DEFENDOR (2009)

Woody Harrelson incarne un super-héros pathétique et sans pouvoir qui décide de mettre son courage au profit de la lutte contre le crime…

DEFENDOR

 

2009 – USA

 

Réalisé par Peter Stebbings

 

Avec Woody Harrelson, Elias Koteas, Michael Kelly, Sandra Oh, Kat Dennings, Clark Johnson, Lisa Ray, Alan C. Peterson

 

THEMA SUPER-HÉROS

En quelques années, et ce même avant que le Marvel Cinematic Universe se mette officiellement en place, les amateurs de super-héros ont pu apprécier les exploits de toutes sortes de justiciers masqués sur grand écran : des adolescents tourmentés (Spider-Man), des milliardaires névrosés (The Dark Knight), d’anciens redresseurs de torts mis sur la touche (Watchmen), ou encore des clochards surpuissants (Hancock). Mais aucun d’entre eux ne ressemble à Defendor. Derrière son accoutrement grotesque et son nom maladroitement orthographié se cache un héros profondément original, portée à bout de bras par un Woody Harrelson au sommet de son art. Dans le rôle d’Arthur Poppington, le héros de Tueurs Nés nous offre une extraordinaire prestation en demi-mesure. Arthur est un citoyen à l’esprit simple, un homme brisé, travaillant comme ouvrier de chantier, gagnant quelques cents, vivant seul dans un local désaffecté transformé en repaire bancal. La nuit, il devient Defendor, un justicier de pacotille à la voix grave et aux gadgets dérisoires (billes, citrons, guêpes en pot), déterminé à combattre un ennemi imaginaire : le « Capitaine Industrie ».

Ce mystérieux trafiquant, auquel Arthur attribue tous ses malheurs passés, prend peu à peu corps à travers les indices qu’il glane, mais reste plus une chimère qu’une cible réelle. À ses côtés, Kat, une prostituée toxicomane (interprétée avec une justesse désarmante par Kat Dennings), devient sa protégée et le miroir de sa solitude. Elle incarne la seule lueur dans un monde sans repères. Le concept aurait pu virer à la parodie déjantée ou à la satire potache. Mais telle n’est pas l’intention de Peter Stebbings. Defendor est une comédie, certes, mais une comédie amère, sincère, qui prend son héros au sérieux sans jamais se moquer de lui. Si les situations absurdes et les maladresses d’Arthur provoquent le rire, c’est un rire teinté de tristesse, qui laisse souvent place à une émotion inattendue. Defendor évite les clins d’œil référentiels faciles ou le second degré cynique. Le récit se construit autour de l’humain, de sa douleur, sa fragilité et sa quête de justice naïve mais honnête. Le concept évoque bien sûr Kick-Ass de Matthew Vaughn ou Super de James Gunn, mais s’en distingue par une absence totale d’ironie.

La veuve et l’orphelin

Les seconds rôles sont excellents. Elias Koteas campe un flic ambivalent, tiraillé entre agacement et fascination, tandis que Sandra Oh, en psychiatre perplexe, tente de percer la vérité derrière le masque de Defendor. À mesure que l’histoire progresse, les motivations d’Arthur se dévoilent : une enfance traumatisée, une mère disparue, un esprit figé dans la douleur, trouvant dans l’illusion du combat une forme de guérison. Ses actes, absurdes en surface, finissent par déranger les truands et intriguer les policiers. Il s’impose peu à peu comme un grain de sable dans les rouages d’un système corrompu. Defendor pose en substance une question cruciale : faut-il être sain d’esprit pour vouloir changer le monde ? Ou est-ce précisément cette faille, cette blessure, qui rend l’acte héroïque possible ? Peter Stebbings signe un film modeste, imparfait, mais infiniment touchant. Un ovni doux-amer qui trouve dans la sincérité de son propos une force rare.

 

© Gilles Penso

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ALI BABA ET LES QUARANTE VOLEURS (1954)

Fernandel incarne le célèbre héros des mille et une nuits dans une relecture comique signée par l’un des plus grands cinéastes français de l’époque…

ALI BABA ET LES QUARANTE VOLEURS

 

1954 – FRANCE

 

Réalisé par Jacques Becker

 

Avec Fernandel, Samia Gamal, Henri Vilbert, Dieter Borsche, Édouard Delmont, Julien Maffre, José Casa, Edmond Ardisson, Manuel Gary, Gaston Orbal

 

THEMA MILLE ET UNE NUITS

En 1954, Jacques Becker, figure majeure du cinéma français et ancien assistant de Jean Renoir, s’aventure pour la première fois sur le terrain du film de commande avec Ali Baba et les 40 voleurs. Réputé pour des œuvres intimistes et puissantes comme Casque d’or ou Le Trou, Becker change ici radicalement de registre, répondant à une demande des studios Pathé qui veulent capitaliser sur le succès de Touchez pas au grisbi, énorme carton populaire. Le but est d’offrir un grand spectacle exotique porté par Fernandel, alors au sommet de sa popularité. Le réalisateur s’entoure de Marc Maurette et de Cesare Zavattini (scénariste du Voleur de bicyclette) pour concocter une relecture libre et fantaisiste du célèbre conte des Mille et une nuits. Le tournage débute en avril 1954 dans le sud marocain, près de Taroudant, à Ouarzazate et dans la vallée d’Agadir, avec une large figuration locale. La chaleur, les conditions de transport et la logistique complexe rendent l’expérience parfois épuisante. Les intérieurs sont ensuite reconstitués dans les studios de Billancourt. Treize semaines de tournage seront nécessaires pour mettre le film en boîte.

Dans un Orient de légende, Ali Baba (Fernandel), homme modeste et débrouillard au grand cœur, vit au service de Cassim (Henri Vilbert), un riche marchand qu’il seconde fidèlement dans la gestion de sa maison, de ses affaires et de son harem. Ami des pauvres, Ali ne se départit jamais de sa générosité, même lorsqu’il est contraint d’acheter une jeune esclave, Morgiane (Samia Gamal), sur ordre de son maître. Touché par sa grâce et sa détresse, il la protège en l’empêchant d’être livrée à Cassim, avec l’aide d’un somnifère bien dosé. Mais les choses se compliquent lorsqu’Ali doit retrouver le marchand ambulant à qui Morgiane appartenait. Il se lance à la poursuite d’une caravane, franchissant les limites de la ville jusqu’à une région désertique et peu sûre. Là, le convoi est attaqué par une bande de quarante voleurs surgis des dunes. Les marchands s’enfuient dans la panique, abandonnant leurs biens. Coincé dans une nacelle, Ali assiste en secret à une scène étonnante : les brigands font disparaître leur butin dans une montagne, dont l’entrée se referme par enchantement grâce à une formule magique – « Sésame, ouvre-toi ! ». Ali retient la formule, revient sur place et pénètre dans la caverne. Un trésor inestimable s’étale alors sous ses yeux…

Marseille Bagdad

À sa sortie en décembre 1954, Ali Baba et les 40 voleurs déroute les amateurs de Jacques Becker. Le cinéaste s’attaque ici à un registre que nous ne lui connaissions guère, dans un cadre oriental où les éléments fantastiques restent en retrait, l’aspect féerique du conte originel y perdant en intensité. L’exotisme de studio, malgré un tournage partiel au Maroc, donne à l’ensemble un parfum d’artifice, renforcé par des dialogues aux accents méridionaux qui évoquent davantage Marseille que Bagdad. Ce ton décalé, qualifié d’« Orient de Canebière » par François Truffaut, illustre bien la difficulté du film à trouver son juste équilibre. Truffaut finira pourtant par tomber sous le charme. « À la première vision, Ali Baba m’a déçu, à la seconde ennuyé, à la troisième passionné et ravi », avoue-t-il. « Il faut avoir dépassé le stade de la surprise, il faut connaître la structure du film pour que s’évanouisse la sensation de déséquilibre tout d’abord éprouvée » (1). Car malgré sa rigidité et son aspect factice, Ali Baba déploie un charme indiscutable. Fernandel impose sa bonhomie et son rythme comique avec une énergie communicative, poussant même la chansonnette sur une musique de Paul Misraki. Les décors grandioses et la présence magnétique de la danseuse Samia Gamal sont également des atouts de poids. Le résultat ? Un divertissement généreux et bigarré, qui attire plus de quatre millions de spectateurs dans les salles et continue de faire sourire petits et grands au fil de ses nombreuses rediffusions.

 

(1) Extrait d’un article paru dans Les Cahiers du cinéma, février 1955

 

© Gilles Penso

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UN NOMMÉ JOE (1943)

Spencer Tracy incarne un aviateur de la deuxième guerre mondiale qui, après avoir été abattu, revient visiter sa bien-aimée sous forme d’ange-gardien…

A GUY NAMED JOE

 

1943 – USA

 

Réalisé par Victor Fleming

 

Avec Spencer Tracy, Irene Dunne, Van Johnson, Ward Bond, James Gleason, Lionel Barrymore, Barry Nelson, Esther Williams, Henry O’Neill, Don DeFore

 

THEMA FANTÔMES I MORT

Deux ans après Docteur Jekyll et Mister Hyde, Victor Fleming et Spencer Tracy se retrouvent sur une note moins grave, quoique la légèreté d’Un nommé Joe ne soit qu’apparente. En 1942, alors que les États-Unis viennent d’entrer en guerre, la MGM décide de produire un film de propagande optimiste à destination des soldats et de leurs familles. Contre toute attente, c’est Dalton Trumbo, connu pour ses prises de position pacifistes et ses engagements à gauche, qui est choisi pour écrire l’histoire. L’écrivain surprend tout le monde en livrant en une nuit un scénario achevé, dicté aussitôt à deux secrétaires, sans qu’aucune réécriture ne soit nécessaire. À la réalisation, Fleming imprime son style classique et efficace, tandis que Tracy, très impliqué dans le projet, apporte de nombreuses idées. Une réplique entendue auprès d’un militaire (« Ce n’est pas dur de voler, c’est s’écraser qui est dur ») trouve ainsi naturellement sa place dans le script. Mais l’acteur peine à s’accorder avec sa partenaire Irene Dunne, lui préférant Katharine Hepburn, qu’il n’a pas réussi à faire engager. Le tournage est ensuite bouleversé par un accident grave de Van Johnson, jeune premier à peine embauché par le studio. Malgré la tentation de le remplacer, Fleming et Tracy défendent son maintien au casting, quitte à suspendre la production. Quatre mois plus tard, Johnson reprend le rôle, tandis qu’une seconde équipe profite de l’interruption pour filmer des scènes aériennes en Floride.

En pleine Seconde Guerre mondiale, Pete Sandidge (Spencer Tracy) est un pilote de bombardier audacieux, tête brûlée peu respectueux de l’autorité. Il partage avec Dorinda Durston (Irene Dunne), pilote elle aussi, une histoire d’amour faite de piques, de fierté et de passion rentrée. Trop orgueilleux pour lui avouer ses sentiments, Pete préfère les compliments disons imagés (« Tu es belle comme une hélice neuve ») et tente de la convaincre de rester au sol, loin des dangers du ciel. Car notre homme est un brin macho. Mais c’est justement le tempérament fort et indépendant de la jeune femme qui l’attire. Un jour, juste après un mauvais pressentiment de Dorinda, Pete meurt en mission, abattu par des chasseurs allemands. Alors qu’il se retrouve dans un au-delà paisible et brumeux (une vaste étendue céleste dans laquelle il semble marcher au milieu des nuages), Pete reçoit une nouvelle mission : revenir sur Terre, invisible aux vivants, pour guider un jeune pilote prometteur, Ted Randall (Van Johnson). Pete accepte, sans se douter que Ted croisera Dorinda et tombera amoureux d’elle…

Ghost in the machine

Sous ses airs de romance patriotique, Un nommé Joe creuse une veine surtout émotive, presque métaphysique. Le concept, particulièrement original, part du principe que chaque pilote vivant vole avec, en lui, la mémoire active des morts. La jalousie posthume du héros, le deuil en suspens et les sentiments refoulés sont alors au cœur du récit. Tout repose sur l’équilibre fragile entre pudeur et lyrisme. Les séquences où les interventions de Pete – que personne ne voit ou n’entend – s’intercalent au milieu des dialogues des vivants bénéficient d’un formidable sens du timing. Précise comme une horlogerie, la mise en scène de Victor Fleming n’en est pas pour autant ostentatoire, son faux classicisme se mettant pleinement au service des comédiens, du récit et des dialogues brillants de Dalton Trumbo. Entre deux moments de drame ou de comédie, Fleming nous offre quelques scènes de batailles aériennes très spectaculaires, conçues à l’aide de véritables cascades en vol, de maquettes, de rétro-projections et d’effets pyrotechniques. C’est du grand art. Initialement dotée d’une fin plus tragique, la version finale conserve pourtant une puissance intacte. Steven Spielberg, qui découvrit le film enfant, en signa un remake en 1989, Always, transposant l’histoire dans un contexte contemporain.

 

© Gilles Penso

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SKULL HEADS (2009)

Une famille bizarre, qui vit recluse dans un château gothique italien, reçoit la visite de trois étrangers qui se heurtent bientôt à des « gardiens » surnaturels…

SKULL HEADS

 

2009 – USA

 

Réalisé par Charles Band

 

Avec Robin Sydney, Samantha Light, Steve Kramer, Rane Jameson, Kim Argetsinger, Lucia Stara, Antonio Covatta, Giacomo Gonnella

 

THEMA SORCELLERIE ET MAGIE I ZOMBIES I SAGA CHARLES BAND

Entre deux épisodes des franchises Gingerdead Man et Evil Bong, cultivant un humour décomplexé et une épouvante très inoffensive, l’hyperactif Charles Band se lance dans Skull Heads qui ambitionne visiblement, malgré des moyens très modestes, de renouer avec un certain gothisme à l’ancienne teinté de bizarrerie. Le scénario, signé Domonic Muir (sous le pseudonyme d’August White), convoque les figures classiques de la famille dégénérée repliée sur elle-même. Dans un château isolé du monde, les Arkoff vivent sous le joug d’un patriarche brutal, Carver (Steve Kramer), qui exerce sur sa fille Naomi (Robin Sydney), son demi-frère Peter (Giacomo Gonnella) et sa domestique Claudia (Lucia Stara) une autorité marquée par la violence psychologique et physique. Son épouse, Lisbeth (Samantha Light), reste généralement en retrait. Infantilisée, Naomi rêve de s’échapper, d’aller à l’université, de découvrir ce monde extérieur dont elle est tenue éloignée. Mais son désir de liberté se heurte à un huis clos rigide, ponctué de cruautés régulières. L’arrivée de trois étrangers – se présentant comme une équipe de tournage à la recherche d’un décor – fait monter la tension d’un cran. Mais quand ils révèlent leur véritable intention, voler les œuvres d’art du château, ils sont attaqués par les véritables gardiens du lieu : les « Skull Heads ».

Ces créatures miniatures, sortes de squelettes grotesques aux pouvoirs surnaturels (notamment celui de ressusciter les morts grâce à leurs yeux laser pour les transformer en zombies anthropophages), constituent l’élément fantastique le plus intéressant du film. Elles obéissent une fois de plus à l’obsession fascinante de Charles Band pour les petits monstres. Mais ces « Skull Heads » se contentent de faire de la figuration, ricanant dans les coins ou fumant des pétards ! Animés très sommairement, ces personnages mystérieux aux designs insolites (œuvre de Gage Munster) auraient mérité mieux que cette frustrante sous-exploitation. Le film bénéficie tout de même du décor très photogénique d’un véritable château italien, éclairé avec talent par Terrance Ryker (Ghost Poker, Evil Bong 2), ainsi que d’une bande originale soignée dont Richard Band signe le thème principal. Même si les restrictions budgétaires l’obligent à se contenter de sons synthétiques, le compositeur offre au film une musique dynamique et étrange dans l’esprit de ses travaux sur les franchises Re-Animator et Puppet Master.

Rien dans le crâne

Mais ces qualités esthétiques ne parviennent pas à masquer les faiblesses structurelles du film. Car honnêtement, il ne se passe pas grand-chose de palpitant dans Skull Heads, malgré la belle implication de Robin Sydney qui campe cette étonnante femme-enfant, partagée entre un comportement de fillette immature et le soudain éveil à la sensualité d’une jeune adulte en quête d’émancipation. S’il semble puiser partiellement son inspiration dans le Spider Baby de Jack Hill, le scénario tient surtout à rendre plusieurs hommages au cycle d’adaptations d’Edgar Poe par Roger Corman, notamment La Chambre des tortures. D’où la présence de cette cave gothique emplie d’appareils conçus pour les supplices, l’évocation des écrits de Poe et le détournement du nom de Samuel Z. Arkoff (co-fondateur de la compagnie A.I.P.). Hélas, Skull Heads ne mène nulle part, gâchant des idées intéressantes pour les diriger vers un cul de sac narratif désarmant. Dommage que Band préfère trop souvent la quantité à la qualité, tellement désireux d’ajouter des titres à son catalogue (et des produits dérivés à sa boutique) qu’il oublie de mener correctement à terme la grande majorité de ce qu’il produit ou réalise.

 

© Gilles Penso

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THE UGLY STEPSISTER (2025)

Pour séduire un prince qu’elle rêve d’épouser, une jeune femme est prête à tous les sacrifices, quitte à altérer douloureusement son corps…

DEN STYGGE STESØSTEREN

 

2025 – NORVÈGE / POLOGNE / DANEMARK / SUÈDE

 

Réalisé par Emilie Blichfeldt

 

Avec Lea Myren, Ane Dahl Torp, Thea Sofie Loch Næss, Flo Fagerli, Isac Calmroth, Malte Gårdinger, Ralph Carlsson, Isac Aspberg, Albin Weidenbladh, Oksana Czerkasyna

 

THEMA CONTES

Emilie Blichfeldt commence à développer The Ugly Stepsister alors qu’elle travaille sur son projet de fin d’études à l’École de cinéma de Norvège. À l’origine, son scénario met en scène une femme dotée d’une vulve parlante qui lui confie sa solitude ! Une version féminine de Lui et moi, en quelque sorte. Mais finalement, Blichfeldt s’appuie sur Aschenputtel, la version sombre du conte de Cendrillon écrite par les frères Grimm, et en imagine une relecture dérangeante. Peu familière du principe du « body horror », elle découvre en 2015 Crash de David Cronenberg, une véritable révélation qui va guider ses partis pris esthétiques, puis complète sa culture du genre avec les œuvres de Dario Argento et de Lucio Fulci. Grave de Julia Ducournau et la filmographie érotique du cinéaste polonais Walerian Borowczyk viennent s’ajouter à ce tissu d’influences. Le scénario de The Ugly Stepsister puise également dans l’expérience personnelle de la réalisatrice, marquée par ses propres troubles liés à l’image de soi. La cinéaste sait bien que le personnage de Cendrillon incarne l’idéal féminin vu sous un angle patriarcal. Douce, modeste, effacée, belle, elle subit sans se rebeller, attendant qu’un homme puissant vienne la « sauver » en l’épousant. Avec The Ugly Stepsister, Emilie Blichfeldt décide de se confronter frontalement à ces symboliques pour réaliser une sorte d’anti-conte d’une férocité acerbe.

Elvira (Lea Myren) et Alma (Flo Fagerli) sont des sœurs dont la mère veuve, Rebekka (Ane Dahl Torp), a épousé Otto (Ralph Carlsson), un homme plus âgé, dans l’espoir d’obtenir richesse et privilèges. Par le biais de ce mariage, Rebekka devient la belle-mère de la jeune Agnès (Thea Sofie Loch Næss). Mais Otto meurt avant même de consommer sa nuit de noces. La famille recomposée apprend alors qu’il était sans le sou, qu’il avait épousé Rebekka pour sa richesse et qu’Agnès méprisait ces « pièces rapportées » à cause de leur statut inférieur. Inquiète pour les finances du ménage, Rebekka décide de marier coûte que coûte Elvira au prince Julian (Isac Calmorth), quitte à repousser le financement des obsèques d’Otto. Mais Rebekka est consciente que sa fille est laide et n’a que peu de chances de séduire Julian, surtout si la belle Agnès doit rivaliser pour attirer son attention. Pour rendre Elvira plus désirable, Rebekka la soumet alors à une série de chirurgies plastiques douloureuses et primitives pratiquées par le très réputé « docteur Esthétique » (Adam Lundgren), tandis que la jeune femme décide d’avaler un ver solitaire pour perdre du poids…

L’inversion des rôles

C’est un raccord dans l’axe – presqu’un « jump cut » – qui marque visuellement le point de non-retour du destin d’Elvira et le basculement du scénario. Après plusieurs hésitations, la « belle sœur laide » accepte de soumettre son corps à une « cure d’amaigrissement » qu’on devine dangereuse, pour ne pas dire malsaine. Le cadrage se resserre d’un coup. L’engrenage est enclenché. Sans fard ni entrave, Emilie Blichfeldt se préoccupe bien peu de la bienséance, quitte à montrer des fesses, des pénis et des coulées de sperme en gros plan pour décrire une sexualité brute. L’influence de Cronenberg se ressent à travers les maquillages spéciaux remarquables de Thomas Foldberg (Le Dernier voyage du Demeter, Alien Romulus) qui mettent à mal les corps avec un réalisme douloureux. Les scènes chirurgicales sont orchestrées par un médecin qui rappelle les frères Mantle de Faux semblant, les mutilations font écho à celles de Crash, tandis que le ténia qui se love dans l’anatomie d’Elvira nous évoque les monstres parasites de Frissons. Sans oublier la vision récurrente du cadavre du père, dans un état de décomposition de plus en plus avancée. L’inversion à mi-parcours des rôles de la protagoniste et de l’antagoniste n’est pas la moindre des singularités du film. La belle Agnes/Cendrillon devient souillon, la laide Elvira devient désirable, et les codes s’inversent en même temps que l’empathie du spectateur. Assumant les éléments les plus magiques du conte (la citrouille, les souris, l’intervention féerique) pour mieux les dynamiter, Emilie Blichfeldt invite donc les spectateurs à interroger leurs rapports à la beauté et aux normes à travers ce film choc volontairement provocateur, dont les thématiques ne sont pas sans rappeler celles de The Substance.

 

© Gilles Penso

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LE MASQUE D’OR (1932)

Boris Karloff incarne un super-vilain asiatique exubérant tiré des écrits de Sax Rohmer dans ce film d’aventures fantastiques et rocambolesques…

THE MASK OF FU MANCHU

 

1932 – USA

 

Réalisé par Charles Brabin et Charles Vidor

 

Avec Boris Karloff, Charles Starrett, Lewis Stone, Myrna Loy, Karen Morley, Jean Hersholt, Lawrence Grant, David Torrence, Everett Brown, Steve Clemente

 

THEMA SUPER-VILAINS

Le Masque d’or est l’une des adaptations les plus fameuses de l’univers imaginé par Sax Rohmer, pionnier du roman pulp à succès. Tiré des récits du super-vilain que l’écrivain commença à faire publier à partir de 1912, le film s’inscrit dans un imaginaire colonial typique du cinéma d’aventure hollywoodien de l’époque. Entamé par Charles Vidor, qui se fera remercier après quelques jours de tournage seulement, le film est finalement mis en scène par Charles Brabin. Tout commence dans le désert de Gobi, où Sir Lionel Barton (Lawrence Grant), envoyé par le gouvernement britannique, est chargé de retrouver la tombe de Gengis Khan. Il doit devancer le redoutable Dr Fu Manchu (Boris Karloff), bien décidé à s’emparer de deux reliques légendaires : le masque d’or et l’épée du grand conquérant. Ces objets sont censés conférer à leur porteur un pouvoir sans limite. « Si Fu Manchu vient à poser ce masque devant ses yeux maléfiques et à saisir le cimeterre de ses mains décharnées et cruelles, l’Asie entière se soulèvera » prophétise sinistrement Sir Nayland Smith (Lewis Stone). Mais l’expédition tourne court et Barton est fait prisonnier. Sa fille Sheila (Karen Morley), bouleversée, décide de rejoindre l’équipe de secours, accompagnée de son fiancé Terry Granville (Charles Starrett). 

L’apparition de Fu Manchu dans son antre souterrain reste l’un des moments les plus saisissants du film. On le découvre manipulant une fiole vaporeuse, son visage déformé reflété dans un miroir convexe qui accentue son aura inquiétante. Sous son allure de despote mystique, il dévoile un bagage universitaire impressionnant. « Je suis docteur en philosophie d’Édimbourg, docteur en droit de Christ’s College, docteur en médecine de Harvard », énonce-t-il non sans fierté. « Par politesse, mes amis m’appellent docteur. » Mais derrière ces titres honorifiques, il dissimule une soif de domination absolue. Il offre ainsi à Barton argent, pouvoir… et même sa propre fille (Myrna Loy) en échange de la localisation de la tombe. Sa cour reflète sa mégalomanie : un capharnaüm de tentures orientales, statues grotesques et machines électriques, éclairé par une lumière expressionniste. Les costumes sont tout aussi extravagants. Sa fille arbore une robe opulente, tandis que Fu Manchu lui-même est métamorphosé grâce à un maquillage de Cecil Holland, vétéran des studios MGM. Lorsque Terry découvre que l’épée tant convoitée est une contrefaçon, il utilise une machine à arcs électriques (conçue par Ken Strickfaden, déjà créateur du laboratoire de Frankenstein) pour la désintégrer. 

 « Sale monstre jaune ! »

Le laboratoire de Fu Manchu se transforme en théâtre du grotesque, foisonnant de créatures en bocaux, d’instruments inquiétants et de fioles mystérieuses. C’est là qu’il prépare son arme ultime, un sérum de soumission destiné à Terry. « Ce sérum, distillé à partir de sang de dragon, de mon propre sang, des organes de plusieurs reptiles et mélangé à l’infusion magique de sept herbes sacrées va temporairement vous transformer en l’instrument vivant de ma volonté », explique le super-vilain. Le film n’est d’ailleurs pas avares en pièges et en tortures tous plus exubérants les uns que les autres : la « cloche du sommeil », suspendue au-dessus d’un captif, qui sonne sans relâche, l’empêchant de dormir, de boire ou de penser clairement ; l’accrochage à un balancier au-dessus d’une fosse infestée de crocodiles, déclenchant une chute lorsqu’un sablier s’écoulera entièrement ; deux murs hérissés de pointes qui avançant inexorablement… Le film bascule dans le fantastique pur lorsqu’une statue grimaçante s’anime soudain pour tendre l’épée de Gengis Khan à Fu Manchu. Au-delà de l’imaginaire pulp, le film affiche une xénophobie frontale assez représentative de son époque. Les Asiatiques y sont systématiquement dépeints comme fourbes, cruels et inhumains. « Ce n’est pas un chinetoque qui va m’arrêter », clame joyeusement l’un des protagonistes. « Comprendrons-nous un jour les races orientales ? » s’interroge un autre. Sans compter Von Berg qui traite Fu Manchu de « sale monstre jaune » sans détour. Pourtant, ce sont les personnages asiatiques qui séduisent le plus. Plus charismatiques que leurs adversaires occidentaux, Fu Manchu et sa fille dominent l’écran. Et la diabolique héritière a indiscutablement plus d’attrait que la fiancée fade et convenue du jeune Terry. Trois décennies plus tard, Christopher Lee prendra le relais de Karloff pour une nouvelle série de films consacrés au vil Fu Manchu.

 

© Gilles Penso

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ON L’APPELLE JEEG ROBOT (2015)

Les univers des films d’animation japonais et des histoires de gangsters italiennes s’entrechoquent dans ce film de super-héros peu conventionnel…

LO CHIAMAVANO JEEG ROBOT

 

2015 – ITALIE

 

Réalisé par Gabriele Mainetti

 

Avec Claudio Santamaria, Luca Marinelli, Ilenia Pastorelli, Stefano Ambrogi, Maurizio Tesei, Francesco Formichetti, Daniele Trombetti, Joel Sy

 

THEMA SUPER-HÉROS

Hommage direct à Steel Jeeg, l’anime culte de Gō Nagai très populaire en Italie depuis les années 70, le premier long-métrage de Gabriele Mainetti naît d’un pari audacieux : transposer l’univers coloré et fantastique du manga dans la réalité crue de la banlieue romaine. Le scénario, signé Nicola Guaglianone, détourne ainsi les codes du super-héros nippon pour les injecter dans un thriller urbain, sombre et profondément ancré dans le contexte social italien. Le titre original, Lo chiamavano Jeeg Robot, est une double référence : à l’univers de l’anime, bien sûr, mais aussi au western spaghetti On l’appelle Trinita, dont il détourne le ton pour annoncer d’emblée un film hybride, à la croisée des genres. Mainetti, cinéaste touche-à-tout, en signe non seulement la mise en scène mais aussi la bande originale. Le chemin vers la production aura été long et semé d’embûches. Le projet, bizarre et inclassable, peine en effet à convaincre les producteurs traditionnels. C’est grâce à la ténacité de Mainetti et au soutien de petites structures indépendantes qu’On l’appelle Jeeg Robot se concrétise enfin, dans des conditions de financement modestes.

Enzo Ceccotti traîne sa misère dans les quartiers pauvres de Rome, vivant de petits larcins. En fuyant la police après un vol, il plonge dans le Tibre et entre accidentellement en contact avec des déchets radioactifs. Après une nuit d’agonie fiévreuse, Enzo se réveille hagard, toujours vivant, mais avec une étrange toux persistante. Se découvrant une force surhumaine et une capacité de régénération hors du commun, il tente de reprendre sa routine, revendant sa montre volée à l’un des sbires du Gitan, un gangster mégalomane et violent. Dans l’entourage du Gitan, Enzo croise Alessia, une jeune femme brisée qui se réfugie dans l’anime Steel Jeeg, persuadée qu’Enzo en est le héros.  Qu’Enzo le veuille ou non, un destin de justicier semble l’attendre, et dès lors les ennuis vont prendre une tournure de plus en plus spectaculaire…

Le vengeur toxique

Ce film de super-héros atypique évoque d’emblée le Toxic Avenger de Lloyd Kaufman, puisque son protagoniste acquiert des pouvoirs surhumains après avoir été plongé dans un fût de produits chimiques. Mais Gabriele Mainetti ne cherche jamais à marcher sur les traces potaches de la Troma. De cette idée de départ excessive, il tire une comédie désenchantée sur le thème du justicier malgré lui, mêlant des motifs hérités de l’univers de Marvel (l’aphorisme « de grands pouvoirs entraînent de grandes responsabilités » s’y applique parfaitement) à la culture de la Japanimation des années 80 tout en s’intégrant dans un cadre réel, celui des rivalités entre gangs mafieux romains. Si le film fonctionne aussi bien et conserve sa cohérence malgré ce patchwork d’inspirations, c’est en grande partie grâce à la prestation tout en retenue de Claudio Santamaria et à celle – étonnamment poignante – de Ilenia Pastorelli. L’équilibre miraculeux qui s’opère entre ces deux personnages que tout oppose permet à Jeeg Robot de basculer en une seconde de la comédie la plus exubérante à l’émotion la plus intense. Cette belle surprise aurait pu être le point de départ d’une nouvelle franchise. Mais Jeeg Robot reste un « one shot », ce qui en renforce à la fois la singularité… et la valeur.

 

© Gilles Penso

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I SPIT ON YOUR GRAVE : DÉJÀ VU (2019)

Pour prolonger la franchise qui a popularisé le genre « rape and revenge », le réalisateur Meir Zarchi donne une suite tardive au tout premier film…

I SPIT ON YOUR GRAVE : DEJA VU

 

2019 – USA

 

Réalisé par Meir Zarchi

 

Avec Camille Keaton, Jamie Bernadette, Maria Olsen, Jim Tavaré, Jonathan Peacy, Jeremy Ferdman, Holgie Forrester, Roy Allen, Alexandra Kenworthy, Terry Zarchi

 

THEMA TUEURS I SAGA I SPIT ON YOUR GRAVE

Après le film original (I Spit on Your Grave, 1978), son remake (I Spit on Your Grave, 2010), sa suite (I Spit on Your Grave 3: Vengeance is Mine, 2015) et une variation sur le même thème (I Spit on Your Grave 2, 2013), comment faire encore rebondir cette saga vengeresse sans sombrer dans la redite ? En revenant à la source. Tel est le pari de Meir Zarchi, auteur et réalisateur du tout premier opus, qui choisit tardivement d’en proposer une suite directe, ignorant volontairement tous les autres épisodes de la franchise. Camille Keaton reprend ainsi, quarante ans plus tard, le rôle de Jennifer Hills. En réalité, Zarchi nourrit ce projet depuis de nombreuses années, mais la mise en chantier du remake de 2010 et de ses prolongements l’a logiquement freiné dans son élan. Le tournage de I Spit on Your Grave: déjà vu débute le 21 septembre 2015 à Santa Clarita, en Californie, et s’achève six semaines plus tard. Quatre décennies après la violente agression dont elle fut victime et la mort brutale de ses bourreaux, nous apprenons que Jennifer Hills a été acquittée des crimes dont on l’accusait. Elle est désormais une auteure à succès, et mère de Christina (Jamie Bernadette), une jeune femme célèbre elle aussi grâce à sa carrière de top model. Mais plusieurs membres des familles de ses anciens agresseurs ont décidé de la retrouver pour lui faire payer ses actes…

Dès l’entame du film, nous sentons bien que quelque chose ne colle pas. Meir Zarchi nous décrit ses rednecks sous un angle tellement caricatural et excessif qu’ils en perdent toute crédibilité. Le sentiment de menace qui devrait logiquement peser sur nos deux protagonistes s’en trouve fatalement amenuisé. Les motivations des agresseurs restent globalement incompréhensibles (un cocktail nébuleux d’envie de vengeance, de meurtre, de chasse, de fanatisme religieux) et leurs relations entre eux défient la logique. Tout le monde surjoue d’ailleurs dans ce film (la palme en ce domaine revient sans doute à Jonathan Peacy, qui semble sous coke du début à la fin du tournage) et personne n’a l’air de trop y croire, malgré la pleine implication – du moins physique – de Jamie Bernadette qui passe une partie du film intégralement nue. Cette nudité forcée accentue bien sûr le sentiment de vulnérabilité de son personnage, livré à lui-même en plein environnement hostile. Mais le scénario n’en tire aucun véritable parti et passe rapidement à autre chose. Tout le film semble ainsi fait, comme s’il avançait à l’aveuglette, en pilote automatique.

Grand-Guignol

Parallèlement à ce déroulement erratique, Meir Zarchi semble vouloir surligner artificiellement des éléments narratifs qui n’en demandaient pas tant. L’expression « j’irai cracher sur vos tombes », qui sert de titre à tous les épisodes de la franchise, est par exemple visualisée frontalement et de manière très insistante, tout comme le verset « œil pour œil, dent pour dent » (qui est carrément stabiloté en jaune dans les pages d’une bible !). Dans le même esprit, le montage s’encombre de courts flash-backs inutiles puisés dans le premier film et de longs tunnels de dialogues inintéressants qui allongent inutilement la sauce. Le réalisme brut et impitoyable des opus précédents s’est totalement évaporé. On sent d’ailleurs Zarchi enclin à injecter de la comédie dans son film. Comme les effets spéciaux ne sont pas non plus d’une grande finesse, I Spit on Your Grave : déjà vu finit par ressembler à une espèce de spectacle de Grand-Guignol étiré sur 2h30 de métrage. Tiraillé entre le besoin de boucler la boucle et l’envie d’en faire trop, le cinéaste nous livre ainsi le plus anecdotiques des volets de la franchise dont il fut le créateur. La violence y perd son sens et la vengeance n’a plus la force cathartique d’antan.

 

© Gilles Penso

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EVIL BONG 2 : KING BONG (2009)

Les victimes du bong maléfique voyagent jusqu’en Amazonie pour découvrir les origines du mal et affronter une tribu de sauvageonnes topless…

EVIL BONG 2 : KING BONG

 

2009 – USA

 

Réalisé par Charles Band

 

Avec John Patrick Jordan, Amy Paffrath, Sonny Cartl Davis, Brett Chukerman, Mitch Eakins, Brian Lloyd, Jacob Witkin, Robin Sydney, Michelle Mais, Michael Shepperd

 

THEMA DIABLE ET DÉMONS I SAGA EVIL BONG I CHARLES BAND

Très heureux de son Evil Bong, qui ne brille pas par sa finesse mais a le mérite d’assumer sa bêtise joyeuse et son délire permanent, Charles Band décide rapidement de l’affubler de plusieurs suites dans l’espoir d’en tirer une véritable franchise – et accessoirement de vendre plus de produits dérivés via le site internet de Full Moon. Voici donc Evil Bong 2 : King Bong, dont le titre dit bien sa volonté de dépasser le concept initial – somme toute très limité – pour offrir aux spectateurs de nouveaux grains de folie. Sous le pseudonyme d’August White, le scénariste Dominic Muir (déjà auteur du premier film ainsi que de Critters, Decadent Evil, Doll Graveyard, The Gingerdead Man et tout un tas d’autres séries B produites par Band) s’autorise donc à peu près tout et n’importe quoi, ses seules contraintes étant comme toujours un budget ridicule et un tournage de cinq ou six jours grand maximum. Incarné désormais par Brett Chuckerman (qui remplace au pied levé David Weidoff, héros du premier film), Allistair McDowell n’est plus tout à fait le personnage central de l’histoire mais plutôt une sorte de « passeur » qui se retrouve un peu à l’arrière-plan.

Le début du film nous apprend que même si le bong maléfique a été détruit, ses effets se font encore ressentir et prennent même des proportions alarmantes. Bachman (Mitch Eakins) est en effet victime de régulières crises de narcolepsie et d’amnésie, Brett (Brian Lloyd) a triplé de volume à force d’une boulimie permanente et Larnell (John Patrick Jordan) est saisi par des pulsions sexuelles soudaines et incontrôlables. Appelé à la rescousse pour les aider à gérer cette situation intenable, Allistair en conclut qu’ils subissent de manière extrême les effets secondaires de la marijuana : la fatigue, la faim et rejet des inhibitions. Pour trouver une solution, nos héros se mettent sur les traces de l’origine du bong démoniaque, au cœur de la jungle amazonienne. Sur place, ils rencontrent la scientifique Velicity (Amy Paffrath) qui leur parle de la tribu Poontang, sans doute à l’origine du bong. Elle-même pratique des expériences avec une marijuana locale qui, selon elle, pourrait avoir des vertus médicinales révolutionnaires. Tout converge vers le surgissement d’un bong encore plus redoutable que celui que nous connaissions : le King Bong !

Le crâne qui fume

Evil Bong 2 ne dure qu’une heure et quart, dont les six premières minutes sont occupées par un long résumé du premier épisode et un générique interminable. Autant dire que Charles Band ne cache pas son intention de tirer à la ligne. Et effectivement, le film avance à tous petits pas au fil d’une intrigue filiforme. Car il ne se passe pas grand-chose dans ce second opus, au cours duquel les protagonistes passent le plus clair de leur temps à échanger des dialogues stupides en fumant. Certes, le décor amazonien – reconstitué, bien sûr, dans un petit coin de forêt californienne – apporte une touche d’exotisme bienvenue, et le film s’égaie avec l’apparition d’une tribu de sauvageonnes aux seins nus qui semblent tout droit sorties de Cannibal Women ou Cave Girl Island. Mais c’est tout de même un peu court. La vedette incontestée du film, c’est le bien nommé King Bong, sorte de crâne grimaçant à la voix suave, qui ponctue chacune de ses répliques (prononcées par l’acteur Michael Shepperd) d’un tonitruant « motherfucker ». On doit sa conception au maquilleur spécial Jeff Farley (Prison, Wolf, La Mort vous va si bien), qui signe aussi l’un des effets les plus réussis du film : le surpoids excessif de Brett, à grand renfort de prothèses en mousse de latex. Evil Bong 2 est donc un joyeux foutoir sans autre ambition que d’enchaîner les séquences absurdes. Mention spéciale à ce passage délirant parodiant La Mouche noire, où Sonny Carl Davis se retrouve transformé en joint par les indigènes topless, criant un pathétique « Help me ! » pendant que King Bong s’apprête à le fumer. Évidemment, un Evil Bong 3 ne tardera pas à prolonger ce joyeux non-sens.

 

© Gilles Penso

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LE MONSTRE DES PROFONDEURS (1955)

Dans un village côtier, la panique se propage : les rumeurs parlent d’un fantôme qui attaque les nageurs et les tue en les brûlant…

THE PHANTOM FROM 10,000 LEAGUES

 

1955 – USA

 

Réalisé par Dan Milner

 

Avec Kent Taylor, Cathy Downs, Michael Whalen, Helene Stanton, Philip Pine, Rodney Bell, Vivi Janiss, Michael Garth, Pierce Lyden, Norma Hanspn

 

THEMA MONSTRES MARINS

Quand la petite compagnie American Releasing Company (ARC) se lance dans la production de films à budget très réduit, elle trouve rapidement une astuce pour maximiser ses profits : en produire deux en même temps et les sortir en double programme. C’est James H. Nicholson, cofondateur de la société, qui imagine le titre The Phantom from 10,000 Leagues (en référence évidente à The Beast from 20,000 Fathoms, alias Le Monstre des temps perdus), alors qu’il cherche un film capable d’accompagner Day the World Ended dans cette formule en tandem. Faute de moyens suffisants, Nicholson confie Phantom aux frères Dan et Jack Milner, monteurs désireux de faire leurs preuves dans la production de longs-métrages. Les coûts sont ainsi partagés entre ARC et les Milner. Les deux films sont réalisés pour moins de 100 000 dollars chacun – le type de micro-budget propre à de nombreuses séries B de science-fiction de l’époque, notamment celles produites par Roger Corman. Grâce à une campagne marketing habile orchestrée par Nicholson, le public se pressera pour découvrir ce double-programme. Quelques mois après leur sortie, les deux films engrangeront déjà 400 000 dollars de recettes. Une belle opération pour deux films aussi fauchés.

Un pêcheur est retrouvé mort sur la plage, le corps couvert d’étranges brûlures radioactives. L’affaire intrigue le biologiste Ted Baxter (Kent Taylor) et l’agent fédéral William Grant (Rodney Bell), qui décident d’enquêter. Très vite, ils découvrent qu’un monstre reptilien de taille humaine rôde sous les eaux. Après l’attaque mortelle de deux jeunes plongeurs, Ted et Grant plongent à leur tour et mettent au jour une roche brillante et radioactive gardée par la mystérieuse créature. Les indices mènent Ted jusqu’au laboratoire du Dr King (Michael Whalen), un biologiste marin dont les expériences de mutation ont donné naissance au monstre. Tandis que des espions étrangers convoitent ses découvertes et manigancent dans l’ombre pour se les approprier, Ted se rapproche de Lois (Cathy Downs), la fille du savant. Pendant ce temps, dans le village côtier, les rumeurs se propagent autour d’un fantôme incandescent qui hanterait l’océan…

« C’est la folie de l’homme ! »

Tourné sur les plages de Malibu et de Santa Monica, Le Monstre des profondeurs accuse une mise en scène fonctionnelle typique des séries B des années 50, malgré quelques tentatives intéressantes de jeux d’ombres et de regards héritées d’Alfred Hitchcock et du film noir. Très bavard, affublé de dialogues trop écrits et trop lyriques pour sonner juste (« Est-ce une créature de Dieu ? », « Non, c’est la folie de l’homme ! »), le film nous égaie – entre deux scènes de blabla et de déambulation sur la plage – en laissant surgir le monstre. Né suite à la soumission d’une tortue à des radiations, cette espèce de Godzilla à taille humaine arbore de gros yeux globuleux, des dents pointues et des épines sur la tête. C’est bien sûr l’attraction principale du film, même si le caractère comique de la bête n’était évidemment pas intentionnel. Ce mélange improbable de film de monstre, d’enquête policière et d’intrigue d’espionnage (agrémenté comme il se doit d’une romance entre le héros et la fille du savant) s’achève sur une tirade philosophique déclamée avec une gravité excessive par Kent Taylor : « La nature a de nombreux secrets que l’homme ne doit pas déranger. » Bref voilà un plaisir coupable pour les fans de « monster movies » à l’ancienne, bien plus prometteur sur son poster que dans ses bobines.

© Gilles Penso

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