JOURNAL INTIME D’UN VAMPIRE (1997)

Dans ce spin-off de la saga Subspecies, un vampire romantique et vengeur décide de mettre hors d’état de nuire un redoutable suceur de sang…

VAMPIRE JOURNALS

 

1997 – USA

 

Réalisé par Ted Nicolaou

 

Avec Jonathon Morris, David Gunn, Kirsten Cerre, Starr Andreeff, Ilinca Goia, Constantin Barbulescu, Mihai Dinvale, Dan Condurache, Mihai Niculescu

 

THEMA VAMPIRES I SAGA SUBSPECIES I CHARLES BAND

Après avoir écrit et réalisé les trois premiers opus de la saga Subspecies, Ted Nicolaou décide de s’offrir une variante sur le thème du vampirisme tout en continuant de planter ses caméras en Roumanie pour profiter du savoir-faire des équipes locales et de la photogénie des décors naturels locaux. Cette fois-ci, le directeur de la photographie Vlad Paunescu est remplacé par Adolfo Bartoli, habitué des productions Charles Band avec qui Nicolaou avait déjà collaboré une demi-douzaine de fois. Journal intime d’un vampire n’y perd pas au change, conservant une patine visuelle impeccable, le cinéaste poursuivant ses expérimentations autour des ombres portées disproportionnées se glissant sur les façades des bâtiments. La préproduction ayant été involontairement prolongée à cause d’un retard de financement, Nicolaou en profite pour peaufiner chaque aspect artistique de son film. « J’ai été gâté par les trois premiers Subspecies et surtout par Journal intime d’un vampire, ne serait-ce que par le nombre de lieux de tournage où j’ai pu filmer », raconte Nicolaou. « De plus les plannings étaient longs, car nous pouvions prendre notre temps en Roumanie à l’époque. Nous avons donc pu créer des atmosphères très travaillées. » (1) Le tournage s’étale ainsi sur 23 jours, un délai bien plus important que la majorité des productions Full Moon de l’époque.

Ce « journal intime » est narré à la première personne par Zachary (David Gunn), un poète du 19ème siècle adepte de l’absinthe qui se laisse séduire par une femme vampire et bascule sans le vouloir dans le monde des suceurs de sang. Nous le retrouvons à notre époque, assoiffé de vengeance après la mort de sa bien-aimée. Armé de la légendaire épée de Laertes, il guette les activités d’un vampire très puissant nommé Ash (Jonathon Morris). C’est donc sa voix off de narrateur qui nous accompagne tout au long du récit. Ash possède le Club Muse, un établissement prestigieux et select, mi-casino mi-maison close, qui sert de façade pour masquer les activités des vampires. Or Zachary et Ash jettent tous deux leur dévolu sur la même femme : Sofia (Kirsten Cerre), une Américaine virtuose du piano qui se produit en Europe de l’Est. L’un, fier et agressif, cherche à la vampiriser, l’autre, taciturne et amer, à la sauver…

Les dents de l’amer

Le film se distingue d’emblée par la qualité de ses décors et de sa photographie, Bartoli jouant souvent sur les volutes de fumée diffuse qui flottent dans les faisceaux de lumière. Ce bel écrin se prête à merveille à l’intrigue sentimentale que bâtit Nicolaou. Car ici, contrairement aux trois premiers Subspecies, les vampires ne sont pas des monstres bestiaux aux traits difformes mais des êtres élégants et séduisants qui nous évoquent beaucoup ceux d’Entretien avec un vampire. Revers de la médaille, ce classicisme se prive d’exubérances horrifiques pour tendre vers un film somme toute très « sage ».  Certes, quelques idées visuelles étonnantes surnagent (le vampire qui a l’apparence d’un squelette desséché quand il dort puis reprend ses traits humains à chaque réveil), quelques décapitations en gros plan éclaboussent l’écran et l’érotisme pointe souvent le bout de son nez (les poitrines féminines se dénudent volontiers). Mais Journal intime d’un vampire ne chasse pas vraiment les lieux communs associant généralement le vampirisme et le romantisme. On peut également regretter que le budget ne permette pas à Nicolaou de s’offrir une bande originale symphonique, le compositeur Richard Kosinski faisant de son mieux avec les synthétiseurs à sa disposition. C’est d’autant plus dommage que l’intrigue tourne autour d’une concertiste classique. Le lien ténu que ce film entretient avec la saga Subspecies est lié à Ash qui, le temps d’une réplique, nous apprend que son maître est Radu de Transylvanie. Journal intime d’un vampire trouvera plus officiellement sa place dans la franchise à l’occasion de Subspecies 4 qui en reprendra plusieurs personnages.

 

(1) Propos extraits du livre « It Came From the Video Aisle ! » (2017)


Partagez cet article

QUADRANT (2024)

Pour aider certains patients à vaincre leurs phobies, deux scientifiques ont mis au point un casque de réalité virtuelle, mais l’expérience tourne mal…

QUADRANT

 

2024 – USA

 

Réalisé par Charles Band

 

Avec Shannon Barnes, Emma Reinagel, Christian Carrigan, Lexi Lore, Kaylene Snarsky, Rickard Claeson, Kaylee Banhidy

 

THEMA MÉDECINE EN FOLIE I TUEURS I MONDES VIRTUELS ET PARALLÈLES I SAGA CHARLES BAND

Quadrant fait partie de ces projets qui jouèrent longtemps l’arlésienne chez le producteur Charles Band. Le film est d’abord annoncé dans les années 80, alors que la compagnie Empire (Re-Animator, From Beyond) est encore debout. Suite à sa faillite, Quadrant disparaît des radars puis refait surface au milieu des années 90. Band déclare alors que le film sera produit par sa société Full Moon Entertainment. Linda Hassani, qui avait signé Dark Angel : The Ascent, est envisagée comme réalisatrice et une sortie est prévue en 1995. Mais c’est un nouveau faux départ. Ce n’est finalement qu’en 2024 que le projet se concrétise, dirigé par Band lui-même et annoncé comme le 400ème long-métrage de chez Full Moon. En réalité, seul le titre a été conservé, le concept s’appuyant désormais sur un scénario de C. Courtney Joyner (Puppet Master III, Doctor Mordrid, La Peur qui rode). Filmé en 5 jours à Cleveland, avec quatre acteurs principaux et deux décors, Quadrant permet à Band de poursuivre ses expériences avec les images générées par intelligence artificielle, expériences qu’il avait amorcées à l’occasion de AIMEE : the Visitor. « Beaucoup de gens sont effrayés par l’IA, mais pour moi c’est juste un outil », confesse-t-il sur le site de Full Moon Pictures. « Elle possède une sorte de réalité bizarre et effrayante que l’on ne retrouve pas dans les images de synthèse. »

Le « Quadrant » du titre est l’invention de deux scientifiques, Harry (Rickard Claeson) et Meg (Emma Reinagel), qui prend la forme d’un casque de réalité virtuelle. Une fois qu’un patient s’y connecte, son esprit le transporte dans un monde reconstitué par une intelligence artificielle où toutes ses phobies prennent corps. Au fil des séances, ceux qui se soumettent à l’expérience du « Quadrant » apprennent à vaincre et à contrôler leurs peurs les plus intimes. Robert (Christian Carrigan) essaie ainsi de lutter contre les horribles cauchemars récurrents qui le hantent, dans lesquels il est harcelé par des hordes de créatures démoniaques. Erin (Shannon Barnes), de son côté, est une jeune femme obsédée par Jack l’éventreur, au point que ses immersions dans le « Quadrant » la transportent systématiquement dans le Londres du 19ème siècle, altérant peu à peu son comportement. Elle finit en effet par se transformer elle-même en tueur de prostituées dans cet univers virtuel. Plus problématique : ses pulsions sanguinaires semblent la poursuivre une fois qu’elle retourne dans le monde réel…

Programmée pour tuer

Le concept de Quadrant est original et offre d’intéressantes possibilités scénaristiques. Mais les choix artistiques opérés par Band – et dictés on s’en doute par des contraintes économiques – gâchent ce beau potentiel. Les décors et les personnages 3D générés par AI sont en effet désarmants de maladresses – malgré quelques créatures monstrueuses intéressantes – et les incrustations des comédiens dans ces environnements artificiels sont absolument affreuses. Certes, ces images sont censées être factices puisque générées par un algorithme, mais un rendu visuel aussi médiocre est honnêtement inacceptable en 2024. Le design « futuriste » du casque lui-même laisse perplexe : au lieu de la miniaturisation qu’on pourrait imaginer, nous avons ici affaire à une sorte de haut d’un scaphandre qui semble échappé d’un roman de Jules Verne. Les scènes situées dans le monde réel sont clairement plus réussies, grâce à des acteurs qui jouent le jeu avec conviction et donnent de leur personne. Charles Band ne lésine ni avec la nudité ni avec les effusions de sang, conforme à la recette habituelle du cinéma d’exploitation dont il se réclame ouvertement. Dommage que le résultat final semble si bâclé, car le postulat de Quadrant aurait pu en faire une jolie petite surprise, au lieu de cette série B anecdotique sans doute vouée à l’oubli.

 

© Gilles Penso

À découvrir dans le même genre…

 

Partagez cet article

SUBSPECIES 3 : BLOODLUST (1994)

Dans ce troisième épisode rocambolesque, une petite équipe se met en tête de débusquer le vampire Radu réfugié dans son sinistre château…

BLOODLUST : SUBSPECIES

 

1994 – USA

 

Réalisé par Ted Nicolaou

 

Avec Anders Hove, Denice Duff, Kevin Sportas, Melanie Shatner, Pamela Gordon, Ion Haiduc, Michael Della Femina, Michael Denish, Nicolae Urs, Radu Minculescu

 

THEMA VAMPIRES PETITS MONSTRES I SAGA SUBSPECIES I CHARLES BAND

Tourné dans la foulée de Subspecies 2, ce troisième épisode s’y raccorde directement. Les trois premières minutes du métrage résument d’ailleurs les événements précédents pour rafraîchir la mémoire des spectateurs. Juste après ce court flash-back, nous retrouvons nos personnages là où nous les avions laissés. Michelle (Denice Duff), la « promise » du vampire Radu (Anders Hove), git à côté du corps du monstre que son abominable génitrice aux allures de sorcière boursouflée et décomposée (Pamela Gordon, sous un très efficace maquillage de Michael Deak et Wayne Toth) s’emploie à ressusciter à l’aide du sang de la jeune femme. Comme le monstre de Frankenstein période Universal, Radu a donc la capacité de revenir à chaque fois d’entre les morts de la manière la plus improbable possible d’un film à l’autre. Grâce à une incantation magique, le vampire, sa mère et sa « fiancée » se téléportent jusque dans le château Vadislas, preuve qu’aucune péripétie rocambolesque n’est interdite dans la saga Subspecies. Dans ce domaine, ce troisième opus pousse sans doute le bouchon un peu loin, marquant un infléchissement qualitatif par rapport à son prédécesseur.

Alors que Michelle lutte de moins en moins contre les instincts qui la transforment en buveuse de sang, enjoignant même Radu à lui enseigner toutes les ficelles du « métier » de vampire, sa sœur Rebecca (Melanie Shatner) et l’employé de l’ambassade américaine Mel (Kevin Sportas) essaient de trouver le moyen de mettre le monstre et sa mère hors d’état de nuire. Un agent de la CIA armé jusqu’aux dents (Michael Della Femina, l’homme invisible de Mandroïd et Les Aventures de Benjamin Knight) vient brièvement leur prêter main forte avec un arsenal sur-mesure (notamment des armes chargées de balles en argent provenant d’un crucifix). Mais Radu et sa mère restent insaisissables, révélant au-delà de leur capacité de se téléporter et de s’envoler d’autres pouvoirs comme la télékinésie, laquelle s’avère bien pratique pour envoyer valser des objets tranchants vers leurs adversaires…

L’apprentie vampire

S’il reste de haute tenue et s’il n’a rien perdu des qualités esthétiques et atmosphérique dont Ted Nicolaou et son équipe ont su doter l’épisode précédent, ce troisième Subspecies n’a pas autant d’impact que le second. Sans doute l’intrigue est-elle moins prenante, les situations n’évoluant pas beaucoup après son entrée en matière. La mise en scène elle-même se révèle moins riche en idées fortes. Car si Nicolaou et son directeur de la photographie Vlad Paunescu s’amusaient précédemment à faire ramper partout l’ombre du vampire dans les rues de Bucarest, la relocalisation de l’action dans le château et dans son jardin appauvrit visuellement le résultat final. Exit les tableaux surréalistes hérités du cinéma muet de F.W. Murnau, place à une mise en image plus classique. L’amateur se raccrochera alors à ces séquences nocturnes envoûtantes où Michelle, apprentie vampire, cherche à attirer des victimes humaines pour planter ses dents dans leur cou. Excessif comme il se doit, le grand final nous donne droit à la mise à mort la plus spectaculaire de la série et à la réapparition furtive des minions en stop-motion. Bien sûr, Radu renaîtra de ses cendres, comme toujours. Mais entretemps, Nicolaou nous offrira une variante intéressante avec Journal intime d’un vampire.

 

© Gilles Penso

À découvrir dans le même genre…

 

Partagez cet article

LONGLEGS (2024)

Une agente du FBI qui semble posséder des dons de voyance est chargée d’enquêter sur un tueur en série satanique insaisissable…

LONGLEGS

 

2024 – USA

 

Réalisé par Osgood Perkins

 

Avec Maika Monroe, Nicolas Cage, Blair Underwood, Alicia Witt, Michelle Choi-Lee, Dakota Daulby, Kiernan Shipka, Jason Day, Lisa Chandler, Ava Kelders

 

THEMA TUEURS I DIABLE ET DÉMONS I JOUETS

Osgood Perkins porte un nom et une hérédité lourds de conséquences, puisqu’il est le fils d’Anthony Perkins, éternel Norman Bates aux yeux des cinéphiles traumatisés par le séminal Psychose d’Alfred Hitchcock. Le jeune « Oz » fait d’ailleurs ses débuts dès l’âge de neuf ans en incarnant Bates en culottes courtes dans Psychose 2 de Richard Franklin. Ça vous marque forcément un homme. Après avoir cumulé les petits rôles dans des films aussi disparates que Wolf, La Revanche d’une blonde ou Star Trek, il passe à la réalisation en 2015, démontrant un penchant durable pour l’horreur insidieuse et les atmosphères étranges. Longlegs est son quatrième long-métrage et sans doute le plus mémorable. Si le budget reste très raisonnable – moins de dix millions de dollars -, Perkins se paye une tête d’affiche en la personne de Nicolas Cage qui, non content d’incarner le rôle-titre, co-produit le film par l’intermédiaire de sa société de production Saturn Films. Mais si le personnage que joue Cage est central, son temps de présence à l’écran est limité, cédant la place à Maika Monroe qui, dix ans plus tôt, tenait la vedette de It follows, et qui nous surprend ici très agréablement dans une prestation à fleur de peau.

L’intrigue de Longlegs se déroule en 1995, période où les Etats-Unis baignaient encore dans une sorte de « panique satanique » liée à l’inquiétude de la population face aux méfaits – réels ou fantasmés ? – de sectes adoratrices du diable et à leur influence sur les jeunes esprits. Divisé en trois chapitres (« Ses lettres », « Tout ce qui t’appartient » et « Les anniversaires »), le film s’intéresse à l’agent du FBI Lee Harker (Monroe). Très introvertie, à la limite de l’autisme, cette jeune femme semble posséder un don d’extra-lucidité qui lui permet de faire avancer d’un seul coup certaines enquêtes. C’est dans ce but que son supérieur, William Carter (Blair Underwood), la missionne sur une affaire sordide : une série de meurtres-suicides survenus dans l’Oregon. Dans chacun des cas, un père massacre sa femme et ses enfants puis se donne la mort, laissant derrière lui une lettre codée signée « Longlegs », dont l’écriture n’appartient à aucun des membres de la famille. Qui est ce Longlegs ? Et comment peut-il avoir initié ces carnages sans avoir été physiquement présent lors des crimes ?

Que diable !

Oz Perkins est visiblement un homme sous influence. L’atmosphère de son film n’est pas sans évoquer Le Sixième sens, Le Silence des agneaux et Seven, mais aussi la série X-Files qui fut tournée dans les mêmes extérieurs naturels à Vancouver, et vers lequel le patronyme d’un des agents, Carter, semble vouloir cligner de l’œil. D’autres noms de personnages (Browning et Harker) nous évoquent Dracula. Pourtant, Longlegs crée immédiatement sa propre identité, n’usant finalement de ces références que pour mieux brouiller les cartes. Avons-nous affaire à un cas très terre-à-terre de meurtres en séries ou le diable est-il de la partie ? Notre héroïne doit-elle conserver l’approche cartésienne que préconise son patron ou laisser la place à une théorie surnaturelle ? En laissant apparaître de manière subliminale dans les scènes de crime une silhouette diabolique, image d’Épinal d’une créature cornue, Perkins nous trouble volontairement. En laissant dire à la mère de Lee Harker « ce sont nos prières qui nous protègent du mal », il continue d’évoquer Satan. Nicolas Cage reste volontairement en retrait. Dans son exercice d’équilibre favori – à mi-chemin entre le cabotinage qu’accentue son maquillage outrancier et une sorte de transe fascinante qui semble le transporter sur un autre pan de réalité -, il laisse ses brèves apparitions imprimer la pellicule de manière durable même lorsqu’il n’est plus là. Car Perkins démontre ici un indiscutable talent dans la création d’atmosphères insolites et oppressantes, ciselant au millimètre près ses choix de focales, d’angles de prise de vue, de compositions et de sound design, entremêlant le présent en Cinémascope et le passé en 4/3 au cours de flash-backs furtifs levant un voile sur l’enfance de l’héroïne. Ce remarquable exercice de style rapportera plus de 100 millions de dollars de recettes, soit plus de dix fois sa mise de départ. Un succès fort mérité.

 

© Gilles Penso


Partagez cet article

SUBSPECIES 2 : BLOODSTONE (1993)

Radu, le redoutable vampire roumain, revient d’entre les morts pour capturer une touriste américaine dont il veut faire sa compagne…

SUBSPECIES II : BLOODSTONE

 

1993 – USA

 

Réalisé par Ted Nicolaou

 

Avec Anders Hove, Denice Duff, Kevin Spirtas, Melanie Shatner, Michael Denish, Pamela Gordon, Ion Haiduc, Tudorel Filimon, Viorel Comanici, Viorel Sergovici

 

THEMA VAMPIRES PETITS MONSTRES I SAGA SUBSPECIES I CHARLES BAND

Galop d’essai pour une éventuelle nouvelle franchise et pour tester la viabilité d’une série de productions réalisées en Roumanie, le film de vampires Subspecies reçoit un accueil très favorable au moment de sa sortie en vidéo, poussant le producteur Charles Band à lui donner plusieurs suites. Subspecies 2 et Subspecies 3 sont donc tournés en même temps, principalement à Bucarest. Pour assurer une continuité artistique et qualitative à la série (qui fait clairement défaut à la saga Puppet Master par exemple), le réalisateur Ted Nicolaou reste maître à bord et embarque avec lui une grande partie de son équipe artistique, notamment le très talentueux directeur de la photographie Vlad Paunescu, le chef décorateur Radu Corciova, le compositeur Richard Kosinski et le monteur Bert Glatstein. Si Anders Hove rempile logiquement dans le rôle du redoutable suceur de sang, sa charmante victime Michelle n’est plus incarnée par Laura Tate mais par Denice Duff, l’actrice précédente ayant mal supporté les conditions de tournage précaires et inconfortables du premier film. Honnêtement, nous n’y perdons pas au change, Duff apportant au personnage un charme atemporel, à mi-chemin entre la modernité des années 90 et une aura gothique héritée des productions Hammer.

Joyeusement délirante, la scène d’introduction met en scène les minions au service du vampire Radu. Les petits monstres animés en stop-motion récupèrent la tête décapitée de leur maître et la raccordent à son buste. Aussitôt, les veines, les artères et les os se reconstituent à la vitesse grand V. Dès qu’il est sur pied, Radu enfonce un pieu dans le cœur de son frère, dont le visage se fripe en accéléré, et s’abreuve de son sang qui gicle abondamment. Les effets spéciaux à l’ancienne et le gore excessif sont donc à l’honneur et nimbent d’emblée cette séquelle d’une patine propre à ravir tous les amateurs d’horreur old school. Si les minions disparaissent ensuite du film, une nouvelle créature mémorable fait son apparition : Mumia, la mère décrépie et presque zombifiée de Radu, qui vit dans une sorte de laboratoire alchimique sinistre et souterrain. La mégère difforme somme son fils de récupérer la précieuse « pierre de sang ». Or celle-ci a été subtilisée par Michelle, la jeune femme qu’il avait vampirisée et qui s’est enfuie à Bucarest…

L’ombre du vampire

Non content de retrouver toutes les qualités propres au premier film (une somptueuse photographie, des décors très graphiques, une musique envoûtante), Subspecies 2 parvient à évacuer la majorité des défauts de son prédécesseur et s’impose comme l’un des sommets de la carrière de Ted Nicolaou et de l’abondante production de la compagnie Full Moon. Sous l’influence manifeste de Nosferatu, le réalisateur joue sans cesse avec l’ombre gigantesque du vampire qui se projette sur les façades de la ville, évoquant la menace omniprésente de la bête même lorsqu’elle n’apparaît pas à l’écran. L’un des éléments les plus intéressants du scénario est lié aux tourments de Michelle qui est en train de se muer lentement en vampire. Son reflet dans les miroirs devient translucide, la lumière du soleil commence à la blesser, la teinte de sa peau se fait livide. Réfugiée dans les coulisses d’un opéra où elle dort dans un cercueil en verre, elle doit désormais lutter contre la soif de sang qui la taraude. L’idylle naissante et artificielle qui se crée entre Becky (Melanie Shatner, la fille de William), la sœur de Michelle partie à sa recherche, et Mel (Kevin Blair, vu dans La Colline a des yeux 2 et Vendredi 13 chapitre 7), le bel attaché d’ambassade qui propose de l’aider, n’a pas beaucoup d’intérêt, mais elle n’entache guère ce film résolument distrayant qui nous offre au passage une allusion au Bal des vampires (lorsqu’une des répliques évoque « the fearless vampire hunters »). Nous quittons Radu en bien piteux état à la fin du film. Mais puisqu’il a déjà survécu à une décapitation, nul doute qu’il reviendra faire des siennes. Le générique de fin annonce d’ailleurs la sortie imminente de Subspecies 3.

 

© Gilles Penso


Partagez cet article

LE MANGEUR D’ÂMES (2024)

Une commandante de police et un capitaine de gendarmerie unissent leurs forces pour élucider les morts violentes qui frappent une petite ville…

LE MANGEUR D’ÂMES

 

2024 – FRANCE

 

Réalisé par Alexandre Bustillo et Julien Maury

 

Avec Virginie Ledoyen, Paul Hamy, Sandrine Bonnaire, Francis Renaud, Malik Zidi, Cameron Bain, Lua Oussadit-Lessert, Chloé Coulloud, Christophe Favre

 

THEMA TUEURS I SAGA BUSTILLO & MAURY

Dix ans après avoir produit leur troisième long-métrage Aux yeux des vivants, Fabrice Lambot retrouve Julien Maury et Alexandre Bustillo à qui il propose d’adapter le roman « Le Mangeur d’âmes » d’Alexis Laipsker, un thriller noir et sanglant qui pourrait parfaitement s’accorder à leur univers. Les duettistes se laissent tenter par la proposition mais sont alors accaparés par The Deep House, leur ambitieuse histoire de maison hantée sous-marine. Le scénario est donc confié à Annelyse Batrel et Ludovic Lefebvre. Lorsqu’ils ont enfin le temps de se pencher sur le projet, Maury et Bustillo retouchent le script pour l’adapter à leur sensibilité et partent en repérages dans les Vosges, une région très photogénique qu’ils connaissent notamment grâce à leurs visites régulières du Festival du Film Fantastique de Gérardmer. Pour incarner les deux personnages principaux du Mangeur d’âmes, ils jettent leur dévolu sur Virginie Ledoyen et Paul Hamy. La première, qui avait joué dans Saint Ange de Pascal Laugier, est désireuse de se frotter une nouvelle fois au cinéma de genre et d’ajouter un personnage de policier à sa filmographie. Le deuxième les a convaincus grâce à sa prestation dans Furie d’Olivier Abbou. Sandrine Bonnaire, Malik Zidi et Francis Renaud (déjà présent dans Aux yeux des vivants) viennent compléter ce casting hétéroclite.

Virginie Ledoyen incarne la commandante de police Élisabeth Guardiano, chargée d’élucider un double meurtre extrêmement brutal. Paul Hamy entre pour sa part dans la peau du capitaine de gendarmerie Franck de Rolan, qui enquête sur l’inquiétante disparition de six enfants. Tous deux se retrouvent à Roquenoir, une petite ville des Vosges, et unissent leurs forces, un peu à contrecœur, pour comprendre quelle horreur se tapit dans l’ombre. « Tous ces meurtres sont d’une violence inouïe et quasi-illogique », commente la légiste chargée de l’affaire. Y’aurait-il une folie criminelle contagieuse dans cette commune rurale ? À moins que le fameux croquemitaine démoniaque des légendes locales, le « mangeur d’âmes », ait une quelconque influence sur cette sinistre affaire ? Alors que nos deux enquêteurs se perdent en conjectures et assemblent les pièces du puzzle, de nouvelles morts sanglantes s’enchaînent…

La montagne a des yeux

Le récit s’articulant avant tout autour d’une enquête policière, nous sommes a priori en dehors du scope habituel des films de Maury et Bustillo. Mais l’intrigue se teinte dès les premières minutes d’une atmosphère fantastique fortement teintée d’épouvante et d’horreur. Les scènes de crime sont d’ailleurs particulièrement gratinées, œuvre du maquilleur spécial Olivier Afonso et de son équipe. Lorsqu’interviennent les apparitions furtives d’une créature humanoïde au visage monstrueux coiffé de grands bois de cerf, le fameux « mangeur d’âmes » du titre, le film bascule définitivement ailleurs, sans pour autant se détacher des investigations très terre-à-terre des deux protagonistes. Une grande partie de la force du Mangeur d’âmes s’appuie sur le double visage de ces co-équipiers aux motivations et aux méthodes divergentes. La commandante campée par Virginie Ledoyen est froide et antipathique, mais l’on se doute que des fêlures et un traumatisme récent se cachent derrière cette carapace austère. Le capitaine de gendarmerie que joue Paul Hamy semble au contraire fragile, même s’il laisse deviner une rage enfouie et contenue qui ne demande qu’à éclater. Le mélange de ces deux personnalités semble explosif, mais eux seuls semblent capables de faire surgir la vérité, si impensable soit-elle, au sein d’une petite communauté montagnarde qui n’est pas sans évoquer Les Rivières pourpres ou la série Twin Peaks. Grâce à l’imagination du romancier Alexis Laipsker et au savoir-faire de Bustillo et Maury, Le Mangeur d’âmes se révèle redoutablement efficace, menant ses spectateurs par le bout du nez jusqu’à un climax d’une terrible noirceur.

 

© Gilles Penso


Partagez cet article

ARMAGUEDON (1977)

Alain Delon et Jean Yanne s’affrontent dans ce thriller apocalyptique où un citoyen ordinaire décide subitement de prendre sa revanche sur la société…

ARMAGUEDON

 

1977 – FRANCE / ITALIE

 

Réalisé par Alain Jessua

 

Avec Jean Yanne, Alain Delon, Renato Salvatori, Michel Duchaussoy, Marie Déa, Michel Creton, Susanna Javicoli, Guy Saint-Jean, Luigi Lavagnetto

 

THEMA TUEURS

Deux ans après les démêlées de Jean-Paul Belmondo avec un tueur machiavélique dans Peur sur la ville, Alain Delon affronte son propre psychopathe dans Armaguedon, qui marque ses retrouvailles avec Alain Jessua dans la foulée de Traitement de choc. Mais si le cinéaste et l’acteur s’étaient plutôt bien entendus sur le tournage du thriller fantastico-médical qui mettait aussi en vedette Annie Girardot, la confection d’Armaguedon reste un souvenir douloureux pour Alain Jessua. Acteur principal mais aussi producteur du film, Delon y impose ses volontés et refuse souvent de se plier aux indications du metteur en scène pour proposer sa propre interprétation du protagoniste qu’il campe, un psychologue renommé chargé par la police d’aider à identifier et stopper les agissements d’un criminel tout-puissant et insaisissable. Visiblement soucieux de soigner son image et d’offrir au public la prestation d’un homme charismatique, ténébreux et imperturbable, Delon prive son personnage des failles qui l’auraient rendu crédible et attachant. Par conséquent, le spectateur aura plutôt tendance à s’intéresser à son antagoniste, le tueur incarné par Jean Yanne qui se révèle beaucoup plus intéressant parce que plus complexe.

Inspiré d’un roman de l’Américain David Lippincott, le scénario d’Armaguedon relocalise l’intrigue en France. Louis Carrier (Yanne), un agent municipal qui hérite de 250 000 francs après la mort de son frère, aspire à la notoriété. Pour y parvenir, il s’associe avec Albert, un simple d’esprit (Renato Salvatori), et adopte le pseudonyme d’« Armaguedon », inspiré par une bande dessinée tirée du Livre de l’Apocalypse. Poussé par une folie des grandeurs croissante, Carrier élabore un plan pour attirer l’attention des médias et des autorités, annonçant un attentat imminent via des messages vocaux enregistrés en plusieurs langues. La police, désorientée, fait appel au psychiatre Ambroise (Delon) pour cerner la personnalité du suspect. Pendant ce temps, Carrier et Albert commencent à semer leur chemin de victimes et précisent leur menace : une bombe commandée à distance explosera au beau milieu d’une émission de variétés diffusée à la télévision en direct…

Psychose et mégalomanie

L’intrigue d’Armaguedon ne rattache en rien le film au genre fantastique. Pourtant, comme souvent chez Jessua, plusieurs séquences semblent se situer dans une sorte de réalité alternative, tutoyant le cinéma d’horreur (le double meurtre diaboliquement sophistiqué du couple dans la chambre d’hôtel) mais aussi la politique-fiction (à travers l’usage que le tueur fait de la technologie, des enregistrements sonores et de la télévision). Dans le monde d’Armaguedon, les écrans sont omniprésents, saturant le décor d’informations visuelles comme dans les thrillers de John Frankenheimer. Ainsi, même s’il se révèle moins science-fictionnel que Traitement de choc, Paradis pour tous et Frankenstein 90, Armaguedon entre définitivement dans la famille des films « autres » de Jessua, ceux qui, à la manière des Chiens, s’appuient sur le monde contemporain et les psychoses de ceux qui l’habitent pour transcender le réalisme et offrir une vision inquiétante de la société. Sans doute le film souffre-t-il d’une caractérisation trop schématique, à travers ce tueur aux motivations confuses et ce psychologue aux analyses à l’emporte-pièce. Le jeu des comédiens et les dialogues écrits par Jessua auraient également mérité un peu plus de subtilité. Armaguedon n’a donc pas très bien vieilli, c’est indéniable, mais l’impact de sa démonstration reste intact. La manière avec laquelle il décrit la capacité de n’importe quel citoyen ordinaire à se muer en fou destructeur et mégalomane, pourvu qu’on lui en donne les moyens financiers et les canaux de communication, fait toujours autant froid dans le dos.

 

© Gilles Penso


Partagez cet article

LE PASSAGE (1986)

Alain Delon entre dans la peau d’un réalisateur de films d’animation que la Mort soumet à un terrible chantage…

LE PASSAGE

 

1986 – FRANCE

 

Réalisé par René Manzor

 

Avec Alain Delon, Alain Musy, Christine Boisson, Jean-Luc Moreau, Alberto Lomeo, Salvatore Nicosia, Jean Levasseur, Marie Marcos, Sylvie Monier, Christian Brendel

 

THEMA MORT

Au milieu des années 80, Francis Lalanne est déjà un chanteur célèbre et Jean-Felix Lalanne commence à se faire un nom en tant que musicien et guitariste virtuose. À l’ombre de ses deux frères, René Manzor caresse quant à lui la carrière de cinéaste. Voici plusieurs années qu’il rêve d’un film fantastique intégrant des séquences en animation et discourant sur la lutte entre l’amour et la mort. « J’ai essayé en vain de monter ce film », raconte-t-il. « J’ai fait toutes les maisons de production de Paris et partout on m’a répondu : c’est trop cher, trop ambitieux, trop américain. J’ai préparé, pendant ces années, un film pilote qui montrait dans quel esprit allait être traduit le scénario. Puis j’ai mis en chantier les parties d’animation, car à la base, je suis dessinateur. Le film pilote durait dix minutes. Mais les personnes à qui je le montrais ne se sentaient pas de taille à l’entreprendre. » (1) C’est là qu’entre en scène Francis Lalanne, le grand-frère. Grâce à ses contacts, il parvient à faire parvenir le scénario à Alain Delon, à qui il propose le poste de producteur. Emballé, l’acteur accepte non seulement l’offre mais s’imagine lui-même tenir le rôle principal. Avec un tel nom en tête d’affiche, Le Passage parvient enfin à se concrétiser. Pour autant, le budget reste très raisonnable et Manzor doit parvenir à boucler son film en sept semaines, ce qui n’est pas énorme étant données les complexités techniques nécessitées par l’histoire, notamment la création d’un certain nombre d’effets spéciaux.

Le concept du film, volontiers surréaliste, se laisse influencer à sa manière par La Charrette fantôme de Julien Duvivier, revisité sous le prisme clinquant des années 80. Delon incarne Jean Diaz, un réalisateur de dessins animés qui vit seul avec son fils David (Alain Musy, le propre fils de Manzor) depuis que sa femme s’est séparée de lui. Après plusieurs années de pause professionnelle, il décide de mettre en chantier un film d’animation saturé de scènes violentes qui a pour vocation de dénoncer la brutalité du monde et de provoquer une prise de conscience généralisée. Mais Jean attire l’attention de la Mort elle-même, sinistre fantôme reclus dans son antre qui décide de le soumettre à un horrible chantage. Soit il termine son film en détournant son message pour le muer en guide d’autodestruction de l’humanité, soit il ne reverra plus jamais son fils qui est dans le coma à la suite d’un accident de voiture. Déchiré par ce dilemme, le cinéaste signe un pacte avec la Mort qu’il sait perdu d’avance…

« Pense à moi comme je t’aaaiiiime ! »

Le Passage a les qualités et les défauts de beaucoup de premiers films, pétri de bonnes intentions, de grandes ambitions et d’envie de bien faire, mais entravé par sa naïveté et ses maladresses. Le principe lui-même est attrayant, avec cette idée de « passage » reliant comme un pont le monde des morts et celui des vivants. Mais comment croire à cette Camarde encapuchonnée qui se terre dans sa cave éclairée à la torche, assise derrière une régie vidéo pleins d’écrans, manipulant avec ses longs doigts crochus un clavier d’ordinateur, fumant cigarette sur cigarette en grommelant d’une voix caverneuse ? Même avec la meilleure volonté du monde, il est difficile d’appréhender au premier degré cette créature cartoonesque dont le design est l’œuvre combinée de la costumière Yvonne Sassinot de Nesles (spécialisée dans les films d’époque) et du maquilleur spécial Christopher Tucker (Elephant Man, La Compagnie des loups). On se rabat alors sur la prestation très juste du jeune Alain Musy et sur les étonnantes séquences en dessin animé dont le style épuré et brut, tout en nuances monochromes tachetées de rouge sang, rappellent par moment Ralph Bakshi et Bill Plympton. La chanson de Francis Lalanne « On se retrouvera », qui retentit pendant le générique de fin et permet au chanteur de s’époumonner en criant « pense à moi comme je t’aaaiiiime ! », contribuera beaucoup à la popularité du Passage qui sera le succès surprise de l’année, réunissant deux millions trois cent mille spectateurs lors de sa sortie. Quatre ans plus tard, René Manzor transformera l’essai avec 36 15 code Père Noël.

 

(1) Extraits d’une interview parue dans Lyon Matin en décembre 1986

 

© Gilles Penso


Partagez cet article

ATTENTION, LES ENFANTS REGARDENT ! (1978)

Une grande maison sur la côte d’Azur, quatre enfants livrés à eux-mêmes, un cadavre, un inconnu, un huis-clos oppressant… et le drame !

ATTENTION, LES ENFANTS REGARDENT !

 

1978 – FRANCE

 

Réalisé par Serge Leroy

 

Avec Alain Delon, Sophie Renoir, Richard Constantini, Tiphaine Leroux, Thierry Turchet, Adelita Requena, Henri Vibert, Marco Perrin, Françoise Brion

 

THEMA ENFANTS

Trois ans après son chef d’œuvre, le survival « coup de poing » La Traque au casting de premier ordre et à la tonalité glaciale, et dans la foulée de son thriller Les Passagers avec Jean-Louis Trintignant et Mireille Darc, Serge Leroy revient pour un autre film brutal tiré cette fois-ci du roman noir « The Children are Watching » de Laird Koenig et Peter L. Dixon (paru en 1970). Si le postulat peut faire penser au classique Chaque soir à neuf heures de Jack Clayton et si la mise en scène d’enfants livrés à eux-mêmes n’est pas sans évoquer le motif de « Sa Majesté des mouches », Attention, les enfants regardent ! emprunte des chemins non balisés et revisite le thème de l’enfant tueur sous un angle inédit. Leroy co-rédige le scénario avec son partenaire d’écriture Christopher Franck tandis qu’Alain Delon, en quête de contre-emplois et de prises de risques en ces années 70 déclinantes, occupe le double poste d’acteur principal et de producteur. Clignant de l’œil vers sa propre filmographie, le cinéaste laisse apparaître furtivement un poster de La Traque dans le décor et un extrait du Mataf sur un écran de télévision. Mais Attention, les enfants regardent ! n’est pas pour autant une fable amusante pour les spectateurs férus de clins d’œil. C’est au contraire un spectacle qui fait froid dans le dos en décrivant une enfance en perte de repères moraux, bien loin de l’image d’innocence à laquelle on l’associe habituellement.

Le cadre pourrait être idyllique : une somptueuse villa de la Côte d’Azur non loin du bord de mer, l’été, les vacances… Mais dès les premières minutes, la violence entre en jeu. Sur l’écran du téléviseur d’abord, crachant des coups de feu et des morts sanglantes face à quatre enfants qui semblent hypnotisés par cet enchaînement d’homicides fictifs. Dans leur langage ensuite, les charmants bambins n’hésitant pas à insulter avec mépris leur gouvernante espagnole qui a l’outrecuidance de nettoyer leur bazar en leur bouchant momentanément la vue de la télévision. Marlène, Dimitri, Marc et Laetitia nous sont d’emblée présentés comme des sales gosses, habitués au luxe et aux caprices tandis que leurs parents sont loin, accaparés par le tournage d’un film en Irlande. Il va nous falloir pourtant les choisir comme pôle d’identification, le monde des adultes étant uniformément décrit comme insipide, voire stupide. Nous devenons même complices de leur crime, la mort de leur gouvernante, un jeu qui tourne mal et qui les laisse soudain seuls dans la grande maison. Mais un homme a tout vu. Un individu louche et mystérieux qu’incarne Alain Delon et qui va peu à peu s’immiscer de force dans la vie du quatuor assassin…

L’ogre et les petits poucets

Calculateurs, dangereux, menteurs, manipulateurs, d’une vive intelligence, les enfants du film sont des monstres. Mais Serge Leroy les filme avec tant de naturalisme et de fraîcheur que nous sommes bien loin des archétypes maléfiques hérités de La Mauvaise graine ou Le Village des damnés. « Les enfants ont le droit de tirer dans le dos », les entend-on dire. « C’est pour les grands que c’est moche. » Preuve que les notions du Bien et du Mal s’agencent bien curieusement dans leurs petites têtes. Il faut dire que les jeunes acteurs sont bluffants, dans un exercice pourtant difficile. Sophie Renoir, qui incarne l’ainée, est sans conteste la révélation du film, membre d’une impressionnante dynastie artistique (elle est l’arrière-petite-fille du peintre Auguste Renoir, la petite-fille de l’acteur Pierre Renoir, la grand-nièce du cinéaste Jean Renoir et la fille du directeur de la photographie Claude Renoir). À travers elle, le film brise plusieurs tabous, sexualisant même cette gamine de quatorze ans à l’occasion d’une séquence de suspense intense. Delon, lui, est taiseux pendant la grande majorité du film. Son seul monologue consiste à s’ériger comme une métaphore de l’ogre, face à quatre enfants perdus dans la forêt. Car Attention, les enfants regardent ! possède les composantes des contes de fées, ceux sans concessions tels qu’ils furent contés par les frères Grimm par exemple : des enfants bien peu innocents, un monstre qu’ils affrontent et un dénouement qu’on imagine sanglant. Échec prévisible au box-office, ce récit cruel prouve une nouvelle fois combien Serge Leroy savait être un cinéaste radical bien peu soucieux des conventions.

 

© Gilles Penso


Partagez cet article

LE DIABLE ET LES DIX COMMANDEMENTS (1962)

Les plus grandes stars françaises des années 50-60 se croisent dans ce film à sketches dont le Diable, déguisé en serpent, tire les ficelles…

<p class="MsoNormal" style="margin: 0cm; font-size: 12pt; font-family: Calibri, sans-serif; font-weight: 400; white-space-collapse: collapse;"

LE DIABLE ET LES DIX COMMANDEMENTS

 

1962 – FRANCE / ITALIE

 

Réalisé par Julien Duvivier

 

Avec Michel Simon, Dany Saval, Henri Tisot, Micheline Presle, Françoise Arnoul, Charles Aznavour, Lino Ventura, Louis de Funès, Fernandel, Alain Delon, Danielle Darrieux

 

THEMA DIEU, LES ANGES ET LA BIBLE I DIABLE ET DÉMONS

Julien Duvivier est un cinéaste éclectique. Adepte de portraits souvent désenchantés et pessimistes de ses contemporains, comme en témoignent Pépé le Moko ou Voici venu le temps des assassins, il fut aussi le père de la saga burlesque Don Camillo, ainsi que l’auteur de quelques relectures méconnues de grands classiques du fantastique comme Le Golem ou La Charrette fantôme. C’est une sorte de cocktail de toutes ces tendances à priori incompatibles que nous offre Le Diable et les dix commandements, réinterprétation tour à tour comique, triste ou fantasmagorique des célèbres préceptes du Décalogue, à travers un exercice très en vogue dans les années soixante : le film à sketches. Pour l’occasion, Duvivier réunit un casting de rêve, véritable « who’s who » de toutes les têtes d’affiche du cinéma français de l’époque. La bande annonce et le matériel promotionnel annonçaient d’ailleurs fièrement : « Le film aux 35 vedettes ». C’est Claude Rich qui prête sa voix au Diable, visualisé à l’écran par un grand serpent qui se love un peu partout, fidèle à l’imagerie héritée du jardin d’Eden. Témoin mais aussi tentateur et provocateur, il étudie les vicissitudes des hommes et leurs tendances à se montrer architectes de leur propre malheur.

« Tu ne jureras point » est le premier segment du film. Michel Simon (qui jouait lui-même le Malin dans La Beauté du Diable) incarne un vieil homme au langage grossier qui lance des « Nom de Dieu » à tour de bras. Les sœurs du couvent dans lequel il travaille en tant qu’homme à tout faire ne l’entendent pas de cette oreille et réclament son renvoi, à moins qu’il ne trouve le moyen de s’amender. Le deuxième sketch, qui a disparu de plusieurs copies au fil des remontages et des versions alternatives, s’intitule « Luxurieux point ne seras ». Henri Tisot y joue un homme obsédé par une strip-teaseuse (Dany Saval) qui peuple tous ses fantasmes et représente à ses yeux l’idéal féminin… jusqu’à ce qu’il déchante brutalement. Dans le mélodramatique « Tu ne tueras point », Charles Aznavour est un séminariste qui abandonne sa vocation pour venger la mort de sa sœur, poussée au suicide par un criminel bourru que joue Lino Ventura. Comme son titre l’indique, « Tu ne convoiteras point » s’intéresse de son côté à la cupidité d’une jeune femme (Françoise Arnoul) prête à l’adultère pour obtenir un collier précieux. Ce bon vieux Fernandel, qui jouait Don Camillo pour Duvivier où il dialoguait régulièrement avec Dieu, joue le Tout Puissant lui-même dans le segment « Un seul Dieu tu adoreras ». Descendu sur terre pour remettre les hommes sur le droit chemin et accomplir des miracles, il débarque dans une ferme. Mais est-il vraiment celui qu’il affirme ? L’entendre dire « Au nom de Moi, de mon fils et du Saint Esprit » s’avère savoureux.

Delon, De Funès, Ventura, Aznavour, Brialy, Fernandel, Carmet… ils sont tous là !

Dans l’émouvant « Tes père et mère honoreras », Alain Delon est un étudiant de vingt ans qui apprend soudain que sa mère biologique n’est pas celle qu’il croit mais une célèbre comédienne de théâtre (Danielle Darrieux). « Tu es beau comme un dieu, toi », lui dit cette dernière. « Toi, avec ta belle petite gueule, je te retrouverai, parce que ta génération est très prometteuse », affirme à son attention la voix off du diable. Un commentaire prémonitoire, au regard de la carrière à venir de Delon. L’avant-dernier sketch, « Tu ne déroberas point », est un vaudeville désopilant dans lequel Louis de Funès et Jean-Claude Brialy s’affrontent pour une somme d’argent volée à la banque. Quant à l’épilogue, il nous permet de retrouver Michel Simon face aux dix commandements qu’il s’est engagé à apprendre par cœur. Co-écrits par Maurice Bessy, René Barjavel, Henri Jeanson, Michel Audiard et Pascal Jardin, les scénarios de ces histoires courtes aux chutes ironiques, sortes de Quatrième Dimension bibliques, sont constellés de dialogues se référant à l’Ancien et au Nouveau Testament et oscillent sans cesse entre l’humour – souvent noir – et le drame – teinté de cynisme. Une petite salve à l’attention des cinéastes de la génération de Godard et Truffaut, alors prompts à dénigrer le « cinéma de papa », peut même s’apprécier dans les répliques de ce Diable facétieux, fil rouge d’un exercice de style délectable qui mérite largement d’être découvert ou redécouvert.

 

© Gilles Penso


Partagez cet article