THE LOVE WITCH (2016)

Un film de sorcellerie atemporel qui reprend à son compte tous les codes esthétiques du cinéma de genre des années 60

THE LOVE WITCH

2016 – USA

Réalisé par Anna Biller

Avec Samantha Robinson, Gian Keys, Laura Waddell, Jeffrey Vincent Parise, Jared Sanford, Robert Seeley, Jennifer Ingrum

THEMA SORCELLERIE ET MAGIE

Artiste complète, Anna Biller a signé la réalisation, l’écriture, la production, la décoration, les accessoires et une partie de la musique de The Love Witch, au cours d’une très longue période de préparation où, enfermée chez elle suite à une profonde dépression, elle mit à contribution son arrêt maladie pour préparer ce long-métrage résolument atypique. Hommage énamouré au cinéma des années soixante, The Love Witch en reproduit avec une minutie presque maniaque les modes vestimentaires, les maquillages, les décors, la musique mais aussi le jeu des comédiens et les effets de mise en scène. La musique, délicieusement « easy listening », évoque Burt Bacharach et Dave Grusin, quand elle n’emprunte pas directement ses compositions à Ennio Morricone. L’effet de mimétisme est d’autant plus étonnant que l’intrigue ne se déroule pas dans les sixties, comme en témoignent les téléphones portables et les véhicules. Nous sommes donc dans un univers « autre » où les scènes de voiture sont filmées en rétro-projection et où les filles portent toutes des faux cils. Dans cet environnement ultra référentiel, le scénario s’appuie sur le prétexte de la sorcellerie pour s’interroger sur l’incompréhension séculaire et réciproque qui complique les relations entre hommes et femmes, sur la nature du lien amoureux et sur les exigences et frustrations internes aux couples.

Elaine, une jeune et jolie sorcière, y est en quête désespérée d’amour. Pour pouvoir séduire les hommes qui l’attirent, elle concocte des potions et jette des sorts, mais le résultat n’est pas celui escompté. Ses victimes tombent sous son charme, puis, incapable de contenir un trop plein d’émotions, meurent littéralement d’amour. Les cadavres se multiplient donc dans son sillage, et les choses se compliquent lorsqu’Elaine s’éprend de l’inspecteur de police qui enquête sur ces morts mystérieuses. De nombreux films et séries du genre nous viennent à l’esprit face au spectacle étonnant que constitue The Love Witch, des giallo de Mario Bava à l’épouvante gothique de Terence Fisher et Riccardo Freda, en passant par Chapeau Melon et Bottes de Cuir (difficile de ne pas penser à Emma Peel) mais aussi Ma sorcière bien aimée. Une sorcière prénommée Barbara qui n’est pas sans nous rappeler Barbara Steele sert d’ailleurs de « mentor » à l’ingénue Elaine.

La plus glamour des sorcières

Mais Anna Bier ne joue jamais vraiment la carte du pastiche ou du clin d’œil cinéphilique appuyé. Elle préfère s’imprégner d’une époque et d’un genre pour mieux les réinventer. La révélation du film est Samantha Robinson, ancien mannequin qui tourne ici dans son premier film en tant que comédienne. Belle à croquer, drôle, émouvante, elle ressemble comme eux gouttes d’eau à Edwige Fenech et séduit autant les spectateurs que les personnages qu’elle croise tout au long du film. Sans doute le film, long de deux heures, aurait-il gagné à être allégé d’une bonne demi-heure, tant son intrigue finit par se répéter, d’autant que le dernier acte brise la logique narrative jusqu’à la rendre incompréhensible. Mais la démarche artistique reste admirable. Si elle ne suffit pas toujours à maintenir intact l’intérêt du spectateur, elle a des vertus quasi hypnotiques qui s’avèrent troublantes.

 

© Gilles Penso

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THE CALL OF CTHULHU (2005)

Un film muet qui semble avoir été tourné dans les années 20 et capture à merveille l'essence des écrits de H.P. Lovecraft

THE CALL OF CTHULHU

2005 – USA

Réalisé par Andrew Leman

Avec Matt Foyer, Patrick O’Day, David Mersault, Jason McCune, Ralph Lucas, Chad Fifer, Michael Galager, Bruce Graham

THEMA DIABLE ET DEMONS

Considéré par tous ceux qui ont eu la chance de le voir comme l’une des adaptations les plus fidèles et les plus intelligentes d’un récit d’H.P. Lovecraft, The Call of Cthulhu est un projet fou mené par d’inconditionnels admirateurs de l’écrivain maudit de Providence. Loin des enrobages romantiques façon La Malédiction d’Arkham ou des écarts gore burlesques à la manière de Re-Animator ou From BeyondThe Call of Cthulhu s’efforce de restituer l’esprit et la lettre d’une des nouvelles les plus fameuses de l’auteur, parue en France sous le titre « L’appel de Cthulhu ». Avec un budget dérisoire de 50 000 dollars, le réalisateur Andrew Leman et l’équipe de la H.P. Lovecraft Historical Society ont eu l’idée géniale de concevoir un film muet à la façon des classiques de l’horreur des années 20. Le parti pris semble d’autant plus justifié qu’il replace dans son contexte historique le récit original, écrit justement dans les années 20.

Reprenant à son compte tout le langage cinématographique de l’époque, tourné en Californie et à Providence au format DVCAM, puis minutieusement traité en post-production pour son grain reproduise à la perfection celui des pellicules muettes (selon un procédé technique baptisé « Mythoscope »), The Call of Cthulhu s’intéresse à un homme (Matt Foyer) prenant la succession de son grand-oncle mourant, le professeur George Fammell Angell (Ralph Lucas). Après avoir ouvert une de ses boites, il découvre que le vieil homme effectuait des recherches approfondies sur le culte de Cthulhu. La curiosité le pousse à fouiller les documents de son oncle, constitués d’articles de journaux, de témoignages écrits et de divers comptes rendus. Le film se poursuit alors sous forme de flash-backs adoptant tour à tour le point de vue de plusieurs témoins, permettant via un récit à la première personne de rester proche du style narratif de la nouvelle. Peu à peu, notre héros se laisse obséder par cette enquête, jusqu’à ce qu’il échoue dans un marais tourbeux de la Lousiane où il s’apprête à faire face au monstre ultime. 

« Un polype blanc aux yeux phosphorescents… »

« Certaines légendes parlaient d’un lac caché aux regards des mortels, où demeurait une colossale créature informe, semblable à un polype blanc aux yeux phosphorescents », racontait Lovecraft dans sa nouvelle, ne se hasardant pas beaucoup à décrire l’ignoble créature autrement qu’ainsi : « un monstre vaguement anthropoïde dans ses contours ; mais avec une tête de pieuvre dont la face n’était qu’une masse de tentacules, un corps squameux d’aspect caoutchouteux, des griffes formidables aux quatre membres, et deux longues ailes minces sur le dos. » Peu intimidé par la lourde charge de visualiser ce démon, objet de tant de fantasmes et réputé « immontrable », le réalisateur Andrew Leman joue son va-tout en utilisant une figurine animée stop-motion, comme à l’époque du Monde Perdu. En conformant la technique utilisée avec l’époque à laquelle le film est censé avoir été réalisé, le cinéaste fait mouche une fois de plus. A la faveur de ses nombreuses projections en festivals, The Call of Cthulhu s’attira maintes louanges de la part des puristes de l’univers de Lovecraft – pourtant réputés exigeants – et une jolie collection de récompenses.

 

© Gilles Penso

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DAGON (2001)

Stuart Gordon retrouve les écrits de H.P. Lovecraft mais abandonne l'humour burlesque au profit d'une atmosphère glauque et poisseuse

DAGON

2001 – ESPAGNE

Réalisé par Stuart Gordon

Avec Ezra Godden, Francisco Rabal, Raquel Meroño, Macarena Gomez, Brendan Price, Birgit Bofarull, Uxia Blanco, Ferran Lahoz

THEMA MONSTRES MARINS I DIABLE ET DEMONS 

Près de vingt ans après avoir librement adapté les écrits de H.P. Lovecraft avec les mémorables Re-Animator et From Beyond, le réalisateur Stuart Gordon et le producteur Brian Yuzna ont à nouveau puisé leur inspiration chez l’écrivain neurasthénique de Providence. Dans Dagon, le comédien Ezra Godden semble vouloir prendre le relais de Jeffrey Combs en arborant d’ailleurs une paire de lunettes à la Herbert West (même s’il avoue avoir surtout puisé son inspiration dans le jeu d’Harold Lloyd). A l’humour noir, à l’érotisme morbide et au gore cartoonesque des deux précédents films, le duo préfère ici une épouvante plus lancinante et une horreur plus diluée, comme pour manifester une fidélité plus grande à l’esprit de Lovecraft. Effectivement, même si le scénario de Dennis Paolisemble beaucoup plus s’inspirer de la nouvelle « Cauchemar à Innsmouth » (publiée en 1936) que de la très courte histoire « Dagon » (datant de 1917), l’ombre tourmentée du romancier plane assez efficacement sur la première partie du récit. D’ailleurs, l’un des premiers titres du projet, que Gordon le développait depuis la fin des années 80, était « The Shadow Over Innsmouth ».

Deux couples en croisière sur un voilier s’échouent sur un esquif aux abords d’un petit village de pêcheurs espagnols du nom d’Imboca (la nationalité ibérique ayant été préférée à celle du texte initial, anglaise, pour des raisons de co-production). Les habitants de cette sinistre bourgade vouent un culte au monstre aquatique Dagon et chacun se mue progressivement en créature marine. Les effets de mise en scène s’amusent ainsi à distiller une étrangeté glauque et insidieuse, comme cet hôtelier au cou muni de branchies, ce curé aux doigts palmés, ou ces ruelles sombres hantées par des silhouettes boîteuses et magnifiquement éclairées par un chef opérateur visiblement très inspiré (en l’occurrence le talentueux Carlos Suarez). Mais l’intrigue se met à patiner et à tourner en rond au bout de la moitié du métrage, et l’intérêt finit par se relâcher progressivement. Il faut dire que l’interprétation très approximative du casting américano-espagnol n’aide pas beaucoup le film.

L'attaque de l'homme-pieuvre

On note malgré tout quelques scènes choc assez efficaces, comme l’attaque d’un homme-pieuvre dans une vieille bâtisse inondée, ou l’écorchage vif d’un homme à qui on arrache progressivement le visage, une séquence gorissime à la limite du soutenable. De nombreux passages du film évoquent L’Antre de la Folie, notamment les habitants difformes et zombifiés du village, et ce n’est pas un hasard dans la mesure où John Carpenter puisait lui aussi son inspiration dans « Cauchemar à Innsmouth ». Le final nous permet d’apercevoir furtivement le démon Dagon, dont Lovecraft narrait l’apparition avec son emphase habituelle : « D’un aspect répugnant, d’une taille aussi imposante que celle de Polyphème, ce gigantesque monstre du cauchemar s’élança rapidement sur le monolithe, l’étreignit de ses grands bras couverts d’écailles, tandis qu’il inclinait sa tête hideuse. » A l’écran, il prend la forme d’un poulpe géant multiforme qui surgit du fond d’un puits en emportant sa dernière victime. 

 

© Gilles Penso

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PETER ET ELLIOTT LE DRAGON (2016)

Ce remake du classique des studios Disney s'affranchit de son modèle pour tenter une approche plus naturaliste

PETE’S DRAGON

2016 – USA

Réalisé par David Lowery

Avec Bryce Dallas Howard, Robert Redford, Oakes Fegley, Oona Laurence, Wes Bentley, Karl Urban, Isiah Witlock Jr

THEMA CONTES I DRAGONS

Si ce remake de Peter et Elliott cultive une certaine nostalgie, elle n’est pas vraiment liée au « classique Disney » dont il s’inspire – avec lequel il n’entretient qu’un faible nombre de points communs – mais à une époque révolue où l’homme entretenait un lien plus étroit avec la nature qu’avec la technologie, et où la révolution numérique n’avait pas encore eu lieu. Il est d’ailleurs difficile de déterminer à quelle époque exactement se situe le film. Les téléphones n’y sont pas portables, les disques sont en vinyl, et tout laisse à penser que nous naviguons dans une ambiance plus proche des années 70/80 que celle du 21ème siècle. Le réalisateur David Lowery, venu du cinéma indépendant américain, n’insiste pas outre mesure sur le caractère « d’époque » de son métrage. Il apporte en revanche un soin tout particulier à la construction d’un environnement réaliste et naturel.

Dans la petite ville imaginaire de Millhaven, les traditions ont la vie dure et la majeure partie des habitants vit en fonction de la grande forêt qui jouxte les habitations. Les autochtones sont bûcherons, gardes forestiers, tailleurs de bois. Ce caractère « terrien » séculaire est symbolisé par le vénérable Monsieur Meacham, qu’incarne avec sérénité Robert Redford. Plongé dans ses rêves de jeunesse, ce personnage résolument spielbergien raconte à qui veut l’entendre sa rencontre avec un dragon dans les bois. L’histoire amuse les enfants, mais la créature magique existe vraiment, et le lien qu’elle entretient avec l’orphelin Peter constitue le cœur et le moteur du récit. Le jeune héros n’a pas grand-chose à voir avec son modèle de 1977. Ce n’est plus un gavroche en salopette qui fuit sa famille adoptive mais un enfant livré à lui-même au milieu de la forêt après l’accident de voiture ayant couté la vie à ses parents. Nous sommes donc plus proches de l’univers de Mowgli, de Tarzan ou de L’Enfant Sauvage.

Un petit air de Mowgli

Plus encore que son aîné de quarante ans, Elliott ressemble quant à lui à un gros chien. Il est quadrupède, remue la queue quand il est heureux, a la truffe humide, le regard malicieux, les oreilles dressées, les crocs baveux et le corps couvert de pelage. Mais lorsqu’il déploie ses grandes ailes et s’élève dans le ciel, sa silhouette est incontestablement celle d’un majestueux dragon. Cette impression est confirmée pendant le climax du film, alors que sa colère est déchaînée et qu’il crache des torrents de flammes à l’encontre de ceux qui lui veulent du mal. Débarrassé des atours « disneyens » de la version réalisée par Don Chaffey (le mélange de dessin animé et des prises de vues réelles, les chansons), ce nouveau Peter et Elliott assume donc pleinement ses composantes fantastiques sans pour autant se départir d’un certain réalisme dans le traitement des humains. A ce titre, le jeune Oakes Fegley nous touche particulièrement dans la peau de Peter, enfant-loup déraciné qui s’adapte mal à la civilisation malgré un manque cruel d’affection. Voilà toute la force de cette relecture de Peter et Elliott le Dragon : un parfait équilibre entre le conte pour enfants traditionnel et la chronique intimiste, entre le fantastique gorgé d’effets spéciaux spectaculaires et la comédie familiale. 

 

© Gilles Penso

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S.O.S. FANTÔMES (2016)

Un remake de la comédie fantastique culte d'Ivan Reitman qui inverse le sexe de ses personnages ? Pourquoi pas. Encore eut-il fallu que le film soit drôle…

GHOSTBUSTERS

2016 – USA

Réalisé par Paul Feig

Avec Kristen Wiig, Melissa McCarthy, Kate McKinnon, Chris Hemsworth, Leslie Jones, Neil Casey, Cecily Strong, Andy Garcia

THEMA FANTÔMES I SAGA S.O.S. FANTÔMES

Même si son image a été quelque peu écornée par la séquelle paresseuse dont Ivan Reitman l’a affublé de mauvaise grâce en 1989, le S.O.S. Fantômes original n’a rien perdu de son aura. Fruit d’une alchimie quasi-miraculeuse,  c’est une de ces œuvres cultes dont la connivence avec le public ne fait que se cimenter au fil des ans, comme si les premiers émois ressentis à l’époque s’étaient renforcés d’une solide couche de nostalgie jusqu’à la rendre intouchable. L’idée d’un remake tardif allait forcément faire grincer les dents des aficionados, surtout face à la féminisation systématique du casting principal. On ne peut s’empêcher de soulever un sourcil perplexe devant ce choix étrange qui prend des allures de « discrimination positive » assujettie à une tendance excessive au politiquement correct (celle qui incite à mettre un « e » à la fin du mot « auteur » lorsqu’une femme porte la plume). Honnêtement, passée la surprise, ce changement de sexe ne choque pas et prend même les atours d’un rafraîchissement inattendu. Les prémisses du film sont d’ailleurs emplis de promesse. Kristen Wiig est très drôle en conférencière assumant très mal son passé de « chasseuse » des phénomènes paranormaux, et ses retrouvailles amères avec son ancienne amie campée par Melissa McCarthy ne manque pas de sel.

Mais le rire tourne court lorsque le film abandonne au bout d’un quart d’heure toute ambition pour cumuler les passages obligatoires et cligner bêtement de l’œil vers le premier S.O.S. Fantômes, accumulant les références jusqu’à l’indigestion et convoquant la majorité du casting original pour une série d’apparitions éclair navrantes.  Anonyme, la réalisation de Paul Feig assure le service minimum sans la moindre conviction. Certes, la mise en scène d’Ivan Reitman ne brillait pas non plus par son style, mais la personnalité forte de Bill Muray, Dan Aykroyd et Harold Ramis (et quelque part le fantôme farceur de John Belushi) habitaient chacune des séquences du premier S.O.S. Fantômes, le muant en film quasi-experimental mixant l’humour absurde et référentiel du Saturday Night Live aux canons d’une superproduction hollywoodienne à grand spectacle.

Une décalque machinale et scolaire

Mais la spontanéité et le grain de folie n’ont plus cours ici. A force d’essayer de retrouver mécaniquement les recettes qui firent le succès de son modèle, le S.O.S. Fantômes de 2016 ne cache même plus sa nature intrinsèque : le cahier des charges d’un studio dont chaque case est soigneusement cochée. Adieu fraicheur et sincérité, place à la décalque machinale et scolaire. Même les effets spéciaux trahissent ce cruel manque d’âme. En 1984, Steve Johnson, Randy Cook et l’équipe de Boss Films rivalisaient d’ingéniosité pour donner corps aux folies du scénario d’Aykroyd et Ramis. Derrière les grimaces en caoutchouc de Slimer, les cavalcades en stop-motion des Chiens de la Terreur et les déambulations titanesques du Bibendum Chamallow, l’inventivité et l’expressivité de ces artistes au tempérament fort transparaissaient sans cesse. Dans le remake, aucun style n’émerge des spectres propres et froids débités par des centaines d’infographistes enchaînés à leurs ordinateurs. Bref, encore un remake qui brille par son inutilité et sa vacuité abyssale.

 

© Gilles Penso

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LE BON GROS GÉANT (2016)

Steven Spielberg s'empare d'un célèbre roman pour enfants de Roald Dahl et en tire un film féerique plus grand que nature

THE BIG FRIENDLY GIANT

2016 – USA

Réalisé par Steven Spielberg

Avec Ruby Barnhill, Mark Rylance, Penelope Wilton, Rebecca Hall, rafe Spall, Jemaine Clement, Bill Hader, Adam Godley

THEMA CONTES I NAINS ET GEANTS I SAGA STEVEN SPIELBERG

Tout au long de sa carrière, Steven Spielberg n’aura cessé de décliner le motif récurrent du fils perdu et de la quête du père. Le Bon Gros Géant ne déroge pas à cette règle, même si le cinéaste s’efforce ici de faire coïncider son propre univers à celui – déjà très codifié – du romancier Roald Dahl. S’il s’était agi d’un scénario original, nul doute que la petite orpheline Sophie emmenée au pays des géants aurait été un jeune garçon, mais « Le Bon Gros Géant » est un roman trop célèbre et trop populaire pour laisser beaucoup de marge de manœuvre au cinéaste. Spielberg doit donc composer avec un personnage principal féminin tout en insistant sur son statut d’orpheline, son titanesque kidnappeur se muant progressivement en père de substitution.

Le film ajoute cependant un élément plus personnel : un petit garçon que le BGG avait capturé avant Sophie, avec qui s’était établi un lien très fort et interdépendant, jusqu’à ce que l’enfant ne soit dévoré par le redoutable Avaleur de Chair Fraîche. La découverte de la chambre jadis occupée par ce « fils adoptif », tapissée de dessins et de souvenirs, est probablement la scène la plus forte et la plus émouvante du film, celle où Spielberg peut le mieux affirmer sa personnalité. Assez curieusement, la mise en scène du père d’E.T. n’est pas immédiatement identifiable dans Le Bon Gros Géant, comme si ses effets de style étaient contraints de s’effacer quelque peu derrière la prodigieuse technologie développée par les équipes surdouées de Weta.  Plus étrange encore : lorsque le film bascule dans la comédie pure au cours des séquences se déroulant au palais de Buckingham, le réalisateur opte pour un académisme désarmant.

Un grain de folie édulcoré

C’est probablement là que le bât blesse : un refus d’entrer en phase avec le grain de folie du livre, sa gausserie permanente, sa critique acerbe des hommes qui, en filigrane, n’est pas sans rappeler le verbe acide de Jonathan Swift dans « Les Voyages de Gulliver ». Sans doute trop sage et trop axé sur une narration au premier degré, le film préfère l’émerveillement à l’ironie et finit du coup par rater le coche. Car le livre était conçu comme une histoire que l’on lit au coucher, construite quasiment comme si elle s’improvisait au fur et à mesure de son élaboration. D’où une série de collages surréalistes et ludiques comme les nombreux rêves délirants que le BGG a enfermé dans des bocaux, et que le dessinateur Quentin Blake illustra à l’origine avec la poésie épurée d’un Sempé. Cette scène aurait pu donner lieu à un enchaînement de vignettes absurdes, drôles et cocasses, mais il eut sans doute fallu un Terry Gilliam ou un Jean-Pierre Jeunet pour leur donner corps avec toute l’espièglerie requise. On sent bien que Spielberg n’est pas très à l’aise avec la « non dramaturgie » du livre et qu’il cherche par tous les moyens à en rationaliser la structure pour mieux la conformer à son approche cinématographique. Comme tous les travaux du cinéaste, le film contient son lot de surprises, de tours de force et de fulgurances, mais il restera sans doute dans les mémoires comme une œuvre mineure de son auteur… ce qui est un comble au regard de la taille de la majorité de ses personnages !

 

© Gilles Penso

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RAYON LASER (1977)

Engagés dans une course-poursuite, des extra-terrestres reptiliens oublient sur notre planète une arme redoutable qui atterrit entre les mains d'un jeune homme solitaire…

LASERBLAST

1977 – USA

Réalisé par Michael Rae

Avec Kim Milford, Cheryl Smith, Gianni Russo, Ron Masak, Dennis Burkley, Barry Cutler, Mike Bobenko

THEMA EXTRA-TERRESTRES I SAGA CHARLES BAND

Charles Band, grand fan de science-fiction et d’effets spéciaux, est à l’origine de presque tous les scénarios des films qu’il produit. Pour Rayon Laser, il a eu une petite idée amusante, certes, mais un peu courte pour en tirer un film d’une heure et demie. Tout commence lorsque deux extra-terrestres reptiliens en poursuivent un troisième aux allures humanoïdes jusque sur la Terre, où ils le désintègrent. Ils repartent en oubliant le canon laser que portait leur ennemi. Un jeune homme, brimé et rejeté par les siens, découvre l’arme. Son acquisition le métamorphose en un monstre avide de meurtres et ivre de vengeance auprès de tous ceux qui l’ont humilié… Voilà pour le scénario de Rayon Laser, qui pourrait aisément tenir sur un timbre-poste. Comme en outre les comédiens sont de toute évidence des amateurs «dirigés» par un réalisateur qui l’est visiblement lui aussi, que la qualité de l’image est à peu près celle d’un film super 8, que le travail sur l’éclairage est inexistant et que les décors sont d’une banalité extrême, Rayon Laser ne serait qu’une curiosité anonyme tombée dans l’oubli si David Allen et Randy Cook, spécialistes de l’animation image par image et des effets visuels, ne l’avaient agrémenté de quelques séquences mémorables, lesquelles viennent régulièrement ponctuer le récit.

Ces passages mettent en scène les deux créatures extra-terrestres qui sont involontairement à l’origine du «drame». « Ce n’était pas un film passionnant c’est le moins qu’on puisse dire », nous avouait Randy Cook, « mais les créatures, sculptées par Jon Berg, étaient très réussies et avaient beaucoup de caractère. » (1) Celles-ci, affublées de longs cous et d’une queue atrophiée, ont des allures de tortues bipèdes sans carapace. Leurs yeux globuleux clignent comme ceux des oiseaux et leurs mains reptiliennes sont ornées de trois doigts griffus. « Charles Band aimait beaucoup l’animation et notamment les films de Ray Harryhausen », nous expliquait David Allen. « De toute évidence, des acteurs costumés auraient coûté moins cher que des figurines animées, mais cette solution aurait été moins originale et moins imaginative. » (2) Franchir le pas de la stop-motion pour Charles Band n’est pas simple, dans la mesure où le jeune producteur aime tourner ses films très vite. Or le procédé de l’animation est très lent. Mais l’enthousiasme de David Allen – qui deviendra l’un de ses collaborateurs de longue date -, l’énorme effort financier que ce dernier concède pour entrer dans le budget très modeste du film et le souvenir ému des films de Ray Harryhausen emportent le morceau.

Des tortues géantes en stop-motion

Les créatures extra-terrestres sont animées avec une certaine subtilité, communiquant entre elles en émettant des bruits étranges. Ce sont elle qui ont permis à Rayon Laser de passer à la postérité et de générer un certain culte. Après le prologue, les aliens interviennent régulièrement toutes les vingt minutes en simples spectateurs du haut de leur vaisseau spatial, histoire de tirer le public de sa torpeur, avant de survenir au bout d’un temps jugé suffisamment long par les scénaristes afin de donner au récit une fin abrupte, déchirante pour les protagonistes et quelque peu secourable pour le spectateur. Car celui-ci, entre les trop brefs plans d’animation, aura été obligé de subir des séquences un tantinet soporifique, parfois égayées par l’apparition de Roddy McDowall, échoué là pour une raison qu’on ignore. Pour l’anecdote, Charles Band entend parler de La Guerre des étoiles pendant le tournage de Rayon Laser et en découvre la bande-annonce grâce à un ami monteur. Epoustouflé par ces images, il décide de concocter un petit clin d’œil et imagine donc la fameuse scène dans laquelle Kim Milford pulvérise avec son bras-laser une grande affiche de Star Wars. Sympathique nanar, Rayon Laser peut s’apprécier comme un plaisir coupable. Il fut accompagné lors de sa sortie d’un magnifique poster maintes fois décliné lors de ses distributions successives en VHS puis en DVD.

 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en mai 1999

(2) Propos recueillis par votre humble narrateur en avril 1998

 

© Gilles Penso

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BATMAN V SUPERMAN (2016)

Zack Snyder prend la suite directe de Man of Steel pour conter l'affrontement titanesque entre le Chevalier Noir et l'Homme d'Acier

BATMAN V SUPERMAN

2016 – USA

Réalisé par Zack Snyder

Avec Henry Cavill, Ben Affleck, Gal Gadot, Jesse Eisenberg, Amy Adams, Jeremy Irons

THEMA SUPER-HEROS I EXTRA-TERRESTRES I SAGA DC COMICS I SUPERMAN I BATMAN

Le cas Snyder : véritable auteur visionnaire pour certains, abominable bourrin pour d’autres. Enfermé depuis 300 dans l’enfer des adaptations de comics et constamment conspué par l’impitoyable communauté geek, l’homme tente à nouveau d’imposer son style si particulier à l’univers DC après un Man of Steel en demi-teinte. Le cahier des charges est de taille : renouveler le personnage de Batman après tant d’incarnations différentes, étoffer son propre Superman, faire la nique au concurrent Marvel qui explose régulièrement le box-office, et annoncer les univers parallèles à venir. Pari relevé qui alterne ici les fulgurances et les déceptions. Dès l’introduction, Snyder est bel et bien là. On voit immédiatement que le « Dark Knight Returns » de Frank Miller est l’influence principale (quitte à le piller sans vergogne ni royalties), notamment sur l’inévitable séquence de la mort des parents de Bruce Wayne et de la découverte de la Batcave. Mais loin de se borner à décalquer bêtement les cases de la BD (cruel manque de point de vue du Rodriguez de Sin City), le réalisateur insuffle une ampleur tragique très puissante au trauma du futur justicier. 

L’excellente idée de refaire la séquence finale de Man of Steel du point de vue de Wayne réussit à la fois à justifier en un éclair le profond antagonisme en titre, à poser un regard distancié de spectateur sur les agissements de Superman et à instaurer un réalisme glaçant. Nous sommes loin de la glorification primaire et adolescente des Avengers. Outre ce traitement plus adulte et cette mise en scène solide et inventive qui le caractérise, Snyder se démarque encore plus de la concurrence dans l’épaisseur qu’il confère aux personnages, aidé il est vrai par un casting impliqué. Ben Affleck en premier s’impose avec classe, et une présence physique impressionnante : le Chevalier Noir de Miller, c’est bel et bien lui, large, dépressif et effrayant. Henry Cavill est toujours aussi touchant, rappelant souvent le fragile et inoubliable Christopher Reeve, et Amy Adams trouve enfin sa place en Loïs Lane. Dans les nouveaux venus, Jeremy Irons compose un Alfred idéal (très proche encore une fois du majordome cynique et hilarant de Miller), et Gal Gadot incarne Wonder Woman en véritable Walkyrie. Surprise, Kevin Costner fait même un coucou émouvant. Seul bémol niveau interprétation, Jesse Eisenberg qui rate complètement la cible Luthor, en totale roue libre et desservi par des dialogues over the top soulignés par les ridicules envolées emphatiques de Zimmer et Junkie XL (ce dernier pousse même le vice jusqu’à nous ressortir quasiment le thème de Fury Road sur une vision post-apo !). 

Moments d'anthologie et passages obligatoires

La première heure du film se tient donc très bien, cultivant une alternance équilibrée entre les deux super-héros et installant une atmosphère captivante. En deuxième partie, ça se gâte… Car Snyder semble se faire rattraper par les exécutifs de Warner et ce satané cahier des charges anti-artistique. Il faut absolument aiguiser l’intérêt des fans DC sur les autres films à venir, et annoncer l’arrivée des personnages de la Justice League, Aquaman, Flash et consorts. Cependant, là où un yes man lambda remplirait simplement la basse besogne, Snyder insère des mini-teasers sous la forme de vidéos dans le film. Pied de nez génial et cynique sur la génération youtube ? A chacun de le prendre comme il le désire. Les passages obligés ne s’arrêtent pas là, le face-à-face avec le gros Doomsday tire à la ligne dans des destructions massives rebattues chez Marvel, même si la mise en scène est comme toujours truffée de trouvailles jouissives. Le scénario se prend soudain lui aussi les pieds dans le tapis, mélangeant maladroitement des visions du futur et du passé, perdant le rythme dans son va-et-vient entre les protagonistes, coupant court quand il faudrait s’étendre et insistant sur une lourde symbolique christique déjà étayée dans Man of Steel. On prend donc peur, le summum étant atteint sur le bête moment du « prénom » qui unit les deux ennemis. L’idée de ce rapprochement Œdipien et Fordien pourrait toucher au cœur, mais on se croirait plus dans un ZAZ à cet instant. Dommage. Le réalisateur de Watchmen reprend heureusement le contrôle dans les moments intimes entre Loïs et Clark, et dans les séquences d’action impliquant Batman (là où Christopher Nolan échouait à cadrer correctement un coup de pied) : le travelling circulaire qui oppose la chauve-souris et des monstres dignes d’Harryhausen, la puissante et stylée Batmobile, la violence du clash avec Superman, et surtout le démentiel et brutal sauvetage de Martha Kent (qui s’accompagne d’un humour bienvenu très old school)… Autant de moments d’anthologie réjouissants. On attend donc avec impatience un Director’s Cut (ce qui manquait cruellement à Man of steel) pour rétablir la balance, donner du corps à un ensemble parfois brouillon, et démontrer à ceux qui en doutent encore que Zack Snyder fait du bien dans le maelström Hollywoodien.

© Julien Cassarino

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LE RETOUR DE L’HOMME INVISIBLE (1940)

Sept ans après le chef d'œuvre de James Whale, un nouvel homme invisible fait son apparition, incarné cette fois par Vincent Price

THE INVISIBLE MAN RETURNS

1940 – USA

Réalisé par Joe May

Avec Vincent Price, John Sutton, Sir Cedric Hardwicke, Nan Grey, Cecil Kellaway, Alan Napier, Forrester Harvey

THEMA HOMMES INVISIBLES I SAGA UNIVERSAL MONSTERS

C’est à Curt Siodmak, scénariste jamais à court d’idées en matière de science-fiction, que nous devons l’écriture de cette séquelle du chef d’œuvre de James Whale. Jack Griffin étant bel et bien mort à la fin de L’Homme Invisible sept ans plus tôt, il n’était guère envisageable de le ressusciter à la manière de Dracula ou du Monstre de Frankenstein. C’est donc son frère Frank qui prend ici le relais, poursuivant les recherches de feu Jack. Interprété par John Sutton, ce scientifique bien intentionné applique son sérum à Geoffrey Radcliffe, un homme accusé d’un meurtre dont il est innocent. L’invisibilité lui permet d’échapper à la pendaison in extremis. Désormais en cavale, il doit retrouver et confondre le véritable coupable, au nez et à la barbe de Sampson (Cecil Kellaway), un inspecteur opiniâtre de Scotland Yard qui cherche à lui mettre la main dessus pour lui faire reprendre illico le chemin du gibet. Le tout à l’aide des effets spéciaux toujours aussi étonnants de John P. Fulton, qui permettent aux bandelettes de révéler un visage transparent, aux verres de se vider seuls ou aux cordes de s’animer pour ligoter les individus gênants (grâce à l’animation image par image).

Si les séquences de déshabillage, pour remarquables qu’elles demeurent, ont perdu leur caractère inédit, et si certains effets souffrent d’indéniables maladresses (les lignes de cache qui tremblotent, les fils qui soutiennent un pistolet), le film offre à ses spectateurs de nouvelles idées visuelles surprenantes, notamment lorsque Griffin tente de rendre sa visibilité à un de ses cobayes. D’abord transparent, l’animal apparaît progressivement sous la forme d’un squelette, puis dans son intégralité, avant de périr suite à un mauvais dosage des ingrédients du sérum. Ainsi, tandis que l’homme invisible mène l’enquête, le savant s’efforce de trouver un remède miracle qui permet non seulement de redevenir visible mais aussi d’éviter les accès de folie inhérents à l’invisibilité. A ce double « time lock » se greffe une intrigue amoureuse, dans la mesure où Helen (Nan Gray), la jolie fiancée de Geoffrey, est courtisée par le businessman Richard Cobb (Cedric Hardwicke).

Moments forts et visions surréalistes

Vincent Price en personne, alors tout débutant, a l’honneur de remplacer Claude Rains dans le rôle de ce second homme invisible qui bascule de l’euphorie vers la démence, au cours d’une scène de dîner mémorable où le comédien fait déjà montre de son immense talent, avec comme seuls supports sa voix et sa gestuelle. Sans jamais atteindre  le génie du premier Homme Invisible, cette séquelle regorge cependant de moments forts, comme l’affrontement final au milieu des chariots d’une mine, la vision surréaliste d’un épouvantail dépouillé de ses habits par notre protagoniste frileux, ou l’ultime apparition du visage de Vincent Price, annonciatrice de L’Homme sans ombre, où un lacis de veine surgit du néant, se recouvrant peu à peu d’os, de tissus musculaires et enfin de chair. Le succès du Retour de l’Homme Invisible sera suffisamment conséquent pour qu’Universal poursuive la franchise, abandonnant peu à peu tous les aspects dramatiques du concept d’H.G. Wells pour en conserver principalement le potentiel distrayant et récréatif.

 

© Gilles Penso

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THE WITCH (2015)

Pour son premier long-métrage, Robert Eggers nous offre un récit d'épouvante qui s'inscrit dans un cadre historique extrêmement réaliste

THE WITCH

2015 – USA

Réalisé par Robert Eggers

Avec Anya Taylor-Joy, Ralph Ineson, Kate Dickie, Harvey Scrimshaw, Ellie Grainger, Lucas Dawson, Bathsheba Garnett

THEMA SORCELLERIE ET MAGIE

Ancien directeur artistique pour le cinéma et le théâtre, metteur en scène de plusieurs pièces, auteur d’une poignée de courts-métrages audacieux, Robert Eggers a décidé d’aborder son premier film sous un angle surprenant, le définissant lui-même comme « un cauchemar puritain ». Dans la Nouvelle-Angleterre du dix-septième siècle, William et Katherine, un couple dévot à la pratique religieuse stricte, décident de s’établir à la limite de la civilisation, menant une vie austère et pieuse avec leurs cinq enfants en cultivant leur petit lopin de terre au milieu d’une forêt sauvage et isolée. Soudain, leur nouveau-né disparaît dans les bois, prélude à un cauchemar qui s’immisce sournoisement au sein de la cellule familiale pour la détruire de l’intérieur… La première chose qui frappe, dans The Witch, est la rigueur de sa reconstitution historique. Ce degré d’authenticité et de vérisme est le fruit de quatre ans de recherches intensives, au cours desquelles le cinéaste étudia les livres de prière, les courriers et les documents religieux, les méthodes agricoles, les vêtements et les outils fermiers du 17ème siècle. 

Poussant la minutie à l’extrême, Eggers demanda à son compositeur Mark Korven d’utiliser des instruments d’époque pour la musique du film, et à son directeur de la photographie Jarin Blaschke de privilégier les lumières naturelles. Un tel degré de perfectionnisme permet à The Witch de bénéficier d’un remarquable réalisme. Du coup, lorsque le surnaturel y fait irruption, son impact s’en retrouve décuplé. Le point de rupture entre le réel et le fantastique crée un malaise intense dans la mesure où le spectateur y croit immédiatement et sans entrave. L’enfant possédé, la sorcière dans les bois, le bouc noir devenu vecteur du démon échappent ainsi aux lieux communs pour s’inscrire dans un contexte où la suspension d’incrédulité fonctionne à plein régime. La terreur que provoque The Witch n’a rien à voir avec les codes habituels du cinéma d’horreur. 

Le point de rupture entre le réel et le fantastique

Le gore n’est pas de mise, pas plus que les déflagrations sonores à répétitions conçues pour faire sursauter le public à un rythme métronomique ou les effets spéciaux spectaculaires visualisant à grande échelle les phénomènes paranormaux. Ici, tout est insidieux, pernicieux et insaisissable. Ce sont donc nos peurs primales que convoque Robert Eggers, avec un talent qui laisse présager de futures œuvres fort prometteuses. Extrêmement élégant dans sa mise en image (certains plans ressemblent à des tableaux de Rembrandt), pointilleux dans sa direction d’acteurs (avec une mention spéciale pour Ralph Ineson, dont le monolithisme apparent masque de nombreuses failles), le cinéaste se laisse bien plus influencer par des œuvres picturales, musicales et littéraires que par d’autres films, même si l’ombre de Kubrick et d’Ingmar Bergman plane parfois sur The Witch. Au fil de ce récit tourmenté, Robert Eggers nous offre surtout une vision très critique de la bigoterie religieuse, vécue ici comme une maladie qui gangrène et détruit peu à peu une famille dont les principes moraux s’étiolent et se désagrègent. Quelques visions cauchemardesques scandent régulièrement le métrage, jusqu’à un final à la fois beau, triste et effrayant, concluant avec panache ce qu’il faut sans doute considérer comme l’un des meilleurs films d’épouvante de ces dernières années.

 

© Gilles Penso

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