CHIEN 51 (2025)

Le réalisateur de BAC Nord transforme Gilles Lelouche en flic du futur dans un Paris dystopique où règnent les intelligences artificielles…

CHIEN 51

 

2025 – FRANCE / BELGIQUE

 

Réalisé par Cédric Jimenez

 

Avec Gilles Lelouche, Adèle Exarchopoulos, Louis Garrel, Artus, Romain Duris, Valeria Bruni Tedeschi, Lala Ace, Hugo Dillon, Stéphane Bak, Daphné Patakia

 

THEMA FUTUR

Après avoir enchaîné les polars, les thrillers et les films de guerre solidement ancrés dans la réalité (Aux yeux de tous, La French, HHhH, BAC Nord, Novembre), Cédric Jiménez s’aventure sur le terrain de la science-fiction sans pour autant renoncer aux codes avec lesquels il est familier, ceux du film d’action urbain immergeant ses personnages à fleur de peau dans un contexte hostile. Pour Chien 51, il s’appuie sur un roman de Laurent Gaudé, récipiendaire du prix des écrivains du Sud en 2022. Le titre, énigmatique, rappelle la condition précaire de son héros, un policier déclassé devenu chien de garde et arborant le matricule 51. L’entrée en matière du film évoque tant l’univers de John Carpenter qu’il est difficile de ne pas y voir un hommage frontal et assumé : musique au synthétiseur, cadre en cinémascope, panoramas nocturnes de la cité, armée de policiers futuristes… On se croirait dans une relecture de New York 1997. D’autres œuvres phares d’anticipation nous viendront à l’esprit au fil du film, de Strange Days à Minority Report en passant par Les Fils de l’homme. Il y a pires références, nous en conviendrons. D’autant que Cédric Jimenez a le bon goût de ne pas jouer la carte du mimétisme ou du clin d’œil cinéphilique. Chien 51 reste un film singulier, qui possède sa propre personnalité et s’inscrit surtout dans un cadre inhabituel : un Paris futuriste.

La topographie de la capitale française fait partie intégrante de la narration : la Seine, la Tour Eiffel, le périphérique, et surtout une nouvelle division par strates sociales : la zone 1, la zone 2 et la zone 3. Entendez trois classes, comme à bord du Titanic ou du train hivernal de Snowpiercer. Dans cette cité redécoupée comme un nouveau Metropolis, chacun cherche à échapper à sa condition pour gravir les échelons, tandis que les programmes de téléréalité abrutissent les masses en offrant à une poignée de chanceux le fragile espoir d’échapper à leur triste condition. Pour couronner le tout, cette société policière est désormais assistée par une intelligence artificielle qui épaule solidement les forces de l’ordre, pilote ses drones, identifie les citoyens et scénarise les scènes de crime. Rien de tel pour faire régner l’ordre et lutter contre les malfrats, notamment ce groupuscule gênant qui dit non à la technologie et au contrôle des masses. Comme dans tout film policier qui se respecte, c’est un meurtre qui déclenche l’intrigue. Mais pas n’importe lequel : celui du fondateur d’Alma, cette fameuse IA qui régit désormais la vie de tous. Salia (Adèle Exarchopoulos), une enquêtrice d’élite de la Zone 2, et Zem (Gilles Lelouche), un policier désillusionné de la Zone 3, vont devoir travailler ensemble pour trouver le coupable. Leur enquête va vite dévoiler une vaste conspiration…

Paris 2045

Comme toujours, la mise en scène de Jimenez se révèle d’une solidité à toute épreuve, virtuose même lorsque les voitures se lancent dans d’ébouriffants chassés croisés ou que les individus sont poursuivis par des drones programmés pour les tuer. Chien 51 est un film extrêmement ambitieux et s’en donne les moyens. Pour autant, le réalisateur n’essaie pas de se lancer dans un film « à l’américaine ». S’il a digéré ses influences, il cherche à conserver sa patte et une approche la plus réaliste possible. Son duo d’acteurs principaux emporte d’ailleurs immédiatement l’adhésion par sa justesse et sa sobriété, Lelouche et Exarchopoulos ayant déjà eu l’occasion de jouer pour lui dans BAC Nord. On ne peut pas toujours en dire autant de certains seconds rôles. Car selon les séquences qui les mettent en scène, Romain Duris, Louis Garel, Artus et Valeria Bruni Tedeschi crèvent l’écran avec panache ou au contraire font retomber le soufflé à cause d’un surjeu qui aurait sans doute nécessité quelques ajustements. Même si certains raccourcis scénaristiques sont un peu durs à avaler, même si quelques répliques sonnent un peu faux et même si le simplisme de la démonstration altère parfois notre suspension d ‘incrédulité, Chien 51 fonctionne la plupart du temps à plein régime, sur un rythme haletant qui nous laisse K.O. en fin de projection. En tendant vers les spectateurs le miroir d’un monde en marche vers sa propre déshumanisation, Jimenez prouve surtout qu’un cinéma de genre à la française peut exister sans renier ses racines sociales et politiques.

 

© Gilles Penso

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TRON : ARES (2025)

Truffé de morceaux d’anthologie, ce troisième Tron bâtit son scénario autour de la problématique du contrôle des intelligences artificielles…

TRON : ARES

 

2025 – USA

 

Réalisé par Joachim Rønning

 

Avec Jared Leto, Greta Lee, Evan Peters, Jodie Turner-Smith, Hasan Minhaj, Arturo Castro, Cameron Monaghan, Gillian Anderson, Jeff Bridges

 

THEMA MONDES VIRTUELS ET PARALLÈLES I SAGA TRON

Un troisième Tron n’était pas forcément l’idée commerciale la plus pertinente du studio Disney, l’aura et le culte entourant le premier et – dans une moindre mesure – le deuxième film n’ayant pas vraiment trouvé leur écho au box-office. De fait, ce nouvel opus aura mis plusieurs années avant de se frayer un chemin jusque sur les écrans. Le développement d’une suite de Tron : l’héritage est pourtant annoncé dès l’automne 2010 par Steven Lisberger lui-même, le père du premier Tron. Mais rien ne se passera comme prévu. L’échec au box-office de A la poursuite de demain, puis l’acquisition par Disney de Lucasfilm et Marvel seront autant d’obstacles dressés sur le chemin de ce troisième volet, pas complètement annulé mais en état de « suspension cryogénique », pour reprendre les termes de Joseph Kosinski, réalisateur de Tron : l’héritage. Les grèves des acteurs et scénaristes hollywoodiens de 2023 n’arrangent évidemment pas les choses. Mais Disney tient bon. Après un grand jeu de chaises musicales, le film est finalement confié au réalisateur norvégien Joachim Rønning, habitué aux séquelles des films de la maison de Mickey (Pirates des Caraïbes : la fontaine de jouvence, Maléfique : le pouvoir du mal) et le tournage s’amorce en janvier 2024 à Vancouver. Refusant de faire de Tron : Ares une sorte de remake déguisé du premier film (c’était l’un des reproches qu’on pouvait adresser à Tron : l’héritage) ou même de reprendre les personnages du deuxième épisode (malgré une fin ouverte qui laissait planer plusieurs prolongements possibles), les scénaristes Jesse Wigutow et David Digilio jouent la carte du renouveau.

Nous suivons donc en parallèle deux destins qui ne vont pas tarder à se croiser. D’un côté, Eve Kim (Greta Lee), talentueuse programmeuse et présidente de la société Encom, l’immense entreprise technologique autrefois dirigée par Kevin Flynn, s’isole loin de la civilisation pour tenter de percer le mystère du « Code de Permanence » afin de perpétuer les travaux de sa défunte sœur et d’œuvrer pour le bien commun. De l’autre, Julian Dillinger (Evan Peters), héritier aux dents longues d’un empire technologique bâti par son grand-père, développe la création d’un arsenal high-tech piloté par des intelligences artificielles. Mais ses créations, si impressionnantes soient-elles, se désagrègent au bout de 29 minutes. Il se met donc en quête du fameux « Code de Permanence », missionant sur le terrain un programme à qui il a donné une forme humaine et un corps physique : Arès (Jared Leto). Petit problème inattendu : ses interactions avec l’humanité vont pousser Arès à remettre en question son allégeance à Dillinger. Car cette fois, ce ne sont plus seulement les humains qui s’aventurent dans les univers virtuels. Les programmes, à leur tour, franchissent le miroir numérique, avec des conséquences pour le moins spectaculaires. D’où une série de séquences d’action complètement dingues, en particulier une course de cycles au milieu de la circulation urbaine et un climax aux proportions titanesques.

Quand le virtuel devient réel

Puisque désormais les intelligences artificielles s’invitent dans notre monde et prennent une apparence humanoïde, l’analogie avec Terminator – manifestement assumée – saute aux yeux, notamment lorsque ces simulacres d’êtres vivants se lancent dans une mission destructrice et finissent par échapper au contrôle de leurs créateurs. L’idée de l’autodestruction des créatures artificielles, au bout d’une demi-heure, reflète l’obsolescence programmée de nos outils technologiques mais se fait aussi l’écho des vies successives des personnages de jeux vidéo… avec à la clé une question fascinante : vaut-il mieux vivre mille vies fugaces, ou une seule, mais durable ? Après le coup médiatique qui avait placé les Daft Punk à la tête de la bande originale de Tron : l’héritage, il fallait transformer l’essai. En choisissant cette fois-ci Nine Inch Nails, les producteurs ont le nez creux. La musique incroyablement énergique de Trent Reznor et Atticus Ross contribue beaucoup à l’impact du film, qui se pare visuellement d’une esthétique plus chaleureuse que celle du deuxième volet. A ce titre, la séquence du « hacking » est un morceau de bravoure quasiment hypnotique. Le casting est l’autre bonne surprise du film. Jared Leto est impeccable en être virtuel troublé par des sentiments humains inattendus, Jodie Turner-Smith parfaite en « Terminatrice » dénuée d’émotion. On apprécie aussi le rôle nuancé tenu par Gillian Anderson et l’apparition incontournable de Jeff Bridges. Bien sûr, le film n’est pas exempt de faiblesses : quelques raccourcis scénaristiques pas toujours faciles à avaler, une approche parfois simpliste de l’intelligence artificielle et un fan service appuyé, jusqu’à une scène post-générique à la Marvel. Mais la générosité du spectacle l’emporte haut la main… surtout au format Imax 3D, pour lequel Tron : Arès a été conçu, garantie pour le public d’une immersion totale et vertigineuse.

 

© Gilles Penso

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PRIMITIVE WAR (2025)

La guerre du Vietnam et la préhistoire s’entrechoquent dans ce qui est probablement le meilleur film de dinosaures depuis Jurassic Park !

PRIMITIVE WAR

 

2025 – AUSTRALIE

 

Réalisé par Luke Sparke

 

Avec Ryan Kwanten, Tricia Helfer, Nick Wechhsler, Jeremy Piven, Anthony Ingruber, Aaron Glenane, Carlos Sanson Jr., Albert Mwangi, Adolphus Waylee, M.J. Kokolis

 

THEMA DINOSAURES

Contrairement à ce que pourraient faire croire son poster et son titre, Primitive War n’est pas un « creature feature » de seconde zone façon Asylum (Jurassic City), Syfy (Dinocroc) ou Nu Image (Raptor Island) mais une production australienne ultra-ambitieuse rivalisant sans rougir avec la saga Jurassic Park. Le miracle tient dans le fait que le film a été réalisé sans grand studio, sans subvention ni prévente, avec un budget extrêmement modeste estimé à 7 millions de dollars, soit 66 fois moins que celui de Jurassic World : le monde d’après ! En s’appuyant sur l’expérience acquise sur ses films précédents et sur le travail acharné d’un groupe d’artistes indépendants rompus aux techniques numériques, Luke Sparke porte le projet à bout de bras, assurant lui-même la production, la réalisation, le scénario, le montage, les décors et la co-supervision des effets visuels. Le film s’inspire d’une série de romans écrite par Ethan Pettus et publiée pour la première fois en 2017. « J’ai été captivé par les images qui entourent ces livres d’Ethan et l’histoire qu’ils racontent », explique-t-il. « J’ai travaillé dur pour capturer cette essence, mais aussi le côté cru, les aspects horrifiques et le contexte militaire. Mon objectif était de donner l’impression que les personnages du film Platoon se retrouvaient face aux plus grands prédateurs que la planète ait jamais connus. » (1) Pari largement réussi.

Fidèle à la plume d’Ethan Pettus, le film s’ancre dans un contexte historique tangible. Pendant la guerre du Vietnam, en 1968, un peloton de Bérets verts est stationné dans une vallée reculée de la jungle. Pris dans une embuscade, les soldats sont attaqués et décimés par des prédateurs inconnus. Face à la disparition de l’unité, le colonel qui les avait sous sa responsabilité fait appel à une équipe de reconnaissance connue sous le nom de « Vulture Squad ». L’objectif est clair : retrouver les Bérets verts disparus sans chercher à comprendre quelle était la nature de leur mission top secrète. Parachutés dans la vallée, les membres de l’escouade avancent dans la jungle touffue, découvrent des traces étranges, d’énormes plumes et des empreintes qui semblent appartenir à un animal inconnu. L’expédition prend vite des allures cauchemardesques lorsque nos braves soldats tombent nez à nez avec une meute de dinosaures affamés… Certes, les clichés de films de guerre du Vietnam ne nous sont pas épargnés, notamment la ponctuation régulière de la bande son avec des morceaux de rock et de blues des années 60, tandis que la mécanique narrative reste proche de celle d’Aliens : le commando militaire qui affronte des monstres lors d’une mission de sauvetage.  Mais le film transcende allègrement ces lieux communs pour nous offrir un spectacle de très grande qualité. Les effets visuels y sont extrêmement soignés, la reconstitution de la guerre du Vietnam très ambitieuse et les acteurs franchement convaincants.

Jurassic Platoon

De nombreuses images délicieusement surréalistes – bâtissant leur impact sur leur anachronisme – ponctuent Primitive War : un T-rex somnole dans un cimetière de pachydermes, un deinonychus trimballe un petit alligator dans sa gueule, une horde d’hadrosaure passe au loin tandis que les soldats traversent la brousse, des tricératops s’abreuvent en même temps que des éléphants, des dizaines de brontosaures se promènent en compagnie de notre commando sur les collines, des ptérosaures passent à l’attaque au-dessus des hautes herbes. On croirait parfois voir les tableaux légendaires de Charles Knight et Zdenek Burian, rois de la peinture paléontologique, prendre vie sous nos yeux. Face à ce spectacle incroyablement généreux, force est de constater qu’aucun épisode de la saga Jurassic Park/World n’avait osé montrer autant de dinosaures. Le nombre de morceaux de bravoure et de séquences d’action est sacrément impressionnant, le film ne se réfrénant pas non plus sur quelques effets gore gratinés, tout en s’efforçant de ne pas filmer les créatures comme des monstres mais comme des animaux se positionnant au sommet de la chaîne alimentaire dans un environnement qu’ils se sont réappropriés. Le postulat qui justifie la présence de ces bêtes préhistoriques en plein vingtième siècle n’emprunte cette fois-ci pas ses idées à la génétique mais à la physique quantique et aux trous de vers. Mais le constat est le même : quand l’homme joue à l’apprenti-sorcier, il se laisse dépasser par ses recherches. Malgré ses moyens extrêmement limités, Primitive War est donc non seulement une excellente surprise, mais aussi l’un des meilleurs films de dinosaures jamais vus sur un écran depuis le premier Jurassic Park !

 

(1) Extrait d’une interview publiée sur Bloody Disgusting en septembre 2024

 

© Gilles Penso

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MARCHE OU CRÈVE (2025)

Cette adaptation sans concession d’un des récits les plus brutaux de Stephen King réunit 50 concurrents pour une compétition sanglante…

THE LONG WALK

 

2025 – USA

 

Réalisé par Francis Lawrence

 

Avec Cooper Hoffman, David Jonsson, Garrett Wareing, Tut Nyuot, Charlie Plummer, Ben Wang, Jordan Gonzalez, Joshua Odjick, Mark Hamill

 

THEMA POLITIQUE FICTION I SAGA STEPHEN KING

Parmi les centaines d’histoires inventées par Stephen King, la grande majorité semblait destinée à être portée très vite à l’écran. C’est Carrie – premier roman publié et premier film adapté – qui ouvrit le bal. D’autres, en revanche, ont longtemps rôdé en coulisses. Marche ou crève appartient à cette seconde catégorie. Écrit dans la jeunesse de l’auteur, ce texte féroce est demeuré pendant des décennies l’un de ses romans « impossibles à adapter ». Lorsque King imagine ce conte cruel à la fin des années 1960, il n’est encore qu’un jeune professeur arrondissant ses fins de mois avec des nouvelles éditées dans des magazines de seconde zone. Trop cru, trop violent, le manuscrit restera inédit jusqu’à la fin des années 1970, où il paraîtra sous le pseudonyme de Richard Bachman. Le fait que ce nom d’emprunt ait aussi servi pour Running Man n’est sans doute pas innocent, ces deux romans partageant la même plume acerbe et le même portrait d’une Amérique à la dérive où la compétition se transforme en cauchemar. Ici, nous voilà face à une sorte d’épreuve sportive insensée : cent adolescents marchent jusqu’à l’épuisement, surveillés par des soldats qui abattent les retardataires. Seul le dernier survivant sera récompensé. 

En portant ce récit à l’écran, Francis Lawrence insiste sur l’épuisement physique, filmant les tremblements, la sueur, les crampes, tout en adoptant une mise en scène volontairement minimaliste. Les jeunes comédiens eux-mêmes sont poussés à l’extrême : leurs visages marqués et leurs gestes alourdis sont corollaires du véritable marathon auquel ils ont dû se prêter sur le tournage. Une question finit par traverser le récit : qui regarde ? La Longue Marche est conçue comme un spectacle destiné à galvaniser une nation. Mais le film lui-même place le spectateur dans cette même position de voyeur. Assis dans son fauteuil, il observe ces jeunes corps s’effondrer les uns après les autres, pris entre fascination et malaise. En cela, Marche ou crève ne parle pas seulement d’une dystopie fictive : il nous renvoie au miroir de nos propres consommations d’images violentes, de télé-réalités humiliantes ou de compétitions déshumanisées. Face à l’autorité représentée par le personnage du major (Mark Hamill), les adolescents ne peuvent se raccrocher qu’à leur solidarité de fortune, leurs conversations brisées par la fatigue, leurs rêves murmurés entre deux halètements. 

Un pied dans la tombe

Si Marche ou crève résonne autant aujourd’hui, c’est que sa cruauté symbolise parfaitement notre époque. Les compétitions absurdes, la pression de la performance, la valorisation de l’endurance sans fin sont autant de réalités qui hantent nos vies quotidiennes, du monde du travail aux logiques de divertissement. On peut penser à Squid Game, Battle Royale ou Hunger Games, bref à ces fictions où la survie devient un jeu. Mais ici, l’épure est totale : pas de futurisme, pas d’arène spectaculaire, seulement une route et cinquante adolescents condamnés à avancer. Nous sommes finalement plus proches du glaçant Punishment Park. Cette simplicité radicale rend le propos d’autant plus universel. En divisant par deux le nombre de marcheurs par rapport au livre, en évitant toute scène de foule, en ne nous montrant jamais l’impact de cet événement national sur la population, Lawrence privilégie une sorte d’épure qui mue quasiment le récit en allégorie. Après des décennies de faux départs (George Romero, Frank Darabont, André Øvredal ont envisagé à tour de rôle de porter ce roman à l’écran), Marche ou crève s’impose comme l’une des adaptations les plus singulières – et les plus réussies ? – de Stephen King. C’est en tout cas le sommet de la carrière d’un cinéaste qui, avec Constantine, Je suis une légende et la saga Hunger Games, n’avait pas encore montré toute l’étendue de son talent. Voilà chose faite.

 

© Benjamin Braddock

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THE TOXIC AVENGER (2023)

Un remake improbable avec Peter Dinklage en vengeur toxique, Kevin Bacon en businessman véreux et Elijah Wood en homme de main difforme…

THE TOXIC AVENGER

 

2023 – USA

 

Réalisé par Macon Blair

 

Avec Peter Dinklage, Jacob Tremblay, Taylour Paige, Kevin Bacon, Elijah Wood, Luisa Guerreiro, David Yow, Annette Badland, Sunil Patel, Margo Cargill

 

THEMA SUPER-HÉROS I MUTATIONS I SAGA TOXIC AVENGER

En 1984, la petite maison indépendante Troma Entertainment met le feu aux salles de cinéma avec The Toxic Avenger, mélange de comédie potache, de satire sociale, de gore outrancier et de film de super-héros fauché. Produite pour une poignée de dollars et interdite aux moins de 17 ans, cette curiosité est devenue la mascotte de Troma, donnant naissance à trois suites, une comédie musicale, des comics Marvel et même un dessin animé du samedi matin (Toxic Crusaders, diffusé en 1990), preuve que le personnage pouvait séduire au-delà du cercle des amateurs de bisseries. Quarante ans plus tard, voilà que le vengeur toxique ressurgit dans un remake signé Macon Blair, acteur-réalisateur remarqué dans le circuit indépendant (I Don’t Feel at Home in This World Anymore). Annoncé depuis des années et teasé en festivals en 2023, son Toxic Avenger n’a pourtant trouvé distributeur qu’en 2025, Cineverse s’associant finalement avec Iconic Events Releasing pour sortir le film après une longue période d’errance. Ce qui frappe d’abord, dans ce remake, c’est son casting déroutant. Dans le rôle du grand méchant capitaliste, on retrouve un Kevin Bacon cabotin comme jamais, qui se délecte en PDG carnassier dînant avec politiciens, militaires et évêques corrompus, conforme aux seconds rôles caricaturaux qu’il aime tenir à ce stade de sa carrière. Elijah Wood, quasiment méconnaissable sous son maquillage, campe son frère difforme, évoquant autant Quasimodo que le Pingouin de Batman Returns.

Mais la vraie curiosité reste Peter Dinklage, choisi pour incarner le futur Toxie. L’ancien Tyrion Lannister n’endosse pourtant pas seul le costume : il joue le personnage avant sa mutation, puis cède la place, sous les kilos de mousse de latex, à l’actrice Luisa Guerreiro. Spécialiste des créatures costumées (elle a déjà été Oompa Loompa et Télétubbie, c’est dire), Guerreiro mime et prolonge le travail de Dinklage dans une prestation hybride, presque chorégraphiée à quatre mains. L’ex-star de Game of Thrones joue donc dans un premier temps Winston Gooze, un agent d’entretien sans histoires, veuf et beau-père d’un adolescent avec lequel il peine à nouer un lien. Son quotidien se réduit à son travail harassant à l’usine pharmaceutique BTH, dirigée par le redoutable Bob Garbinger (Kevin Bacon, donc). Quand Winston apprend qu’il est atteint d’une maladie incurable, l’espoir d’un traitement est aussitôt brisé par une mutuelle qui refuse de prendre en charge les frais astronomiques. Désespéré, il tente un braquage dérisoire dans l’usine, armé d’un simple balai imbibé de produits toxiques. Mais son geste maladroit attire l’attention des hommes de main de Garbinger, déjà lancés à la poursuite d’une journaliste trop curieuse. Winston est abattu, avant que son cadavre ne soit plongé dans une cuve de produits chimiques. Aussitôt, une étrange mutation s’opère…

Mini-Toxie

Visuellement, ce nouveau Toxie tient la route. Les prothèses et les mécanismes animatroniques conçus par Charlie Bluett (World War Z, 28 ans plus tard) et Kate Walshe (Ex Machina, The Crow) nous offrent un rendu pustuleux et visqueux à souhait. Mais là où le film original créait un décalage en transformant un gringalet timide en colosse difforme, Blair choisit une voie moins radicale : Winston reste petit et trapu, même après mutation (Peter Dinklage et Luisa Guerreiro ont à peu près la même taille, à dix centimètres près). L’effet comique s’en trouve fatalement amenuisé. L’idée d’injecter dans le film un peu d’émotion, via la relation qui lie Winston et son beau-fils, n’est pas inintéressante, et n’est pas sans évoquer quelques-uns des films de James Gunn, justement transfuge de Troma et maître dans l’art d’équilibrer trash et tendresse. Sur le papier, ce Toxic Avenger semble cocher beaucoup de cases : l’humour potache, le gore spectaculaire, l’impertinence, le grain de folie… et pourtant la mayonnaise ne prend pas totalement, peut-être justement parce que tous ces ingrédients ont l’air savamment dosés, comme trop calculés. Sans doute l’anarchie authentique du film original, son inconscience et son esprit ouvertement punk manquent-ils à l’appel. Le remake est certes plus convaincant que ne l’était par exemple la version modernisée de Street Trash réalisée en 2024 par Ryan Kruger, mais il a peu de chance de rester durablement dans les mémoires. Et puis, malgré tout le bien que nous pensons de Peter Dinklage, un Toxie « demi-portion » ne nous convainc finalement… qu’à moitié.

 

© Gilles Penso

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CONJURING : L’HEURE DU JUGEMENT (2025)

Annoncé comme la dernière enquête des époux Warren, ce quatrième volet laisse entrevoir la possibilité d’une évolution de la franchise…

CONJURING LAST RITES

 

2025 – USA

 

Réalisé par Michael Chaves

 

Avec Vera Farmiga, Patrick Wilson, Mia Tomlinson, Ben Hardy, Elliot Cowan, Beau Gadsdon, John Brotherton, Steve Coulter, Madison Lawlor, Orion Smith, Kate Fahy

 

THEMA DIABLE ET DÉMONS I FANTÔMES I SAGA CONJURING

Quatrième incursion dans l’univers bâti autour d’Ed et Lorraine Warren et neuvième opus de la saga Conjuring, Conjuring : l’heure du jugement affiche clairement une volonté de clore un cycle, tout en laissant entrevoir d’autres possibles prolongements. Dans une industrie où les franchises d’horreur finissent souvent par s’étouffer sous leurs propres artifices, l’annonce d’une « dernière enquête » pour le couple vedette ne pouvait qu’attiser la curiosité. Dès l’ouverture, le récit met en avant une idée centrale : l’usure des Warren, qui ne sont plus seulement des enquêteurs confrontés aux forces occultes mais aussi un couple vieilli, entouré de leur fille Judy et de son fiancé Tony. Cet angle familial change la dynamique habituelle. Là où les épisodes précédents plaçaient le duo au cœur du dispositif, L’Heure du jugement fait entrer Judy dans la lumière. Longtemps réduite à une silhouette périphérique, la jeune femme devient ici un personnage moteur. Ce choix scénaristique permet d’aborder la thématique de passation, comme si la saga testait sa capacité à survivre sans ses figures tutélaires. Le script s’inspire de ce que les journaux américains des années 1980 appelèrent « la hantise des Smurl ». Pendant plus d’une décennie, une famille de Pennsylvanie affirma avoir été harcelée par une entité démoniaque. L’affaire attira les prêtres, les psychologues et les démonologues de tous poils.

Conjuring : l’heure du jugement reprend ces éléments réels mais les reconfigure pour en faire une ultime épreuve familiale. Le surnaturel est donc traité à la fois comme une menace extérieure et comme un révélateur de fragilités intimes. C’est là l’un des paris les plus intéressants de ce quatrième opus, qui tente de conjuguer la mécanique du film de possession avec un drame domestique. Sur le plan esthétique, Michael Chaves reste fidèle aux codes qui ont fait le succès de la saga en continuant – comme il le fit dans l’épisode précédent – d’emboîter les pas de James Wan. Mais c’est moins dans les effets de terreur « classiques » ou attendus – les figures fantomatiques et grimaçantes qui surgissent çà et là pour faire sursauter les spectateurs – qu’il fait mouche que lorsqu’il laisse le hors-champ faire son travail. Quand la fille Warren (Mia Tomlinson), seule dans une cabine d’essayage tapissée de miroirs, se perd dans un labyrinthe de reflets et se retrouve piégée dans une sorte de cauchemar mental (une séquence qui semble payer son tribut à Mario Bava et Dario Argento), ou quand le père Gordon (Steve Coulter) perd pied dans un décor pourtant ordinaire qui semble suinter de menaces diaboliques impalpables, Michael Chaves marque des points parce qu’il titille les peurs primaires sans en faire des tonnes. Même chose dans cette scène de décorticage d’un enregistrement vidéo qui, certes, dure beaucoup trop longtemps, mais sait éveiller nos sens en évoquant les investigations du Blow Out de Brian de Palma. Ce sont ces moments suspendus qui rappellent la force originelle du premier Conjuring.

Transition générationnelle

Le casting, lui, confirme sa solidité. Patrick Wilson et Vera Farmiga incarnent encore une fois un couple crédible et solide, sans perdre une once de leur charisme. Wilson impose une présence plus fragile, marquée par les années et par un cœur malade, tandis que Farmiga poursuit son travail d’identification avec la véritable Lorraine Warren, jusque dans les détails vestimentaires. Face à eux, Mia Tomlinson apporte un mélange de fraîcheur et de gravité qui donne au personnage de Judy une dimension nouvelle, bien éloignée du rôle secondaire qu’elle tenait auparavant (sous les traits des actrices Sterling Jerins dans Conjuring et Conjuring 2 et Grace McKenna dans Annabelle : la maison du mal). À ses côtés, le petit-ami campé par Ben Hardy complète efficacement le duo, même si son personnage reste plus fonctionnel. La vraie question posée par L’Heure du Jugement est celle de l’avenir. Le film est présenté comme la conclusion des aventures des Warren, mais il prépare aussi, en filigrane, une possible continuité. On peut y voir une tentative de prolonger la franchise sans trahir son ADN, en opérant une transition générationnelle. Il s’agit donc moins de fermer la porte que de tester la résistance de l’univers à de nouveaux visages.

 

© Benjamin Braddock

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RED SONJA (2025)

Quarante ans après Kalidor, la guerrière aux cheveux rouges imaginée par Robert Howard revient manier l’épée sous les traits de Matilda Lutz…

RED SONJA

 

2025 – USA

 

Réalisé par M. J. Bassett

 

Avec Matilda Lutz, Robert Sheehan, Wallis Day, Luca Pasqualino, Michael Bisping, Martyn Ford, Eliza Matengu, Danica Davis, Joana Nwamerue, Mana El-Feitury

 

THEMA HEROIC FANTASY

Dans Revenge, Coralie Fargeat exhibait Matilda Lutz sous toutes ses coutures, mais le potentiel dramatique de l’actrice y était éclipsé par la mise en valeur insistante de sa plastique. Il aura fallu le regard de M.J. (Jadis Michael J.) Bassett, pour que la jeune femme puisse échapper à cette objectification fétichiste et s’imposer comme une héroïne à part entière, capable de porter sur ses épaules une épopée ambitieuse. Pour autant, la mise en chantier de Red Sonja ne fut pas un long fleuve tranquille, loin s’en faut. Ceux qui gardent en mémoire le sympathique mais anecdotique péplum Kalidor avec Brigitte Nielsen savent que la « diablesse rouge », imaginée par Robert Howard puis magnifiée dans les comics de Roy Thomas, n’avait pas encore eu droit à un long-métrage digne de son envergure. Robert Rodriguez envisagea de s’y coller avec Rose McGowan dans le rôle principal, suivi de Simon West avec Amber Heard, puis de Joey Soloway avec Hannah John-Kamen. Mais c’est finalement M. J. Bassett qui hérita du bébé. Quoi de plus normal ? N’avait-elle pas dirigé un fort honorable Solomon Kane en 2009, déjà d’après Robert Howard ? De nombreux épisodes de séries TV et quelques longs-métrages plus tard (Silent Hill : Revelation, Inside Man : Most Wanted, Rogue, Espèces menacées), Bassett retrouve donc l’univers du créateur de Conan le barbare et place Matilda Lutz sous le feu des projecteurs.

Red Sonja est une « origin story » qui raconte la naissance de la légende, au cœur du pays imaginaire d’Hyrkanie. Enfant, Sonja voit sa terre natale envahie par des barbares qui massacrent la majorité de son peuple et la forcent à fuir dans les vastes et mystérieuses forêts voisines. Séparée des derniers survivants de sa tribu, elle atteint l’âge adulte en cherchant d’autres Hyrkaniens. Sa confrontation avec des braconniers va la lancer sur la piste du vil empereur Draygan, qui a décidé de dominer le monde, comme tout bon vilain qui se respecte. Au lieu de la montagne de muscles campée jadis par Brigitte Nielsen, Matilda Lutz incarne une Sonja plus animale, une sorte de nymphe des forêts mythologique capable de communier avec la nature, comme en témoigne le lien fusionnel qui l’unit au cheval Vihur et ses dialogues fréquents avec l’arbre anthropomorphique à l’image de la déesse Ashéra. Robert Sheeran, lui, transfuge de la série Misfits et de Mortal Engines, campe un tyran pétri de duplicité, génial et immature à la fois, bien déterminé à asservir les animaux et à déforester pour concrétiser ses rêves de conquête. Son opposition avec Sonja est évidemment une parabole de la lutte contre l’industrialisation massive qui détruit l’environnement pour y puiser des ressources et s’enrichir. « La Terre saigne et réclame notre aide », finit même par dire une voix ancestrale qui retentit dans la tête de notre héroïne.

L’appel de la forêt

La forêt féerique dans laquelle évolue Sonja en début de métrage n’aurait pas dépareillé dans Legend. Passé l’enchantement premier, Bassett la truffe de toutes sortes de créatures fantaisistes telles que des rhinocéros préhistoriques, des scorpions géants, des hommes-singes ou encore un gigantesque cyclope cornu aux pattes de bouc qui rend hommage au 7ème voyage de Sinbad et au bestiaire de Ray Harryhausen. La séquence de combat qui le met en scène paie aussi son tribut à l’affrontement de la Moria dans La Communauté de l’Anneau. Mais plus encore que Legend, le scénario de Red Sonja semble vouloir se référer ouvertement à un autre film de Ridley Scott, en l’occurrence Gladiator. Car Sonja, réduite en esclavage et contrainte de se battre dans l’arène de l’empereur, agit ici comme une émule de Spartacus. Le groupe de rebelles qui se joint à elle et se cache dans la forêt évoque quant à lui l’imagerie de Robin des Bois. Malgré ces nombreuses réminiscences, Bassett bâtit un film qui possède sa propre singularité, brosse des personnages secondaires passionnants (notamment Anisia, une ancienne esclave ayant racheté sa liberté et désormais hantée par la voix de tous ceux qu’elle tua) et achemine son récit vers un climax étonnant qui va à l’encontre de ce qu’on attend habituellement d’un ultime affrontement entre le héros et son ennemi juré. La très belle musique épique composée par Sonya Belousova et Giona Ostinelli achève de faire de Red Sonja un spectacle hautement recommandable. Très ouvert, l’épilogue laisse espérer une suite que nous appelons de nos vœux.

 

© Gilles Penso

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THE RITUAL – L’EXORCISME D’EMMA SCHMIDT (2025)

Al Pacino incarne un vieil exorciste missionné pour chasser le démon qui s’est emparé d’une jeune paroisienne…

THE RITUAL

 

2025 – USA

 

Réalisé par David Midell

 

Avec Al Pacino, Dan Stevens, Ashley Greene, Abigail Cowen, Patrick Fabian, Patricia Heaton, Maria Camila Giraldo, Meadow Williams, Courtney Rae Allen

 

THEMA DIABLE ET DÉMONS

Contrairement à ce qu’affirme fièrement sa campagne marketing, le scénario de The Ritual ne s’appuie pas sur les faits qui ont inspirés L’Exorciste mais sur une autre affaire véridique survenue en 1928 dans l’Iowa. L’histoire d’Emma Schmidt fit l’objet d’un ouvrage de Carl Vogl, Begone Satan !, publié en 1935 et relatant en détail la possession de cette jeune femme ainsi que les rituels mis en place pour l’exorciser. Fascinés par ce récit, le réalisateur David Midell et son coscénariste Enrico Natale décident d’en tirer un long-métrage. Le projet prend de l’ampleur en 2023 lorsqu’Al Pacino est annoncé en tête d’affiche. Voir celui qui incarnait jadis le Malin, dans L’Associé du diable, entrer cette fois-ci dans la soutane d’un émissaire de l’église catholique ne manque pas d’ironie. À ses côtés, Ben Foster est sélectionné pour incarner un jeune prêtre sceptique. Mais trois mois après le début du tournage, sans raison officielle, Foster quitte la production pour être remplacé par Dan Stevens, acteur éclectique qui fut tour à tour la Bête de La Belle et la Bête, le chef des gangsters d’Abigail ou l’androïde d’I’m Your Man. À leurs côtés, Ashley Green (la fiancée zombie de Burying the Ex de Joe Dante) joue une religieuse que cette affaire ne va pas laisser indemne, et la jeune Abigail Cowen campe la « possédée », adoptant en début de métrage un look qui rappelle beaucoup celui de Sissi Spacek dans Carrie.

En 1928, dans la paisible petite ville agricole d’Earling, au fin fond de l’Iowa, une jeune femme nommée Emma Schmidt est tourmentée par des terreurs nocturnes, connaît des accès de violence, parle des langues qu’elle n’a jamais apprises et manifeste une haine anormale envers tout ce qui est sacré. Sa famille, de fervents catholiques, est convaincue qu’elle est possédée et sollicite l’aide de l’Église. Leur appel désespéré parvient au père Theophilus Riesinger, un vieux prêtre capucin ayant déjà mené de nombreux exorcismes. Riesinger se rend dans l’Iowa et décide de lancer aussitôt une série de rituels visant à chasser le diable, accompagné à contrecœur par le jeune responsable de la paroisse locale, le père Joseph Steiger. Ce dernier, ébranlé par le récent suicide de son frère, doute de la réalité de la possession démoniaque et préfèrerait solliciter l’intervention du corps médical. Mais lorsqu’il rencontre Emma et assiste à ses agissements inexplicables, son scepticisme commence à vaciller.

« Nous sommes l’armée du Seigneur »

Avec ses prises de vues caméra à l’épaule, ses petits coups de zoom et ses recadrages abrupts, la mise en scène de David Midell cherche à accentuer le caractère documentaire du film – sans pour autant céder aux tics du « found footage ». The Ritual tient en effet à garder une patine réaliste et non-spectaculaire, égrenant les séances d’exorcisme et comptabilisant le nombre de rituels un par un, jour après jour. La partie la plus intéressante du film – qui était aussi au cœur de l’approche de William Friedkin dans L’Exorciste – est la confrontation entre la vieille génération représentée par le frère capucin et celle d’un jeune prêtre qui commence sérieusement à douter de sa propre foi. Ici, le cartésianisme et la quête d’explication rationnelle s’opposent à la vision religieuse et spirituelle. Et comme le film prend soin de choisir le personnage incarné par Dan Stevens comme pôle d’indentification des spectateurs, la démarche du père Theophilus Riesinger, qui affirme avec aplomb « nous sommes l’armée du Seigneur », laisse forcément perplexe. Ne faut-il pas y voir un excès de bigoterie fanatique ? Au-delà du choc culturel entre les deux hommes, une sorte d’attirance mutuelle – pas très catholique – semble se dessiner de manière sous-jacente entre le père Steiger et la sœur Rose. C’est bien sûr dans cette faille que va tenter de s’engouffrer le démon. S’il est solidement mis en scène et interprété avec conviction, The Ritual finit hélas par s’affaisser sous le poids de sa prolifique ascendance. Car depuis Friedkin, les films d’exorcismes n’ont cessé de pulluler sur les écrans, et force est de constater que celui-ci n’apporte rien de particulièrement neuf, nous laissant finalement sur notre faim.

 

© Gilles Penso

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TOGETHER (2025)

Après avoir goûté à une source d’eau souterraine au fin fond de la forêt, un couple en crise subit une étrange mutation…

TOGETHER

 

2025 – USA

 

Réalisé par Michael Shanks

 

Avec Dave Franco, Alison Brie, Damon Herriman, Mia Morrissey, Karl Richmond, Jack Kenny, Francesca Waters, Aljin Abella, Sarah Lang, Rob Brown, Ellora Iris

 

THEMA MUTATIONS

« Sommes-nous toujours ensemble parce que nous nous aimons ou parce que nous nous sommes habitués l’un à l’autre ? » Cette ligne de dialogue, qu’on entend vers le début de Together, expose frontalement la problématique majeure que vit le couple mis en scène dans le film. Sur quoi l’équilibre devenu fragile de leur vie commune repose-t-il ? Sont-ils encore des êtres autonomes ? Cette interaction permanente ne finit-elle pas par devenir étouffante ? Michael Shanks lui-même, dont c’est le premier long-métrage après plusieurs courts très remarqués (dont Rebooted, qui rend hommage aux squelettes des films de Ray Harryhausen), y plaque ses propres interrogations et ses propres inquiétudes. « J’ai décidé d’explorer le potentiel horrifique qui peut découler d’une relation à long-terme, les peurs liées à l’engagement, à la codépendance, la monogamie et les ressentiments », explique-t-il (1). Et pour pousser encore plus loin sa démarche, le jeune réalisateur sollicite un véritable couple face à sa caméra : Dave Franco et Allison Brie. Emballés par le projet, les deux acteurs/époux s’investissent à fond – mentalement et physiquement – dans cette romance contrariée qui vire au body horror.

Les prémices de Together nous évoquent The Thing ou La Couleur tombée du ciel. Pendant une battue dans la forêt organisée pour retrouver un couple de randonneurs disparus, deux chiens s’égarent dans les recoins sombres d’une grotte souterraine et s’abreuvent au point d’eau qu’ils y trouvent. Quelques heures plus tard, une étrange mutation les frappe… Cela étant posé, le film nous familiarise avec nos protagonistes Tim (Dave Franco) et Millie (Alison Brie). Ils s’aiment de toute évidence et leur histoire dure depuis un bon moment, mais même leurs amis sentent que quelque chose cloche. Sont-ils vraiment épanouis ? Alors que Millie fait bouillir la marmite en tant qu’institutrice, Tim vivote en rêvant encore – à 35 ans – de percer en tant que musicien. Il n’a même pas son permis de conduire, obligeant sa petite amie à faire office de chauffeur. Cette relation d’interdépendance prend une tournure nouvelle lorsque le jeune couple décide de quitter la grande ville au profit d’une vie campagnarde. Après leur emménagement, ils partent en randonnée pour tenter de resserrer les liens qui se distendent inexorablement. Mais tous deux se perdent dans une grotte souterraine et étanchent leur soif grâce à l’étang qu’ils y trouvent. Le point de non-retour s’amorce alors…

L’amour fusionnel

Together puise d’abord sa force dans la crédibilité de ses personnages. Toutes les petites piques, les reproches sous-jacents ou les regards discrets sonnent juste parce qu’ils sentent le vécu. Michael Shanks intègre même dans son scénario un traumatisme d’enfance très personnel. « J’ai écrit le personnage de Tim comme une version sombre de moi-même », confie-t-il (2). C’est sur cette base solide que s’invite l’élément fantastique, non comme un ajout artificiel mais comme une métaphore directe de la crise que connaît le couple. « La plupart des mariages n’additionnent pas deux personnes : ils en retranchent une de l’autre », disait Ian Fleming avec sa verve volontiers misogyne. Il n’empêche que l’angoisse de cet effacement de personnalité hante tout le métrage. Et lorsque soudain le couple devient plus fusionnel que jamais, frappé par une attraction physique qui dépasse l’entendement, une autre citation – de Victor Hugo celle-là – nous vient à l’esprit : « Le mariage est une greffe : ça prend bien ou mal. » Plus le film avance, plus les questionnements élargissent leur scope, jusqu’à aborder frontalement le sujet de l’identité de genre et à convoquer le mythe grec d’Hermaphrodite. Pour autant, Together ne cherche jamais à intellectualiser son sujet ou à se placer au-dessus du genre. Au contraire, lorsqu’il s’agit de visualiser les conséquences les plus extrêmes de cette situation anormale, Michael Shanks n’y va pas par quatre chemins et repousse les limites corporelles avec une totale absence de retenue. David Cronenberg n’a qu’à bien se tenir : ce jeune émule se révèle particulièrement prometteur.

 

(1) et (2) Extraits d’une interview publiée sur Creative Screenwriting en juillet 2025

 

© Gilles Penso

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ÉVANOUIS (2025)

Une nuit, 17 élèves d’une même classe d’école primaire disparaissent sans laisser de trace. Que s’est-il passé ?

WEAPONS

 

2025 – USA

 

Réalisé par Zach Cregger

 

Avec Julia Garner, Josh Brolin, Alden Ehrenreich, Austin Abrams, Cary Christopher, Benedict Wong, Amy Madigan, June Diane Raphael, Clayton Farris, Whitmer Thomas

 

THEMA SORCELLERIE ET MAGIE

Après le succès largement mérité de Barbare en 2022, Zach Cregger s’attaque à un film qu’il veut plus personnel. Son intention est de faire d’Évanouis une sorte d’épopée horrifique à la fois ample et intime. La genèse du scénario est marquée par un événement tragique : la mort de son ami et collaborateur Trevor Moore, avec qui il co-réalisa Miss Mars et The Civil War on Drugs. C’est donc le deuil qui guide sa démarche artistique. Comme pour Barbare, Cregger part d’une simple image mentale – ici, des enfants courant dans la nuit – et construit le récit au fil de l’écriture, à l’instinct, sans plan prédéfini. En janvier 2023, le scénario déclenche une véritable guerre d’enchères entre Netflix, Universal Pictures, TriStar et New Line Cinema. Malgré l’offre financière plus élevée de Netflix, New Line emporte le projet grâce à une sortie cinéma garantie et à sa solide réputation dans le genre horrifique (n’est-elle pas la « maison mère » des franchises Freddy Krueger, Conjuring, Ça et Destination finale ?). En moins de 24 heures, le studio propose 38 millions de dollars pour couvrir la production et les salaires, offrant à Cregger 10 millions ainsi que le « final cut » (conditionné tout de même aux projections test). Cette liberté créative, doublée d’un budget confortable, assure au réalisateur un terrain idéal pour bâtir ce long-métrage complexe et déroutant qui mêle de près le drame humain et l’horreur viscérale.

À 2 h 17 du matin, dans la petite ville de Maybrook, Pennsylvanie, dix-sept enfants de CE2 quittent mystérieusement leur domicile et disparaissent dans la nuit. Tous les élèves se sont évaporés sans laisser de trace, sauf le très discret Alex Lilly (Cary Christopher). L’enseignante de la classe, Justine Gandy, est incarnée par Julia Garner, étoile montante du genre dont on a pu apprécier la présence dans Wolf Man, Appartement 7A ou Les Quatre Fantastiques : premiers pas. L’institutrice est interrogée par la police aux côtés d’Alex, mais aucune piste concrète n’émerge. Les jours passent sans avancée notable. Près d’un mois plus tard, le directeur de l’école, Marcus Miller (Benedict Wong, que le grand public connaît bien grâce à Doctor Strange), la met en congé forcé, cédant à la pression d’une communauté suspicieuse. Isolée et fragilisée, Justine sombre dans l’alcool et retrouve un appui fragile auprès de son ex-compagnon, le policier Paul Morgan (Alden Ehrenreich, version « jeune » de Harrison Ford dans Solo). Pendant ce temps, Archer Graff (Josh Brolin), père du jeune Matthew, l’un des disparus, perd patience face à l’inaction policière. Déterminé à percer le mystère, il entreprend sa propre enquête…

Les disparus

Évanouis baigne dans une atmosphère qui évoque fortement Stephen King, même si Zach Cregger ne cite pas l’écrivain parmi ses sources d’inspiration conscientes. Pourtant, que le cinéaste le veuille ou non, cette histoire d’enfants disparus, de mal insidieux qui s’insinue au sein d’une petite communauté américaine et de personnages luttant contre leurs démons intérieurs ravive forcément les écrits de l’auteur de Carrie. Comme Barbare avant lui, Évanouis déstabilise par la plupart de ses choix artistiques. Sa narration éclatée, d’abord, nous propose d’appréhender les mêmes événements à travers des points de vue différents. Cette technique, héritée bien sûr du Rashomon de Kurosawa, aurait été directement inspirée à Zach Cregger par Magnolia (influence assumée, celle-ci). Comme dans le film choral de Paul Thomas Anderson, Évanouis entrecroise les destins de différents personnages évoluant chacun au sein d’un arc émotionnel indépendant. Par ailleurs, le scénario s’attache à des protagonistes complexes auxquels il n’est pas toujours facile de s’identifier, tant ils regorgent de failles, de défauts et de faiblesses. Peut-on pleinement s’impliquer dans les tourments de cette enseignante irritante, ce père colérique, ce flic instable, ce voyou à la dérive ou ce gamin taciturne ? Comme si ça ne suffisait pas, Cregger opère des ruptures de ton brutales, oscillant entre le drame intime et l’explosion de violence grandguignolesque. Évanouis aurait pu souffrir de ce jeu des contrastes et désarçonner ses spectateurs – au risque de perdre leur investissement et leur empathie. Or c’est le contraire qui se produit. L’envie de comprendre et de dénouer les fils de cette intrigue insaisissable maintient intacte l’attention du public. On s’inquiète, on a peur, on est surpris, on est secoué, on rit, et au bout de ce grand 8 émotionnel, la clé de l’énigme nous saisit d’effroi. C’est là que le titre original énigmatique prend soudain tout son sens.

 

© Gilles Penso

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