SI LOIN, SI PROCHE (1993)

Wim Wenders donne une suite à son succès planétaire Les Ailes du désir et continue à mêler le destin des humains avec celui des anges…

IN WEITER FERNE, SO NAH !

 

1993 – ALLEMAGNE

 

Réalisé par Wim Wenders

 

Avec Otto Sander, Peter Falk, Horst Buchholz, Mikhail Gorbachev, Nastassja Kinski, Heinz Rühmann, Bruno Ganz, Solveig Dommartin, Rüdiger Vogler, Lou Reed

 

THEMA DIEU, LES ANGES, LA BIBLE

Après le succès critique des Ailes du désir, l’idée d’une suite se met naturellement à germer chez Wim Wenders, d’autant que le contexte historique offre un prétexte idéal. La chute du Mur de Berlin en 1989 bouleverse en effet la géographie de la ville. Le monde que contemplaient Daniel et Cassiel dans le premier film n’est plus le même. Fasciné par ce tournant, le cinéaste décide donc de retrouver ses anges pour explorer un Berlin réunifié, où l’espoir côtoie les désillusions. En écrivant Si loin, si proche ! avec Richard Reitinger et Ulrich Zieger, il prend soin de faire évoluer le point de vue. Cette fois, c’est Cassiel (Otto Sander) qui deviendra humain. Pour donner vie à son projet, Wenders fait à nouveau appel à son fidèle directeur photo Henri Alekan (malgré son âge avancé) pour retrouver l’atmosphère si particulière du premier film, ce subtil jeu de lumière et de textures entre noir et blanc et couleur. La bande originale est confiée à de nombreux artistes, dont Lou Reed, Nick Cave ou U2, reflétant l’ouverture internationale de Berlin après la chute du mur. Le casting rassemble plusieurs visages familiers : Otto Sander reprend son rôle de Cassiel, Bruno Ganz fait un retour discret sous les traits de Daniel, Solveig Dommartin joue à nouveau Marion, tandis que Peter Falk, devenu l’incontournable ange déchu, vient à nouveau illuminer l’ensemble. À leurs côtés, Willem Dafoe rejoint l’aventure dans un rôle énigmatique, celui d’une personnification du temps. Henri Alekan lui-même apparaît brièvement en capitaine, sur un navire baptisé « Alekhan ».

Le Mur de Berlin est donc tombé. Les anges, témoins de cette révolution, continuent d’errer parmi les hommes, invisibles et silencieux. Cassiel, toujours fidèle observateur, lit par-dessus l’épaule de Michail Gorbatchev, captant les pensées du dirigeant. Mais il sent croître en lui le désir d’expérimenter la vie humaine. Raphaela (Nastassja Kinski), son ange compagnon, perçoit que leur lien s’effrite. Lorsqu’une petite fille chute du balcon de son immeuble, Cassiel se précipite pour la sauver. Dans cet acte d’amour, il franchit la frontière : il devient humain sans l’avoir désiré. Désorienté, sans argent ni papiers, il passe sa première nuit terrestre en prison. Sous le nom de Karl Engel, il tente de s’adapter à cette vie nouvelle, découvrant la faim, la peur, la douleur… et les complications du monde moderne. Il retrouve son ancien compagnon Damiel, désormais heureux propriétaire d’une pizzeria, marié à Marion et père d’une petite fille, Doria. Mais la transformation de Cassiel, poussée par un excès de zèle incontrôlable, n’est pas sans danger…

Le zèle du désir

Quand on dispose d’un sujet aussi passionnant que celui des Ailes du désir et qu’on a déjà tout dit en un film, est-il nécessaire de lui donner une suite ? La réponse semble s’imposer d’elle-même, et la vision de Si loin, si proche ! ne fait que la confirmer. Car cette séquelle s’étire inutilement dans une rallonge bavarde et confuse. La fraîcheur et la force émotionnelle que Wenders avait réussi à capter, malgré les défauts du premier film, disparaissent ici presque totalement. Certes, la maîtrise technique est toujours au rendez-vous : les transitions entre le noir et blanc des anges et la couleur des mortels restent d’une grande élégance, et quelques scènes brillent par leur inventivité visuelle. Mais Wenders retombe dans ses travers, privilégiant à nouveau massivement le verbe. Dialogues, monologues, voix off, discours en plusieurs langues viennent alourdir un récit qui devient vite indigeste. En filigrane se dessine une intrigue très confuse liée à des enfants sauvés pendant la seconde guerre mondiale et à un trafic d’armes. Certaines bonnes idées surnagent pourtant, comme Peter Falk simulant la préparation d’un nouvel épisode de Columbo, ou les acrobates qui transportent les caisses d’armes dans des exercices de haute voltige au milieu d’un tunnel d’égout – une scène qui semble presque échappée de Batman le défi. Le casting reste irréprochable, même si le rôle joué par Willem Dafoe aurait mérité d’être mieux défini. Si loin, si proche ! est donc une œuvre symptomatique d’une certaine tendance du cinéma de Wenders : sous des dehors très denses, il accumule les discours au détriment de l’épure émotionnelle, perdant au passage l’essentiel de son impact. Trop long (2h30), trop verbeux, parfois confus, le film laisse le goût amer d’une belle idée étouffée sous le poids de ses propres prétentions.

 

© Gilles Penso

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THE MILLION EYES OF SUMURU (1967)

Une super-vilaine à la tête d’une armée de femmes fatales rêve d’un monde qui abolirait à tout jamais la domination masculine…

THE MILLION EYES OF SUMURU

 

1967 – GB

 

Réalisé par Lindsay Shonteff

 

Avec Shirley Eaton, Frankie Avalon, George Nader, Wilfrid Hyde-White, Klaus Kinski, Patti Chandler, Salli Sachse, Ursula Rank

 

THEMA SUPER-VILAINS

À l’heure où le cinéma d’espionnage se décline en mille pastiches de James Bond, The Million Eyes of Sumuru s’impose comme une curiosité singulière. Produit par Harry Alan Towers et tourné aux mythiques studios Shaw Brothers à Hong Kong, le film adapte librement les romans de Sax Rohmer, déjà père du Docteur Fu Manchu, pour livrer un récit d’espionnage baroque. Le générique s’ouvre sur une scène choc : lors des funérailles de l’homme le plus riche du monde en Chine, ses dix-sept fils tombent l’un après l’autre dans un attentat spectaculaire. « J’ai un million d’yeux… Je suis Sumuru ! » tonne une voix féminine. Le spectateur est aussitôt projeté dans un monde où les règles patriarcales sont subverties à coups d’explosifs. La scène suivante nous transporte dans un palais d’inspiration asiatique où une dizaine de jeunes femmes en minijupes observent, ravies, une scène étrange : l’une des leurs est en train d’étrangler un homme entre ses cuisses ! Il s’agit visiblement d’une distraction banale dans cet univers féminin dominateur. Ce simple tableau illustre toute l’ambivalence du film, à la fois critique et complice d’un regard masculin fétichisant.

Sumuru, maîtresse des lieux, interprétée par Shirley Eaton (la fameuse « fille en or » de Goldfinger), rêve d’un monde débarrassé des hommes, de leur brutalité et de leur soif de pouvoir. Dans cette utopie qu’elle veut harmonieuse, les femmes gouverneraient avec beauté, efficacité et rigueur. Pour ce faire, elle infiltre les plus hautes sphères politiques avec ses agents féminines, formées à séduire, manipuler et tuer. Mais dans cet univers fermé, l’amour est proscrit. L’une de ses recrues, coupable d’être tombée amoureuse, est ainsi rattrapée par ses camarades en bikini qui la coursent sur une plage et la noient en pleine mer. Les agents secrets Nick West (George Nader) et Tommy Carter (Frankie Avalon) sont alors dépêchés à Hong Kong pour enquêter sur la mort mystérieuse d’un secrétaire (l’homme que nous avons vu trépasser en début de film). Entre faux hôpitaux remplis d’infirmières armées et pièges en cascade, le duo traverse une galerie de stéréotypes où l’action le dispute à l’absurde. Sous ses allures pseudo-féministes, The Million Eyes of Sumuru flatte un certain machisme ouvertement misogyne. « La présence physique d’un mâle, je ne peux pas résister ! » dit ainsi l’une des femmes fatales en tombant dans les bras de Nick. Quand ce dernier la retrouve plus tard, morte dans le lit de sa chambre d’hôtel, ça ne lui coupe pas sa soif ni n’entame son sourire ravageur.

Machiste ou féministe ?

Le film aligne les scènes fétichistes caricaturales comme celle où Nick, torse nu, est enchaîné et fouetté par Sumuru, vêtue de cuir noir. Les décors, les costumes et la photographie saturée plongent le spectateur dans un univers irréel, et Klaus Kinski, dans le rôle d’un président un peu dérangé, ajoute une touche d’étrangeté supplémentaire au film. Malgré sa forme de série B assumée, The Million Eyes of Sumuru soulève, presque malgré lui, des interrogations sur le pouvoir et la manipulation. Il échoue certes à proposer un regard féministe authentique (le propos se noie dans une accumulation de clichés sexistes) mais conserve une valeur de témoignage sur les tensions culturelles de son époque. Car derrière la caricature se dessine une peur très masculine, celle de perdre le pouvoir face à des femmes puissantes qui prendraient les rênes du monde. L’assaut final sur l’île de Sumuru, mené par l’armée chinoise, signe le retour au statu quo : l’ordre masculin est rétabli dans le fracas des explosions, et l’utopie de la super-vilaine se consume avec fracas. Mais l’ultime plan, ambigu, laisse entendre que la menace pourrait revenir. Car Sumuru nous promet de revenir. Ce qu’elle fera effectivement dans Sumuru, la cité sans hommes.

 

© Gilles Penso

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JURASSIC WORLD : RENAISSANCE (2025)

Une expédition top-secrète cherche à prélever l’ADN de trois titans préhistoriques réfugiés sur une île sauvage pour en tirer un remède révolutionnaire…

JURASSIC WORLD: REBIRTH

 

2025 – USA

 

Réalisé par Gareth Edwards

 

Avec Scarlett Johansson, Mahershala Ali, Jonathan Bailey, Rupert Friend, Manuel Garcia-Rulfo, Luna Blaise, David Iacono, Audrina Miranda, Philippine Velge

 

THEMA DINOSAURES I SAGA JURASSIC PARK

On peut s’étonner de voir une star de la trempe de Scarlett Johansson tenir le haut de l’affiche de cet énième épisode d’une saga amorcée 32 ans plus tôt et déjà usée jusqu’à la corde. Mais l’ex-Black Widow est une fan inconditionnelle de Jurassic Park – elle avait neuf ans lorsque le premier film est sorti et ne s’en est visiblement pas remise ! Pas question pour elle de laisser passer une chance d’apparaître donc dans la franchise préhistorique. D’autant que le réalisateur à la tête de ce septième opus est le très talentueux Gareth Edwards (Monsters, Godzilla, Rogue One, The Creator). Après le désistement de David Leitch (Deadpool 2, Bullet Train), pressenti avant lui pour diriger le film, Edwards se jette lui aussi dans l’aventure avec un enthousiasme sans retenue. « J’étais sur le point de faire une pause et j’ai commencé à écrire ma prochaine idée de film », raconte-t-il, « mais j’ai tout lâché pour avoir la chance de faire un Jurassic Park. J’adore le premier film. Je pense que c’est un chef-d’œuvre cinématographique, alors cette opportunité était comme un rêve pour moi. » (1) Le retour du scénariste David Koepp, déjà à l’œuvre sur les deux premiers volets réalisés par Steven Spielberg, marque d’ailleurs une volonté manifeste de renouer avec l’esprit originel de la saga.

Le scénario de Jurassic World : Renaissance semble vouloir prendre à revers le concept du film précédent, qui laissait les animaux préhistoriques s’ébattre un peu partout sur la planète. Alors que la Terre suffoque sous les dérèglements climatiques, nous apprenons que les dinosaures disparaissent peu à peu, victimes d’une nouvelle hécatombe. Seuls quelques survivants subsistent dans les zones équatoriales, notamment sur l’île de Saint-Hubert, où l’ancien complexe d’InGen sert désormais de refuge aux derniers spécimens libérés. C’est là que la société pharmaceutique ParkerGenix envoie une expédition secrète. Leur objectif : récolter de l’ADN de trois créatures rares pour développer un traitement révolutionnaire contre les maladies cardiaques. À la tête de cette opération périlleuse se trouve le duo de mercenaires Zora Bennett (Scarlett Johansson) et Duncan Kincaid (Mahershala Ali), épaulé par le paléontologue Henry Loomis (Jonathan Bailey). Mais l’aventure prend un tournant inattendu lorsqu’un voilier de plaisance, transportant une famille, est attaqué par un mosasaure et doit se joindre au petit commando. Livrés à eux-mêmes dans une jungle hostile, nos protagonistes vont devoir redoubler d’inventivité pour ne pas finir au menu des dinosaures.

Le dîner des dinos

Tourné en 35 mm et au format Panavision sous les bons auspices du directeur de la photographie John Mathieson, qui cherche visiblement à retrouver la patine des films mis jadis en lumière par Dean Cundey et Douglas Slocombe, Jurassic World : Renaissance est une déclaration d’amour frontale au cinéma de Steven Spielberg. Gareth Edwards y rend non seulement hommage à Jurassic Park mais aussi aux Dents de la mer et à la saga Indiana Jones. Comme il le fit dans Godzilla, le cinéaste ménage habilement ses effets, laissant souvent apparaître les titans en creux – flous à l’arrière-plan, furtivement éclairés par une source de lumière, émergeant discrètement de l’ombre – pour mieux surprendre ses spectateurs et leur donner un coup d’avance sur les victimes potentielles des prédateurs. La mise en scène s’appuie souvent sur les différences d’échelle entre les dinosaures et les humains, comme dans la séquence du T-Rex endormi. Ce spécimen se révèle certes aussi maladroit et stupide que son cousin obèse qui apparaissait dans L’Homme des cavernes, mais il nous offre tout de même une jolie séquence de suspense aquatique. Alors qu’Alexandre Desplat se réapproprie intelligemment les thèmes musicaux de John Williams, Edwards y va de ses petits hommages discrets (le rétroviseur en début de métrage, la banderole « Quand les dinosaures dominaient le monde », un bus scolaire estampillé « Crichton Middle School ») en évitant de justesse les travers du fan service facile. Alors certes, Jurassic World : Renaissance n’est qu’une sympathique série B au budget hypertrophié, dont les maigres tentatives d’épaissir les enjeux et les personnages restent souvent superficielles – les états d’âme de nos mercenaires en bout de course, les vilaines manigances capitalistes du groupe pharmaceutique. Mais Gareth Edwards fait le job et semble y prendre beaucoup de plaisir. Plaisir en grande partie partagé, il faut bien l’avouer.

 

(1) Extrait d’une interview publiée dans Collider en février 2024

 

© Gilles Penso

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THUNDERBOLTS (2025)

Une équipe de mercenaires en bout de course décide d’unir ses forces pour contrer une menace surpuissante et incontrôlable…

THUNDERBOLTS

 

2025 – USA

 

Réalisé par Jake Schreier

 

Avec Florence Pugh, Sebastian Stan, Julia Louis-Deryfus, Lewis Pullman, David Harbour, Wyatt Russell, Hannah John-Kamen, Olga Kurylenko, Geraldine Viswanathan

 

THEMA SUPER-HÉROS I SAGA MARVEL COMICS I MARVEL CINEMATIC UNIVERSE

Ce film Marvel, personne ne l’attendait particulièrement. Des personnages de seconde zone à peine connus du grand public, une campagne marketing à peu près inexistante, une sortie presque honteuse entre deux blockbusters lancés avec perte et fracas (Captain America : Brave New World et Les Quatre Fantastiques : premiers pas)… Autant dire que le film réalisé par Jake Schreier (Robot & Frank) ne partait pas avec beaucoup d’atouts en poche. La surprise n’en est que plus grande. Certes, Thunderbolts n’a rien d’un chef d’œuvre. Mais son statut de « challenger » discret, ses protagonistes complexes et ses nombreuses audaces jouent beaucoup en sa faveur. De là à le positionner comme l’un des meilleurs films Marvel depuis longtemps, il n’y a qu’un pas. Le concept de Thunderbolts ne semble pourtant pas très éloigné de celui de Suicide Squad (ce qui aurait poussé James Gunn à refuser le film, à l’époque où il était encore dans les bonnes grâces de Marvel). Il s’agit en effet de réunir un groupe de marginaux infréquentables (super-vilains, super-héros ratés, tueurs à gage sur le retour) pour en faire une nouvelle équipe de justiciers : le pseudo Captain America John Walker campé par Wyatt Russell (apparu une première fois dans Falcon et le Soldat de l’Hiver), le Red Guardian et sa fille Yelena Belova (David Harbour et Florence Pugh, vus dans Black Widow), Bucky Barnes (toujours interprété par le charismatique Sebastian Stan) et Ava Starr alias Ghost (Hannah John-Kamen, que nous découvrions dans Ant-Man et la Guêpe). « On est des délinquants jetables » dit cette dernière pour résumer la situation.

Thunderbolts commence en Malaisie et positionne Yelena comme le personnage central de ce film choral. Après avoir détruit un laboratoire pour le compte de la directrice de la CIA Valentina Allegra de Fontaine (Julia Louis-Deryfus), la sœur de Black Widow est saisie d’états d’âme face au vide que représente sa vie personnelle. Alors que De Fontaine fait face à une destitution imminente, elle envoie séparément un groupe de mercenaires à sa solde dans une installation secrète pour qu’ils s’entretuent. Son objectif est non seulement d’éliminer les preuves gênantes qui pourraient l’accabler mais aussi toute trace de son implication dans le projet top secret « Sentry » à base d’expérimentations sur des cobayes humains. Au cours du combat qui s’ensuit, les mercenaires en question (Yelena, John Walker et Ava Starr) comprennent qu’ils ont été manipulés et s’associent pour sortir de ce piège. Mais un quatrième larron inattendu se joint à eux bien malgré lui. Il s’agit d’un jeune homme prénommé Bob (Lewis Pullman), tout juste libéré d’une capsule d’animation suspendue et complètement amnésique…

Opération tonnerre

Le nouveau surhomme que met en scène Thunderbolts pourrait tout à fait être un émule de Superman : insensible aux balles, capable de voler comme un missile, ultra-rapide, doté d’une force impensable… Mais c’est aussi un être fragile, instable, au bord du gouffre. Tout l’enjeu du film repose sur le fait qu’il est invincible, et que le combat que cherchent à mener nos anti-héros est donc perdu d’avance. L’idée de faire de ce « nouveau dieu » un outil de marketing au service d’un agenda politique (avec un look qui n’est pas sans évoquer celui de « l’homme nucléaire » de Superman 4 !) nous rapproche des thématiques développées dans The Boys, même si la violence extrême et la crudité sans tabous du show créé par Eric Kripke n’ont évidemment pas leur place chez Marvel. Il n’en demeure pas moins que Thunderbolts pousse le bouchon assez loin, jusqu’à un climax délirant digne d’un cauchemar de Stephen King qui aurait été filmé par Michel Gondry ! Car sous ses apparats de film de super-héros aux recettes éprouvées (avec la bonne dose d’action, d’humour, d’effets spéciaux et de clins d’œil pour les fans), Thunderbolts ose traiter frontalement un sujet inattendu en pareil contexte : la dépression, ses ravages, ses symptômes et la quête désespérée d’un moyen de la traiter en évitant au maximum les dommages collatéraux. Le néant que peuvent ressentir les victimes d’un état dépressif prend ici une forme sinistre et terrifiante, preuve que Thunderbolts joue clairement dans une autre catégorie que ses confrères plus populaires. Raison de plus pour le marquer d’une pierre blanche.

 

© Gilles Penso

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PLEINE LUNE (1996)

Mordu par un loup-garou pendant une expédition au Népal, un homme revient visiter sa sœur et son neveu, en luttant contre ses instincts bestiaux…

BAD MOON

 

1996 – USA / CANADA

 

Réalisé par Eric Red

 

Avec Mariel Hemingway, Michael Paré, Mason Gamble, Ken Pogue, Hrothgar Mathews, Johanna Marlowe Lebovitz, Gavin Buhr

 

THEMA LOUPS-GAROUS

Scénariste de Hitcher, Aux frontières de l’aube et Blue Steel, Eric Red fait ses premiers pas derrière la caméra en 1988 à l’occasion du polar Cohen & Tate. Après avoir enchaîné avec le film d’horreur Body Parts et le thriller Undertow, il se voit proposer l’adaptation du roman Thor de Wayne Smith, avant même sa publication. Contrairement à ce que son titre peut faire croire, le livre n’a rien à voir avec le dieu du tonnerre Viking mais se concentre sur les mésaventures d’une famille menacée par un loup-garou. La grande originalité du récit consiste à adopter le point de vue du chien des protagonistes, qui devient de fait le personnage principal. Emballé, Red accepte le challenge, à condition d’apporter un nombre important de modifications à l’histoire pour pouvoir la conformer à son style de mise en scène. De cinq personnes, la famille est ramenée à un nombre plus restreint de deux, une mère et son fils. Nous retrouvons donc en quelque sorte la dynamique de Cujo, si ce n’est que cette fois-ci le chien n’est pas une menace mais un protecteur. Le budget est restreint (six millions de dollars), mais Eric Red s’en contente, optimisant du mieux qu’il peut les quarante jours de tournage à sa disposition.

Désireux de faire commencer son film de manière percutante, Red décide de gorger son prologue de violence et de sexe, pour pouvoir plus tard se concentrer sur la psychologie de ses personnages. À peine a-t-on le temps de découvrir Ted Harrison (Michael Paré), photojournaliste en pleine expédition professionnelle au Népal, que celui-ci se réfugie dans sa tente avec sa compagne Marjorie (Johanna Marlowe Lebovitz) pour jouer au jeu de la bête à deux dos avec force gémissements et contorsions. Mais soudain, un lycanthrope surgit de nulle part, se jette sur la jeune femme et la déchiquète. En tentant de la sauver, Ted est mordu à l’épaule puis parvient à tuer le monstre d’un coup de fusil bien placé. Pleine lune démarre donc sur des chapeaux de roue, même si la censure exige quelques coupes pour éviter au film une interdiction aux moins de 17 ans. Cherchant à s’isoler après cette sanglante mésaventure, Ted s’installe dans une caravane au cœur de la forêt, puis finit par se joindre à sa sœur Janet (Mariel Hemingway) et à son neveu Brett (Mason Gamble). Mais Thor, le chien de la famille, sent bien que quelque chose cloche chez Ted…

Entre chien et loup

S’il ne combat pas dans la même catégorie que le légendaire diptyque Hurlements et Le Loup-garou de Londres, Pleine lune est une série B extrêmement distrayante, dont l’atout majeur est l’originalité de son traitement, inspiré directement par la plume de Wayne Smith. Car tout le scénario repose sur un antagonisme muet, fait de regards appuyés et de grognements. Lentement, la tension monte entre le chien et le loup-garou, sans que les personnages humains n’en aient immédiatement conscience. Le spectateur a donc un coup d’avance et se délecte des effets de suspense bâtis par la mise en scène habile de Red. Formellement, le film bénéficie d’une très belle bande originale de Daniel Licht (Dexter), dont certaines envolées amples tutoient les harmonies de Jerry Goldsmith et James Horner, mais aussi d’effets spéciaux extrêmement performants conçus par Steve Johnson (Vampire, vous avez dit vampire ?). Héritier des créations de Rick Baker et Rob Bottin, le lycanthrope est une bête très convaincante mêlant un costume complet à une tête animatronique. Dommage que les effets numériques et les morphings sollicités pour sa transformation finale soient aussi maladroits. Ce sera l’un des grands regrets du réalisateur. Le film s’appuie par ailleurs sur la performance intense de Michael Paré (la scène où il marque son territoire devant la niche de son ennemi canin est un morceau d’anthologie !). Distribué le lendemain d’Halloween, sans campagne publicitaire digne de ce nom, Pleine lune est un échec au moment de sa sortie. Mais depuis, il a acquis un statut bien mérité d’œuvre culte auprès des amateurs du genre.

 

© Gilles Penso

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VOLTAN LE BARBARE (1980)

Cette aventure délicieusement kitsch met en vedette un super-vilain campé par Jack Palance et annonce la future vogue de l’heroic-fantasy au cinéma…

HAWK THE SLAYER

1980 – GB

Réalisé par Terry Marcel

Avec John Terry, Jack Palance, Bernard Bresslaw, Ray Charleson, Peter O’Farrell, William Morgan Sheppard, Patricia Quinn, Cheryl Campbell, Catriona MacColl

THEMA HEROIC FANTASY

Réalisateur de deuxième équipe et assistant réalisateur pour Richard Fleischer (L’Étrangleur de Rillington Place, Terreur aveugle), Sam Pekinpah (Les Chiens de paille) ou Ridley Scott (Les Duellistes), Terry Marcel est un technicien solide qui, à force d’œuvrer à l’ombre de tels géants, ambitionne de diriger son propre film. Il démarre donc sa modeste carrière de metteur en scène avec les comédies Why Not Stay for Breakfast ? (avec George Chakiris) et There Goes the Bride (avec Martin Balsam), puis décide de changer de registre. En se découvrant des goûts communs avec le producteur Harry Robertson, Marcel élabore avec lui un récit d’heroic-fantasy sous la double influence des écrits de J.R.R. Tolkien et du succès récent de La Guerre des étoiles. Les deux hommes ont du flair, dans la mesure où le genre s’apprête à devenir extrêmement populaire grâce au futur succès de Conan le barbare. Hawk the Slayer fait donc un peu office de pionnier en la matière. D’ailleurs, les distributeurs français ne s’y trompent pas, puisqu’ils le rebaptisent Voltan le barbare pour sa sortie en vidéo (après une unique présentation en salles au cours du Festival du Film Fantastique de Paris), histoire de cligner de l’œil sans la moindre subtilité vers le classique de John Milius.

Nous sommes dans une sorte de moyen-âge fantaisiste. Ce bon vieux Jack Palance incarne Voltan, un seigneur maléfique au visage à moitié défiguré qui s’introduit dans le château familial et exige de son père la clé d’un ancien pouvoir magique : la « dernière pierre mentale elfique ». Devant le refus de ce dernier, Voltan l’assassine. Futur Felix Leiter de Tuer n’est pas jouer et lieutenant Lockhart de Full Metal Jacket, John Terry incarne Hawk, le frère de Voltan, qui arrive trop tard sur le lieu du crime. Avant de mourir, leur père transmet à Hawk une épée au pommeau en forme de main. En s’unissant à la pierre elfique, elle se transforme en arme redoutable capable d’obéir aux ordres mentaux de son porteur. Hawk jure alors de venger la mort de son père en tuant Voltan. Or celui-ci étend sa domination un peu partout, massacrant à tour de bras tous ceux qui lui résistent. En pénétrant dans un couvent, il kidnappe l’abbesse et exige contre sa libération une forte rançon en or. Hawk en profite pour préparer sa revanche, en s’adjoignant les services d’un guerrier manchot, d’un géant, d’un nain et d’un elfe…

Saturday Hawk Fever

La musique outrageusement disco composée par le producteur Harry Robertson (dont le mixage d’instruments symphoniques, pop et électroniques préfigure ce que feront Andrew Powell et Alan Parsons sur Ladyhawke), la photographie saturée et ouatée, les effets spéciaux joyeusement kitsch, les bruitages au synthétiseur et les décors noyés de fumigènes (parfois prolongés par de jolis matte paintings) accusent immédiatement l’époque du film, tout en le parant du même coup d’une patine savoureuse. Voltan le barbare est ouvertement un film du début des années 80, dont il collecte les effets de style les plus marqués. Les duels, eux, sont filmés comme dans un western spaghetti, tandis que le thème musical à la flûte qui accompagne pas à pas notre héros semble vouloir faire écho à la bande originale du Bon, la brute et le truand. Anachronique en diable, le film de Terry Marcel assume pleinement son caractère fantastique en mettant en scène un magicien maléfique encapuchonné qui vit dans un décor écarlate et lance des rayons laser avec un cristal ensorcelé, une sorcière qui prédit l’avenir et téléporte les gens, et même un étrange troll difforme qui rampe dans une forêt brumeuse (il s’agit en réalité d’une marionnette de bébé monstrueux « empruntée » au film Une fille pour le diable). Si John Terry est un héros relativement insipide, Jack Palance en fait des tonnes dans le rôle du grand méchant, Catrionna MacColl (Frayeurs, L’Au-delà) joue la fiancée diaphane de Hawk dans une série de flash-backs cotonneux et Patrick Magee (Orange mécanique) apparaît furtivement en chef d’une secte mystique. Pas follement palpitant mais raisonnablement distrayant, Hawk the Slayer n’attirera guère les foules. Sa fin très ouverte restera donc sans suite, malgré le Hawk the Destroyer que Terry Marcel prévoyait dans la foulée.

 

© Gilles Penso

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INSTINCT DE SURVIE (2016)

Partie taquiner les vagues d’une plage isolée mexicaine, une surfeuse rencontre un redoutable requin affamé…

THE SHALLOWS

 

2016 – USA

 

Réalisé par Jaume Collet-Serra

 

Avec Blake Lively, Oscar Jaenada, Angelo Josue Lozano Corzo, Joseph Salas, Brett Cullen, Sedona Legge, Pablo Calva, Diego Espejel, Janelle Bailey, Ava Dean

 

THEMA MONSTRES MARINS

Le script de The Shallows circule à Hollywood depuis 2014 mais tarde un peu à se concrétiser. Si la plume du scénariste Anthony Jawinski traduit sans mal la terreur liée à l’isolement d’une infortunée héroïne coincée sur un territoire sauvage devenu hostile, les différents studios qui étudient le projet sont circonspects quant à la capacité d’intéresser les spectateurs à un personnage unique dans un seul décor sans susciter l’ennui. C’est finalement Sony Pictures qui se lance en proposant le film à Jaume Collet-Serra. Réalisateur de deux films d’épouvante très remarqués (La Maison de cire et Esther) et de trois thrillers musclés avec Liam Neeson (Sans identité, Non-Stop et Night Run), il semble l’homme de la situation. C’est effectivement une bonne pioche : avec The Shallows, Collet-Serra réalise probablement son long-métrage le plus abouti. A l’efficacité imparable de sa mise en scène s’adjoint la pleine implication de Blake Lively, ultra-populaire depuis la série Gossip Girl et bien décidée à s’investir à fond dans ce survival – comme le fit avant elle son époux Ryan Reynolds dans Buried. Si le titre original The Shallows évoque les bas-fonds dans lesquels se déroule la grande majorité de l’intrigue, les distributeurs français optent pour Instinct de survie, désireux d’annoncer sans détour la pulsion tenace de préservation qui animera la protagoniste tout au long de ces 90 minutes éprouvantes.

Après la mort de sa mère des suites d’un cancer, Nancy Adams, brillante étudiante en médecine, décide de faire une pause dans sa vie texane pour une échappée solitaire sur une plage isolée du Mexique. Ce lieu n’a pas été choisi au hasard : c’est là que sa mère aimait venir surfer, notamment lorsqu’elle était enceinte d’elle. Comme un pèlerinage personnel, Nancy ressent le besoin de marcher dans ses pas, loin de la civilisation, des hôpitaux et des responsabilités. Alors qu’elle surfe avant le coucher du soleil, Nancy aperçoit au loin la carcasse en décomposition d’un jeune rorqual à bosse. Un mauvais présage. Très vite, l’eau se teinte de sang et la menace se précise : un grand requin blanc rôde dans les parages, invisible et implacable. Notre héroïne vient de pénétrer sans le savoir sur son terrain de chasse. Lorsqu’il attaque, Nancy n’a que le temps de se réfugier sur un minuscule rocher à quelques centaines de mètres du rivage. Piégée, blessée, seule au milieu de l’océan, elle va devoir mobiliser tout ce qu’il lui reste de ressources mentales, de connaissances médicales et de courage pour espérer survivre aux assauts du squale, alors que la marée monte inexorablement…

Seule au monde

Malgré son traitement réaliste, Instinct de survie met en scène un véritable monstre de cinéma, doté d’une force, d’une agressivité et d’une voracité hors du commun. Pour autant, Jaume Collet-Serra parvient miraculeusement à évacuer toute allusion aux Dents de la mer pour bâtir sa propre version de la terreur aquatique, s’appuyant sur de remarquables effets visuels qui nous font croire non seulement à la tangibilité de la bête mais aussi au naturalisme du décor extérieur – alors que la grande majorité du tournage s’effectue dans un bassin devant un fond vert. L’isolement, la douleur, le froid, la chaleur, la faim et bien sûr la peur de la dévoration sont les obstacles que va devoir affronter cette survivante soumise à rude épreuve. D’ailleurs, s’il fallait rapprocher Instinct de survie d’un film de Steven Spielberg, ce serait plutôt de Duel, avec lequel il partage de nombreux points communs, le moindre n’étant pas la figure d’un personnage central inlassablement traqué par un monstre qui le harcèle et veut sa peau, avec une insistance presque irrationnelle, et dont toutes les échappatoires s’envolent cruellement les unes après les autres, jusqu’à l’inévitable affrontement final où les vestiges d’humanité devront céder la place à une rage animale primaire et libératrice. Le requin n’est pas seulement une menace physique mais une métaphore, celle de la force implacable contre laquelle on lutte même lorsque tout semble perdu. À travers Nancy, c’est aussi le combat de sa mère contre la maladie qui se rejoue, cette volonté de ne rien lâcher. Sous ses atours de survival tendu et de creature feature, The Shallows cacherait-il une leçon de vie, celle de la résilience, de la combativité et du refus de céder face à la fatalité ?

 

© Gilles Penso

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KILLER EYE : HALLOWEEN HAUNT (2011)

Quatre amies, chargées de décorer une maison pour Halloween, découvrent le DVD d’un film d’horreur et décident de le visionner…

KILLER EYE : HALLOWEEN HAUNT

 

2011 – USA

 

Réalisé par Charles Band

 

Avec Erica Rhodes, Olivia Alexander, Chelsea Edmunson, Ariana Madix, Lauren Furs, Circus-Szalewski, Danielle Stewart

 

THEMA CINÉMA ET TÉLÉVISION I SAGA CHARLES BAND

Franchement, The Killer Eye avait-il besoin d’une suite ? Le nanar stratosphérique de David DeCoteau, mi-horrifique mi-science-fictionnel mi-érotique, avait gentiment disparu des mémoires depuis sa sortie discrète en 1999. Pourtant, douze ans plus tard, le producteur Charles Band ressent l’étrange besoin d’affubler ce film à l’intérêt très limité d’un second opus. Deux choses motivent sa décision : 1) l’envie de capitaliser sur ses anciennes productions pour bâtir une sorte de « Charles Band Universe » riche en crossovers, en spin-off et en séquelles ; 2) son attrait pour le relief et les effets 3D, qu’il expérimenta avec bonheur dans les années 80 et qu’il relança avec Evil Bong 3. Son idée ? Demander au scénariste Kent Roudebush de retravailler un premier script de Domonic Muir en y intégrant une foule de gags et de gimmicks conçus pour projeter un maximum de choses vers les spectateurs (y compris des seins nus, bien sûr). Sauf qu’entretemps, Evil Bong 3 dépasse largement son budget et n’attire pas vraiment les foules. Déçu, Band fait machine arrière et abandonne la 3D. Killer Eye : Halloween Haunt est donc tourné « à plat », sans pour autant que son scénario soit retouché. C’est dire le laxisme avec lequel s’enclenche cette micro-production de 500 000 dollars.

Killer Eye : Halloween Haunt raconte l’histoire de Jenna (Erica Rhodes), dont la mère arrondit ses fins de mois en transformant leur maison familiale en château hanté pour les fêtes d’Halloween. La jeune femme invite un soir ses amies Rocky, Catalina et Kiana (Olivia Alexander, Chelsea Edmunson et Ariana Madix) pour l’aider à décorer les lieux. Mais très vite, les travaux de design intérieur tournent court. L’équipe troque en effet les masques effrayants et les toiles d’araignées contre de l’alcool, de la musique et des danses en petite tenue. En fouillant dans de vieilles affaires, Rocky découvre une VHS poussiéreuse : The Killer Eye, un obscur nanar d’horreur, accompagnée d’une réplique en plastique de l’œil maléfique qui en tient la vedette. Intriguées, les filles lancent la projection, mais le film est si mauvais qu’elles abandonnent la séance en cours (comment leur en vouloir ?). Ce qu’elles ignorent, c’est qu’une étrange boule de cristal oubliée parmi les décorations réagit à la fois au film et à l’ambiance sulfureuse de la soirée. Elle insuffle soudainement la vie à la maquette de l’œil, qui s’électrise et s’anime. Doté des mêmes pouvoirs hypnotiques que son homologue cinématographique, le sinistre globe oculaire commence à manipuler les invitées une à une avant de les massacrer…

Œil pour œil

Le film a beau être court (67 minutes à peine, en comptant les génériques), les courageux spectateurs prêts à tenter l’aventure trouveront le temps terriblement long. A part quelques trémoussements en sous-vêtements et une poignée de répliques sans intérêt, il ne se passe à peu près rien pendant les quarante premières minutes, remplies de très – très ! – larges extraits de The Killer Eye. Charles Band en profite pour truffer le décor de produits dérivés issus de ses anciennes productions (le DVD du premier film, bien sûr, mais aussi des masques de Killjoy et du Gingerdead Man), tandis qu’un dialogue en forme de clin d’œil évoque le scénario d’Evil Bong. Band joue donc la carte « meta », comme il le fit dans Gingerdead Man 2, poussant par exemple les héroïnes à commenter The Killer Eye et à se moquer du film, comme le ferait n’importe qui. Les donzelles tournent ainsi en dérision le réalisateur David DeCoteau, son pseudonyme (Richard Chasen) et son penchant pour les jeunes acteurs mâles en sous-vêtements. C’est amusant quelques secondes, mais faute d’un scénario un minimum écrit, il n’y a rien à se mettre sous la dent. La routine des 25 dernières minutes (l’œil surgit, pousse les filles à faire un strip-tease puis les tue) n’a rien de particulièrement palpitant et l’apparition du générique de fin se révèle presque libératrice.

 

© Gilles Penso

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MUNCHIES (1987)

Produit par Roger Corman, ce plagiat cheap de Gremlins met en scène de petits extra-terrestres hargneux et destructeurs…

MUNCHIES

 

1987 – USA

 

Réalisé par Tina Hirsch

 

Avec Harvey Korman, Charlie Stratton, Nadine Van der Velde, Alix Elias, Charlie Philips, Hardy Rawls, Jon Strafford, Robert Picardo, Wendy Schaal, Scott Sherk

 

THEMA EXTRA-TERRESTRES PETITS MONSTRES

Depuis le début de sa carrière dans les années 50, Roger Corman recycle tout ce qui marche pour produire des séries B inspirées des hits cinématographiques du moment. C’est son credo, appliqué avec tant de constance que le serpent finit presque par se mordre la queue par moments. Ainsi, lorsqu’en 1978 Corman embauche Joe Dante pour réaliser en vitesse une imitation des Dents de la mer, il ne se doute pas que Piranhas sera un succès et que le jeune metteur en scène sera convoité par Steven Spielberg qui lui fera tourner Gremlins. Face au triomphe des petits monstres de Dante, Corman prépare aussitôt un plagiat du dernier né de son ancien poulain. Mais l’ami Joe n’est plus dans ses tarifs (il tourne désormais des longs-métrages prestigieux comme Explorers ou L’Aventure intérieure). Qu’à cela ne tienne : offrons le job à la monteuse de Gremlins, Tina Hirsch, qui rêve justement de passer derrière la caméra (et qui a déjà travaillé à plusieurs reprises pour Corman). Ainsi naît Munchies, dont le scénario filiforme est écrit par Lance Smith. Tourné en douze jours à Los Angeles, le film nécessite trois jours de prises de vues supplémentaires consacrés aux marionnettes conçues par Robert Short. À l’œuvre sur des films comme Star Trek, Rencontres du troisième type, 1941, Firefox, E.T. ou Splash, Short est un homme aux talents multiples. Mais le budget dérisoire mis à sa disposition ne lui laisse aucune véritable latitude créative.

Persuadé que le Machu Picchu était une tour de contrôle pour vaisseaux spatiaux extra-terrestres, l’archéologue fantasque Simon Watterman (Harvey Korman) organise des fouilles archéologiques au Pérou, dans lesquelles il entraîne contre son gré son fils Paul (Charles Stratton). Au fin fond d’une grotte, les deux hommes découvrent une petite créature cachée dans les ruines et décident de la ramener chez eux à Melvisland, une petite ville des États-Unis. Chargés de surveiller la bête, Paul et sa petite amie Cindy (Nadine Van der Velde) la baptisent Arnold. Mais Cecil Watterman (Harvey Korman aussi), le frère jumeau de Simon, politicien véreux et homme d’affaires malhonnête coiffé d’une perruque improbable, apprend l’existence de la créature et décide de la faire kidnapper par son imbécile de beau-fils (Jon Stafford). Arnold devient soudain agressif, et les catastrophes ne tardent alors pas à s’enchaîner dans la petite ville, bientôt en proie à la panique…

L'envers de Dante

La musique trépidante de Ernest V. Troost qui ouvre le film laisse imaginer une comédie alerte et décomplexée. Hélas, il ne nous faudra que quelques minutes pour comprendre que Munchies n’est qu’un nanar bâclé qui ne cherche jamais à s’éloigner du schéma dicté par Gremlins. Le scénario en reprend donc servilement le principe : la petite créature mignonne est confiée à un jeune homme par son père, se multiplie suite à une maladresse et donne naissance à une petite armée de monstres gloutons, turbulents et destructeurs. Corman et Hirsch assument certes leurs références, montrant un journal qui parle des Gremlins ou une plaque d’immatriculation « Oh Gizmo », tout en multipliant d’autres clins d’œil tous azimuts (les posters de Evil Dead, Pale Rider, Barbarian Queen, Sorceress, le doigt de l’enfant et de la créature qui reproduisent le célèbre visuel de E.T., une allusion à Piranhas), mais est-ce suffisant pour nous dérider ? Pas vraiment. Car les gags tombent à plat, le rythme est déficient, les acteurs complètement à l’ouest (même ce bon vieux Robert Picardo, acteur fétiche de Joe Dante, comme par hasard). Quant aux « Munchies », ce sont des marionnettes extrêmement rudimentaires, agitées sans conviction par des manipulateurs hors-champ qui font ce qu’ils peuvent pour tenter de nous faire croire que ces bouts de caoutchouc sont vivants. Le film restera sans suite, même si Corman réutilisera son titre pour Munchie et Munchie Strikes Back, deux autres « enfants illégitimes » de Gremlins signés cette fois-ci Jim Wynorski.

 

© Gilles Penso

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NOTRE HOMME FLINT (1966)

Dans cette parodie de James Bond, James Coburn affronte des super-vilains capables de contrôler le climat et les intempéries…

OUR MAN FLINT

 

1966 – USA

 

Réalisé par Daniel Mann

 

Avec James Coburn, Lee J. Cobb, Gila Golan, Edward Mulhare, benson Fong, Shelby Grant, Sigrid Valdis, Gianna Serra, Helen Funai, Michael St. Clair

 

THEMA ESPIONNAGE ET SCIENCE-FICTION

En 1965, lorsque Daniel Mann, futur réalisateur de Willard, se voit confier la mise en scène de Notre homme Flint, le projet s’inscrit dans une volonté délibérée de pasticher l’univers des films d’espionnage à succès, alors dominé par la figure de James Bond. L’objectif est ambitieux : créer un héros à contre-courant, à la fois chevronné et irrévérencieux. Le choix de l’acteur principal s’arrête sur James Coburn, déjà reconnu pour ses seconds rôles dans des productions prestigieuses telles que Les 7 mercenaires, La Grande évasion ou encore Charade. Notre homme Flint marque pour lui une étape cruciale, puisqu’il s’agit de son premier rôle en tête d’affiche dans un long métrage. « Coburn est sans aucun doute l’un des acteurs les plus intéressants du moment », déclare à l’époque le producteur Saul David. « Je le décrirais comme un croisement entre Humphrey Bogart et Jean Paul Belmondo – un vrai descendant de cette génération révolue d’acteurs de caractère qui sont devenus des têtes d’affiche par accident… Coburn a un effet fantastique sur les spectatrices. Je pense que c’est parce que les femmes recherchent davantage la masculinité et le charme que la beauté chez une star masculine » (1) Si l’intrigue du film nous fait visiter tour à tour Washington, Marseille, Rome et une île isolée au milieu de l’océan, le film est entièrement tourné en Californie, majoritairement en studio.

Avalanches, éruptions volcaniques, raz de marée, explosion d’un barrage… Notre homme Flint commence comme un film catastrophe spectaculaire. Les responsables de tous ces désastres sont des super-vilains dont la maîtresse d’œuvre, la mystérieuse Gina (Gila Golan, future cow-girl de La Vallée de Gwangi), est réfugiée à l’intérieur d’un sous-marin sophistiqué. « Si vous contrôlez le climat, vous contrôlez le monde ! » s’affole-t-on alors au beau milieu d’une cellule de crise à Washington menée par la « ZOWIE » (« Zonal Organization World International Espionage »). Après avoir perdu plusieurs équipes d’agents secrets en essayant de stopper ces agissements diaboliques, on sollicite les ordinateurs dernière génération pour déterminer qui sera l’homme de la situation. Un nom fait l’unanimité : Derek Flint. Le problème, c’est que même s’il croule sous les distinctions et les honneurs, Flint est un homme qui rechigne à respecter les ordres pour n’en faire souvent qu’à sa tête. L’agent secret refuse d’ailleurs la mission plusieurs fois, jusqu’à ce qu’une tentative de meurtre sur sa personne le fasse changer d’avis.

Urgence climatique

Dès le générique, enchaînant les silhouettes féminines sexy sur des fonds colorés aux accents d’une bande originale jazzy de Jerry Golsdmith, Notre homme Flint assume l’influence de James Bond. Plus tard, nous aurons droit à une allusion au SPECTRE, à la présence d’un Walter PPK et même à un agent qui porte le matricule 0008. Multipliant les gadgets excentriques (un écran vidéo intégré dans une vitre amovible, un briquet intégrant 82 armes, un immeuble entier qui disparaît sous le sol pour être remplacé par une terrasse de café), le film assume pleinement son appartenance à la science-fiction à travers le repaire des vilains : une sorte d’île paradisiaque survolée par des engins futuristes, dans les entrailles de laquelle se dissimulent une machine capable de contrôler le climat, une cabine de désintégration ainsi qu’une technologie psychédélique qui conditionne le comportement des humains. Coburn s’amuse à camper un espion cynique et imbu de lui-même, as du karaté, toujours flanqué d’un quatuor de jolies femmes, lové dans un appartement luxueux et se déplaçant dans son propre jet privé. Au cours des nombreuses bagarres qui rythment le récit, l’acteur semble donner de sa personne. Quant aux amateurs de Piège de cristal, ils apprécieront la présence d’un homme de main allemand qui porte le nom de Hans Gruber ! Face au succès du film, une suite sera mise en chantier dans la foulée, sous le titre F comme Flint.

 

(1) Extrait d’un entretien paru dans The Los Angeles Times en Février 1965

 

© Gilles Penso

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