CONJURING : L’HEURE DU JUGEMENT (2025)

Annoncé comme la dernière enquête des époux Warren, ce quatrième volet laisse entrevoir la possibilité d’une évolution de la franchise…

CONJURING LAST RITES

 

2025 – USA

 

Réalisé par Michael Chaves

 

Avec Vera Farmiga, Patrick Wilson, Mia Tomlinson, Ben Hardy, Elliot Cowan, Beau Gadsdon, John Brotherton, Steve Coulter, Madison Lawlor, Orion Smith, Kate Fahy

 

THEMA DIABLE ET DÉMONS I FANTÔMES I SAGA CONJURING

Quatrième incursion dans l’univers bâti autour d’Ed et Lorraine Warren et neuvième opus de la saga Conjuring, Conjuring : l’heure du jugement affiche clairement une volonté de clore un cycle, tout en laissant entrevoir d’autres possibles prolongements. Dans une industrie où les franchises d’horreur finissent souvent par s’étouffer sous leurs propres artifices, l’annonce d’une « dernière enquête » pour le couple vedette ne pouvait qu’attiser la curiosité. Dès l’ouverture, le récit met en avant une idée centrale : l’usure des Warren, qui ne sont plus seulement des enquêteurs confrontés aux forces occultes mais aussi un couple vieilli, entouré de leur fille Judy et de son fiancé Tony. Cet angle familial change la dynamique habituelle. Là où les épisodes précédents plaçaient le duo au cœur du dispositif, L’Heure du jugement fait entrer Judy dans la lumière. Longtemps réduite à une silhouette périphérique, la jeune femme devient ici un personnage moteur. Ce choix scénaristique permet d’aborder la thématique de passation, comme si la saga testait sa capacité à survivre sans ses figures tutélaires. Le script s’inspire de ce que les journaux américains des années 1980 appelèrent « la hantise des Smurl ». Pendant plus d’une décennie, une famille de Pennsylvanie affirma avoir été harcelée par une entité démoniaque. L’affaire attira les prêtres, les psychologues et les démonologues de tous poils.

Conjuring : l’heure du jugement reprend ces éléments réels mais les reconfigure pour en faire une ultime épreuve familiale. Le surnaturel est donc traité à la fois comme une menace extérieure et comme un révélateur de fragilités intimes. C’est là l’un des paris les plus intéressants de ce quatrième opus, qui tente de conjuguer la mécanique du film de possession avec un drame domestique. Sur le plan esthétique, Michael Chaves reste fidèle aux codes qui ont fait le succès de la saga en continuant – comme il le fit dans l’épisode précédent – d’emboîter les pas de James Wan. Mais c’est moins dans les effets de terreur « classiques » ou attendus – les figures fantomatiques et grimaçantes qui surgissent çà et là pour faire sursauter les spectateurs – qu’il fait mouche que lorsqu’il laisse le hors-champ faire son travail. Quand la fille Warren (Mia Tomlinson), seule dans une cabine d’essayage tapissée de miroirs, se perd dans un labyrinthe de reflets et se retrouve piégée dans une sorte de cauchemar mental (une séquence qui semble payer son tribut à Mario Bava et Dario Argento), ou quand le père Gordon (Steve Coulter) perd pied dans un décor pourtant ordinaire qui semble suinter de menaces diaboliques impalpables, Michael Chaves marque des points parce qu’il titille les peurs primaires sans en faire des tonnes. Même chose dans cette scène de décorticage d’un enregistrement vidéo qui, certes, dure beaucoup trop longtemps, mais sait éveiller nos sens en évoquant les investigations du Blow Out de Brian de Palma. Ce sont ces moments suspendus qui rappellent la force originelle du premier Conjuring.

Transition générationnelle

Le casting, lui, confirme sa solidité. Patrick Wilson et Vera Farmiga incarnent encore une fois un couple crédible et solide, sans perdre une once de leur charisme. Wilson impose une présence plus fragile, marquée par les années et par un cœur malade, tandis que Farmiga poursuit son travail d’identification avec la véritable Lorraine Warren, jusque dans les détails vestimentaires. Face à eux, Mia Tomlinson apporte un mélange de fraîcheur et de gravité qui donne au personnage de Judy une dimension nouvelle, bien éloignée du rôle secondaire qu’elle tenait auparavant (sous les traits des actrices Sterling Jerins dans Conjuring et Conjuring 2 et Grace McKenna dans Annabelle : la maison du mal). À ses côtés, le petit-ami campé par Ben Hardy complète efficacement le duo, même si son personnage reste plus fonctionnel. La vraie question posée par L’Heure du Jugement est celle de l’avenir. Le film est présenté comme la conclusion des aventures des Warren, mais il prépare aussi, en filigrane, une possible continuité. On peut y voir une tentative de prolonger la franchise sans trahir son ADN, en opérant une transition générationnelle. Il s’agit donc moins de fermer la porte que de tester la résistance de l’univers à de nouveaux visages.

 

© Benjamin Braddock

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RED SONJA (2025)

Quarante ans après Kalidor, la guerrière aux cheveux rouges imaginée par Robert Howard revient manier l’épée sous les traits de Matilda Lutz…

RED SONJA

 

2025 – USA

 

Réalisé par M. J. Bassett

 

Avec Matilda Lutz, Robert Sheehan, Wallis Day, Luca Pasqualino, Michael Bisping, Martyn Ford, Eliza Matengu, Danica Davis, Joana Nwamerue, Mana El-Feitury

 

THEMA HEROIC FANTASY

Dans Revenge, Coralie Fargeat exhibait Matilda Lutz sous toutes ses coutures, mais le potentiel dramatique de l’actrice y était éclipsé par la mise en valeur insistante de sa plastique. Il aura fallu le regard de M.J. (Jadis Michael J.) Bassett, pour que la jeune femme puisse échapper à cette objectification fétichiste et s’imposer comme une héroïne à part entière, capable de porter sur ses épaules une épopée ambitieuse. Pour autant, la mise en chantier de Red Sonja ne fut pas un long fleuve tranquille, loin s’en faut. Ceux qui gardent en mémoire le sympathique mais anecdotique péplum Kalidor avec Brigitte Nielsen savent que la « diablesse rouge », imaginée par Robert Howard puis magnifiée dans les comics de Roy Thomas, n’avait pas encore eu droit à un long-métrage digne de son envergure. Robert Rodriguez envisagea de s’y coller avec Rose McGowan dans le rôle principal, suivi de Simon West avec Amber Heard, puis de Joey Soloway avec Hannah John-Kamen. Mais c’est finalement M. J. Bassett qui hérita du bébé. Quoi de plus normal ? N’avait-elle pas dirigé un fort honorable Solomon Kane en 2009, déjà d’après Robert Howard ? De nombreux épisodes de séries TV et quelques longs-métrages plus tard (Silent Hill : Revelation, Inside Man : Most Wanted, Rogue, Espèces menacées), Bassett retrouve donc l’univers du créateur de Conan le barbare et place Matilda Lutz sous le feu des projecteurs.

Red Sonja est une « origin story » qui raconte la naissance de la légende, au cœur du pays imaginaire d’Hyrkanie. Enfant, Sonja voit sa terre natale envahie par des barbares qui massacrent la majorité de son peuple et la forcent à fuir dans les vastes et mystérieuses forêts voisines. Séparée des derniers survivants de sa tribu, elle atteint l’âge adulte en cherchant d’autres Hyrkaniens. Sa confrontation avec des braconniers va la lancer sur la piste du vil empereur Draygan, qui a décidé de dominer le monde, comme tout bon vilain qui se respecte. Au lieu de la montagne de muscles campée jadis par Brigitte Nielsen, Matilda Lutz incarne une Sonja plus animale, une sorte de nymphe des forêts mythologique capable de communier avec la nature, comme en témoigne le lien fusionnel qui l’unit au cheval Vihur et ses dialogues fréquents avec l’arbre anthropomorphique à l’image de la déesse Ashéra. Robert Sheeran, lui, transfuge de la série Misfits et de Mortal Engines, campe un tyran pétri de duplicité, génial et immature à la fois, bien déterminé à asservir les animaux et à déforester pour concrétiser ses rêves de conquête. Son opposition avec Sonja est évidemment une parabole de la lutte contre l’industrialisation massive qui détruit l’environnement pour y puiser des ressources et s’enrichir. « La Terre saigne et réclame notre aide », finit même par dire une voix ancestrale qui retentit dans la tête de notre héroïne.

L’appel de la forêt

La forêt féerique dans laquelle évolue Sonja en début de métrage n’aurait pas dépareillé dans Legend. Passé l’enchantement premier, Bassett la truffe de toutes sortes de créatures fantaisistes telles que des rhinocéros préhistoriques, des scorpions géants, des hommes-singes ou encore un gigantesque cyclope cornu aux pattes de bouc qui rend hommage au 7ème voyage de Sinbad et au bestiaire de Ray Harryhausen. La séquence de combat qui le met en scène paie aussi son tribut à l’affrontement de la Moria dans La Communauté de l’Anneau. Mais plus encore que Legend, le scénario de Red Sonja semble vouloir se référer ouvertement à un autre film de Ridley Scott, en l’occurrence Gladiator. Car Sonja, réduite en esclavage et contrainte de se battre dans l’arène de l’empereur, agit ici comme une émule de Spartacus. Le groupe de rebelles qui se joint à elle et se cache dans la forêt évoque quant à lui l’imagerie de Robin des Bois. Malgré ces nombreuses réminiscences, Bassett bâtit un film qui possède sa propre singularité, brosse des personnages secondaires passionnants (notamment Anisia, une ancienne esclave ayant racheté sa liberté et désormais hantée par la voix de tous ceux qu’elle tua) et achemine son récit vers un climax étonnant qui va à l’encontre de ce qu’on attend habituellement d’un ultime affrontement entre le héros et son ennemi juré. La très belle musique épique composée par Sonya Belousova et Giona Ostinelli achève de faire de Red Sonja un spectacle hautement recommandable. Très ouvert, l’épilogue laisse espérer une suite que nous appelons de nos vœux.

 

© Gilles Penso

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THE RITUAL – L’EXORCISME D’EMMA SCHMIDT (2025)

Al Pacino incarne un vieil exorciste missionné pour chasser le démon qui s’est emparé d’une jeune paroisienne…

THE RITUAL

 

2025 – USA

 

Réalisé par David Midell

 

Avec Al Pacino, Dan Stevens, Ashley Greene, Abigail Cowen, Patrick Fabian, Patricia Heaton, Maria Camila Giraldo, Meadow Williams, Courtney Rae Allen

 

THEMA DIABLE ET DÉMONS

Contrairement à ce qu’affirme fièrement sa campagne marketing, le scénario de The Ritual ne s’appuie pas sur les faits qui ont inspirés L’Exorciste mais sur une autre affaire véridique survenue en 1928 dans l’Iowa. L’histoire d’Emma Schmidt fit l’objet d’un ouvrage de Carl Vogl, Begone Satan !, publié en 1935 et relatant en détail la possession de cette jeune femme ainsi que les rituels mis en place pour l’exorciser. Fascinés par ce récit, le réalisateur David Midell et son coscénariste Enrico Natale décident d’en tirer un long-métrage. Le projet prend de l’ampleur en 2023 lorsqu’Al Pacino est annoncé en tête d’affiche. Voir celui qui incarnait jadis le Malin, dans L’Associé du diable, entrer cette fois-ci dans la soutane d’un émissaire de l’église catholique ne manque pas d’ironie. À ses côtés, Ben Foster est sélectionné pour incarner un jeune prêtre sceptique. Mais trois mois après le début du tournage, sans raison officielle, Foster quitte la production pour être remplacé par Dan Stevens, acteur éclectique qui fut tour à tour la Bête de La Belle et la Bête, le chef des gangsters d’Abigail ou l’androïde d’I’m Your Man. À leurs côtés, Ashley Green (la fiancée zombie de Burying the Ex de Joe Dante) joue une religieuse que cette affaire ne va pas laisser indemne, et la jeune Abigail Cowen campe la « possédée », adoptant en début de métrage un look qui rappelle beaucoup celui de Sissi Spacek dans Carrie.

En 1928, dans la paisible petite ville agricole d’Earling, au fin fond de l’Iowa, une jeune femme nommée Emma Schmidt est tourmentée par des terreurs nocturnes, connaît des accès de violence, parle des langues qu’elle n’a jamais apprises et manifeste une haine anormale envers tout ce qui est sacré. Sa famille, de fervents catholiques, est convaincue qu’elle est possédée et sollicite l’aide de l’Église. Leur appel désespéré parvient au père Theophilus Riesinger, un vieux prêtre capucin ayant déjà mené de nombreux exorcismes. Riesinger se rend dans l’Iowa et décide de lancer aussitôt une série de rituels visant à chasser le diable, accompagné à contrecœur par le jeune responsable de la paroisse locale, le père Joseph Steiger. Ce dernier, ébranlé par le récent suicide de son frère, doute de la réalité de la possession démoniaque et préfèrerait solliciter l’intervention du corps médical. Mais lorsqu’il rencontre Emma et assiste à ses agissements inexplicables, son scepticisme commence à vaciller.

« Nous sommes l’armée du Seigneur »

Avec ses prises de vues caméra à l’épaule, ses petits coups de zoom et ses recadrages abrupts, la mise en scène de David Midell cherche à accentuer le caractère documentaire du film – sans pour autant céder aux tics du « found footage ». The Ritual tient en effet à garder une patine réaliste et non-spectaculaire, égrenant les séances d’exorcisme et comptabilisant le nombre de rituels un par un, jour après jour. La partie la plus intéressante du film – qui était aussi au cœur de l’approche de William Friedkin dans L’Exorciste – est la confrontation entre la vieille génération représentée par le frère capucin et celle d’un jeune prêtre qui commence sérieusement à douter de sa propre foi. Ici, le cartésianisme et la quête d’explication rationnelle s’opposent à la vision religieuse et spirituelle. Et comme le film prend soin de choisir le personnage incarné par Dan Stevens comme pôle d’indentification des spectateurs, la démarche du père Theophilus Riesinger, qui affirme avec aplomb « nous sommes l’armée du Seigneur », laisse forcément perplexe. Ne faut-il pas y voir un excès de bigoterie fanatique ? Au-delà du choc culturel entre les deux hommes, une sorte d’attirance mutuelle – pas très catholique – semble se dessiner de manière sous-jacente entre le père Steiger et la sœur Rose. C’est bien sûr dans cette faille que va tenter de s’engouffrer le démon. S’il est solidement mis en scène et interprété avec conviction, The Ritual finit hélas par s’affaisser sous le poids de sa prolifique ascendance. Car depuis Friedkin, les films d’exorcismes n’ont cessé de pulluler sur les écrans, et force est de constater que celui-ci n’apporte rien de particulièrement neuf, nous laissant finalement sur notre faim.

 

© Gilles Penso

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TOGETHER (2025)

Après avoir goûté à une source d’eau souterraine au fin fond de la forêt, un couple en crise subit une étrange mutation…

TOGETHER

 

2025 – USA

 

Réalisé par Michael Shanks

 

Avec Dave Franco, Alison Brie, Damon Herriman, Mia Morrissey, Karl Richmond, Jack Kenny, Francesca Waters, Aljin Abella, Sarah Lang, Rob Brown, Ellora Iris

 

THEMA MUTATIONS

« Sommes-nous toujours ensemble parce que nous nous aimons ou parce que nous nous sommes habitués l’un à l’autre ? » Cette ligne de dialogue, qu’on entend vers le début de Together, expose frontalement la problématique majeure que vit le couple mis en scène dans le film. Sur quoi l’équilibre devenu fragile de leur vie commune repose-t-il ? Sont-ils encore des êtres autonomes ? Cette interaction permanente ne finit-elle pas par devenir étouffante ? Michael Shanks lui-même, dont c’est le premier long-métrage après plusieurs courts très remarqués (dont Rebooted, qui rend hommage aux squelettes des films de Ray Harryhausen), y plaque ses propres interrogations et ses propres inquiétudes. « J’ai décidé d’explorer le potentiel horrifique qui peut découler d’une relation à long-terme, les peurs liées à l’engagement, à la codépendance, la monogamie et les ressentiments », explique-t-il (1). Et pour pousser encore plus loin sa démarche, le jeune réalisateur sollicite un véritable couple face à sa caméra : Dave Franco et Allison Brie. Emballés par le projet, les deux acteurs/époux s’investissent à fond – mentalement et physiquement – dans cette romance contrariée qui vire au body horror.

Les prémices de Together nous évoquent The Thing ou La Couleur tombée du ciel. Pendant une battue dans la forêt organisée pour retrouver un couple de randonneurs disparus, deux chiens s’égarent dans les recoins sombres d’une grotte souterraine et s’abreuvent au point d’eau qu’ils y trouvent. Quelques heures plus tard, une étrange mutation les frappe… Cela étant posé, le film nous familiarise avec nos protagonistes Tim (Dave Franco) et Millie (Alison Brie). Ils s’aiment de toute évidence et leur histoire dure depuis un bon moment, mais même leurs amis sentent que quelque chose cloche. Sont-ils vraiment épanouis ? Alors que Millie fait bouillir la marmite en tant qu’institutrice, Tim vivote en rêvant encore – à 35 ans – de percer en tant que musicien. Il n’a même pas son permis de conduire, obligeant sa petite amie à faire office de chauffeur. Cette relation d’interdépendance prend une tournure nouvelle lorsque le jeune couple décide de quitter la grande ville au profit d’une vie campagnarde. Après leur emménagement, ils partent en randonnée pour tenter de resserrer les liens qui se distendent inexorablement. Mais tous deux se perdent dans une grotte souterraine et étanchent leur soif grâce à l’étang qu’ils y trouvent. Le point de non-retour s’amorce alors…

L’amour fusionnel

Together puise d’abord sa force dans la crédibilité de ses personnages. Toutes les petites piques, les reproches sous-jacents ou les regards discrets sonnent juste parce qu’ils sentent le vécu. Michael Shanks intègre même dans son scénario un traumatisme d’enfance très personnel. « J’ai écrit le personnage de Tim comme une version sombre de moi-même », confie-t-il (2). C’est sur cette base solide que s’invite l’élément fantastique, non comme un ajout artificiel mais comme une métaphore directe de la crise que connaît le couple. « La plupart des mariages n’additionnent pas deux personnes : ils en retranchent une de l’autre », disait Ian Fleming avec sa verve volontiers misogyne. Il n’empêche que l’angoisse de cet effacement de personnalité hante tout le métrage. Et lorsque soudain le couple devient plus fusionnel que jamais, frappé par une attraction physique qui dépasse l’entendement, une autre citation – de Victor Hugo celle-là – nous vient à l’esprit : « Le mariage est une greffe : ça prend bien ou mal. » Plus le film avance, plus les questionnements élargissent leur scope, jusqu’à aborder frontalement le sujet de l’identité de genre et à convoquer le mythe grec d’Hermaphrodite. Pour autant, Together ne cherche jamais à intellectualiser son sujet ou à se placer au-dessus du genre. Au contraire, lorsqu’il s’agit de visualiser les conséquences les plus extrêmes de cette situation anormale, Michael Shanks n’y va pas par quatre chemins et repousse les limites corporelles avec une totale absence de retenue. David Cronenberg n’a qu’à bien se tenir : ce jeune émule se révèle particulièrement prometteur.

 

(1) et (2) Extraits d’une interview publiée sur Creative Screenwriting en juillet 2025

 

© Gilles Penso

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ÉVANOUIS (2025)

Une nuit, 17 élèves d’une même classe d’école primaire disparaissent sans laisser de trace. Que s’est-il passé ?

WEAPONS

 

2025 – USA

 

Réalisé par Zach Cregger

 

Avec Julia Garner, Josh Brolin, Alden Ehrenreich, Austin Abrams, Cary Christopher, Benedict Wong, Amy Madigan, June Diane Raphael, Clayton Farris, Whitmer Thomas

 

THEMA SORCELLERIE ET MAGIE

Après le succès largement mérité de Barbare en 2022, Zach Cregger s’attaque à un film qu’il veut plus personnel. Son intention est de faire d’Évanouis une sorte d’épopée horrifique à la fois ample et intime. La genèse du scénario est marquée par un événement tragique : la mort de son ami et collaborateur Trevor Moore, avec qui il co-réalisa Miss Mars et The Civil War on Drugs. C’est donc le deuil qui guide sa démarche artistique. Comme pour Barbare, Cregger part d’une simple image mentale – ici, des enfants courant dans la nuit – et construit le récit au fil de l’écriture, à l’instinct, sans plan prédéfini. En janvier 2023, le scénario déclenche une véritable guerre d’enchères entre Netflix, Universal Pictures, TriStar et New Line Cinema. Malgré l’offre financière plus élevée de Netflix, New Line emporte le projet grâce à une sortie cinéma garantie et à sa solide réputation dans le genre horrifique (n’est-elle pas la « maison mère » des franchises Freddy Krueger, Conjuring, Ça et Destination finale ?). En moins de 24 heures, le studio propose 38 millions de dollars pour couvrir la production et les salaires, offrant à Cregger 10 millions ainsi que le « final cut » (conditionné tout de même aux projections test). Cette liberté créative, doublée d’un budget confortable, assure au réalisateur un terrain idéal pour bâtir ce long-métrage complexe et déroutant qui mêle de près le drame humain et l’horreur viscérale.

À 2 h 17 du matin, dans la petite ville de Maybrook, Pennsylvanie, dix-sept enfants de CE2 quittent mystérieusement leur domicile et disparaissent dans la nuit. Tous les élèves se sont évaporés sans laisser de trace, sauf le très discret Alex Lilly (Cary Christopher). L’enseignante de la classe, Justine Gandy, est incarnée par Julia Garner, étoile montante du genre dont on a pu apprécier la présence dans Wolf Man, Appartement 7A ou Les Quatre Fantastiques : premiers pas. L’institutrice est interrogée par la police aux côtés d’Alex, mais aucune piste concrète n’émerge. Les jours passent sans avancée notable. Près d’un mois plus tard, le directeur de l’école, Marcus Miller (Benedict Wong, que le grand public connaît bien grâce à Doctor Strange), la met en congé forcé, cédant à la pression d’une communauté suspicieuse. Isolée et fragilisée, Justine sombre dans l’alcool et retrouve un appui fragile auprès de son ex-compagnon, le policier Paul Morgan (Alden Ehrenreich, version « jeune » de Harrison Ford dans Solo). Pendant ce temps, Archer Graff (Josh Brolin), père du jeune Matthew, l’un des disparus, perd patience face à l’inaction policière. Déterminé à percer le mystère, il entreprend sa propre enquête…

Les disparus

Évanouis baigne dans une atmosphère qui évoque fortement Stephen King, même si Zach Cregger ne cite pas l’écrivain parmi ses sources d’inspiration conscientes. Pourtant, que le cinéaste le veuille ou non, cette histoire d’enfants disparus, de mal insidieux qui s’insinue au sein d’une petite communauté américaine et de personnages luttant contre leurs démons intérieurs ravive forcément les écrits de l’auteur de Carrie. Comme Barbare avant lui, Évanouis déstabilise par la plupart de ses choix artistiques. Sa narration éclatée, d’abord, nous propose d’appréhender les mêmes événements à travers des points de vue différents. Cette technique, héritée bien sûr du Rashomon de Kurosawa, aurait été directement inspirée à Zach Cregger par Magnolia (influence assumée, celle-ci). Comme dans le film choral de Paul Thomas Anderson, Évanouis entrecroise les destins de différents personnages évoluant chacun au sein d’un arc émotionnel indépendant. Par ailleurs, le scénario s’attache à des protagonistes complexes auxquels il n’est pas toujours facile de s’identifier, tant ils regorgent de failles, de défauts et de faiblesses. Peut-on pleinement s’impliquer dans les tourments de cette enseignante irritante, ce père colérique, ce flic instable, ce voyou à la dérive ou ce gamin taciturne ? Comme si ça ne suffisait pas, Cregger opère des ruptures de ton brutales, oscillant entre le drame intime et l’explosion de violence grandguignolesque. Évanouis aurait pu souffrir de ce jeu des contrastes et désarçonner ses spectateurs – au risque de perdre leur investissement et leur empathie. Or c’est le contraire qui se produit. L’envie de comprendre et de dénouer les fils de cette intrigue insaisissable maintient intacte l’attention du public. On s’inquiète, on a peur, on est surpris, on est secoué, on rit, et au bout de ce grand 8 émotionnel, la clé de l’énigme nous saisit d’effroi. C’est là que le titre original énigmatique prend soudain tout son sens.

 

© Gilles Penso

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DANGEROUS ANIMALS (2025)

Le réalisateur de The Loved Ones construit un diabolique cauchemar maritime où la voracité des requins se combine à la folie d’un psychopathe…

DANGEROUS ANIMALS

 

2025 – AUSTRALIE / USA / CANADA

 

Réalisé par Sean Byrne

 

Avec Hassie Harrison, Jai Courtney, Josh Heuston, Ella Newton, Liam Greinke, Rob Carlton, Ali Basoka, Michael Goldman, Carla Haynes, Dylan Eastland, Jon Quested

 

THEMA TUEURS I MONSTRES MARINS

Les amateurs du cinéaste australien Sean Byrne ont intérêt à s’armer de patience. Dix ans séparent Dangerous Animals de son prédécesseur The Devil’s Candy, lui-même sorti six ans après The Loved Ones. Cette attente parfois vertigineuse, s’explique par une double contrainte : l’exigence artistique du réalisateur et des difficultés de financement récurrentes. Mais lorsqu’il découvre un jour le scénario de Dangerous Animals sur son bureau, Byrne décide de foncer. « Il est écrit par Nick Lepard, une nouvelle voix, un nouveau scénariste », confie-t-il. « Dès que je l’ai lu, j’ai trouvé qu’il proposait une excellente fusion entre le film de tueur en série et le film de requins. C’est le premier script sur le sujet que je lisais qui ne diabolisait pas les squales. En réalité, ce ne sont pas des tueurs aveugles. Leur apparition obéit à une logique. L’homme, au fond, est souvent le véritable monstre. » (1) Car là repose toute l’originalité de Dangerous Animals. À l’instar du reptile anthropophage du Crocodile de la mort, le requin y est détourné de sa nature première pour devenir l’instrument des pulsions d’un psychopathe bien décidé à réinventer à sa façon la chaîne alimentaire.

Jai Courtney, que nous avions découvert en Captain Boomerang dans Suicide Squad, en Kyle Reese dans Terminator Genisys ou en Eric dans Divergente, prête sa silhouette robuste à Tucker, un capitaine fantasque qui propose aux touristes de faire un plongeon dans une cage pour pouvoir contempler les requins. Lui-même a survécu à une attaque de squales lorsqu’il était enfant, accident qui l’a marqué (psychologiquement mais aussi physiquement, comme en témoigne une énorme cicatrice à faire pâlir le Quint des Dents de la mer) et a changé sa vision de l’espèce. Les deux premiers touristes que nous découvrons à son bord nous permettent de comprendre très tôt qu’ils sont tombés dans la gueule du loup. Tucker poignarde en effet l’un d’entre eux, qu’il jette à la mer, et enferme l’autre dans sa cale. Avec un tel capitaine, la croisière ne s’amuse donc guère ! La surfeuse solitaire et marginale Zephyr (Hassie Harrison, la cowgirl Laramie de Yellowstone) s’apprête à en faire les frais…

Le prédateur

L’attente valait vraiment la peine. Car avec Dangerous Animals, Sean Byrne nous offre un cauchemar maritime comme on n’en avait pas connu depuis très longtemps. Redoutablement efficace, le suspense monte crescendo pour ne jamais laisser la moindre minute de répit aux spectateurs, en prenant bien soin de saborder un à un tous les espoirs et toutes les échappatoires possibles sur lesquels pouvait miser notre protagoniste. Les deux acteurs principaux prennent leurs rôles à bras le corps avec une implication physique impressionnante, sans laquelle Dangerous Animals n’aurait pas du tout le même impact. Il faut saluer là le génie du casting orchestré par Byrne. Courtney dévore littéralement l’écran, partagé entre la bonhomie débonnaire et la folie meurtrière pulsionnelle. Face à lui, Hassie Harrison campe avec beaucoup de conviction une proie bien déterminée à ne pas se laisser faire, une forte tête qui n’a – presque – rien à perdre. Si le film peut évoquer des œuvres telles que Calme blanc, Instinct de survie ou Wolf Creek, il ne ressemble à rien de connu et crée presque son propre genre, quelque part à mi-chemin entre le slasher et le film de monstres. L’ambiguïté avec laquelle sont filmés les requins, tour à tour impitoyables machines à dévorer ou splendides créatures marines, n’est pas la moindre singularité de Dangerous Animals, dont le titre, lui, se veut d’emblée très explicite : le plus dangereux des animaux n’est évidemment pas celui qu’on croit.

 

(1) Extrait d’une interview parue dans Filmmaker Magazine en juillet 2025.

 

© Gilles Penso

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LES QUATRE FANTASTIQUES : PREMIERS PAS (2025)

Le quatuor le plus célèbre de l’histoire des comic books ressurgit sur les écrans dans une aventure rétro-futuriste délicieusement « pulp »…

FANTASTIC FOUR : FIRST STEPS

 

2025 – USA

 

Réalisé par Matt Shakman

 

Avec Pedro Pascal, Vanessa Kirby, Joseph Quinn, Ebon Moss-Bachrach, Ralph Ineson, Julia Garner, Natasha Lyonne, Paul Walter Hauser, Sarah Niles

 

THEMA SUPER-HÉROS I SAGA MARVEL COMICS I MARVEL CINEMATIC UNIVERSE

Les super-héros nés en 1961 sous la plume de Stan Lee et les crayons de Jack Kirby semblaient frappés d’une malédiction : celle de ne jamais réussir leur passage au grand écran. Il y eut d’abord un premier film fauché que produisit Roger Corman en 1994 et qui ne sortit jamais nulle part, puis les deux blockbusters patauds réalisés par Tim Story en 2005 et 2007, suivis d’un long-métrage sans queue ni tête entamé par Josh Trank puis sabordé par la Fox en 2015. La messe était donc dite : Les Quatre Fantastiques étaient les éternels recalés du cinéma, des super-héros excitants sur papier mais irrémédiablement hors-jeu face à une caméra. En guise de lot de consolation, les fans se tournèrent vers Les Indestructibles et sa suite, deux hommages non officiels mais jubilatoires, qui possédaient toutes les qualités cruellement absentes des adaptations officielles. Les choses prennent une tournure nouvelle lorsque Disney rachète la Fox en mars 2019, et donc les droits du légendaire quatuor. La tentation de les intégrer dans le Marvel Cinematic Universe est forte. Mais comment faire cohabiter de manière logique ces quatre pionniers aux immenses pouvoirs avec les aventures des Avengers et de leurs successeurs ? Comment expliquer l’absence des Quatre Fantastiques pendant la lutte contre Thanos ? Et surtout, comment trouver la juste tonalité, celle que ni Roger Corman, ni Tim Story, ni Josh Trank ne parvinrent à saisir ?

Pour répondre à toutes ces questions, l’armada d’auteurs à l’œuvre sur le scénario s’appuie sur deux concepts complémentaires : les mondes parallèles et le rétrofuturisme. Les Quatre Fantastiques : premiers pas se déroule donc dans des années 60 alternatives, une solution idéale pour respecter à la fois la chronologie du reste du MCU et l’esthétique des dessins de Jack Kirby. Le nom de ce monde : Terre 828 (en hommage à Kirby, né en août 1928 – 8/28). Stan Lee aussi a droit à son clin d’œil à travers le nom du vaisseau spatial de nos super-justiciers : Excelsior (la célèbre signature du joyeux moustachu). Dès l’entame du film, le rythme s’emballe sur un tempo qui n’est pas sans évoquer le prologue « patchwork » de Spider-Man New Generation. En quelques minutes nous sont résumés non seulement les origines des super-pouvoirs de Reed, Sue, Ben et Johnny, mais aussi leurs exploits les plus célèbres (directement inspirés de leurs premières aventures dessinées), leurs relations familiales et amicales et leur popularité déclinée à toutes les sauces (notamment dans un cartoon où la Chose ne cesse de crier « ça va chauffer ! »). Bref, c’est un véritable condensé de tout ce que nous voulions voir depuis des décennies, et que le réalisateur Matt Shakman – qui œuvrait jusqu’alors quasi-exclusivement pour la télévision – nous offre sur un plateau d’argent.

Enfin !

Deux enjeux cruciaux et complémentaires se dessinent alors et s’apprêtent à dicter les grandes lignes de l’intrigue du film, l’un sur un plan très intime, l’autre à échelle cosmique. Il s’agit de l’arrivée imminente du bébé de Reed et Sue en même temps que celle du redoutable Galactus, le « dévoreur de planètes » qui s’apprête à ne faire qu’une bouchée du globe et de ses habitants. Or ces deux événements semblent étroitement liés. L’esprit des BD originales est donc plus que jamais convoqué dans la mesure où, comme dans les pages de Lee et Kirby, les problèmes personnels de nos super-héros prennent autant d’importance que la survie du monde. Certains choix artistiques auraient pu se révéler très discutables, comme la mise en scène du robot H.E.R.B.I.E. (une petite machine kitsch qui fut inventée pour la série animée The New Fantastic Four en 1978), la féminisation du Surfer d’argent (le Norrin Radd original étant ici remplacé par Shalla-Bal, qui lui succéda momentanément dans les comics), ou même la sollicitation de Pedro Pascal en tête d’affiche (l’acteur étant tellement surexposé sur les grands et les petits écrans que la lassitude à son égard risquait de s’installer). Mais tout s’articule à merveille, jusqu’à un climax dantesque où le majestueux Galactus nous fait immédiatement oublier le tourbillon numérique disgracieux dont il nous fallait nous contenter dans Les Quatre Fantastiques et le Surfer d’argent. Presque miraculeusement, le film de Shakman trouve le parfait équilibre entre le respect du matériau initial et la multiplication des surprises. Le rythme n’y faiblit jamais, porté par une partition enivrante de Michael Giacchino qui parvient à éviter d’auto-plagier la bande-originale des Indestructibles pour s’aventurer sur un terrain lyrique du plus bel effet. Vivement la suite de ces « premiers pas » !

 

© Gilles Penso

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SUPERMAN (2025)

Le réalisateur des Gardiens de la galaxie s’empare du plus célèbre super-héros de tous les temps pour le muer en clown kitsch et caricatural…

SUPERMAN

 

2025 – USA

 

Réalisé par James Gunn

 

Avec David Corenswet, Rachel Brosnahan, Nicholas Hoult, Edi Gathegi, Nathan Fillion, Isabela Merced, Skyler Gisondo, Wendell Pierce, Maria Garbriela de Faria

 

THEMA SUPER-HÉROS I SAGA SUPERMAN I DC COMICS

Souvenez-vous de Superman 3, l’épisode burlesque concocté en 1983 par Richard Lester, avec au menu un faire-valoir comique incarné par Richard Pryor, un super-ordinateur très méchant, Robert Vaughn en vilain caricatural flanqué d’une petite-amie écervelée, un double maléfique de Superman, de la kryptonite reconstituée… À l’époque, ce troisième opus avait consterné les fans de l’homme d’acier, déçus de le voir ainsi basculer dans l’auto-parodie, au sein d’une intrigue de science-fiction parfaitement abracadabrante. Si le Superman de James Gunn doit avoir un mérite, c’est bien de nous permettre de réévaluer largement à la hausse ce Superman 3, dont il semble vouloir retrouver la formule en poussant les curseurs dix fois plus loin. Car à côté du Superman de 2025, celui de Lester passerait presque pour un modèle de finesse et de sobriété ! Et pourtant, James Gunn est un cinéaste habituellement très recommandable. Comment ne pas apprécier cet ex-trublion de chez Troma (il fut scénariste de Tromeo and Juliet) passé sous le giron des grands studio (nous lui devons les scripts de Scooby-Doo et L’Armée des morts) avant de réaliser ses propres folies (Horribilis, Super) et de dynamiter de l’intérieur quelques franchises super-héroïques (Les Gardiens de la Galaxie, The Suicide Squad) ? Mais il faut croire que la « recette Gunn » ne marche pas toujours. Son Superman en est la preuve édifiante.

On ne peut certes pas reprocher au scénariste/réalisateur de céder à la facilité de la redite. Refusant de rendre un hommage trop frontal au film séminal de Richard Donner – comme le fit Bryan Singer dans Superman Returns – ou de s’engouffrer dans la noirceur tragico-grandiloquente de Zack Snyder, il prend tout le monde à revers en puisant le plus gros de son inspiration dans les comics DC des années 50. À l’époque, le surhomme de Krypton vivait des aventures légères et colorées, pensées pour rassurer les parents et désamorcer les appels à la censure d’une époque marquée par le Comics Code Authority. D’où la convocation d’une imagerie de science-fiction exubérante : mondes parallèles, vaisseaux rétrofuturistes, robots rigolos, dragon godzillesque joufflu… et bien sûr, l’apparition du super-chien Krypto, ici promu au rang de sidekick omniprésent. Ces partis-pris sont surprenants, même s’ils semblent en accord avec le grain de folie de James Gunn. Le problème majeur, c’est que le film ne sait pas trop quoi en faire, à part jouer le jeu de l’accumulation au sein d’un scénario sans queue ni tête.

Super mal

Non content d’être entravé par un récit confus qui semble principalement conçu pour ridiculiser son héros – jamais l’homme d’acier ne nous a semblé si faible et si pathétique, perdant quasiment toutes ses batailles et mordant régulièrement la poussière -, Superman cru 2025 ne nous convainc pas non plus par sa mise en forme : un format 1.85 bien peu propice à l’action épique, une photographie terne, des choix de focale aberrants (les fameux grands angles déformants pendant les scènes de vol), des effets visuels souvent grotesques, des scènes de combat génériques conçues visiblement par les équipes des animatiques… Et que dire de cette horrible bande originale, remixant les sublimes envolées symphoniques de John Williams pour nous les resservir sous forme de variantes assourdissantes ? Le casting du film était pourtant judicieux. David Corenswet (qui jouait le projectionniste de Pearl) est un Kal-El/Clark Kent impeccable, Rachel Brosnahan (héroïne de la série La Fabuleuse Madame Maisel) campe une Lois Lane pétillante et Nicholas Hoult (le Fauve des X-Men) nous offre une variante intéressante de Lex Luthor. Mais ces trois-là n’ont pas grand-chose à défendre au milieu de ce chaos bruyant et frénétique. Difficile d’imaginer comment l’univers DC au cinéma va pouvoir se remettre d’une telle dégringolade.

 

© Gilles Penso

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28 ANS PLUS TARD (2025)

Une suite tardive de 28 jours plus tard, dans laquelle un village de survivants s’organise pour vivre au milieu des infectés…

28 YEARS LATER

 

2025 –  GB

 

Réalisé par Danny Boyle

 

Avec Aaron Taylor-Johnson, Jodie Comer, Alfie Williams, Ralph Fiennes, Chris Fulford, Emma Laird, Edvin Ryding, Jack O’Connell, Erin Kellyman, Chi Lewis-Parry

 

THEMA ZOMBIES I SAGA 28 JOURS PLUS TARD

Après 28 jours plus tard en 2002 et 28 semaines plus tard en 2007, 28 ans plus tard débarque enfin en 2025, le temps de l’action du film prenant cette fois de l’avance sur le calendrier réel. Et pourquoi ne pas avoir intitulé ce troisième volet « 28 mois plus tard » ? Il faut savoir que l’excellente suite façon Aliens réalisée par Juan Carlos Fresndillo était une production Fox Atomic, une filiale morte-née de la Fox qui a emmené les droits de la franchise avec elle dans son naufrage, ce qui explique que ce nouvel opus ait mis autant de temps à se monter, après que Sony Pictures ne les récupère. Danny Boyle et Alex Garland, respectivement réalisateur et scénariste de l’original, n’avaient d’ailleurs pas été directement impliqués dans ce projet. En effectuant un bond de 28 ans en avant dans l’histoire, ils évitent ainsi de devoir coller à 28 semaines plus tard, dont la fin ouverte aurait imposé de situer l’action en France après un laps de temps finalement peu déterminant pour la situation socio-politique de l’intrigue. Ce nouvel opus se présente à la fois comme une excroissance de 28 jours plus tard et un film indépendant, pour ne pas laisser les potentiels nouveaux spectateurs sur le carreau. Boyle revient à ses « zombies » avec le même élan rétro-créatif qui l’avait amené à réaliser la suite tardive de Trainspotting en 2017. Mais entretemps, Alex Garland est devenu lui-même un cinéaste accompli. Il affirme ne pas avoir mis un pied sur le tournage ou dans la salle de montage, ne voulant pas souffler de directives à l’oreille de Danny Boyle. Pourtant, si la réalisation porte bien la patte de ce dernier, les thématiques et la structure de 28 ans plus tard en font une œuvre à part entière de la filmographie de Garland.

28 ans plus tard : le virus ne s’est pas répandu dans le monde entier et a pu être circonscrit en Grande-Bretagne. Le territoire se retrouvant dès lors confiné, les survivants abandonnés à leur sort doivent s’organiser pour survivre en cohabitant avec les infectés. Alex Garland ne cherche pas à souligner la métaphore du Brexit, tout juste évoque-t-il le fait que la situation a forcément influencé son écriture avec ce qu’il décrit comme un « Brexit inversé » : « L’Angleterre a décidé de se couper de l’Europe mais dans mon scénario, c’est l’Europe qui isole le pays pour empêcher la propagation du virus. Le reste du monde peut se passer de nous. » (1) Il est intéressant de voir que la société décrite dans le film n’a ainsi rien à voir par exemple avec celle de Doomsday : les survivants vivent dans un petit village construit sur un îlot accessible uniquement à marée basse (une configuration qui donnera lieu à une très efficace course-poursuite), leur quotidien ressemblant à la vie rurale de la première moitié du 20ème siècle, jusqu’à l’absence d’armes à feu, remplacées par des arcs et des flèches. La réalisation de Danny Boyle conserve une certaine énergie « punk » dans sa façon d’établir parfois ses propres règles, à coup de mouvements de caméra et décadrages nerveux. Et puisqu’il avait choisi de tourner 28 jours plus tard avec de simples caméscopes numériques pour conférer un aspect plus cru et réaliste à l’image, il choisit de tourner cette suite avec le dernier iPhone en date (Steven Soderberg l’ayant devancé sur ce point avec Paranoïa en 2018) et nous immerge dans la campagne verdoyante du Royaume-Uni. Un parti-pris figurant bien sûr dans le scénario d’Alex Garland, qui s’inscrit dans la continuité thématique de ses réalisations précédentes.

Bienvenue à Zombie-Garland

Dans Ex Machina, Annihilation, Men et Civil War, les espaces forestiers omniprésents représentaient parfois un refuge, un havre de paix ou au contraire un territoire hostile. Dans tous les cas, la forêt/campagne figurait toujours une zone de non-droit pour les humains, la Nature n’étant pas « méchante », simplement sans pitié. Garland envoie ses protagonistes explorer une zone hostile (cf. Annihilation et Civil War) dans laquelle la Nature a repris ses droits : pas de villes délabrées à l’horizon, juste des forêts et des prairies à perte de vue. L’être humain y est insignifiant et Boyle explique avoir voulu montrer la nature « au naturel », telle que nous l’avions nous-mêmes laissée pendant le confinement de 2020. Il introduit également les alphas dans les hordes d’infectés, leur conférant ainsi un semblant d’organisation sociale et donc d’humanité, ce qu’illustrera la scène de l’accouchement d’une infectée dont l’instinct maternel occasionnera une trêve forcée avec le personnage interprété par Jody Comer. Mais si les mères savent faire la paix, les pères eux, ne savent faire que la guerre. D’ailleurs, l’alpha infecté n’est-il pas le reflet du personnage d’Aaron Taylor-Johnson ? Le double est un autre thème récurrent du cinéma de Garland : dans Ex Machina, l’humain se confondait avec la machine ; dans Annihilation, l’effet miroir était encore plus prononcé avec la « zone » qui clonait littéralement les lieux et les personnes. Ici, il se confond avec son double primitif. Le film est d’ailleurs lui-même découpé en deux parties thématiquement opposées (le père apprenant au fils à donner la mort et ce dernier cherchant ensuite à préserver la vie de sa mère malade) auxquelles le personnage de Ralph Fiennes apportera une alternative, un équilibre dans ce parcours initiatique : en honorant les morts, il célèbre avant tout la vie

 

(1) Extrait d’un entretien publié sur le site Film Stories en juin 2025

 

© Jérôme Muslewski

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JURASSIC WORLD : RENAISSANCE (2025)

Une expédition top-secrète cherche à prélever l’ADN de trois titans préhistoriques réfugiés sur une île sauvage pour en tirer un remède révolutionnaire…

JURASSIC WORLD: REBIRTH

 

2025 – USA

 

Réalisé par Gareth Edwards

 

Avec Scarlett Johansson, Mahershala Ali, Jonathan Bailey, Rupert Friend, Manuel Garcia-Rulfo, Luna Blaise, David Iacono, Audrina Miranda, Philippine Velge

 

THEMA DINOSAURES I SAGA JURASSIC PARK

On peut s’étonner de voir une star de la trempe de Scarlett Johansson tenir le haut de l’affiche de cet énième épisode d’une saga amorcée 32 ans plus tôt et déjà usée jusqu’à la corde. Mais l’ex-Black Widow est une fan inconditionnelle de Jurassic Park – elle avait neuf ans lorsque le premier film est sorti et ne s’en est visiblement pas remise ! Pas question pour elle de laisser passer une chance d’apparaître donc dans la franchise préhistorique. D’autant que le réalisateur à la tête de ce septième opus est le très talentueux Gareth Edwards (Monsters, Godzilla, Rogue One, The Creator). Après le désistement de David Leitch (Deadpool 2, Bullet Train), pressenti avant lui pour diriger le film, Edwards se jette lui aussi dans l’aventure avec un enthousiasme sans retenue. « J’étais sur le point de faire une pause et j’ai commencé à écrire ma prochaine idée de film », raconte-t-il, « mais j’ai tout lâché pour avoir la chance de faire un Jurassic Park. J’adore le premier film. Je pense que c’est un chef-d’œuvre cinématographique, alors cette opportunité était comme un rêve pour moi. » (1) Le retour du scénariste David Koepp, déjà à l’œuvre sur les deux premiers volets réalisés par Steven Spielberg, marque d’ailleurs une volonté manifeste de renouer avec l’esprit originel de la saga.

Le scénario de Jurassic World : Renaissance semble vouloir prendre à revers le concept du film précédent, qui laissait les animaux préhistoriques s’ébattre un peu partout sur la planète. Alors que la Terre suffoque sous les dérèglements climatiques, nous apprenons que les dinosaures disparaissent peu à peu, victimes d’une nouvelle hécatombe. Seuls quelques survivants subsistent dans les zones équatoriales, notamment sur l’île de Saint-Hubert, où l’ancien complexe d’InGen sert désormais de refuge aux derniers spécimens libérés. C’est là que la société pharmaceutique ParkerGenix envoie une expédition secrète. Leur objectif : récolter de l’ADN de trois créatures rares pour développer un traitement révolutionnaire contre les maladies cardiaques. À la tête de cette opération périlleuse se trouve le duo de mercenaires Zora Bennett (Scarlett Johansson) et Duncan Kincaid (Mahershala Ali), épaulé par le paléontologue Henry Loomis (Jonathan Bailey). Mais l’aventure prend un tournant inattendu lorsqu’un voilier de plaisance, transportant une famille, est attaqué par un mosasaure et doit se joindre au petit commando. Livrés à eux-mêmes dans une jungle hostile, nos protagonistes vont devoir redoubler d’inventivité pour ne pas finir au menu des dinosaures.

Le dîner des dinos

Tourné en 35 mm et au format Panavision sous les bons auspices du directeur de la photographie John Mathieson, qui cherche visiblement à retrouver la patine des films mis jadis en lumière par Dean Cundey et Douglas Slocombe, Jurassic World : Renaissance est une déclaration d’amour frontale au cinéma de Steven Spielberg. Gareth Edwards y rend non seulement hommage à Jurassic Park mais aussi aux Dents de la mer et à la saga Indiana Jones. Comme il le fit dans Godzilla, le cinéaste ménage habilement ses effets, laissant souvent apparaître les titans en creux – flous à l’arrière-plan, furtivement éclairés par une source de lumière, émergeant discrètement de l’ombre – pour mieux surprendre ses spectateurs et leur donner un coup d’avance sur les victimes potentielles des prédateurs. La mise en scène s’appuie souvent sur les différences d’échelle entre les dinosaures et les humains, comme dans la séquence du T-Rex endormi. Ce spécimen se révèle certes aussi maladroit et stupide que son cousin obèse qui apparaissait dans L’Homme des cavernes, mais il nous offre tout de même une jolie séquence de suspense aquatique. Alors qu’Alexandre Desplat se réapproprie intelligemment les thèmes musicaux de John Williams, Edwards y va de ses petits hommages discrets (le rétroviseur en début de métrage, la banderole « Quand les dinosaures dominaient le monde », un bus scolaire estampillé « Crichton Middle School ») en évitant de justesse les travers du fan service facile. Alors certes, Jurassic World : Renaissance n’est qu’une sympathique série B au budget hypertrophié, dont les maigres tentatives d’épaissir les enjeux et les personnages restent souvent superficielles – les états d’âme de nos mercenaires en bout de course, les vilaines manigances capitalistes du groupe pharmaceutique. Mais Gareth Edwards fait le job et semble y prendre beaucoup de plaisir. Plaisir en grande partie partagé, il faut bien l’avouer.

 

(1) Extrait d’une interview publiée dans Collider en février 2024

 

© Gilles Penso

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