mais The Open ne doit rien à Blade Runner ni même à Mad Max. A vrai dire, il ne ressemble à rien de connu, poussant Patrice Leconte, lorsqu’il découvre le résultat final, à le qualifier de « parfait OVNI, barré, extrémiste, archi-réussi, procédant d’une démarche magnifique et culottée. » Le postulat lui-même laisse perplexe. Après une catastrophe apparemment nucléaire, deux hommes et une femme tentent de survivre dans un monde post-apocalyptique (filmé avec la sobriété et le réalisme d’un Malevil) où la civilisation semble avoir disparu. Leur raison de vivre est désormais l’organisation de parties de tennis surréalistes, sans filets ni balles. Cette pratique sportive est absurde, n’a absolument aucun sens, mais c’est pourtant ce qui leur donne la force de survivre. Ces trois êtres ont tout perdu, n’ont plus rien, si ce n’est un besoin irrépressible de redonner du sens à leur existence. Alors pourquoi pas des parties de tennis sans balles ni filets ?

Interrogé sur son envie de mettre en scène des parties de tennis irrationnelles dans son premier long-métrage, Marc Lahore déploie plusieurs arguments. « Le tennis m’apparaît comme un sport éminemment cinématographique, typiquement westernien, dont l’histoire est d’ailleurs émaillée de duels et rivalités mythiques », explique-t-il. « Quant à sa forme même, à son atmosphère, sa dimension purement plastique… Toutes m’évoquent les duels de Sergio Leone. J’ai appris à aimer ce sport ; son esthétique, son rythme, ses règles. Ainsi qu’à apprécier l’abnégation, la concentration, l’énergie, de même que les aptitudes stratégiques et physiques qu’il exige de ses pratiquants. » (1) Le budget du film étant réduit à sa plus simple expression, Lahore joue la carte du minimalisme des deux côtés de la caméra. Son équipe technique se résume donc à neuf personnes (comédiens compris), réunies dans des conditions précaires pendant trois semaines au cœur des Highlands d’Ecosse. Après avoir bravé le froid, la pluie, le vent, le brouillard, la boue et les inondations, ils rentrent au bercail avec le film en boîte. Un film faisant fi de ses faibles moyens pour réinventer en plein air le huis-clos de Jean-Paul Sartre.

Mad Match

Le postulat absurde de The Open peut laisser craindre un essoufflement rapide du scénario, d’autant que le film ne cherche ni à dépasser ce concept, ni à développer d’incessants rebondissements. L’austérité et la répétitivité de l’intrigue peuvent donc rebuter, mais la démarche demeure fascinante. Car on finit par se prendre au jeu de ce sport virtuel devenu vital pour les survivants de l’apocalypse, seul but d’une existence devenue dérisoire. On pense aux parties imaginaires du joueur d’échec de Stefan Zweig, et l’on se laisse volontiers porter par la prestation extrêmement convaincante d’un trio d’acteurs étonnants, filmés dans des décors naturels à la stupéfiante beauté sauvage dont chaque recoin (montagnes, vallées, passages, plages, campements) est ici rebaptisé avec des noms de grands tennismen. Plus on y réfléchit, plus on se dit que le tennis n’est finalement qu’un prétexte qui en vaut bien un autre. Car ce que raconte The Open, en substance, c’est le besoin indispensable de se raconter des histoires, de transformer l’illusion en réalité, de se réfugier dans l’inexistant pour le rendre tangible. Finalement, n’est-ce pas l’essence même du cinéma et de la fiction ?

 

(1) Extrait d’une interview publiée dans « Film International » en novembre 2015

 

© Gilles Penso


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