SANTA & CIE (2017)

Le cinquième long-métrage d'Alain Chabat est un conte de Noël calibré à la fois pour le jeune public et pour les fans de la première heure des Nuls

SANTA & CIE

2017 – FRANCE

Réalisé par Alain Chabat

Avec Alain Chabat, Pio Marmaï, Golshifteh Farahani, Bruno Sanches, Louise Chabat, Audrey Tautou

THEMA CONTES 

Pour un réalisateur, il n’est pas toujours facile de se renouveler tout en restant fidèle à soi-même, de placer ses ambitions le plus haut possible sans confondre audace et prétention, de rendre hommage à tout un pan du cinéma hollywoodien en conservant malgré tout son originalité et sa spécificité. C’est à cet exercice d’équilibre délicat que s’est livré Alain Chabat avec Santa & Cie, un conte calibré pour les fêtes de Noël qui réserve son lot de surprises et parvient à séduire le public le plus large sans jamais chercher le nivellement par le bas. En soi, c’est déjà un petit exploit. Chabat s’octroie le rôle du Père Noël, pour que le film puisse bien sûr capitaliser sur sa popularité d’acteur/réalisateur mais aussi pour assumer son âge (58 ans au moment du tournage) qui lui donne désormais accès à des personnages chenus et vénérables.

 

Il parraine d’ailleurs en quelque sorte sa fille Louise, à qui il confie le rôle de toutes les lutines du Père Noël, les lutins mâles étant incarnés par Bruno Sanches. A eux deux, les jeunes comédiens incarnent pas moins de 92 000 petites créatures occupées à construire une infinité de jouets pour les enfants du monde entier, dans un gigantesque atelier délirant et multicolore qui n’est pas sans évoquer ceux des Oompas Loompas de Charlie et la Chocolaterie. Mais à quelques jours de Noël, c’est la catastrophe : tous les lutins tombent malades et s’écroulent comme un château de cartes. Paniqué, le Père Noël va devoir visiter notre monde pour trouver une quantité astronomique de vitamines C, seules capables de ranimer sa main d’œuvre. Mais ce bon vieux Santa ne connaît rien aux mœurs des humains, et comprend encore moins le comportement des enfants qu’il se contente de combler une nuit par an sans jamais les côtoyer. Autant dire que le choc s’annonce rude…

Comédie pure et fantastique décomplexé

Santa & Cie est le cinquième long-métrage de l’ex-chef des Nuls, et comme les précédents (Didier, Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre, RrrrrrSur la piste du Marsupilami) il témoigne d’une envie irrésistible de mêler la comédie pure au fantastique décomplexé avec une forte propension à s’imprégner de la culture de la bande dessinée. Le concept était un peu « casse-gueule », mais le miracle opère grâce à la justesse de ton que Chabat parvient à trouver, dirigeant tous ses comédiens (y compris lui-même) avec un maximum de naturalisme au lieu de chercher à appuyer artificiellement les effets comiques. Dans le rôle du couple contraint d’héberger ce Père Noël exaspérant, Pio Marmaï et Goshifeth Farahni excellent, leurs enfants incarnés par Tara Lugassi et Simon Aouizerate s’avérant désarmants d’authenticité et de drôlerie. Assumant pleinement son aspect « conte de fée », Santa & Cie bénéficie d’effets visuels particulièrement réussis (œuvre conjointe de quelques-unes des compagnies françaises les plus talentueuses du moment) et d’une bande originale orchestrale de Matthieu Gonet rendant plusieurs hommages énamourés au cinéma de la période Amblin (on pense souvent aux envolées de E.T. mises en musique par John Williams). Drôle, bienveillant, truffé de rebondissements, Santa & Cie n’est certes pas un grand film, mais c’est un divertissement tellement sincère qu’il est difficile de ne pas se laisser enchanter.

 

© Gilles Penso

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JUSTICE LEAGUE (2017)

L'équivalent DC des Avengers n'aura pas été l'apothéose espérée mais un patchwork maladroit et indécis

JUSTICE LEAGUE

2017 – USA

Réalisé par Zack Snyder

Avec Ben Affleck, Gal Gadot, Jason Momoa, Henry Cavill, Jeremy Irons, Amy Adams, J.K. Simon

THEMA SUPER-HEROS I SAGA SUPERMAN I DC COMICS I BATMAN I WONDER WOMAN

Si la franchise DC Comics acquise par Warner peine tant à rattraper l’avance colossale de sa concurrente Marvel/Disney, ce n’est pas tant à cause du déséquilibre quantitatif qu’à cause d’une incapacité manifeste à trouver le ton juste. Pire encore que le personnage de Spider-Man qui aura été rebooté trois fois d’affilée en à peine quinze ans, Batman et ses amis de la ligue de la justice n’en finissent plus de tenter de se redéfinir à l’écran jusqu’à totalement désarçonner le public. Après la trilogie Dark Knight de Christopher Nolan qui ressuscitait avec panache le personnage de l’homme chauve-souris laissé en bien piteux état dans les années 90 par Joel Schumacher, Warner changeait subitement de cap pour tout effacer et tout recommencer sur un ton différent, moins réaliste, plus science-fictionnel et plus tragique. A peine les spectateurs se remettaient-ils de cette nouvelle tonalité imposée par Man of Steel et Batman V Superman que la franchise bifurquait soudain dans une direction totalement autre, avec un éléphantesque Suicide Squad cherchant visiblement à conquérir les aficionados de Deadpool en cultivant une insolence artificielle et un caractère subversif trop calculé pour être honnête. Avec Wonder Woman, le juste équilibre semblait enfin avoir été trouvé entre l’aventure mythologique ample, le drame humain sur fond de Grande Guerre, les séquences d’action virtuoses et les touches d’humour parcimonieuses.

Mais voilà que Justice League casse tout en tentant une nouvelle rupture de ton. Puisque les super-héros doivent désormais faire équipe (pour répondre au succès des Avengers), autant les transformer en boute-en-train peu avares en bons mots et en blagues potaches. Dans Justice League, Batman multiplie ainsi les punchlines dignes du Arnold Schwarzenegger des années 80, Aquaman est un lourdaud qui jette des bouteilles d’alcool à la mer (lui, le protecteur des océans ?!) en lâchant des vannes graveleuses, Flash est l’archétype du geek insupportable dont tant de films hollywoodiens semblent vouloir s’encombrer et même Superman, tout juste revenu d’entre les morts, tente le calembour avec une nonchalance que nous ne lui connaissions pas. Comment s’attacher à de tels super-héros ? D’autant que le nœud de l’intrigue lui-même (un méchant tout-puissant qui veut régner sur le monde en réunissant trois boîtes magiques) nous laisse gentiment indifférents, tout comme les séquences régulières de combats/destructions/bandes démos numériques qui scandent le métrage. 

Fondamentalement incohérent

On sait que Justice League aurait dû être un autre film, que Zack Snyder dut quitter le tournage à cause d’un drame familial et que Warner fit retourner de nombreuses séquences et remonter l’ensemble du métrage en dépit du bon sens. Cet état de fait explique beaucoup de choses et nous pousse à nous interroger sur le résultat qu’aurait donné un film supervisé du début à la fin par le même cinéaste. En l’état, voilà un film pataud et fondamentalement incohérent qui ne sait pas sur quel pied danser, à l’image de la bande originale de Danny Elfman qui, sans raison logique à part une volonté démagogique de caresser le fan dans le sens du poil, mélange les nouveaux thèmes avec ceux du Superman de Richard Donner et ceux du Batman de Tim Burton.

 

© Gilles Penso

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ANNIHILATION (2018)

Une expédition de chercheuses s'enfonce dans une forêt soumise à un étrange phénomène climatique…

ANNIHILATION

2018 – USA / GB

Réalisé par Alex Garland

Avec Natalie Portman, Jennifer Jason Leigh, Gina Rodriguez, Oscar Isaac, Tessa Thompson

THEMA MUTATIONS

Œuvre complexe s’appuyant sur un argument de science-fiction pur et dur pour décrire le parcours initiatique d’une femme fragilisée, Annihilation adapte le roman homonyme de Jeff VanderMeer. Derrière la caméra, Alex Garland n’a rien perdu de la virtuosité et du raffinement dont il avait fait preuve en réalisant Ex Machina quatre ans plus tôt. Toute en retenue, Natalie Portman incarne Lena, chercheuse en biologie incapable de faire le deuil de son époux Kane (Oscar Isaac), parti au front pour une mission spéciale dont il n’est jamais revenu. Lorsqu’elle s’apprête enfin à tourner la page, par le biais symbolique d’une nouvelle couche de peinture sur les murs de son appartement, Kane revient. Désorienté, incapable d’expliquer d’où il vient, il semble entre la vie et la mort et doit être hospitalisé d’urgence. Pour essayer de comprendre le sort de son mari, Lena accepte de s’embarquer dans une expédition constituée de cinq femmes et menée par le docteur Ventress (Jennifer Jason Leigh). Leur mission : s’enfoncer dans une forêt touchée par un étrange phénomène climatique auquel on a donné le nom de « miroitement ». Ce dernier semble brouiller et mélanger les codes génétiques de toutes les espèces vivantes. D’où le surgissement de fleurs hybrides qui poussent toutes sur la même branche, d’un crocodile à dents de requin, d’antilopes diaphanes aux bois démesurés, de plantes en forme d’êtres humains, d’arbres de cristal gigantesques ou encore d’un ours au faciès abominable capable d’imiter la voix humaine. 

Remarquables, les effets visuels donnent corps à des visions surréalistes dignes des couvertures bigarrées des « Amazing Stories » et autres « Astounding Science-Fiction » des années 50. Tout le paradoxe d’Annihilation consiste ainsi à assumer pleinement le caractère pulp de son argument sans pour autant le traiter comme un film de SF traditionnel. On pense tour à tour à Sound of ThunderThe Thing, Prophecy, et certaines scènes poussent assez loin l’horreur visuelle (un ventre découpé pour laisser apparaître des intestins « vivants », un corps déchiqueté et fusionné avec une plante, un visage arraché en gros plan). Pourtant, la mise en scène de Garland reste distante et cultive un rythme lent, contemplatif, presque dépressif. La mutation étant au cœur de l’intrigue, elle contamine même l’atmosphère du film, qui devient quasiment « mutante » elle aussi.

L'inévitable métamorphose

Entre les lignes, cette odyssée fantastique pourrait tout aussi bien raconter la métamorphose inhérente à tout voyage intérieur (celui qui commence un parcours initiatique n’est pas le même que celui qui l’achève) mais aussi la propension à l’autodestruction de tout être vivant (chaque protagoniste du film est un être brisé qui semble devoir se détruire pour mieux se reconstruire). On peut regretter cette posture un peu systématique qui consiste à faire « bouder » tous les acteurs (Jennifer Jason Leigh en tête) et ce climax abusant des effets numériques au risque d’anéantir la suspension d’incrédulité du spectateur. Mais Annihilation demeure une proposition de science-fiction originale et fascinante, le type d’initiative qu’on aurait tendance à encourager envers et contre tout.

© Gilles Penso

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JUMANJI : BIENVENUE DANS LA JUNGLE (2017)

Une séquelle / remake du petit classique de Joe Johnston qui joue avec bonheur la carte de l'exotisme fantastique et de l'autodérision

JUMANJI : WELCOME TO THE JUNGLE

2017 – USA

Réalisé par Jake Kasdan

Avec Dwayne Johnson, Jack Black, Kevin Hart, Karen Gillan, Nick Jonas, Bobby Cannavale

THEMA MONDES PARALLELES ET MONDES VIRTUELS I EXOTISME FANTASTIQUE I MAMMIFERES

Une séquelle de Jumanji ? Voilà un projet qui, de prime abord, n’avait rien de particulièrement enthousiasmant. Le sympathique film d’aventures fantastiques concocté en 1995 par Joe Johnston avait déjà eu droit à une sorte de variante spatiale, Zathura, qui ne marqua pas excessivement les mémoires. Avec le spécialiste de la comédie potache Jake Kasdan (Bad Teacher, Sex Tape) derrière la caméra et le massif Dwayne Johnson en tête d’affiche, ce nouveau Jumanji n’augurait rien de bon, d’autant que sa mise en chantier deux ans à peine après la mort de Robin Williams fit grincer quelques dents. Autant être honnête : la surprise est excellente. Certes, Jumanji : Bienvenue dans la Jungle n’entrera pas dans les mémoires comme un chef d’œuvre du genre, mais l’aventure est trépidante, la mise en scène fougueuse et les comédiens hilarants dans le registre de l’auto-dérision décomplexée.

Dès l’entame, le film se joue des clichés pour mieux les détourner. Après un prologue situé à l’époque du premier film et propulsant un adolescent dans le monde parallèle du jeu de plateau Jumanji, Jake Kasdan nous présente ses quatre héros : des lycéens archétypaux jusqu’à la caricature dont le potentiel comique réside dans leur capacité à révéler par petites touches des travers bien réels. Nous voici donc en présence de la jolie blonde persuadée que le monde tourne autour d’elle et qui ne pense pas pouvoir vivre sans son téléphone, du geek chétif qui peine à développer une vie sociale digne de ce nom, de la marginale à la beauté discrète qui s’avère plus intelligente – mais aussi plus hautaine – que son entourage et du grand costaud sympathique mais franchement creux. Chacun des membres de ce quatuor hétéroclite ayant bravé le corps enseignant, tous se retrouvent en retenue dans une salle d’archives avec pour mission d’y trier de vieux magazines. C’est là qu’ils tombent sur une console de jeu d’un autre âge, jouent au jeu Jumanji et se retrouvent soudain aspirés dans une jungle virtuelle pleine de dangers.

Tous les gags sont permis

Le principe comique consiste alors à faire entrer nos ados dans la peau de héros qui ne leur ressemblent absolument pas physiquement. The Rock se moque ainsi de son propre physique exagérément athlétique, Karen Gillian (Nebula dans Les Gardiens de la Galaxie) incarne une sorte de Lara Croft délicieusement maladroite, Kevin Hart joue sur les clichés généralement attribués aux sidekicks noirs blagueurs et Jack Black révèle une féminité que nous ne lui connaissions pas ! Sur ce postulat, tous les gags sont permis, au sein d’une épopée truffée d’effets visuels spectaculaires, de créatures impressionnantes (des hippopotames géants, des rhinocéros albinos, un redoutable mamba, des jaguars féroces, un éléphant titanesque, un sinistre rapace) et de cascades impensables (la poursuite en hélicoptère dans le canyon, l’escalade à flanc de montagne sur une moto). Certes, tout ça ne vole pas très haut, mais la générosité du spectacle l’emporte sur toute réserve. Le grand public ne s’y trompe pas, réservant à cette séquelle un accueil triomphal. Ce sera la cinquième plus grosse recette au box-office de l’année 2017. 

 

© Gilles Penso

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HORROR KID : LES DÉMONS DU MAÏS (1984)

Pas particulièrement palpitante, cette adaptation de Stephen King lancera pourtant une franchise à l'étonnante longévité

CHILDREN OF THE CORN

1984 – USA

Réalisé par Fritz Kiersch

Avec R.G. Armstrong, Peter Horton, Linda Hamilton, John Franklin, Courtney Gains, Robby Kiger, Anne Marie McEvoy, Jonas Marlowe

THEMA ENFANTS I DIABLE ET DEMONS I SAGA DÉMONS DU MAÏS I STEPHEN KING

La nouvelle « Les Enfants du Maïs » a été publiée en 1978 dans le fameux recueil « Danse Macabre » (« Night Shift ») de Stephen King. Efficace et dotée d’une chute surprenante, elle ne constituait cependant pas le matériau idéal pour une adaptation cinématographique, dans la mesure où les péripéties développées dans sa vingtaine de pages avaient du mal à emplir une heure et demie de métrage. Mais après les succès publics de CarrieShiningCreepshowCujoDead Zone et Christine, le nom de Stephen King suffisait amplement à enclencher n’importe quel projet hollywoodien. Voici donc Les Démons du Maïs, premier long-métrage de Fritz Kiersch sorti en France au cinéma sous le titre Horror Kid.

Le film démarre sur des chapeaux de roue : dans un « diner » de Gatlin, Nebraska, des gamins massacrent tous les adultes en train de boire tranquillement leur café. Trois ans plus tard, Vicky et Burton (un Peter Horton surtout habitué au petit écran et une Linda Hamilton pré-Terminator), en partance pour la Californie, s’apprêtent à passer en voiture à proximité de la petite ville, ignorant tout de ce drame passé. Sur la route, le jeune couple est surpris par un enfant qui se tient brusquement debout devant eux. Incapables de l’éviter, nos héros le renversent mais découvrent bien vite que le malheureux a été égorgé. Ramenant le corps dans le coffre de leur voiture, ils découvrent avec stupéfaction que les enfants de la ville ont formé une secte religieuse fanatique, adorant avec ferveur « celui qui fait venir le maïs et qui règne sur le sillon ». A l’aube de leurs dix-neuf ans, tous sont sacrifiés, car les adultes sont impitoyablement exclus de ce cercle démoniaque. Seuls le petit Job (Robby Kiger) et sa sœur Sarah (Anne Marie McEvoy), capable de réaliser des dessins prémonitoires, semblent ne pas être frappés par cette folie collective. Capturée par les membres de la secte, Vicky s’apprête à être sacrifiée dans le champ de maïs pour apaiser la colère de leur dieu. Alors que Burton s’efforce par tous les moyens de sauver sa bien-aimée, la discorde commence à s’installer entre l’inquiétant Isaac (John Franklin), qui dirige le groupe d’une poigne de fer, et MalachaÏ (Courtney Gains), son robuste bras droit…

« Celui qui règne sur le sillon… »

Fritz Kiersch réalise là un baptême de metteur en scène plutôt honorable. Jusqu’alors assistant caméra et directeur de production, il parvient à doter son premier film d’un certain style, avec un jeu fréquent sur les avant-plans inquiétants. Le sujet lui-même, fidèlement calqué sur la nouvelle de King, est loin d’être inintéressant, mais les dialogues rédigés par le scénariste George Goldsmith sont tellement niais et les réactions des personnages si absurdes que tout effet tombe à plat. Le trucage hideux qui permet de visualiser l’apparition finale du démon (une solarisation typique des régies vidéo des années 80) n’aide pas à la crédibilité déjà bien entachée du film, ni même ce grand incendie bourré de trucages en animation ratés ou cette chute grotesque qui, elle, s’éloigne du texte initial. Le plus incroyable est que ce petit film d’horreur mal fichu ait donné naissance à six séquelles, réalisées entre 1992 et 2001.

 

© Gilles Penso

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FIRESTARTER (1984)

La fillette d'E.T. se transforme en fugitive pyromane dans cette adaptation mouvementée d'un roman de Stephen King

FIRESTARTER

1984 – USA

Réalisé par Mark Lester

Avec Drew Barrymore, Martin Sheen, David Keith, Freddie Jones, Heather Locklear, George C. Scott, Art Carney

THEMA POUVOIRS PARANORMAUX I SAGA STEPHEN KING

CarrieShining et Christine ayant connu de beaux succès publics et critiques, l’œuvre de Stephen King fut dès lors considérée à Hollywood comme une inestimable manne, un véritable vivier de blockbusters. D’où l’adaptation, dans la foulée des films pré-cités, du roman « Charlie » mettant en vedette une fillette douée de redoutables pouvoirs pyrokinétiques. Pour mettre toutes les chances de leur côté, les producteurs de Firestarter choisirent comme tête d’affiche Drew Barrymore, portée aux nues deux ans plus tôt dans E.T., et confièrent la mise en scène à Mark Lester, auteur d’un Class 84 fort remarqué en son temps. Le scénario de Firestarter présente de nombreuses similitudes thématiques avec Furie et Scanners. Autour d’un récit structuré en flash-backs successifs, on y suit les expérimentations d’une mystérieuse compagnie nommée The Shop. Cette dernière réunit un certain nombre de cobayes humains dans le but de développer leurs pouvoirs paranormaux, l’objectif inavoué de cette expérience étant la mise au point d’un tout nouveau type d’arme dévastatrice.

A l’issue du test scientifique, tous les cobayes sont assassinés, à l’exception d’Andy et Victoria McGee qui parviennent à s’échapper et donnent naissance à la petite Charlene. Celle-ci révèle très tôt l’étrange capacité de contrôler le feu, voire de provoquer des incendies, et ce pouvoir semble sans cesse croissant. Alors qu’elle a huit ans, The Shop retrouve sa mère et la fait exécuter. Commence alors une longue traque pour Charlie et son père, qui possède lui-même des pouvoirs télépathiques et télékinétiques mais s’était juré de ne plus jamais s’en servir. Pour sauver sa peau et celle de sa fille, il va devoir transgresser sa promesse… 

Les flammes de l'enfer

L’un des grands atouts de Firestarter est son casting quatre étoiles, notamment du côté des « méchants » parmi lesquels on compte Martin Sheen, en politicien au brushing impeccable et à la duplicité dégoulinante, et George C. Scott, en très inquiétant exécuteur des basses besognes aux fortes tendances psychotiques. Le film se pare également d’étonnants effets visuels et pyrotechniques, lesquels crèvent l’écran dès la première grande scène d’action au cours de laquelle Charlie, sur le pas de sa porte, met le feu à une dizaine d’agents et de véhicules. Les explosions flamboyantes se déclenchent en tous sens, et annoncent avec quelque vingt ans d’avance l’un des moments forts d’X-Men 2.  Les flammes dévastatrices reprennent leur droit au cours des scènes d’expériences dans le laboratoire de The Shop (un mur de brique s’y enflamme carrément) et lors d’un climax explosif à souhait, dans lequel Charlie s’avère être à l’épreuve des balles. Au cours de ce spectaculaire dénouement, les rapprochements entre Firestarter et Carrie s’avèrent flagrants. Si Firestarter n’a pas connu le succès de ses aînés, c’est probablement à cause de la mise en scène sans relief de Mark Lester, incapable de rivaliser avec le génie visuel de Brian de Palma, Stanley Kubrick et John Carpenter. Du coup, les palpitantes péripéties du roman initial perdent ici de leur force, encombrées de surcroît d’une musique synthétique terriblement datée que signa le groupe Tangerine Dream.

© Gilles Penso

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DU SANG POUR DRACULA (1974)

Udo Kier campe un Dracula souffreteux et cadavérique en quête désespérée de sang de vierge…

BLOOD FOR DRACULA

1974 – ITALIE

Réalisé par Paul Morrissey

Avec Udo Kier, Joe D’Allesandro, Arno Juerging, Maxime McKenory, Vittorio De Sica, Roman Polanski

THEMA DRACULA I VAMPIRES

Réalisé juste après Chair pour Frankenstein, par le même metteur en scène et avec les mêmes acteurs principaux, Du Sang pour Dracula évacue quelque peu l’hystérie horrifico-parodique de son prédécesseur au profit de la satire douce-amère. Le plan d’ouverture du film, sur lequel défile le générique, donne d’emblée le ton : en gros plan, Udo Kier, à la beauté androgyne d’un David Bowie, se maquille pour donner un peu de vie à son visage terriblement pâle. Accompagné d’une mélancolique sonate au piano, il empourpre ses joues cadavériques, rougit ses lèvres blafardes et noircit ses cheveux grisonnants. Car ce Dracula est moribond, sur le point de succomber à une terrible maladie s’il ne trouve pas rapidement du sang de vierge à se mettre sous la dent. Or la denrée est devenue rare, en ces temps corrompus, et le voilà contraint de quitter son château transylvanien, avec son serviteur, pour un petit village italien, là où les mœurs dictées par une forte tradition catholique sauront probablement lui fournir le précieux liquide qui seul saura le guérir. Il s’installe donc chez une riche famille bourgeoise, constituée d’un noble, de sa femme et de leurs quatre filles, profitant de sa haute lignée pour mieux les berner. Hélas, le corps de la plupart des donzelles a déjà exulté sous les assauts répétés du beau serviteur de la famille (Joe d’Allesandro), volontiers enclin à initier les belles, pas farouches pour un sou, aux plaisirs de la chair.

Le véritable point commun entre Du Sang pour Dracula et Chair pour Frankenstein apparaît alors : une relecture désenchantée des mythes classiques de l’épouvante via un érotisme sans retenue et un traitement volontiers excessif de l’aspect horrifique. Ainsi, chaque fois que le malheureux comte vampire mord à belles dents le cou d’une jeune fille déjà déflorée, le voilà pris de crises violentes. Il hurle alors, s’agite en tous sens, et vomit des litres de sang dans la baignoire ou les WC les plus proches, avec force borborygmes peu ragoûtants. Le voilà alors contraint de lécher le sol, maculé du sang de la seule demoiselle restée vierge… Nous sommes bien loin de l’aplomb hautain de Christopher Lee ou de l’assurance théâtrale de Bela Lugosi. Ce Dracula est le plus pathétique et le plus souffreteux de tous, et l’on aurait volontiers tendance à le prendre en pitié.

Démembrement à coups de hache

Au moment du dénouement, l’excès et l’outrance du film précédent reprennent le dessus, car le serviteur zélé, ayant découvert les véritables intentions de Dracula, le poursuit à travers la vaste demeure, le démembre à grands coups de hache puis lui enfonce un pieu dans le cœur, débarrassant une bonne fois pour toute la population du chétif vampire, et inversant aux yeux du spectateur les rôles de monstre et de victime habituellement établis en pareil contexte. Cette très belle variante sur un mythe pourtant éculé nous laisse rêveur sur ce que Paul Morrissey et son équipe aurait pu faire s’ils s’étaient attaqués à d’autres grands classiques de l’épouvante.

 

© Gilles Penso

 

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REPLICANT (2001)

Une double dose de Van Damme dans ce thriller de science-fiction sous l'influence de Volte/Face

REPLICANT

2001 – USA

Réalisé par Ringo Lam

Avec Jean-Claude Van Damme, Michael Rooker, Catherine Dent, Brandon James Olson, Pam Hyatt

THEMA DOUBLE

Jean-Claude Van Damme s’était déjà prêté au jeu du dédoublement à l’occasion de Double Impact, mais il ne s’agissait là que d’une histoire de frères jumeaux antagonistes, dont le slogan « Double Van Damme » laissait rêveur. Ici, nous avons affaire à une intrigue policière soutenue par un argument de science-fiction, et le scénario calque une partie de sa structure sur celle de Volte/Face. Le kickboxer belge incarne dans un premier temps un redoutable psycho-killer baptisé « La Torche ». Sérieusement maltraité pendant son enfance, il s’en prend aux mères de famille de Seattle qui lui rappellent sa propre génitrice et les abat froidement avant de les immoler, de préférence devant leur progéniture. Depuis plusieurs années, l’inspecteur Jake Riley, interprété par le robuste Michael Rooker, traque en vain ce redoutable désaxé. Or au moment de prendre sa retraite, frustré de ne pas avoir mis la main sur son ennemi juré, Riley est contacté par la NSA qui lui propose un moyen inédit de capturer une bonne fois pour toute « La Torche ». La Sécurité Nationale a en effet créé un « Réplicant ». Il ne s’agit pas d’un androïde, contrairement à ce que pourraient croire les aficionados de Blade Runner, mais d’un clone du tueur, conçu à partir de traces d’ADN trouvées sur les lieux des meurtres. Ce double génétique parfait semble être relié télépathiquement au psychopathe, mais ce n’est encore qu’un « bébé » à qui il faut tout apprendre, et c’est le dur à cuire Riley qui hérite du boulot de nounou. 

Même si le potentiel d’un tel récit est assez grand, en matière de psychanalyse et d’ironie dramatique, l’ambition de Réplicant se limite à celle d’un film d’action musclé. Et comme, en la matière, Ringo Lam (City on Fire, Full Contact, Risque Maximum) n’est pas un manchot, cet objectif modeste mais honorable est parfaitement atteint. Combats violents et cascades s’enchaînent ainsi à bon rythme, avec une mention spéciale pour la poursuite en ambulance dans le parking de l’hôpital. Le caractère des personnages et leurs motivations sont taillés à grands coups de burin, mais Van Damme surprend très agréablement dans le double rôle antithétique de l’assassin sans scrupule (le cheveu gras et le regard froid) et du clone candide en plein apprentissage de la vie. Pour une fois, le film repose au moins autant sur sa performance de comédien que sur ses capacités à lever la jambe et faire le grand écart.

Le flic endurci et le clone naïf

De fait, si Replicant se distingue tant de tous les direct-to-video musclés interprétés par le Belge athlétique, c’est sans doute parce que son scénario se concentre avant tout sur les relations qui lient ses protagonistes. Rien de nouveau sous le soleil, certes, mais l’improbable association du flic endurci et du clone naïf crée de savoureux moments d’humour situationnel, tandis que la première rencontre du Van Damme cloné avec une prostituée a quelque chose d’indéniablement touchant. Le climax est évidemment un combat au sommet entre les deux Van Damme, qui s’achève de fort explosive manière. Quant au happy end de dernière minute, il ressemble beaucoup à un revirement successif à une projection test, et c’est dommage, car l’impact du film s’en trouve franchement amenuisé.

 

© Gilles Penso

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DEAD ZONE (1983)

L'association de Stephen King et David Cronenberg fait des étincelles, portée par le jeu à fleur de peau de Christopher Walken

DEAD ZONE

1983 – USA

Réalisé par David Cronenberg

Avec Christopher Walken, Martin Sheen, Brooke Adams, Tom Skerritt, Herbert Lom

THEMA POUVOIRS PARANORMAUX I SAGA STEPHEN KING

Marqué par l’assassinat du président Kennedy, comme la plupart des enfants de sa génération, Stephen King s’interroge sur les motivations de Lee Harvey Oswald et ses réflexions servent de point de départ au roman “Dead Zone“ (“L’Accident“) qu’il écrit en 1979. Mais si le roman s’achemine vers le complot d’assassinat d’un politicien en plein meeting, là n’est pas son sujet central. Le héros en est John Smith, un jeune professeur qui, après un violent accident de la route et un long coma, se découvre un pouvoir de double vue qui lui permet de connaître le passé, le présent et l’avenir de tous ceux avec qui il est en contact physique. Le producteur Dino de Laurentiis fait l’acquisition des droits d’adaptation du roman et en confie la réalisation à David Cronenberg. Dead Zone ne s’embarrasse pas de longues prémisses. En moins de dix minutes, Cronenberg nous présente Johnny et Sarah (Christopher Walken et Brooke Adams), les emmène à la fête foraine où le jeune homme est pris d’une migraine soudaine, puis sur la route nocturne où, au volant de sa Coccinelle, il heurte la remorque d’un routier qui s’était endormi au volant, et enfin aux soins intensifs de l’hôpital où l’accidenté est recueilli.

Après cinq ans de coma, Johnny se réveille dans la clinique dirigée par Sam Weizak (Herbert Lom) et apprend par ses parents que Sarah a refait sa vie. Ce n’est pas le moindre des changements survenus dans son existence, et ses visions, alors qu’il assiste à des drames n’ayant pas encore eu lieu, sont les moments les plus forts du film. Cronenberg ajoute même une composante que n’avait pas imaginée King : Johnny ne se contente pas de voir les événements. Il les vit de l’intérieur, comme s’il y était lui-même plongé. Ainsi, lorsqu’il découvre en touchant la main d’une infirmière que la maison de cette dernière est en feu et que sa petite fille est en danger, il se retrouve momentanément dans la chambre d’enfant, les flammes l’entourant et dévorant son propre lit. On sent bien que ce pouvoir l’affecte. De fait, la mutation de sa conscience interfère sur son apparence physique. Avant l’accident, il arborait un cheveu lisse et bien peigné, de grandes lunettes, un sourire affable, un air innocent et jovial. Désormais il est grave, sérieux, la coupe en brosse, l’habit sombre, la démarche claudicante. 

Une structure en trois actes

Contrairement au roman, le film ne joue pas la carte du montage parallèle. Les événements s’y enchaînent donc de manière presque indépendante au sein d’un récit plus grand, ce qui donne au scénario une structure en trois partie qui ressemblent presque à trois épisodes distincts. Cette division du récit entrave sa fluidité et dote l’un film d’un caractère un peu mécanique. On peut également regretter que le scénario ait autant atténué la bigoterie fanatique de la mère de Johnny, qui se contente ici de citer le Seigneur et d’évoquer un miracle. En revanche, le récit a le mérite de resserrer les liens entre Sarah et le politicien Stillson (Martin Sheen), l’ancienne fiancée de Johnny et son mari militant en sa faveur. Soutenu par la bouleversante partition d’un Michael Kamen encore débutant, Dead Zone est un succès, qui ouvrira à Cronenberg la voie vers son chef d’œuvre La Mouche.

 

© Gilles Penso

 

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READY PLAYER ONE (2018)

Steven Spielberg adapte un roman très populaire d'Ernest Cline et nous offre une vision crédible d'un monde futuriste où le virtuel a pris le pas sur la réalité

READY PLAYER ONE

2018 – USA

Réalisé par Steven Spielberg

Avec Tye Sheridan, Olivia Cooke, Ben Mendelsohn, Lena Waithe, Mark Rylance, Simon Pegg, Win Morisaki, Philip Zhao, T.J. Miller

THEMA MONDES PARALLELES ET MONDES VIRTUELS I FUTUR I SAGA STEVEN SPIELBERG

Depuis La Couleur Pourpre, Steven Spielberg s’est habitué à alterner le fantastique et le réalisme jusqu’à oser d’impensables grands écarts comme la réalisation de La Liste de Schindler entre deux Jurassic ParkEn sortant à seulement quelques mois d’intervalle Pentagon Papers et Ready Player One, il se livre au même exercice d’équilibre, même si les deux films ont plus de points communs qu’il n’y paraît. Car si l’un se déroule dans un passé réel et l’autre dans un avenir imaginaire, tous deux racontent à leur manière notre société contemporaine et des travers finalement très actuels. « J’adore utiliser mon imagination et ne me laisser contraindre par aucune limite, d’où ma passion pour la science-fiction », nous explique-t-il. « Mais il est aussi intéressant de se laisser limiter par la réalité des faits historiques. C’est même parfois plus confortable que lorsque j’erre dans le monde de l’imagination et des rêves. » (1) Chez Spielberg, le fantastique et la réalité se nourrissent l’un l’autre pour mieux traduire sa vision du monde.

Il n’est pas difficile de comprendre ce qui l’a attiré dans le roman « Ready Player One » d’Ernest Cline. Le récit prend place dans un futur dystopique privant ses citoyens de libertés individuelles comme dans Minority Report, met en scène un « garçon perdu » livré à lui-même après la disparition de ses parents (le héros spielbergien par excellence) et raconte la quête d’un « Pays Imaginaire » servant d’échappatoire à la banalité du monde réel (Peter Pan et les jeux imaginaires du héros d’Empire du Soleil ne sont pas loin). Même les avatars virtuels qu’utilisent les héros rappellent les alter-egos fantasmés que se crée Frank Abagnale dans Arrête-moi si tu peux. Pourtant, paradoxalement, le film serait presque moins spielbergien que le livre, le cinéaste ayant évité toutes références trop frontales à son propre univers pour ne pas pécher par vanité. De fait, Ready Player One paie son tribut à la culture populaire des années 80 et 90 sans jamais s’aliéner à elle.

Citations, références et clins d'œil

Les hommages cinématographiques et vidéoludiques sont d’une telle densité que des dizaines de visionnages seront nécessaires pour tous les remarquer. Mais il ne s’agit jamais de coups de coude appuyés à seule destination des initiés. Comme dans le livre, les allusions sont recontextualisées et deviennent motrices de l’intrigue. La DeLoréan de Retour vers le Futur ou le robot du Géant de fer, par exemple, sont des éléments narratifs à part entière indépendamment de leur appartenance respective aux films de Robert Zemeckis et Brad Bird. Du coup, lorsqu’il joue lui-même le jeu des influences, Alan Silvestri fusionne les citations avec sa propre bande originale, s’éloignant ainsi de la démarche maladroite adoptée par Danny Elfman sur Justice League. Face à la dextérité ébouriffante des nombreuses scènes d’action qui scandent le film, force est de constater que le vénérable cinéaste, à 71 ans, a toujours un coup d’avance sur tous les autres. Mais derrière l’apparente simplicité du récit, sous les apparats naïfs de cette aventure ludique et de la romance candide qui en découle, Spielberg tend aux spectateurs de Ready Player One le reflet peu reluisant d’une société tellement autocentrée qu’elle préfère se recroqueviller sur un idéal artificiel plutôt que lever la tête et ouvrir les yeux. Le discours n’est jamais ostentatoire mais il demeure central, certains jeux de miroir entre la réalité et la virtualité s’avérant par moments franchement vertigineux. A voir et à revoir sans modération.

 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en janvier 2018.

 

© Gilles Penso

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