LA NONNE (2018)

La saga Conjuring continue de se déployer dans tous les sens, explorant ici les recoins d’un couvent roumain hanté par un démon

THE NUN

 

2018 – USA

 

Réalisé par Corin Hardy

 

Avec Taissa Farmiga, Demián Bichir, Bonnie Aarons, Ingrid Bisu, Jonas Bloquet, Charlotte Hope, Sandra Teles, Jared Morgan, David Horovitch

 

THEMA DIABLE ET DÉMONS I SAGA CONJURING

Après deux Conjuring et deux Annabelle, la mythologie démoniaque établie par James Wan et ses co-scénaristes continue de dérouler ses ramifications au sein d’une franchise protéiforme jouant sans cesse la carte des allers-retours temporels. Écrit par Wan et Gary Dauberman, ce cinquième volet s’intéresse au démon Valak, dont la présence très inquiétante sous forme d’un monstre en robe de religieuse procurait quelques frissons efficaces dans Conjuring 2. C’est un nouveau réalisateur qui se retrouve à la tête de La Nonne, en l’occurrence Corin Hardy dont Le Sanctuaire (The Hallow) avait agréablement surpris le public et la profession en 2015. Tourné quasi-intégralement en Roumanie, le film met en vedette Irène, une religieuse novice incarnée par Taissa Farmiga, la jeune sœur de la comédienne Vera Farmiga qui interprète justement Lorraine Warren dans le diptyque The Conjuring. La ressemblance physique entre les deux comédienne dote leurs personnages d’un indiscutable « air de famille », même si le scénario ne crée aucun lien particulier entre Irène et Lorraine.

La Nonne prend place en 1952, dans la vieille abbaye roumaine de Saint Carta. Terrifiée par la créature démoniaque qui sévit dans les lieux, une nonne commet un terrible péché en se suicidant. Cet acte a priori incompréhensible nous ramène au Frayeurs de Lucio Fulci, dans lequel la pendaison d’un prêtre ouvrait une des portes de l’Enfer. L’allusion est manifestement assumée, comme le prouve plus tard dans le métrage la séquence d’un enterré vivant qu’on libère à coups de pelle (la lame tranchante passe à quelques centimètres de son visage, exactement comme la pioche dans une scène très similaire du film de Lucio Fulci). Suite à la mort de la religieuse, une cellule de crise est organisée au Vatican. Le père Burke (Demián Bichir) est chargé d’enquêter sur place. Il est accompagné de sœur Irène, une postulante débauchée à Londres (Taissa Farmiga, donc), et du villageois qui a découvert le corps de la pendue (Jonas Bloquet). La visite des lieux va s’avérer particulièrement éprouvante. En plus des événements terrifiants qui ne tardent pas à se manifester dans l’abbaye, les protagonistes vont devoir affronter leurs propres démons. Burke est en effet hanté par la mort d’un enfant survenue après un exorcisme ayant mal tourné. Quant à Irène, elle n’a pas encore prononcé ses vœux et va donc devoir mettre à l’épreuve sa propre foi…

La salsa des démons

Après l’influence de Rosemary’s Baby (dans Annabelle) et des films de fantômes espagnols (dans Annabelle 2), ce troisième spin-off de la franchise Conjuring joue ouvertement ca carte du gothisme. Ces catacombes noyées de fumigènes, ce vieux cimetière illuminé par un clair de lune excessif, cette crypte emplie de toiles d’araignées semblent tous échappés d’un film de Roger Corman période Edgar Poe. La traversée du village en carriole jusqu’à la sinistre abbaye, les déambulations nocturnes de la jeune héroïne en chemise de nuit s’éclairant avec une lanterne nous ramènent quant à elles aux films de Terence Fisher et Mario Bava. Cette orientation stylistique est plutôt rafraîchissante, d’autant que cette fois-ci, contrairement à Annabelle 2, le contexte historique joue un rôle narratif. Les bombardements survenus pendant la guerre ont en effet ébranlé la protection mise en place pendant les Croisades pour empêcher le démon de surgir. Pour faire planer l’inquiétude, Corin Hardy sature sa bande son de chuchotements, de chœurs masculins très graves (qui répètent inlassablement le mot « nun ») et d’orchestrations oppressantes concoctées par le compositeur polonais Abel Korzeniowski (la série Penny Dreadful). Mais toutes ces belles intentions finissent par perdre de leur éclat face aux mécanismes d’épouvante répétitifs auxquels le film recourt pour effrayer ses spectateurs, notamment ces silhouettes encapuchonnées qui n’en finissent plus d’apparaître et de disparaître autour des personnages, ou ces mains griffues qui surgissent un peu partout. Déclinant le thème de l’entité maléfique sans véritable cohérence (visions, possessions, apparitions de démons/zombies), La Nonne se transforme bientôt en une espèce de « salsa du démon » confuse, finalement plus proche des films désordonnés de Lamberto Bava que des œuvres somptueuses de son père Mario.

 

© Gilles Penso

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ANNABELLE 2: LA CRÉATION DU MAL (2017)

Un deuxième épisode en forme de préquelle qui confronte la poupée maléfique à un petit groupe d’orphelines dans les années 50

ANNABELLE: CREATION

 

2017 – USA

 

Réalisé par David F. Sandberg

 

Avec Stephanie Sigman, Talitha Bateman, Anthony LaPaglia, Miranda Otto, Lulu Wilson, Philippa Coulthard, Grace Fulton, Lou Lou Safran, Samara Lee

 

THEMA JOUETS I DIABLE ET DEMONS I ENFANTS I SAGA CONJURING

Face à l’accueil enthousiaste que les amateurs de cinéma d’épouvante ont réservé aux deux Conjuring et à Annabelle, les producteurs de New Line Cinema ont senti qu’ils tenaient entre leurs mains une franchise pas comme les autres, susceptible de s’inscrire – toutes proportions gardées bien sûr – dans un cycle de films comparable à celui des productions Marvel. D’épisode en épisode, la mythologie démoniaque née en 2013 se met donc en place et s’enrichit, quitte à parfois jouer la carte du flash-back pour mieux raccorder certaines intrigues entre elles. C’est dans cette logique qu’est conçu Annabelle 2 qui, malgré son titre français, n’est pas une séquelle mais une prequel. Toujours produit par James Wan et écrit par Gary Dauberman, ce second opus est réalisé par David Sandberg, qui s’était fait connaître avec l’excellent court-métrage Lights Out transformé entre-temps en long-métrage sobrement titré Dans le noir. Ce changement de tête entraîne l’arrivée d’un nouveau venu dans la franchise, le compositeur Benjamin Wallfish, remplaçant sans heurt Joseph Bishara avec qui il partage une expertise certaine dans la musique orchestrale atmosphérique susceptible d’intégrer quelques déflagrations sonores pour faire sursauter les spectateurs.

Si Annabelle nous transportait dans les années 60, Annabelle 2 commence en 1946. Les premières images, presque féeriques, montrent un émule de Gepetto au travail sur la finition d’une poupée dans son atelier. Cet homme, Samuel Mullins (Anthony LaPaglia), est l’heureux père avec son épouse Esther (Miranda Otto) d’une fillette de sept ans, « Bee », diminutif de… Annabelle. Mais la pauvre est victime d’un accident de voiture qui endeuille à tout jamais le couple Mullins. Douze ans plus tard, en 1958, les Mullins ouvrent les portes de leur vaste demeure à six orphelines et à leur tutrice, sœur Charlotte (Stephanie Sigman), sans abri depuis la fermeture de leur orphelinat. Malgré les manières rustres de Samuel Mullins et malgré l’absence de son épouse sans cesse alitée, les filles se sentent bien et trouvent leurs marques. Un peu à l’écart, Janice (Talitha Bateman), marche avec difficultés depuis qu’elle a contracté la polio. Pour tromper son ennui, elle fouille l’une des pièces laissées vacantes et trouve enfermée dans un placard la poupée blafarde qui semait déjà la panique dans Annabelle. Dès lors, on s’en doute, d’étranges phénomènes commencent à frapper les lieux et le Malin en personne guette le moment idéal pour sortir ses cornes des ténèbres et posséder une âme en peine susceptible d’accueillir sa diabolique présence…

L’influence des fantômes espagnols

L’atmosphère du film précédent a donc radicalement changé. Au cadre urbain d’un appartement californien des sixties, cet épisode préfère la campagne des années 50, choix qui entraîne une approche stylistique très différente. Avec ses toutes jeunes protagonistes, sa grande maison, sa forêt avoisinante et cette chambre interdite digne de « Barbe-Bleue », Annabelle 2 prend du coup les allures d’un conte de fées sinistre. David Sandberg semble vouloir retrouver l’ambiance d’un certain cinéma fantastique espagnol, quelque part entre L’Échine du Diable et Fragile. Mais si sa mise en scène sait faire preuve de sensibilité, le « supplément d’âme » qui caractérise des cinéastes tels que Guillermo del Toro ou Jaume Balaguero brille ici par son absence. Efficace à défaut d’être émouvant, effrayant sur le court-terme sans parvenir à créer un malaise durable, Annabelle 2 cède aux facilités du « jump scare » et des artifices d’un train-fantôme. Dans ce domaine, Sandberg sait concocter de très belles séquences, comme celle de l’épouvantail dans la grange, mais cette approche de l’horreur reste superficielle. Dommage par exemple que le scénario ne tire pas parti des richesses narratives qu’aurait pu lui apporter son contexte historique, les années 50 ne jouant ici qu’un rôle cosmétique. L’épilogue du film, tiré par les cheveux, ne semble exister que pour se raccorder avec le premier Annabelle, tandis que la courte-séquence post-générique confirme cette volonté manifeste de détourner les codes établis par l’univers étendu du studio Marvel.

 

© Gilles Penso

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CONJURING 2 : LE CAS ENFIELD (2016)

Le couple Warren revient enquêter sur un cas de maison hantée sous la direction toujours experte du réalisateur James Wan

THE CONJURING 2

 

2016 – USA

 

Réalisé par James Wan

 

Avec Patrick Wilson, Vera Farmiga, Frances O’Connor, Madison Wolfe, Simon McBurney, Sterling Jerins, Lauren Esposito, Patrick McAuley, Benjamin Haigh

 

THEMA FANTÔMES I DIABLE ET DÉMONS I SAGA CONJURING

Le premier Conjuring était une excellente surprise, alliant une mise en scène extrêmement élégante, une galerie de personnages très attachants et de purs moments d’angoisse viscérale. Comme les meurtres machiavéliques de Saw et les exactions du démon d’Insidious, les enquêtes de Ed et Lorraine Warren étaient susceptibles d’alimenter toute une série de futurs longs-métrages, nouvelle preuve de la capacité de James Wan à créer des franchises. Cette séquelle était prévue avant même que Conjuring ne sorte sur les écrans, et suite aux résultats très satisfaisants du film au box-office, elle n’eut aucun mal à se mettre en route. Ainsi, après le spin-off Annabelle dirigé pour New Line Cinéma par John R. Leonetti, le couple de parapsychologues reprend du service dans un second Conjuring qui réunit une grande partie de l’équipe technique et artistique du premier épisode. James Wan lui-même rempile derrière la caméra, refusant le pont d’or que lui offrent les producteurs de la saga Fast & Furious, enchantés de son travail sur le septième épisode de la saga et désireux de lui confier l’opus suivant. Même s’il cèdera aux attraits des blockbusters hollywoodiens en dirigeant Aquaman et sa suite, Wan préfère pour l’instant revenir aux bonnes vieilles histoires d’épouvante qui le passionnent tant.

Le film s’amorce en 1976 dans la célèbre maison d’Amityville et revient brièvement sur les faits sanglants racontés dans Amityville 2, autrement dit le massacre perpétré par Ronald De Feo. Mais comme c’était déjà le cas pour l’histoire de la poupée Annabelle évoquée dans le premier Conjuring, ce prologue sert à planter le décor (l’équivalent horrifique des pré-génériques de James Bond en quelque sorte) avant que la véritable intrigue ne commence. Celle-ci prend place dans la banlieue de Londres, au sein de la maison de la modeste famille Hodgson, siège de phénomènes surnaturels de plus en plus inquiétants. Malgré la volonté de Lorraine Warren d’arrêter les interventions sur le terrain – chacune d’entre elles l’affectant personnellement – elle se convainc avec Ed de venir en aide aux Hodgson. L’esprit frappeur qui sévit là semble être celui d’un vieil homme empli de rage, ancien propriétaire des lieux utilisant le corps de la jeune Janet pour s’exprimer à travers elle. Malgré l’aspect de plus en plus spectaculaire des « incidents » frappant la demeure, les Warren sont en proie au doute : pourrait-il s’agir d’une affabulation ? Tandis que plane cette incertitude, Lorraine est régulièrement hantée par la vision d’une nonne monstrueuse qui lui était apparue dans la maison d’Amityville. Et si tout était lié ?

L’art du hors-champ et de la suggestion

Patrick Wilson et Vera Farmiga débordent toujours autant de charisme et la mise en scène n’a rien perdu de sa finesse. Force est de constater que James Wan n’a pas son égal pour concrétiser les terreurs enfantines les plus profondes en s’appuyant principalement sur le hors-champ, la suggestion, les coins obscurs de son écran et toute la tessiture de sa bande son (dans laquelle vient s’insérer la musique toujours aussi stressante de Joseph Bishara). Tous les ingrédients de la réussite du premier Conjuring sont donc réunis avec la même miraculeuse alchimie. D’autant qu’une fois de plus, la caution « histoire vraie » renforce le degré d’implication des spectateurs. Tout au plus pourra-t-on reprocher à cette séquelle une longueur un peu excessive, l’utilisation un tantinet artificielle de tubes des années 70 pour dynamiser sa bande originale et un ou deux écarts sacrifiant l’atmosphère oppressante au profits d’effets visuels trop voyants (notamment les apparitions furtives mais sans doute trop outrancières de « l’homme tordu »). A ces réserves près, Conjuring 2 est un film d’épouvante de haute tenue, qui sait tenir son public en haleine jusqu’à un suspense final éprouvant et laisse bien sûr la porte ouverte vers d’autres séquelles, spin-off et variantes. Car désormais, c’est à un véritable « Conjuring Cinematic Universe » que nous convient les heureux producteurs de la franchise.

 

© Gilles Penso

 

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ANNABELLE (2014)

La poupée maléfique de The Conjuring vient terrifier un jeune couple des années 60 qui attend un heureux événement

ANNABELLE

 

2014 – USA

 

Réalisé par John R. Leonetti

 

Avec Annabelle Wallis, Ward Horton, Tony Amendola, Alfre Woodard, Kerry O’Malley, Brian Howe, Eric Ladin, Ivar Brogger, Gabriel Bateman

 

THEMA JOUETS I DIABLE ET DÉMONS I SAGA CONJURING

Le succès de The Conjuring : les dossiers Warren annonçait le lancement d’une nouvelle franchise et la mise en production imminente d’un second chapitre. Mais avant la sortie de cette séquelle, la compagnie New Line décide d’initier un épisode intermédiaire, sorte de spin-off/prequel qui donne la vedette à un élément marquant mais furtif du film de James Wan : l’inquiétante poupée Annabelle. Si Wan reste présent au poste de producteur, il cède la réalisation à John R. Leonetti, son directeur de la photographie attitré (également signataire des images de Chucky 3, The Mask, Piranha 3D) dont les essais précédents en tant que metteur en scène s’étaient avérés assez anecdotiques (Mortal Kombat : Destruction finale, L’Effet papillon 2). Le scénario est confié à l’inégal Gary Dauberman, tout autant capable de relancer une saga en perte de vitesse (Destination finale 5) que d’écrire un remake poussif et maladroit (Freddy, les Griffes de la nuit). Avec une telle équipe à la tête d’Annabelle, tout était envisageable, le meilleur comme le pire. Le résultat se situe à mi-chemin, collectant de jolis moments d’épouvante mais disparaissant dans les limbes de l’oubli peu de temps après son visionnage.

Le texte d’introduction plante le décor : « Depuis les débuts de la civilisation, les poupées ont été aimées par les enfants, choyées par les collectionneurs et utilisées dans des rites religieux pour le bien et pour le mal. » Si les premières minutes d’Annabelle sont rigoureusement les mêmes que celles de The Conjuring (le témoignage des jeunes filles ayant hérité de l’inquiétante poupée), l’action rembobine ensuite pour nous présenter d’autres protagonistes. L’intrigue prend place à Santa Monica en 1969, où le médecin John Form (Ward Horton) offre à son épouse enceinte Mia (Annabelle Wallis) le cadeau de ses rêves : une poupée rare et ancienne qui vient compléter la collection siégeant déjà sur les étagères de la future chambre d’enfant. Mia est aux anges, ignorant que l’intrusion de cet objet dans sa vie s’apprête à la bouleverser à tout jamais. Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, la poupée ne sera finalement qu’une figurante dans le film. Vecteur efficace d’angoisse (son sourire figé dans la porcelaine fait froid dans le dos), elle sert surtout le catalyseur aux manifestations démoniaques. Annabelle marche donc moins sur les traces des films habituels consacrés aux jouets diabolique (les sagas Chucky et Puppet Masters, Dolls, Trilogy of Terror) que sur celles de Rosemary’s Baby, qui demeure sa source principale d’inspiration. La référence est quasi-officiellement assumée à travers le choix des prénoms du couple vedette, Mia et John (clin d’œil à Mia Farrow et John Cassavetes). Presque tout dans le film nous ramène au classique de Roman Polanski : cette femme enceinte des années 60 qui se croit harcelée par des forces démoniaques mais que personne ne croit, un mari trop souvent absent qui attribue la paranoïa de son épouse à une fatigue nerveuse, un bel appartement américain qui devient peu à peu le siège d’angoisses indicibles… Et puis il y a cette autre allusion qui inscrit le film dans son contexte historique en évoquant le massacre perpétré par la « famille » de Charles Manson. Si l’intrusion brutale des membres d’une secte satanique qui souhaitent assassiner l’héroïne enceinte offre au film l’une de ses séquences les plus angoissantes, le parallèle avec le drame réel survenu dans la vie de Polanski est un peu discutable, pour ne pas dire douteux…

Le diable au corps

Il faut reconnaître à John R. Leonetti un incontestable savoir-faire dans la gestion efficace de l’espace, souvent exploité en plan-séquence et en plan large. L’insolite naît souvent d’altérations d’un lieu qui a été préalablement exposé dans toute sa latitude, ou d’intrusions imprévues dans le décor : une silhouette féminine, une enfant, une entité qui semble posséder les mêmes attributs physiques que le Diable de La Sorcellerie à travers les âges… Plusieurs séquences jouent à merveille avec les nerfs des spectateurs, comme celle des popcorns et de la machine à coudre (qui semble échappée d’un épisode de Destination finale) ou ce huis-clos stressant dans l’ascenseur (que James Wan aurait mis en scène lui-même). Au passage, plusieurs réminiscences La Quatrième dimension nous reviennent en mémoire, notamment la poupée vivante de « Living Doll » et les cris de la petite fille évaporée de « Little Girl Lost ». Annabelle remplit donc honnêtement son contrat, même s’il finit par céder en fin de métrage à des facilités qui amenuisent progressivement son impact, comme ce personnage de libraire bien pratique pour que le scénariste puisse nous expliquer le « mode d’emploi » du démon qui hante le film, ou ce final dramatiquement très faible. Le succès sera tout de même au rendez-vous, à la grande joie des producteurs de New Line prompts à poursuivre sans plus tarder l’exploitation de ce juteux filon.

 

© Gilles Penso

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DERNIER TRAIN POUR BUSAN (2016)

Le réalisateur coréen Yeon Sang-ho réalise son premier long-métrage « live » et bouleverse les clichés des films de zombies

BOO-SAN-HAENG / TRAIN FOR BUSAN

 

2016 – CORÉE DU SUD

 

Réalisé par Yeon Sang-ho

 

Avec Gong Yoo, Kim Su-an, Jeong Yu-mi, Ma Dong-seok, Choi Woo-sik, Ahn So-hee, Kim Ee-seong, Chang Hwan Kim

 

THEMA ZOMBIES

Pouvait-on encore nous surprendre en 2016 avec un film de zombies/infectés se ruant sur la population pour la convertir en meute de bêtes féroces et anthropophages ? Le doute était permis. Spécialisé jusqu’alors dans les films d’animation, le réalisateur coréen Yeon Sang-ho prouve pourtant que ce sous-genre surexploité du cinéma d’horreur avait encore des choses à dire, pour peu de revenir aux sources de ce qui fit son succès premier, autrement dit la satire sociale et le drame humain. Le postulat est d’une simplicité désarmante : alors qu’un virus redoutable transforme les gens en zombies, les passagers d’un train reliant Seoul à Busan essaient de survivre par tous les moyens. Le réalisateur et son coscénariste Park Joo-Suk changent un peu la donne habituelle et modifiant les règles très codifiées du genre. Si le mode de contamination reste le même, les zombies n’attaquent que ce qu’ils voient et se guident par le bruit. Ils ne sont pas traités comme des entités maléfiques mais comme un fléau, une catastrophe. D’ailleurs, on ne lutte pas contre eux avec des armes (aucun coup de feu ne retentit dans ce film, ce qui est suffisamment rare pour être signalé) mais avec du courage et des forces décuplées par l’énergie du désespoir.

Les monstres jouant le rôle de révélateurs des travers humains, le vernis craque rapidement, les caractères se révèlent, les failles apparaissent et les plus bas instincts s’éveillent. Bientôt, l’égoïsme contamine le train aussi vite que le virus cannibale. Cette approche à échelle humaine n’empêche pas Yeon Sang-ho de concocter des séquences de suspense à couper le souffle et des scènes d’action étourdissantes se déployant dans les gares et dans les trains. Mais cette enchaînement de morceaux d’anthologie reste ancré dans la réalité. Malgré leur gigantisme, les moments les plus spectaculaires du film conservent des proportions crédibles. Voilà pourquoi l’on croit à ces montagnes d’infectés qui défoncent les vitres et se jettent dans le vide pour fondre sur leurs proies, là où des actions du même acabit ne nous arrachaient qu’un sourire amusé dans World War Z sans vraiment parvenir à nous impliquer.

Désespérément humains

Cette suspension d’incrédulité est bien sûr facilitée par le réalisme de personnages désespérément humains. Le manichéisme n’a pas droit de cité et l’héroïsme est banal, souvent contraint. Le Mal prend une dimension sociale supplémentaire lorsque nous apprenons que c’est le capitalisme qui lui a donné naissance. Le personnage principal est en effet un gestionnaire de fond qui a permis le financement d’expérience biologiques ayant dégénéré. Plus le film avance, plus le nombre de survivants se restreint, plus l’espoir est mince… Jusqu’à un climax explosif et un final déchirant. Juste après ce coup d’éclat (qui remportera un succès colossal non seulement en Corée mais aussi dans le reste du monde), le réalisateur reviendra à ses premières amours avec le remarquable film d’animation Seoul Station (Seoulyeok), une salve très critique contre le gouvernement, l’armée et les autorités qui présente la particularité d’être une sorte de prequel de Dernier Train pour Busan.

 

© Gilles Penso

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MORTAL (2020)

Le réalisateur de The Troll Hunter et The Jane Doe Identity nous prend une nouvelle fois par surprise avec un conte moderne énigmatique

TORDEN

 

2020 – NORVÈGE

 

Réalisé par André Øvredal

 

Avec Nat Wolff, Iben Akerlie, Priyanka Bose, Arthur Hakalahti, Oddrun, Valestrand, Ania Nova, Ravdeep Singh Bajwa, Sunniva Lind Høverstad

 

THEMA POUVOIRS PARANORMAUX

Depuis son audacieux The Troll Hunter, mélange décomplexé de « found footage » et de film de monstre géant, le réalisateur André Øvredal a fait du chemin et s’est taillé une place à Hollywood. Après l’accueil plutôt enthousiaste The Jane Doe Identity et de Scary Stories, il revient dans sa Norvège natale pour un conte fantastique moderne qui s’amorce à hauteur d’homme puis prend progressivement une tournure quasi-biblique. Toujours aussi féru de « films concepts », Øvredal nous prend une fois de plus par surprise au fil d’un récit énigmatique qui ne se révèle qu’au fur et à mesure de son déroulement. À la réflexion, Mortal a presque les allures d’une œuvre-somme, résumant les thématiques de ses films précédents en un tout cohérent. On y retrouve pêle-mêle l’enquête policière qui bascule dans le surnaturel, la légende urbaine qui prend corps dans la réalité et la convocation de la mythologie nordique dans ses aspects les plus frontalement fantastiques.

Tout commence par une main plongée dans L’eau. Ce pourrait n’être qu’une belle image, une figure de style habile, mais l’essence de l’œuvre est déjà contenue toute entière dans cette image : une communion étrange entre l’homme et l’élément naturel. Cet homme, c’est Eric (Nat Wolff), qui s’est réfugié seul au cœur de la forêt norvégienne, vivant comme un clochard, chapardant ce qu’il peut dans la ville la plus proche, loin du regard et du contact des autres. Mais un petit groupe de jeunes gens turbulents le remarque et le provoque. Malgré les avertissements d’Eric, l’un d’eux le touche… et meurt immédiatement, comme foudroyé. La police locale se met en branle et ne tarde pas à appréhender et capturer cet étrange nomade, identifié comme celui qui provoqua l’incendie d’une ferme ayant causé la mort de cinq personnes. Eric s’enfermant dans le mutisme, on sollicite Christine (Iben Akerlie), une jeune psychologue traumatisée par le suicide d’un de ses patients. Le dialogue s’établit peu à peu. Bientôt, Christine découvre qu’Eric possède de redoutables pouvoirs surnaturels qu’il ne maîtrise pas et qui se déclenchent chaque fois qu’une émotion forte s’empare de lui…

L’homme qui contrôlait les éléments

Le point de départ de Mortal est donc très intriguant, puisant sa force dans la sobriété et le naturalisme de ses deux comédiens principaux. Le film pourrait se résumer à un huis-clos dans le commissariat de police où se déroule cet interrogatoire déstabilisant, mais Øvredal ne tient pas à réitérer l’exercice de style de The Jane Doe Identity. Il veut donner plus d’ampleur à Mortal et casser l’inertie des premières séquences pour que son intrigue prenne les allures d’une course poursuite à grande échelle. Il s’appuie ainsi sur le savoir-faire du directeur de la photographie Roman Osin, magnifiant les nombreux extérieurs naturels norvégiens dans lesquels s’inscrit l’action, et sur le travail impressionnant de l’équipe des effets visuels supervisée par Stephen Coren. Car les pouvoirs d’Eric s’avèrent de plus en plus spectaculaires, la météo et les éléments se déchaînant autour de lui comme pour extérioriser ses conflits internes. La Tornade des X-Men n’est pas loin. Eric serait-il donc un super-héros ? Un faiseur de miracles ? Un dieu ? Un danger irrémédiable pour l’humanité ou au contraire un messager d’espoir ? Autour de lui, les avis se tranchent, les opinions se rigidifient, mais Eric ne se départit jamais de sa condition d’homme ordinaire possesseur d’un don qui a tous les atours d’une malédiction. Alors que la cavale se mue en voyage initiatique, le voile finira par se lever sur le mystère lié aux origines des pouvoirs d’Eric, en un final tumultueux que l’on pourra presque appréhender comme un pied de nez aux productions Marvel.

 

© Gilles Penso

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MANIAC (1980)

Joe Spinell incarne le plus pathétique et le plus terrifiant des tueurs psychopathes, sous la direction très inspirée de William Lustig

MANIAC

 

1980 – USA

 

Réalisé par William Lustig

 

Avec Joe Spinell, Caroline Munro, Gail Lawrence, Kelly Piper, Rita Montone, Tom Savini

 

THEMA TUEURS

« L’idée originale de Maniac vient d’un acteur qui s’appelle Frank Pach », raconte William Lustig. « Nous étions tous les deux en train de conduire dans les rues de New York. Il s’est retourné vers moi et m’a dit : “Est-ce que ce ne serait pas intéressant de faire un film qui serait comme Les Dents de la Mer, mais sur la terre ?“ Cette phrase a provoqué un déclic chez moi. » (1) Sur cette simple idée, Lustig écrit un synopsis qu’il confie à l’acteur Joe Spinell, selon lui l’interprète idéal de cet équivalent humain du requin de Steven Spielberg. L’acteur s’empare de cette trame, y ajoute une infinité de détails liés à la personnalité du tueur psychopathe qu’il s’apprête à incarner, et donne ainsi un corps et un esprit au « maniac » du titre. « Ce tueur a évolué », explique Lustig. « Ce n’était pas une sorte de Michael Myers ou de Jason Voorhees. Il avait une âme et de la chair. » (2) Et c’est justement parce qu’il est traité sous un jour simple, banal, trivial et réaliste que le « héros » de Maniac fait autant froid dans le dos. Ce n’est pas un croquemitaine masqué et invincible mais un homme terriblement ordinaire.

L’entame du film provoque immédiatement le malaise. Une respiration glauque occupe tout l’espace sonore, des mains gantées introduisent des pièces dans une paire de jumelles, un couple est étendu sur une plage au loin. Puis la caméra devient subjective, se déplaçant de manière accidentée, obligeant le spectateur à adopter un point de vue dérangeant. Et c’est le double meurtre : la fille est égorgée, le garçon est étranglé, le sang jaillit avec force… En à peine deux minutes de métrage, William Lustig donne le ton sans ambigüité, porté par une musique stressante de Jay Chattaway. Si le tueur est d’abord une simple machine à tuer, se résumant à une silhouette noire déshumanisée, son visage émerge de l’ombre l’instant d’après pour sangloter, le regard fou et perdu. Qu’il le veuille ou non, c’est à ce personnage que le spectateur va devoir s’attacher : Frank Zito, un criminel incapable de réfréner ses pulsions meurtrières. Ainsi, contrairement à la vague de slashers qui allait suivre le sillage de Halloween, les victimes potentielles ne sont pas les protagonistes du film mais de simples silhouettes. Le héros, c’est le tueur ! D’une certaine manière, nous revenons là aux fondamentaux édictés par Psychose. « Honnêtement, je pense que tous les films modernes qui s’intéressent aux agissements d’un tueur sont en filiation avec Psychose », confirme Lustig. « Le film d’Alfred Hitchcock a donné naissance à une infinité de longs-métrages. Les liens entre Maniac et Psychose sont donc manifestes et assumés. » (3)

L’horreur dans toute sa banalité

L’une des séquences les plus choquantes du film, le meurtre de la prostituée, puise son impact sur sa dédramatisation extrême. Zito y est maladroit, pataud, et cet assassinat n’en finit plus de traîner en longueur. Le tueur lui-même en est malade, vomissant puis pleurant avant de scalper la malheureuse en gros plan (grâce aux étonnants maquillages spéciaux de Tom Savini, engagé sur le film après que William Lustig ait pu admirer son travail sur Zombie). Maniac collecte ainsi les passages éprouvants, comme l’infirmière poursuivie dans le métro ou le couplé épié dans sa voiture. Si ce maniaque est un être profondément pathétique, le film refuse d’en dresser un portrait monolithique. De fait, sa personnalité est difficile à saisir. Collectionnant les mannequins en plastique sur lesquels il dépose les scalps de ses victimes, s’adressant en pleurant à sa défunte mère qui semble être à l’origine de ses traumatismes d’enfance et de sa psychopathie, il sait aussi être élégant, charmant, voire distingué, des facettes surprenantes qui apparaissent en seconde partie de métrage. Les faibles moyens à sa disposition poussent Lustig à utiliser une lumière naturelle et des décors réels, des choix qui renforcent la patine très réaliste du film. Mais au moment du climax, la banalité quotidienne bascule dans le cauchemar opératique et surréaliste, laissant le spectateur pantois et K.O. Et Maniac d’entrer au panthéon des classiques incontournables du cinéma d’horreur.

 

(1), (2) et (3) Propos recueillis par votre serviteur en septembre 2016

 

© Gilles Penso

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ZOMBEAVERS (2014)

On croyait avoir tout vu en matière de monstres cinématographiques… C’était compter sans les castors zombies !

ZOMBEAVERS

 

2014 – USA

 

Réalisé par Jordan Rubin

 

Avec Rachel Melvin, Cortney Palm, Lexi Atkins, Hutch Dano, Jake Weary, Peter Gilroy, Rex Linn, Brent Briscoe, Phyllis Katz, Robert R. Shafer

 

THEMA MAMMIFÈRES I ZOMBIES

En 2012, Al Kaplan, Jordan Rubin et Jon Kaplan développent une idée absurde qui, selon eux, pourrait donner naissance à une sympathique comédie d’horreur : une prolifération de castors zombies. Deux ans plus tard, le projet se concrétise. Sur la base d’un scénario détaillé et d’une sorte de teaser qu’ils bricolent en recyclant des images empruntées autant au cinéma d’horreur qu’au documentaire animalier, ils parviennent à convaincre les compagnies BenderSpink et Armory Films de financer le film. L’un des trois membres du trio, Jordan Rubin, qui avait jusqu’alors écrit et réalisé des programmes pour le petit écran, principalement pour MTV, se retrouve chargé de la mise en scène de Zombeavers. Avec à sa disposition un budget très modeste, 21 jours de tournage, une petite troupe de comédiens et des décors majoritairement naturels captés en Californie, Rubin tente de rendre justice au potentiel horrifico-gore de ce script délirant écrit à six mains.

L’entrée en matière de Zombeavers, qui nous ramène aux grandes heures des productions Troma, montre la camionnette d’un institut médical transportant des futs de liquides chimiques indéterminés. Derrière le volant, deux chauffeurs idiots échangent des anecdotes navrantes et finissent par heurter de plein fouet une biche, sans voir qu’un des bidons se détache et tombe dans la rivière, traversant les eaux comme le panier de Moïse sur le Nil. Le fût finit sa course aquatique devant deux castors qui le regardent d’un air perplexe tandis qu’un liquide vert s’en échappe. C’est alors que trois copines à peu près aussi stupides que les chauffeurs de la camionnette (le niveau des dialogues vaut son pesant de cacahuètes) viennent passer le week-end dans la région, autrement dit au beau milieu de la campagne, pour aider l’une d’entre elles à surmonter sa récente rupture. Le soir venu, des garçons les rejoignent pour une partie de jambes en l’air, prétexte à une généreuse salve de nouvelles blagues graveleuses. C’est le moment que choisissent les castors zombies pour passer à l’attaque…

La nuit des castors vivants !

Le cahier des charges de Zombeavers est donc assez simple : de l’humour au ras des pâquerettes, du gore cartoonesque et un peu de nudité gratuite. Les petits monstres aux dents longues sont de simples marionnettes sommairement animées, œuvre de l’équipe de Creature Effects supervisée par Mark Rappaport (vétéran des effets spéciaux depuis Running Man et Les Clowns tueurs venus d’ailleurs). Le film se pare donc d’une certaine saveur « années 80 » dont ne l’aurait pas doté le recours aux images de synthèse. Ce choix technique est probablement dicté en partie par le faible budget du film, mais il permet à Zombeavers d’assumer pleinement le caractère improbable de son argument fantastique. Quelques classiques du genre servent de référence à une poignée de séquences, notamment ce moment où les jeunes héros sont contraints de s’isoler sur un ponton au milieu du lac (exactement comme dans Creepshow 2), ou encore l’assaut de la maison barricadée qui nous renvoie bien sûr à La Nuit des morts-vivants. Certes, le concept est drôle, mais il ne suffit visiblement pas à alimenter le scénario d’un long-métrage, si court fut-il (moins d’une heure vingt de métrage). Le récit se contente donc de sa situation de départ et patine bien vite, malgré un rebondissement savoureux – mais sous-exploité – qui montre la transformation de ceux qui ont été mordus par les bêtes en zombies mi-humains mi-castors, avec dents proéminentes et queue plate ! Plaisant, donc, mais très anecdotique.

 

© Gilles Penso

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FAUX-SEMBLANTS (1988)

David Cronenberg dirige Jeremy Irons dans le rôle bouleversant de deux médecins jumeaux unis par un lien anormalement fusionnel…

DEAD RINGERS

 

1988 – USA / CANADA

 

Réalisé par David Cronenberg

 

Avec Jeremy irons, Geneviève Bujold, Heidi Von Palleske, Barbara Gordon

 

THEMA DOUBLES I MÉDECINE EN FOLIE

Dès les premières secondes de Faux-semblants, une atmosphère insolite s’instille lentement, presque à pas feutrés, comme pour annoncer discrètement que la carrière de David Cronenberg est en train d’amorcer un tournant décisif. Alors que s’égrènent des gravures médicales d’un autre âge, la musique faussement paisible d’Howard Shore laisse ainsi affleurer un malaise à peine perceptible… Pour son onzième long-métrage, le réalisateur de La Mouche s’intéresse au destin trouble de deux personnages réels, les frères Stewart et Cyril Marcus, dont la vie fut romancée en 1977 dans le roman « Twins » de Bari Wood et Jack Geasland. D’abord titré Gemini puis Twins (un titre qui sera récupéré par Ivan Reitman pour sa comédie Jumeaux), le film s’appellera finalement Dead Ringers, une expression qui signifie en substance « la mort des copies conformes » et que les distributeurs français traduiront habilement par Faux-semblants. Après avoir envisagé tour à tour William Hurt et Robert de Niro dans le double rôle principal, la production arrête finalement son choix sur Jeremy Irons, qui livre sans doute ici l’une de ses prestations les plus intenses et les plus bouleversantes.

Passionnés par le corps humain depuis leur enfance, inventeurs d’un instrument chirurgical révolutionnaire alors qu’ils sont encore étudiants en médecine, les frères jumeaux Beverly et Elliot Mantle sont devenus de brillants gynécologues. S’ils sont physiquement identiques, cette ressemblance n’est qu’apparente. Elliott est le dominant, le frivole, le cynique. Beverly est le dominé, le sérieux, le scrupuleux. L’assurance de l’un contraste sans cesse avec l’embarras de l’autre. En auscultant Claire Niveau (Geneviève Bujold), une célèbre actrice, Eliott est fasciné par son anatomie hors-norme : elle possède trois cols de l’utérus. « Il faudrait faire des concours de beauté interne », lui affirme-t-il. Comme souvent, les jumeaux se font passer l’un pour l’autre et partagent les mêmes femmes, y compris Claire. Mais pour Beverly, ce n’est plus un jeu. Il tombe amoureux de leur dernière conquête et souhaite la garder pour lui seul. « Là, on arrive en terrain inconnu », constate Elliott. Plus tard, il avouera à Claire : « Tu introduis un élément perturbateur dans la saga des frères Mantle ». Cette « saga », c’est un lien fusionnel, malsain, quasi-surnaturel qui unit les deux frères, et qui s’apprête à faire basculer le duo dans la folie et dans l’horreur…

Double jeu

« Le côté obscur de la nature humaine est intéressant parce qu’il est justement caché sous la surface », nous révélait David Cronenberg. « Le dévoiler, c’est agir un peu comme un explorateur, un scientifique ou un détective soucieux de chercher ce qui se dissimule derrière les apparences de la normalité. Cette exploration nous mène en des contrées sinistres et effrayantes, mais elle permet d’analyser les différents niveaux du réel, au-delà de celui qui apparaît de prime abord. » (1) Si le cinéaste approche désormais l’horreur organique sous un angle moins frontal que dans ses films précédents, sa fascination pour ce qui se cache sous l’épiderme est loin d’avoir disparu. Le temps d’une scène de cauchemar purement « cronenbergienne », les deux frères sont reliés par un appendice de chair qui soude leurs torses et que Geneviève Bujold déchire à coups de dents ! Cette scène n’aurait pas dépareillé dans Videodrome. Beverly Mantle considère d’ailleurs la jeune femme comme une mutante, du fait de son anatomie singulière, ce qui le pousse à concevoir de nouveaux instruments gynécologiques à l’aspect biomécanique digne de Giger. Et comme pour boucler la boucle avec son œuvre passée, Cronenberg demande à Stephen Lack, héros de Scanners, d’incarner l’artiste chargé de fabriquer ces objets inquiétants. Faux-semblants est donc le film de la transition, qui aura permis à son réalisateur de basculer progressivement de l’horreur populaire vers un cinéma plus cérébral. La presse « respectable » qui le considérait jusqu’alors comme un vulgaire pornographe lui érigea dès lors un trône d’artiste intellectuel et élitiste. Il est pourtant évident que l’auteur de Faux-semblants est rigoureusement le même que celui qui se rendit « coupable » de Frissons, Rage ou Chromsome 3.

 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en octobre 2005.

 

© Gilles Penso

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LA GRANDE MENACE (1978)

Lino Ventura et Richard Burton s’affrontent dans une enquête policière dont les répercussions prennent une tournure apocalyptique

THE MEDUSA TOUCH

 

1978 – GB

 

Réalisé par Jack Gold

 

Avec Lino Ventura, Richard Burton, Lee Remick, Harry Andrews, Marie-Christine Barrault, Michael Hordern, Gordon Jackson

 

THEMA POUVOIRS PARANORMAUX CATASTROPHES

Le cinéma populaire des années 70 ayant connu de gros succès commerciaux dans les domaines du film catastrophe (avec La Tour Infernale et L’Aventure du Poséidon en tête de gondole), de l’épouvante à tendance apocalyptique (dans la mouvance de L’Exorciste et La Malédiction) et du récit policier de manière plus générale, les producteurs Sir Lew Grade, Elliot Kastner et Arnon Milchan décident de mélanger les trois genres dans l’espoir de toucher le jackpot. Ils s’appuient donc sur le roman « The Medusa Touch » de Peter Van Greenaway, qui possède exactement le potentiel requis, et confient l’adaptation à John Briley (futur scénariste de Gandhi et Cry Freedom pour Richard Attenborough). Pour la mise en scène, c’est le solide téléaste Jack Gold qui est sollicité. Ce dernier aurait souhaité offrir l’un des rôles principaux à Nicol Williamson, mais les producteurs préfèrent une tête d’affiche « bankable » et optent plutôt pour Richard Burton, héros l’année précédente de L’Exorciste II : L’Hérétique. Quant au policier qui doit lui faire face, il n’est plus britannique – comme dans le roman – mais français – pour des raisons de co-production. Le rôle échoit à ce bon vieux Lino Ventura, doublé par David de Keyser dans la version originale, et c’est paré de ce casting surprenant que se met en branle La Grande Menace.

L’intrigue s’amorce comme une enquête policière classique. Sous son traditionnel imperméable, Lino Ventura campe l’inspecteur Brunel, détaché à Londres par Scotland Yard le temps d’élucider le meurtre de l’écrivain John Morlar (Richard Burton) qui a été retrouvé chez lui le crâne défoncé. Alors qu’il collecte les premiers indices, Brunel découvre avec stupéfaction que Morlar n’est pas mort. Transporté d’urgence à l’hôpital, notre homme défie toutes les explications médicales. Car si son corps est plongé dans le coma, son cerveau semble agité par une activité intense. Brunel cherche une explication du côté du professeur Zonfeld (Lee Remick), la psychiatre de Morlar. Au fil de son témoignage et de celui d’autres personnes ayant côtoyé Morlar tout au long de sa vie, le portrait de la victime se dessine sous des atours étranges. Car l’écrivain était persuadé de pouvoir faire bouger des objets sans les toucher, de provoquer des catastrophes à distance, de faire mourir son entourage par la seule force de sa pensée. Le cartésien Brunel n’est pas du genre à accorder le moindre crédit à de telles élucubrations. Mais plusieurs faits troublants semblent abonder dans le sens de Morlar. Plus l’enquête avance, plus la frontière entre le normal et le paranormal s’étiole…

L’homme qui provoquait des catastrophes

La confrontation entre Lino Ventura et Richard Burton n’a lieu que virtuellement, dans la mesure où les deux hommes n’occupent pas l’écran dans le même espace temporel, si l’on excepte le corps inanimé de Morlar cloué sur son lit d’hôpital. Habile, la mise en scène de Jack Gold s’amuse à emboîter les époques, alternant des champs et des contrechamps situés dans deux périodes distinctes, démarrant un dialogue dans le présent pour le poursuivre dans le passé, construisant même un plans-séquence qui permet furtivement de remonter le temps. Ces astuces évitent à La Grande Menace de prendre des atours trop théâtraux, l’action étant circonscrite dans un nombre limité de lieux et les dialogues occupant souvent le devant de la scène. Gold doit aussi composer avec l’emploi du temps serré de Richard Burton, disponible uniquement trois semaines avant de partir sur le tournage des Oies sauvages. Dans son dernier tiers, La Grande Menace s’adonne tout de même au spectaculaire à travers deux séquences de catastrophes particulièrement impressionnantes, dont l’impact repose beaucoup sur les effets spéciaux du vétéran Brian Johnson. Lors de sa première sortie, La Grande Menace reçut un accueil assez glacial, n’attira guère les foules et fut même taxé de « plus mauvais film de l’année 1978 » par une critique exagérément acerbe. C’est pourtant une excellente fable surnaturelle qui ne cesse de se bonifier avec le temps et dont le dénouement abrupt fait toujours autant froid dans le dos.

 

© Gilles Penso

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