LA CHEVAUCHÉE DES MORTS-VIVANTS (1975)

Dans ce quatrième et dernier chapitre de la saga des Templiers zombies, les habitants d’un petit village de pêcheurs partagent un lourd secret…

LA NOCHE DE LAS GAVIOTAS

 

1975 – ESPAGNE

 

Réalisé par Amando de Ossorio

 

Avec Victor Petit, Maria Kosti, Jose Antonio Calvo, Luis Ciges, Susana Estrada, Julie James, Sandra Mozarowsky

 

THEMA ZOMBIES I SAGA LES TEMPLIERS MORTS-VIVANTS

Quatrième épisode de la saga des zombies templiers d’Amando de Ossorio, La Chevauchée des Morts-Vivants marque un saut qualitatif par rapport à l’opus précédent, dont il constitue une suite presque directe, puisqu’à la fin du Monde des Morts-Vivants les Templiers aveugles s’installaient sur une côte. Le récit s’amorce avec un flash-back situé au XIIème siècle. Un couple égaré en pleine nuit y est attaqué par les chevaliers Templiers. L’homme est tué à coup d’épée sans autre forme de procès. Quant à la femme – gironde comme il se doit – elle est enlevée pour les besoins d’un sacrifice. On la dénude, on l’éventre, on lui arrache le cœur qu’on dépose dans la bouche d’une idole de pierre, puis les Templiers se repaissent de son sang, ses restes démembrés servant de pâture aux crabes. Voilà donc une belle entrée en matière !

La suite se déroule de nos jours, dans un petit village de pêcheurs où Henry Stein (Victor Petit) débarque avec sa femme Joan (Maria Kosty) pour prendre ses fonctions de médecin de campagne. L’accueil des villageois s’avère particulièrement glacial. Sans se démonter pour autant, le couple s’installe dans la maison de l’ancien médecin du village (Javier de Rivera), qui tente de les persuader de ne pas rester et prend lui-même la poudre d’escampette. Le premier soir de leur arrivée, à minuit, des cloches sonnent sinistrement. Curieux, Henry et Joan sortent de chez eux et assistent à une procession le long de la plage. Une jeune fille tout de blanc vêtue y est emmenée par les femmes du village, habillées en noir des pieds à la tête. Bientôt, les morts-vivants surgissent le long de la plage, à cheval sur leurs montures, et se dirigent au ralenti vers la sacrifiée, comme dans un cauchemar.

Le cri des âmes sacrifiées

Dans ce beau décor triste de village de pécheurs filmé dans le port antique d’Empuries, l’ambiance évoque celle de la célèbre nouvelle « Le Cauchemar d’Innsmouth » de H.P. Lovecraft. Les villageois cultivant un terrible secret enfoui depuis des siècles semblent en effet surgis des pages du créateur de Cthulhu. Ici, contrairement à La Révolte des Morts-Vivants, le mauvais présage n’est pas apporté par des corbeaux mais pas des mouettes qui, étrangement, crient la nuit (d’où le titre original, « La Nuit des Mouettes »). C’est Teddy, l’idiot du village terrifié toutes les nuits par le son des cloches, qui expliquera tout à nos héros : « Les morts sortent de la mer. Ils enlèvent les filles. Une par nuit, pendant sept nuits. Les filles mortes sont ces mouettes qui pleurent. Elles sont les âmes des filles qui ont été sacrifiées. » Cette idée, d’une grande poésie, s’assortit de la vision des cavaliers templiers chevauchant au ralenti dans l’eau et annonçant avec vingt-cinq ans d’avance l’une des visions marquantes du Seigneur des Anneaux de Peter Jackson. Quelques séquences d’épouvante efficaces ponctuent le métrage, comme ce visage ensanglanté qui apparaît lentement à la fenêtre, en pleine nuit, pendant que Joan est seule chez elle. Le final s’articule autour d’un huis clos stressant, d’abord dans la maison du couple vedette, puis dans l’église du village qui nous ramène au prologue du film. La menace y est enfin éradiquée de manière définitive, ce quatrième épisode clôturant définitivement une saga hors du commun.

 

© Gilles Penso

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LE MONDE DES MORTS-VIVANTS (1974)

La troisième aventure des Templiers zombies d’Amando Ossorio se déroule dans un sinistre galion d’un autre âge…

EL BUQUE MALDITO

 

1974 – ESPAGNE

 

Réalisé par Amando de Ossorio

 

Avec Barbara Rey, Maria Perschy, Jack Taylor, Carlos Lemos, Manuel de Blas, Blanca Estrada

 

THEMA ZOMBIES I SAGA LES TEMPLIERS MORTS-VIVANTS

Suite de La Révolte des Morts-Vivants et du Retour des Morts-Vivants, ce Monde des Morts-Vivants nous présente deux jolis mannequins, Kathy et Lorena (Blanca Estrada et Margarita Merino), envoyés en mer à bord d’un canot pour une opération publicitaire organisée par le magnat de l’industrie nautique Howard Tucker (Jack Taylor). Le principe consiste à faire croire que les deux jeunes filles sont vraiment perdues en pleine mer du Nord mais qu’elles seront finalement sauvées grâce à l’endurance de leur embarcation. Mais Kathy et Lorena sont soudain enveloppées de brume et envahies par une chaleur presque tropicale. Au milieu de ce nuage inexplicable surgit soudain un galion espagnol qui semble dater du XVIème siècle. En les heurtant, le navire d’un autre âge crée une voie d’eau dans leur frêle canot et les oblige à monter à bord. Or à l’intérieur du galion, des cercueils s’ouvrent soudain, révélant des morts-vivants squelettiques et encapuchonnés, tandis que la bande originale se pare de chœurs masculins ténébreux. Alors que les zombies se lèvent lentement en grinçant, Kathy est pétrifiée de terreur. Étant donnée l’extrême lenteur de leurs déplacements, on comprend mal pourquoi la jeune femme ne prend pas la fuite au lieu de rester plantée face aux monstres en hurlant. Mais c’est l’une des nombreuses incohérences qu’il faudra accepter pour pouvoir entrer dans ce récit qui s’apparente finalement plus à un cauchemar qu’à une aventure réaliste.

La liste des victimes des Templiers d’outre-tombe s’apprête à s’allonger lorsqu’une petite équipe de secours part à la recherche des disparues. Noemi (Barbara Rey), colocataire d’un des deux mannequins, est la prochaine victime des morts-vivants. Les Templiers la décapitent, la coupent en morceaux et se repaissent de ses membres coupés et ensanglantés, révélant une nature anthropophage que nous ne leur connaissions pas. Monté à bord, un scientifique développe alors une théorie intéressante. Selon lui, le galion fantôme ouvre une porte vers une autre dimension d’où surgissent les zombies médiévaux. Leur seul recours consisterait donc à profiter du sommeil des créatures, qui regagnent régulièrement leurs cercueils comme des vampires, pour les jeter par-dessus bord…

La Danse Macabre

Point commun de tous les épisodes de la saga des Templiers zombies, la photographie et les décors du Monde des Morts-Vivants sont de toute beauté, notamment les inquiétantes coursives du vaisseau fantôme. Par ailleurs, un soin tout particulier est apporté à la bande son du film. La musique inquiétante d’Anton Garcia Abril se mêle aux bruits du vent, aux grincements du galion et à des osselets s’entrechoquant qui – réminiscence de « La Danse Macabre » de Camille Saint-Saens – évoquent les squelettes vivants prêts à fondre sur leurs victimes. Pour le reste, l’histoire s’avère assez répétitive et le climax, en forme d’incendie d’une toute petite maquette de bateau censée figurer le fier galion, n’a pas beaucoup d’emphase. Mais la vision finale des morts-vivants qui surgissent de l’eau puis arpentent sinistrement la plage s’avère particulièrement forte, et achève en beauté ce troisième épisode.

 

© Gilles Penso

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LE RETOUR DES MORTS-VIVANTS (1973)

Le deuxième volet des aventures des Templiers zombies espagnols…

EL ATAQUE DE LOS MUERTOS SIN OJOS

 

1973 – ESPAGNE

 

Réalisé par Amando de Ossorio

 

Avec Tony Kendall, Esperanza Roy, Fernando Sancho, Francisco Brana, Luis Barboo

 

THEMA ZOMBIES I SAGA LES TEMPLIERS MORTS-VIVANTS

Deux ans après La Révolte des Morts-Vivants, Amando de Osorio récidive avec Le Retour des Morts-Vivants dont le titre original, El Ataque de los Muertos sin Ojos, signifie « L’Attaque des morts sans yeux ». Le film commence par replacer ses monstrueux protagonistes dans leur contexte historique, situant son prologue en plein XVème siècle dans le petit village de Buzano. Outrés par les agissements de plusieurs membres de l’ordre des Templiers s’étant livrés à de nombreux sacrifices humains, les villageois les capturent, leur brûlent les yeux et les livrent aux flammes d’un bûcher qu’ils espèrent purificateur. Mais au milieu du brasier qui les consume, les immolés jurent de revenir se venger. Or cinq-cents ans plus tard, cet événement est célébré à Buzano. Feux d’artifices, figurines mises au bûcher et festivités variées animent les rues du petit village dans une ambiance joyeuse. Quelques romances s’installent, notamment entre l’assistante du maire et l’organisateur de la fête. Mais loin des regards, au beau milieu des ruines du village, les Templiers jadis brûlés sortent de terre.

Force est de constater que leur présence physique est toujours aussi impressionnante, leurs visages et leurs mains squelettiques apparaissant furtivement sous de grosses bures sombres. Et comme toujours, leurs chevauchées sont filmées au ralenti, preuve que ces êtres n’obéissent pas aux mêmes lois physiques que les vivants. Pour eux, le temps est une notion différente, quasiment abstraite. Leur première victime est Murdo, un simple d’esprit au visage simiesque. Puis nos Templiers s’en prennent à un couple illégitime. Sous leurs assauts, l’homme trépasse, mais la jeune femme parvient à sauter sur l’un de leurs chevaux et prend la fuite. Alors, par un de ces caprices surréalistes dont seul le cinéma fantastique a le secret, la cavalière et sa monture se déplacent au ralenti, comme si le temps n’avait plus prise sur la mortelle. La nature d’outre-tombe du cheval qui la transporte se révèle d’ailleurs lorsqu’elle découvre sa tête pour apercevoir avec effroi un crâne sans chair.

L’attaque des morts sans yeux

Un peu moins photogénique que son prédécesseur, pas autant porté sur l’érotisme et la violence, Le Retour des Morts-Vivants se prive aussi d’une des idées maîtresses du genre : la contamination suite à la morsure des zombies. On peut aussi regretter que le personnage féminin principal, censé faire chavirer les cœurs, ne déborde pas franchement de grâce. Ce second opus se rattrape tout de même par l’entremise de quelques séquences d’action inédites et étonnantes, comme le combat qui oppose les Templiers et les villageois s’armant de fourches, ou la Méhari fonçant à vive allure, prise en chasse par les morts-vivants à cheval. Lorsque les survivants du massacre trouvent refuge dans une église, la dernière partie du film prend la tournure d’un huis clos oppressant qui occasionne d’intéressantes scènes de tension et de suspense. Car en telle situation, le vernis craque et les véritables personnalités affleurent. Le maire du village se révèle être le plus pleutre de tous, prêt à sacrifier une petite fille pour avoir la vie sauve ! Il ne l’emportera évidemment pas au paradis.

 

© Gilles Penso

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LA RÉVOLTE DES MORTS-VIVANTS (1972)

Des templiers du treizième siècle reviennent hanter l’Espagne contemporaine sous forme de zombies encapuchonnés

LA NOCHE DEL TERROR CIEGO

 

1972 – ESPAGNE

 

Réalisé par Amando de Ossorio

 

Avec Lone Fleming, Cesar Burner, Maria Elena Arpon, Joseph Thelman, Rufino Ingles, Veronica Llimera, Simon Arriaga

 

THEMA ZOMBIES I SAGA LES TEMPLIERS MORTS-VIVANTS

Trois ans après la révolutionnaire Nuit des Morts-Vivants de George A. Romero, l’Espagnol Amando de Ossorio décide de proposer une variante originale sur le thème du zombie, en éloignant tout aspect science-fictionnel pour s’inscrire dans un folklore ancestral et un mythe médiéval. Ses morts-vivants sont des Templiers du treizième siècle qui furent exécutés et aveuglés avec des corbeaux (d’où le titre original, que l’on pourrait traduire par « La Nuit de la Terreur Aveugle »). Ce cruel châtiment leur fut infligé après la découverte de leurs impardonnables forfaits, autrement dit l’assassinat de nombreuses femmes au cours de rituels sanglants censés leur conférer la vie éternelle. Or sept siècles plus tard, la belle Virginia White (Elena Arpon), suite à une scène de jalousie avec son ex-amante Betty Turner (Lone Fleming) et l’ami de celle-ci Roger Wholen (Cesar Bruner), saute d’un train en marche et s’installe pour la nuit dans un monastère abandonné, au beau milieu du village maudit de Berzano. Il n’en faut pas plus pour réveiller les Templiers, qui sortent illico de leur tombe…

Exit donc les cadavres ambulants au teint blafard et aux tenues contemporaines plus ou moins délavées. Ici, les morts-vivants sont des squelettes encapuchonnés dans des bures élimées qui chevauchent au ralenti de noires montures. Cela dit, si le look de ces zombies est plutôt novateur, leur mode de fonctionnement ne diffère guère de ceux de Romero : ils déambulent pesamment et en silence, agressent les humains et les contaminent en les mordant sauvagement. Le film d’Ossorio bénéficie d’une indéniable photogénie, et se pare de séquences macabrement poétiques du plus bel effet. Ainsi, les deux grandes scènes de résurrection dans le cimetière nocturne et enfumé sont-elles mémorables, tout comme l’agression de l’employé de la morgue par une belle victime devenue zombie à son tour, ou encore l’intrusion de la même morte-vivante dans une fabrique de mannequins nimbée de la lueur surréaliste et intermittente d’un grand néon publicitaire.

Horreur et photogénie

Cette Révolte des Morts-Vivants prône d’ailleurs avant tout son esthétisme, aux dépens d’un scénario basique, d’une logique évasive, de dialogues souvent ineptes, d’un rythme pas toujours soutenu et de personnages translucides qui mènent mollement l’enquête et se livrent à des chassés croisés amoureux guère palpitants. Les diverses comédiennes qui émaillent le film semblent d’ailleurs avoir été sélectionnées moins pour leurs talents d’actrices que pour leurs charmes et leur impudeur, la plupart d’entre elles ayant plus d’une fois l’occasion de se retrouver les seins ou les fesses à l’air, sans parler d’une petite séquence saphique d’une ostensible gratuité. Car Ossorio se plait à mêler horreur et érotisme, comme dans ce flash-back médiéval où les Templiers, en plein sacrifice, lardent de coups d’épées la poitrine dénudée d’une malheureuse jouvencelle. Ayant créé la surprise et généré un certain succès, La Révolte des Morts-Vivants donnera suite à trois autres épisodes brassant les mêmes thématiques et développant du même coup une mini saga parallèle à celle de Romero.

 

© Gilles Penso

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THE HUMAN CENTIPEDE 3 (2016)

Ce troisième épisode auto-parodique marque une rupture de ton radicale avec les deux précédents

THE HUMAN CENTIPEDE 3 (FINAL SEQUENCE)

 

2016 – HOLLANDE

 

Réalisé par Tom Six

 

Avec Dieter Laser, Laurence R. Harvey, Eric Roberts, Clayton Rohner, Hamzah Saman, Peter Blankenstein, Tommy Tiny Lister Jr, Robert LaSardo, Carlos Ramirez

 

THEMA MÉDECINE EN FOLIE I SAGA THE HUMAN CENTIPEDE

Provocateur en diable, Tom Six avait repoussé les limites de ce que pouvait décemment montrer un écran de cinéma avec The Human Centipede 2. Aussi, lorsqu’il déclara que le troisième épisode ferait ressembler le second à un film Disney, on s’attendait légitimement au pire. Mais ce n’était qu’un effet d’annonce. Avec ses allures de production hollywoodienne, son format cinémascope, ses images filtrées façon Michael Bay, sa musique ample, The Human Centipede 3 s’avère bien plus inoffensif que ses deux prédécesseurs, dont l’impact résidait justement dans l’austérité de leur mise en forme. Conscient qu’il ne peut pas aller plus loin que le second opus dans le registre du sordide et du malsain, Six joue pleinement la carte de l’autocitation à laquelle il rajoute une épaisse couche d’autodérision. Le film commence donc par les dernières images de The Human Centipede 2, que regardent les acteurs principaux des deux films précédents, sollicités ici pour jouer des rôles radicalement différents. Dieter Laser, qui fut le très inquiétant docteur Josef Heiter du premier film, joue ici un directeur de prison caricatural, ordurier et libidineux, dont le faciès grimaçant est surplombé d’un indéboulonnable chapeau de cowboy. De son côté, Laurence R. Harvey, le très perturbant psychopathe du second film, incarne son comptable rondouillard et renfrogné. Poussés à forcer le trait et à évacuer toute demi-mesure, les comédiens ne cherchent jamais à nous faire croire à leurs personnages, comme si ce troisième film n’était qu’une vaste blague.

C’est dans le cadre d’une prison américaine que Tom Six installe l’intrigue de The Human Centipede 3. Les détenus qui y sont enfermés font partie des plus dangereux du pays, au grand dam du Gouverneur Hughes, incarné par Eric Roberts. A la tête de cet établissement peu recommandable, le directeur Bill Boss (Dieter Laser en totale roue libre) passe ses journées à hurler, à boire, à insulter son entourage et, de temps à autres, à vider le chargeur de son arme sur ceux qui croisent sa route. Le reste du temps, il martyrise sa secrétaire (l’actrice porno Bree Olsen) ou abuse d’elle en toute impunité. Malgré sa poigne de fer, il a bien du mal à endiguer la violence qui règne dans sa prison, à freiner les émeutes qui guettent derrière les barreaux et à réduire les dépenses médicales. Son comptable Dwight (Laurence R. Harvey) pense avoir trouvé la solution idéale en s’inspirant des films The Human Centipede et The Human Centipede 2. Sceptique au début, Boss finit par se laisser séduire par cette idée délirante qui consisterait à concevoir le mille-pattes humain le plus grand de tous les temps en cousant les corps de cinq-cents détenus les uns aux autres…

Sans queue ni tête

Le film contient son lot attendu de gore malsain (des gros plans d’os brisés, d’actes chirurgicaux et de castration) et de sexualité déviante (un viol particulièrement sanglant, une femme dans le coma dont on abuse), mais ces passages extrêmes sont immédiatement désamorcés par l’outrance du jeu des comédiens et par une tonalité générale proche du burlesque. Or s’il n’a pas son pareil pour concevoir les idées les plus dérangeantes et pour créer des climats morbides, Tom Six n’est visiblement pas dans son élément lorsqu’il s’agit de franche comédie. Persuadé que les hurlements hystériques et les vulgarités à répétition suffisent à provoquer le rire, il laisse l’excellent Dieter Laser se ridiculiser dans chaque scène, sous la défroque de ce cowboy alcoolique qui ne cesse de hurler en gesticulant. Plus gênant, le cinéaste pousse l’autosatisfaction jusqu’à se mettre en scène lui-même dans son propre rôle, sollicité par les protagonistes pour les conseiller et pour offrir quelques anecdotes sur le tournage de ses films précédents. Dans l’une des séquences de ce troisième opus, les deux premiers Human Centipede sont d’ailleurs projetés aux prisonniers, lesquels réagissent vertement en lâchant des répliques qui reprennent mot à mot les critiques virulentes que Six avait pu lire dans la presse à son encontre. La « saga » du mille-pattes humains s’achève donc sur cet opus superflu qui s’empêtre maladroitement dans ses propres excès.

 

© Gilles Penso

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THE HUMAN CENTIPEDE 2 (2011)

Tom Six cherche à tout prix le scandale en concevant une séquelle malsaine qui brave tous les interdits

THE HUMAN CENTIPEDE 2 (FULL SEQUENCE)

 

2011 – HOLLANDE / GB

 

Réalisé par Tom Six

 

Avec Lawrence R. Harvey, Ashlynn Yennie, Maddi Black, Dominic Borrelli, Dan Burman, Kandace Caine, Daniel Jude Gennis, Georgia Goodrick

 

THEMA MÉDECINE EN FOLIE I SAGA THE HUMAN CENTIPEDE

Pendant la promotion de son sulfureux The Human Centipede, Tom Six s’entendit poser une question étrange : « avez-vous pensé à ce qui se passerait si quelqu’un s’inspirait de ce que vous montrez dans votre film ? » L’idée fit son chemin et poussa le réalisateur à envisager une séquelle sous l’angle de la mise en abyme. Ainsi, si The Human Centipede 2 commence par les derniers plans du film précédent, nous laissant croire pendant quelques secondes que nous avons affaire à une suite « classique », ce n’est qu’un leurre. Car les images du film sont diffusées sur l’écran d’un ordinateur, et tandis que défile le générique de fin, un regard vitreux semble incapable de se détacher du texte qui défile. Ces yeux blêmes appartiennent à Martin (Lawrence R. Harvey), un quadragénaire simple d’esprit, court sur pattes, en surpoids, qui vit seul avec sa mère et dont le père est en prison pour avoir abusé de lui pendant son enfance… Voilà qui fait beaucoup pour un seul homme, nous en conviendrons ! Complexé et brimé, Martin travaille comme gardien de nuit dans un parking et voue une obsession maladive au film The Human Centipede qu’il regarde en boucle. Son rêve secret est de reproduire l’expérience médicale du fictif docteur Josef Heiter en allant beaucoup plus loin. Il souhaite ainsi concevoir un mille-pattes humain constitué de douze cobayes.

Le problème majeur de The Human Centipede 2 est probablement sa trop forte conscience du phénomène culturel dans lequel il s’inscrit. Si le premier film était une expérience dont Tom Six ne mesurait pas encore la portée, la donne a changé depuis. Le principe même de l’autocitation (les extraits de The Human Centipede, son poster, ses photos, la présence de l’actrice Ashlynn Yennie dans son propre rôle) frôle la fanfaronnade. Cette lecture au second degré émaillée d’humour référentiel (Martin fait croire aux acteurs du premier film qu’ils vont jouer dans le prochain Tarantino pour pouvoir les kidnapper) entre bizarrement en conflit avec l’approche clinique, glauque et austère pour laquelle opte le réalisateur, laquelle semble aussi procéder d’un savant calcul, loin de la spontanéité un peu inconsciente du film précédent. Six choisit donc une photographie noir et blanc quasi documentaire qui évoque les premiers films de David Lynch, une bande son oppressante saturée de gémissements et un acteur principal aux allures de freak qu’il nous détaille dans toute son étrange anatomie. Mais surtout, il décide de ne plus rien suggérer et de tout montrer, même l’immontrable…

Un film qui va trop loin ?

Alors qu’il avait choisi dans The Human Centipede d’évoquer les pires horreurs en laissant l’imagination du spectateur faire tout le travail, Six cède ici aux facilités du « torture porn » en accumulant ad nauseam le gore médical, la nudité, la scatophilie et les pratiques sexuelles les plus déviantes. Débarrassé de tous les garde-fous, il se livre ainsi à une escalade dans l’atroce que ne tempère aucun second niveau de lecture. Même les excès de Pasolini dans Salo ou les 120 jours de Sodome camouflaient derrière leurs abjections à répétition un discours assumé contre le fascisme et l’objectivication des opprimés, discours dont les plus motivés pouvaient encore trouver quelques échos dans le premier Human Centipede. Mais ici, Tom Six a visiblement pour seule ambition une orgie de mauvais goût qui cherche sans cesse à se surpasser elle-même, bravant les interdits comme un garnement désobéirait effrontément à l’autorité (quitte à montrer le gros plan d’une masturbation au papier de verre ou un sexe masculin qu’on enroule dans du fil barbelé !). Autant de complaisance ne pouvait laisser Dame Censure indifférente. The Human Centipede 2 fut donc banni en Angleterre, censuré dans certains pays, remonté dans d’autres, ce qui ne fit bien sûr qu’accroître sa réputation de film malsain et dangereux, à la grande joie de Tom Six déjà à l’œuvre sur un troisième épisode.

 

© Gilles Penso

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THE HUMAN CENTIPEDE (2009)

Un ancien chirurgien à la retraite kidnappe trois cobayes qu’il veut coudre l’un à l’autre pour créer un mille-pattes humains !

THE HUMAN CENTIPEDE (FIRST SEQUENCE)

 

2009 – HOLLANDE

 

Réalisé par Tom Six

 

Avec Dieter Laser, Ashley C. Williams, Ashlynn Yennie, Akihiro Kitamura, Andreas Leupold, Peter Blankenstein, Bernd Kostrau

 

THEMA MÉDECINE EN FOLIE I SAGA THE HUMAN CENTIPEDE

« Un pédophile mériterait d’avoir la bouche cousue à l’anus d’un chauffeur routier obèse et flatulent. » C’est cette idée saugrenue, née d’une blague d’un goût douteux, qui trotte un jour dans la tête du réalisateur Tom Six et lui met le pied à l’étrier pour l’écriture et la réalisation de The Human Centipede. Plusieurs films alimentent son imagination pendant les phases d’élaboration du scénario, notamment Salo ou les 120 jours de Sodome de Pasolini, les œuvres perturbantes de Takashi Miike, les premiers longs-métrages de David Cronenberg et même certains films de David Lynch. À cette source d’inspiration cinéphilique vient se greffer une horreur bien réelle, celle des camps de la mort des nazis. Ce patchwork d’influences disparates donne naissance à un scénario étrange et malsain dont Tom Six ne révèle pas la teneur exacte lorsqu’il se met en quête d’investisseurs, précisant simplement qu’il s’agira d’un film d’horreur à portée internationale concernant un savant fou qui veut coudre entre eux plusieurs cobayes humains. En revanche, au moment du casting, le cinéaste se montre plus explicite, affichant devant les comédiennes postulantes un dessin montrant précisément le mille-pattes humain qu’il a en tête. Plusieurs actrices offusquées prennent aussitôt la poudre d’escampette. Les deux heureuses élues, Ashley C. Williams et Ashlynn Yennie, seront finalement dénichées à New York, tandis que leur partenaire masculin Akihiro Kitamura passera une audition depuis Los Angeles via Skype. Quant au médecin dément, il est incarné par l’acteur allemand Dieter Laser que Tom Six avait en tête dès le début des préparatifs du film.

Trompeur, le prologue de The Human Centipede accumule volontairement les lieux communs du slasher traditionnel pour mieux prendre ses spectateurs par surprise. Deux jolies touristes américaines qui voyagent en Europe tombent en panne dans les bois au milieu de la nuit. En quête de refuge, elles trouvent une villa isolée et y passent la nuit. Lorsqu’elles se réveillent le lendemain, c’est pour découvrir qu’elles sont piégées dans le sous-sol de la villa transformé en hôpital de fortune, en compagnie d’un autre prisonnier nommé Katsuro. Leur geôlier est Josef Heiter, un chirurgien allemand à la retraite spécialisé dans la séparation de jumeaux siamois (et dont le nom et le comportement s’inspirent de toute évidence de véritables médecins nazis ayant perpétré d’innommables expériences pendant la guerre). Le projet d’Heiter est autant délirant que terrifiant. Il compte assembler le corps de ses trois « patients » pour créer une créature unique, en reliant leurs organismes par le système gastrique. Il sera ainsi le premier homme à avoir créé un mille-pattes humain ! Et tandis que les captifs à qui il décrit de manière très détaillée la future opération sont pétrifiés d’horreur, Heiter aiguise ses bistouris, tout heureux de pouvoir concrétiser un vieux fantasme…

Le charme discret de l’intestin

Le film repose donc sur un concept atroce et le « spectacle » serait absolument insoutenable si Tom Six nous montrait ouvertement ce dont il parle. Mais The Human Centipede préfère la suggestion à la démonstration, ne basculant jamais dans la démonstration gore ou sanglante. De fait, c’est surtout dans l’esprit des spectateurs que se développe l’abomination, bien plus qu’à l’écran. La situation finit même par sombrer dans le ridicule, un ridicule désespéré et en partie assumé par un métrage qui ne manque pas d’humour noir. Impressionnant, Dieter Laser est assurément la révélation du film, au cœur de quelques séquences de suspense assez éprouvante en fin de métrage. Le manque de moyens du film est manifeste. Six tourne avec les moyens du bord, dans des décors réels hollandais (alors que l’intrigue se déroule en Allemagne), s’équipant de matériel loué dans un hôpital local, dirigeant ses trois comédiens « cobayes » dans des conditions physiques difficiles (ils passent le plus clair du tournage à quatre pattes). Mais ce minimalisme joue en faveur de l’atmosphère austère et glaciale que construit le cinéaste. En toute logique, The Human Centipede a provoqué quelques réactions épidermiques auprès d’un grand nombre de spectateurs et de critiques. Vendu comme un film « 100% correct d’un point de vue médical », cet exercice de style volontairement choquant donnera naissance à deux séquelles.

 

© Gilles Penso

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CHILD’S PLAY: LA POUPÉE DU MAL (2019)

Deux ans à peine après Le Retour de Chucky, la poupée maléfique a droit à son reboot sous forme d’une relecture modernisée de Jeu d’enfant

CHILD’S PLAY

 

2019 – USA / CANADA

 

Réalisé par Lars Klevberg

 

Avec Aubrey Plaza, Gabriel Bateman, Brian Tyree Henry, Tim Matheson, David Lewis, Trent Redekop et la voix de Mark Hamill

 

THEMA JOUETS ROBOTS ET INTELLIGENCE ARTIFICIELLE I SAGA CHUCKY

Initiée en 1988 avec l’excellent Jeu d’enfant de Tom Holland, la saga Chucky égrène ses épisodes avec irrégularité mais constance, la qualité ayant certes baissé depuis la reprise en main de la franchise par son scénariste initial Don Mancini, ce qui n’empêche pas une large communauté de fans d’aduler la maléfique poupée rousse et ses exactions sanglantes. Or, coupant l’herbe sous le pied de Mancini, qui réalisa lui-même les trois derniers Chucky sous l’égide du studio Universal, la compagnie concurrente MGM fait valoir sa détention des droits des premiers films de la saga pour lancer son propre remake de Jeu d’enfant, en faisant table rase du passé. Du coup, aucun des membres habituels de la franchise n’est convoqué. Le scénario est confié à Tyler Burton Smith (les jeux video Sleeping Dog et Quantum Break), la réalisation à Lars Klevberg (le film d’horreur Polaroïd) et la production est assurée par le duo gagnant des deux volets de Ça, David Katzenberg et Seth Grahame-Smith. Si la mention « Inspiré par le scénario de Don Mancini, John Lafia et Tom Holland » apparaît à l’écran, c’est en minuscule, noyée au milieu des ultimes crédits du générique de fin. Le nouveau Child’s Play débarque donc avec une volonté manifeste de séduire un nouveau public et de se mettre au goût du jour technologique. Pari réussi ?

Dès les premières secondes du film, la perplexité nous saisit : pourquoi avoir modifié le look initial de Chucky au point de le transformer en horrible pantin de plastique aux traits grossiers ? Le principe même de Jeu d’enfant consistait à muer un jouet mignon en assassin diabolique. Mais si la poupée est hideuse dès sa mise en rayon dans les magasins, quel enfant normalement constitué en voudrait dans sa chambre ? L’auteur de ce design discutable, l’artiste Einar Martinsen, a visiblement cherché à s’éloigner au maximum de la morphologie que nous connaissons déjà, afin d’éviter d’éventuels problèmes juridiques avec Universal. Était-ce une raison pour doter Chucky d’un faciès aussi disgracieux ? Côté scénario, nous apprenons que cette nouvelle ligne de jouets commercialisée par l’entreprise Kaslan est dotée d’une intelligence artificielle lui permettant de se connecter à tous les systèmes domotiques installés dans les foyers. Pourquoi pas ? C’est dans l’air du temps. Du coup, la nature maléfique de Chucky s’appuie sur cette relecture high-tech. Oublié le tueur psychopathe adepte du vaudou qui transfère son âme dans le petit corps en plastique. Désormais, c’est un employé des usines Kaslan qui décide de se venger de son employeur tyrannique en trafiquant l’intelligence artificielle d’une des poupées avant de se suicider. Difficile de trouver un prétexte scénaristique plus faible et plus improbable. A partir de là, la routine se met en branle. Employée dans un grand magasin, Karen Barclay (Aubrey Plaza) offre à son fils Andy (Gabriel Bateman) la fameuse poupée altérée, prélude à un massacre en bonne et due forme…

L’influence des années 80

Ne sachant visiblement pas trop par quel bout prendre ce remake/reboot, le scénariste Tyler Burton Smith multiplie les sources d’influence contradictoires, convoquant E.T. pour décrire l’amitié première d’Andy et Chucky (avec le gimmick du doigt lumineux aux pouvoirs télékinétiques), se laissant influencer par le diptyque Ça (et sans doute aussi Stranger Things) le temps de mettre en scène une petite bande d’enfants disparates luttant contre la créature maléfique, clignant même de l’œil vers Massacre à la tronçonneuse 2 dont les extraits diffusés sur un téléviseur semblent déclencher la folie meurtrière de Chucky. Ce cocktail d’inspirations eighties pousse même les producteurs à solliciter Mark Hamill pour incarner la voix du petit monstre (avec en prime une allusion à Star Wars, « Han Solo » étant le premier nom qu’Andy souhaite donner à sa poupée). Il y a bien quelques scènes distrayantes dans ce Child’s Play (la tondeuse, la scie circulaire, la tête dans le paquet cadeau), mais l’ensemble est poussif et tombe à plat. Aucun personnage n’est vraiment crédible (le beau-père idiot, le flic sympa, le gardien d’immeuble bizarre, les enfants du voisinage), chacun agissant souvent en dépit du bon sens. Dépité par cette mise à sac du concept qu’il contribua à créer, Don Mancini décida de poursuivre la saga de son côté par l’entremise d’une série TV sobrement baptisée Chucky et marquant le retour des incontournables Brad Dourif et Jennifer Tilly.

 

© Gilles Penso

 

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DUNE (1984)

Une adaptation étrange du classique de Frank Herbert par un David Lynch visiblement pas dans son élément

DUNE

 

1984 – USA

 

Réalisé par David Lynch

 

Avec Francesca Annis, Kyle MacLachlan, Sting, Silvana Mangano, Jürgen Prochnow, José Ferrer, Linda Hunt, Freddie Jones

 

THEMA SPACE OPERA I SAGA DAVID LYNCH

Rétrospectivement, on peut penser que confier un blockbuster de science-fiction ultra ambitieux comme Dune à David Lynch, l’un des cinéastes les plus atypiques de tous les temps, était une idée incongrue. Mais en 1980, le succès critique et public d’Elephant Man place le futur créateur de Twin Peaks dans les radars hollywoodiens, au point d’ailleurs que George Lucas envisage de lui faire réaliser Le Retour du Jedi ! Dino de Laurentiis lui propose donc l’adaptation de ce monument de la science-fiction écrit par Frank Herbert, publié en 1965, lu par des millions de lecteurs, plusieurs fois primé et traduit dans 12 langues. Si le puissant producteur avait vu le premier long-métrage de Lynch, l’hermétique et malsain Eraserhead, sans doute se serait-il rapidement ravisé ! Le cinéaste trouve dans les pages du roman beaucoup d’éléments susceptibles d’entrer en résonnance avec son imagination, mais il sait aussi qu’en acceptant la proposition de De Laurentiis, il va devoir faire face au plus gros budget de sa carrière. « L’idée dicte tout », nous raconte-t-il. « Dune était un film qui impliquait une grosse équipe, un nombre énorme de gens, beaucoup de départements. Mais le concept du film réclamait naturellement de tels moyens. Si les idées qui surgissent de vous réclament une telle taille de production pour pouvoir être concrétisées, alors il faut le faire. » (1)

Adoubé par Frank Herbert, qui lui conseille de revisiter le texte original à sa guise, David Lynch tente de rédiger en vain un premier jet du scénario avec Chris de Vore et Eric Bergen, qui avaient déjà collaboré avec lui sur Elephant Man, puis réécrit sans cesse le script jusqu’à une version de 135 pages qui est enfin validée par la production. Le casting réunit plusieurs visages familiers, comme Patrick Stewart (Star Trek, X-Men), Brad Dourif (Jeu d’enfant), Jurgen Prochnow (Le Bateau), Sean Young (Blade Runner), Max Von Sydow (L’Exorciste) et même le chanteur Sting qui, malgré un rôle assez court, apparaît à l’époque dans la quasi-totalité du matériel de promotion du film, affublé d’un slip métallique du plus curieux effet. Car De Laurentiis aime à l’époque intégrer des rock stars dans ses productions de science-fiction, comme le groupe Queen qui avait largement contribué à la popularité de Flash Gordon. C’est d’ailleurs un autre groupe pop, Toto, qui est chargé d’écrire la musique de Dune. Assez curieusement, c’est en revanche un parfait inconnu qui hérite du rôle principal de Paul Atréides, l’acteur Kyle MacLachlan, alors âgé de 25 ans, que David Lynch retrouvera dans Blue Velvet et Twin Peaks. Avec ses huit plateaux de tournage érigés au Mexique, ses 17 décors immenses, ses quatre équipes de tournage à l’œuvre simultanément, ses six mois de production intensifs auxquels succèdent six mois de création d’effets spéciaux, Dune est un mastodonte dont les proportions sont de toute évidence trop titanesques pour David Lynch. Perdu au milieu d’un trop-plein de personnages qu’il ne peut que survoler au lieu de les approfondir, il peine aussi à diriger les grandes séquences de batailles. Malgré les moyens déployés – figuration massive, décors amples, pyrotechnie, cascades – il ne parvient pas à doter ces pugilats désertiques du souffle épique qu’ils méritent. Nous sommes bien loin du lyrisme grandiose d’un Lawrence d’Arabie. Car malgré la presque homonymie de leurs patronymes, David Lynch n’est définitivement pas David Lean.

Des compromis incompatibles

Bien plus que les séquences d’action, c’est la poésie affleurant dans les pages de Frank Herbert que Lynch veut s’approprier, tournant d’innombrables séquences étranges, abstraites et surréalistes. Alors qu’un premier montage de plus de quatre heures est projeté à l’équipe du film en cours de post-production, De Laurentiis tranche pour une durée maximale de 2h17. A l’issue d’une vaste opération de remontage drastique, le résultat s’avère fatalement décousu. Des séquences entières sont supprimées pour se résumer parfois à un seul plan ou une seule réplique, des voix off envahissantes s’immiscent partout dans la bande son pour tenter d’expliquer aux spectateurs ce qui se passe à l’écran. Le style et l’univers de Lynch transparaissent encore dans une poignée de moments surréalistes ayant miraculeusement survécu au montage, comme les interventions du pustuleux baron Harkonen qui semble agresser sexuellement un jeune esclave ensanglanté, ce navigateur extraterrestre qui s’envole dans le néant (un passage qu’on croirait échappé d’Eraserhead), ces nains qui pratiquent d’étranges manipulations sur une vache suspendue par les pattes, ce fœtus qui flotte dans les ténèbres… Dune est donc un film bancal, fruit de compromis souvent incompatibles, dont l’accueil au moment de la sortie fut plutôt glacial, annulant illico le projet des deux séquelles que Lynch s’était engagé à réaliser. Mais depuis, l’œuvre est devenue culte, justement parce que ses exubérances l’ont transformé en objet unique et insolite. Lynch, lui, oubliera ses frustrations en enchaînant dans la foulée l’un de ses films les plus personnels et les plus appréciés du public, produit par un Dino de Laurentiis décidément peu rancunier : Blue Velvet.

 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en février 2007

 

© Gilles Penso

 

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UNE SIRÈNE À PARIS (2020)

L’artiste Mathias Malzieu réinvente « La Petite Sirène » d’Andersen dans le cadre atemporel d’un Paris de carte postale

UNE SIRÈNE À PARIS

 

2020 – FRANCE

 

Réalisé par Mathias Malzieu

 

Avec Nicolas Duvauchelle, Marilyn Lima, Tchéky Karyo, Rossy de Palma, Alexis Michalik, Romane Bohringer, Lola Bessis, Lou Gala, Nicolas Ullmann

 

THEMA CONTES

Musicien, chanteur, écrivain, cinéaste, Mathias Malzieu est un artiste complet dont l’univers très personnel semble pouvoir se décliner sans heurt d’un média à l’autre. Connu des mélomanes en tant que leader du groupe Dinoysos, il fit ses premiers pas dans la mise en scène en coréalisant en 2013 avec Stéphane Berla le film d’animation Jack et la mécanique du cœur d’après l’un de ses romans. Cinq ans plus tard, il se livre au même exercice avec un autre de ses écrits, « Une sirène à Paris », en laissant une fois de plus la musique prendre une part importante dans la narration. Deux différences majeures sont cependant à noter par rapport au film précédent : cette fois-ci Malzieu est seul derrière la caméra, et les images animées ont cédé le pas aux prises de vues réelles et donc aux acteurs en chair et en os. Notre homme n’abandonne pas tout à fait l’animation pour autant, mêlant les techniques pour mieux servir sa vision poétique du monde, comme en témoigne un générique enjoué dans lequel s’enchaînent les images de synthèse visualisant le déploiement d’un livre « pop-up », la stop-motion old-school qui offre une vision très stylisée du protagoniste qu’incarnera Nicolas Duvauchelle et les images « live » du même personnage arpentant sur ses rollers les trottoirs de Paris.

L’acteur qui fut repéré en 1999 dans Le Petit voleur, et qui nous a plutôt habitués jusqu’alors à des rôles de durs et de mauvais garçons, incarne ici Gaspard, chanteur dans une péniche-cabaret que tient son père Camille (Tchéky Karyo), le « Flower Burger ». Dans ce lieu qui semble s’être arrêté dans les années 40, et où les habitués se font appeler les « surpriseurs », Gaspard chante ses déceptions amoureuses avec une voix de crooner. Le film profite ainsi des talents vocaux de Duvauchelle qui, entre deux films, s’amuse à pousser la chansonnette dans des groupes aussi disparates que Cry Havoc, Les Skalopes, Candy Rainbow ou Hangman’s Chair. Or un soir, alors qu’il bat le pavé sur les quais, Gaspard tombe nez à nez avec Lula (Marilyn Lima), une sirène échouée et blessée qu’il ramène chez lui et soigne dans sa salle de bains. Lula est la dernière de son espèce, et son chant est fatal pour tous les hommes qui ont le malheur de l’entendre. Submergés par un trop plein d’émotions, ils succombent en quelques minutes, en proie à une euphorie excessive qui fait littéralement exploser leur cœur. Mais si Gaspard n’est pas insensible aux charmes de la jeune femme-poisson, il semble immunisé contre cet envoûtement musical. Son cœur a tant été brisé dans le passé qu’il ne reste plus aucune place pour y loger le moindre sentiment amoureux. Or notre chanteur s’attache de plus en plus à la belle qui, sentant le danger venir, lui demande instamment de la ramener dans la Seine…

French Splash

Bien sûr, le concept même du film ne manque pas d’évoquer « La Petite Sirène » d’Andersen et ses nombreuses adaptations et relectures (avec en tête le long-métrage animé des studios Disney et le Splash de Ron Howard). Mais l’univers de Mathias Malzieu est suffisamment singulier pour échapper à ces influences, même si d’autres cinéastes nous viennent naturellement à l’esprit au fil du métrage, notamment Michel Gondry (avec qui il partage un goût certain pour les effets spéciaux bricolés à la main), Jean-Pierre Jeunet (pour cette vision romantico-désuette d’un Paris de carte postale) ou même Tim Burton (le temps d’un court film achrome en stop-motion qui raconte les mésaventures d’une sirène à deux têtes).  Frais, léger, sans prétention, Une Sirène à Paris nécessite un certain abandon de la part des spectateurs pour accepter ce trop-plein de naïveté et de bons sentiments. Les élans poétiques du cinéaste aident certes à faire passer la pilule, mais il est honnêtement difficile de se laisser embarquer pleinement dans ce conte qui se construit au mépris de la logique la plus élémentaire (malgré la conviction de Duvauchelle dont les dialogues même les plus improbables sonnent juste en toute circonstance). On sent bien que le film existe moins par intérêt pour ses protagonistes que « pour la beauté du geste », pour reprendre les termes employés par le personnage qu’incarne Rossy de Palma. Il y a pourtant une idée fascinante dans ce récit, celle d’une « non-histoire d’amour ». Pour que le lien entre Gaspard et Lula ne soit pas brisé, il faut en effet que le premier ne tombe jamais amoureux de la seconde, au risque de ne pas en ressortir vivant. « Je suis tellement contente de ne vous faire aucun effet » dira la sirène au chanteur autour d’un dîner romantique. Mais cet enjeu reste flou, noyé dans les eaux colorées d’une féerie sans doute trop doucereuse pour convaincre totalement.

 

© Gilles Penso

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