LE PALAIS DES MILLE ET UNE NUITS (1905)

Georges Méliès réinvente à sa manière les contes arabes dans cette féerie hallucinante truffée de sortilèges et de créatures fantastiques…

LE PALAIS DES MILLE ET UNE NUITS

 

1905 – FRANCE

 

Réalisé par Georges Méliès

 

Avec Georges Méliès

 

THEMA MILLE ET UNE NUITS I DRAGONS

Avec Le Palais des Mille et Une Nuits, Georges Méliès signe l’un de ses films les plus ambitieux, et sans doute l’un des plus représentatifs de son art. Le titre promet un voyage en Orient, terre de merveilles et de sortilèges telle que l’imaginait l’Occident du début du XXe siècle. Pourtant, le film n’adapte pas directement les contes d’Aladin ou de Shéhérazade mais s’en inspire librement. Le héros est le prince Sourire, un jeune noble sans fortune épris de la princesse Indigo. Hélas, le père de cette dernière, un rajah autoritaire, refuse leur union et destine sa fille à un riche usurier. Désemparée, la princesse libère accidentellement un magicien, Khalafar – interprété par Méliès lui-même -, qui lui remet un cimeterre magique capable de changer leur destin. S’ensuit une quête parsemée d’épreuves : temple mystérieux, forêt enchantée, déesses animées, squelettes, dragons et autres apparitions extravagantes. Dans ce tourbillon d’images et d’inventions, le prince affronte les manifestations surnaturelles, triomphe du mal et revient couvert de richesses pour épouser enfin sa bien-aimée. Cette trame simple n’est qu’un prétexte à un déploiement visuel spectaculaire. Car Le Palais des Mille et Une Nuits est avant tout une explosion d’imagination, où Méliès pousse à leur paroxysme les possibilités du cinéma naissant.

Produit par sa société, la Star Film, Le Palais des Mille et Une Nuits existe en deux versions : une copie abrégée d’environ 22 minutes et une version complète avoisinant les 28 minutes, durée exceptionnelle pour l’époque. C’est l’un des tout premiers films véritablement « longs » de Méliès, composé de dizaines de tableaux qui s’enchaînent comme une succession de numéros de théâtre. Chaque scène recèle une trouvaille visuelle, des statues qui s’animent aux fantômes translucides obtenus par surimpression, en passant par les objets qui disparaissent dans un nuage de fumée ou encore la végétation mouvante qui s’écarte d’elle-même pour révéler un temple. La séquence du serpent géant cracheur de feu que les héros affrontent dans une grotte lointaine est un moment d’anthologie. Le monstre est en réalité une marionnette grandeur nature (très semblable à celle du serpent géant qui surgissait dans Le Puits fantastique de 1903), dont les grands yeux, la gueule dentée et les cornes évoquent les gravures du 18ème siècle. Derrière l’effet spectaculaire se cache un travail d’orfèvre puisque l’équipe de Berthe Thuillier, collaboratrice fidèle de Méliès, appliquait minutieusement la couleur image par image au pochoir. Cette colorisation artisanale participe pleinement à la magie du film. Les ors et les rouges évoquent la richesse de l’Orient rêvé, tandis que les bleus et les verts plongent le spectateur dans un monde irréel où tout semble possible.

Les Folies Bergères orientales

L’ambition du projet se lit également dans l’ampleur de la production : plus de quarante comédiens (dont les noms ont hélas été oubliés aujourd’hui), des dizaines de décors peints et une profusion de costumes achetés auprès d’un fabricant de théâtre en faillite. On y retrouve même des danseuses issues des Folies Bergère. L’absence d’intertitres était compensée, lors des projections, par un bonimenteur qui racontait l’histoire en direct, une pratique courante à l’époque, transformant la séance en véritable performance vivante. Mais ce qui distingue Le Palais des Mille et Une Nuits des autres œuvres de Méliès, c’est la manière dont il conjugue l’exotisme et la magie. Là où Le Voyage dans la Lune explorait la science comme porte d’accès au rêve, celui-ci fait de l’Orient un pur territoire d’imagination. Méliès ne cherche évidemment pas le réalisme ethnographique. Il crée un monde symbolique, reflet des désirs et des croyances d’une époque fascinée par l’ailleurs. Nous sommes donc en présence d’un Orient de carton-pâte fantasmé, coloré et festif. Si Le Palais des Mille et Une Nuits fut l’un des derniers grands triomphes de Méliès avant le déclin de sa carrière, il demeure aujourd’hui une pièce maîtresse de son œuvre.

 

© Gilles Penso

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BLOODY BIRD (1987)

Une troupe de comédiens et de danseurs qui répètent un spectacle musical sont pris pour cible par un tueur psychopathe déguisé en rapace…

DELIRIA

 

1987 – ITALIE

 

Réalisé par Michele Soavi

 

Avec David Brandon, Richard Barkeley, Barbara Cupisti, Domenico Fiore, Robert Gligorov, Sheila Goldberg, Mickey Knox, Giovanni Lombardo Radice, Clain Parker

 

THEMA TUEURS

Assistant réalisateur sur un grand nombre de films fantastiques signés notamment par Dario Argento (Ténèbres, Phenomena, Opéra), Joe d’Amato (Horrible, 2020 Texas Gladiator, Le Gladiateur du futur) et Lamberto Bava (La Maison de la terreur, Démons), Michele Soavi s’est progressivement nourri d’une cinéphilie compulsive qu’il allait bien falloir faire jaillir à l’écran, un jour où l’autre. En 1987, il franchit donc le pas et réalise son premier long-métrage, Deliria, connu sous de nombreux titres alternatifs : Stage Fright aux États-Unis, Aquarius en Allemagne, Le Théâtre de la peur au Québec et Bloody Bird en France. « Je ne me sentais pas encore tout à fait prêt à passer à la mise en scène », confessera plus tard Soavi. « Mais bien sûr, lorsqu’on m’a proposé cette opportunité, j’ai accepté sans hésiter ! » (1) Force est de constater que notre homme fait preuve ici d’un solide savoir-faire et de goûts artistiques déjà très prononcés. Le film est produit par Joe d’Amato et écrit par l’acteur George Estman (Anthropophagous, Horrible) sous le pseudonyme de Lew Cooper. Soavi lui-même américanise son prénom pour le générique (Michele devient ainsi Michael). Car si Bloody Bird est une production 100% italienne, avec une équipe et un casting locaux, l’intrigue se situe aux États-Unis, comme en témoignent les drapeaux américains, les voitures de polices et les dollars qui apparaissent à l’écran.

Bloody Bird joue la carte de l’unité de lieu et de temps, puisque l’intrigue se déroule en une nuit dans un décor presque unique. Le soir est déjà tombé depuis longtemps lorsque l’intrigue démarre, alors qu’une troupe de comédiens et de danseurs poursuit ses répétitions sur la scène d’un théâtre. Dirigé d’une poigne de fer par Peter (David Brandon), un metteur en scène exigeant et autoritaire, le spectacle en préparation est une comédie musicale tournant autour d’un tueur en série fictif, le Night Owl. Moderne, teinté d’une forte charge érotique, le show est déjà programmé mais rien ne semble encore convenir à Peter, qui aboie après tout le monde pour obtenir ce qu’il veut. Lorsque l’actrice Alicia (Barbara Cupisti) se foule la cheville, elle et sa collègue Betty (Ulrike Schwerk) s’échappent discrètement pour aller chercher de l’aide médicale auprès d’un hôpital voisin. Or dans une des chambres/cellules de l’établissement, Betty remarque la présence d’Irving Wallace (Clain Parker), un redoutable tueur psychopathe. À l’insu de tous, ce dernier assassine un aide-soignant et se cache dans le coffre de la voiture de Betty. Lorsque les deux jeunes femmes regagnent le théâtre, elles ne sont plus seules…

Oiseau de mauvais augure

Dès son entame, Bloody Bird brouille les pistes, nous laissant croire à une scène de crime stylisée pour révéler aussitôt qu’il s’agit d’une répétition théâtrale avec des acteurs en costumes devant des feuilles de décor. Cette porosité entre la fiction et la réalité atteint son point de non-retour lorsque le tueur, remplaçant le comédien qui l’incarne, endosse sa tenue de rapace et occis vraiment une actrice sur scène pendant une répétition. Mais plus qu’un acteur de substitution (nous apprenons que le psychopathe était comédien avant de sombrer dans la folie meurtrière), notre assassin à tête d’oiseau se mue littéralement en metteur en scène, transformant ses meurtres en grand spectacle scénique, choisissant minutieusement les éclairages, la musique, la disposition du décor et des acteurs, poussant même le souci du détail jusqu’à laisser voler des plumes grâce à un ventilateur. Et ici encore, le faux-semblant est roi, puisque les cadavres se mêlent aux mannequins en plastique. Ce motif visuel est de toute évidence inspiré par Mario Bava. Car Soavi connaît ses classiques. S’il emprunte à son mentor Argento un certain sens de la flamboyance pour composer des séquences d’épouvante opératiques (au beau milieu d’un ballet qui fait écho à Suspiria), il semble aussi se laisser influencer par John Carpenter dont il reprend les jeux d’arrière-plans et les déflagrations musicales électroniques. Visuellement somptueux, Bloody Bird se situe donc aux confluents du giallo et du slasher, nous offre son lot de meurtres sanglants et de séquences de suspense stressantes et démontre le talent déjà immense du futur réalisateur de Dellamorte Dellamore.

 

(1) Extrait d’une interview publiée dans le magazine Gorezone en 1992.

 

© Gilles Penso

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SHOCK-O-RAMA (2005)

Une machine monstrueuse faite de carcasses de voitures, un zombie déchaîné et une savante folle se croisent dans ce film à sketches délirant…

SHOCK-O-RAMA

 

2005 – USA

 

Réalisé par Brett Piper

 

Avec Misty Mundae, Duane Polcou, Michael R. Thomas, David Fine, Erika Smith, Mike Schuster, Rob Bellamy, Rob Monkiewicz, Caitlin Ross, A.J. Khan, Julian Wells

 

THEMA ROBOTS I EXTRA-TERRESTRES I ZOMBIES I MÉDECINE EN FOLIE

Au début des années 2000, le scénariste et réalisateur Brett Piper pense à trois idées pouvant donner lieu à autant de longs-métrages autonomes : une entité extraterrestre qui séquestre un couple, un ancien sataniste qui revient d’entre les morts et un cerveau diabolique qui cherche à asservir l’humanité. Après réflexion, il choisit l’exercice du film à sketches, et c’est ainsi que nait le projet Shock-O-Rama, qu’il parvient à tourner en deux semaines à peine. Un producteur en quête d’une actrice habituée aux séries B visionne plusieurs films : tel est le prétexte pour enchaîner les trois courts récits de Shock-O-Rama. Le premier, « Mecharachnia », est une nouvelle déclaration d’amour de Brett Piper à l’animation en stop-motion. Poursuivie par une navette spatiale, une petite fusée traverse l’hyper-espace et atterrit sur terre au beau milieu d’une casse tenue par le massif Jed (Rob Monkiewicz). Le minuscule alien qui s’en échappe est une sorte de cyclope maigrichon et ricaneur armé d’un rayon laser. Animée dans huit plans très dynamiques, la créature se meut avec beaucoup d’agilité et s’intègre particulièrement bien dans les prises de vues réelles. Alors que notre héros tente d’échapper aux tirs nourris de l’envahisseur lilliputien, son ex-petite amie (Caitlin Ross) le rejoint pour réclamer l’argent qu’il lui doit. Le gremlin d’outre-espace électrifie alors les téléphones et la grille d’entrée pour piéger le couple.

Puis vient le clou du spectacle : un immense monstre mécanique que l’alien a créé en assemblant plusieurs carcasses et qui se dresse de toute sa hauteur pour attaquer les protagonistes. L’avant du corps est une carrosserie de voiture, l’arrière une sorte de turbine, le bras droit est une excavatrice, le bras gauche un canon, et l’ensemble est monté sur trois pattes articulées. L’incrustation de ce robot composite au milieu des comédiens est très réussie. L’un des plans les plus étonnants, dans ce domaine, montre Linda qui court entre ses pattes. Le climax de ce sketch audacieux montre la machine aux prises avec une pelleteuse conduite par Jed. La cinquantaine de plans dans lesquels s’anime cet émule low-cost de Robocop 2 et de La Guerre des Mondes prouve que la stop-motion reste parfaitement viable pour ce type de créature. Les deux autres sketches se passent quant à eux de l’animation, sans leur ôter pour autant leur charme « pulp » qui semble presque échappé d’une autre époque. Et pour compenser, Piper s’appuie largement sur l’exposition de l’anatomie d’un casting féminin très peu pudique.

Le cerveau solitaire

Dans « Zombie This », l’actrice Rebecca Raven (Misty Mundae), qui en a assez d’être cantonnée aux rôles d’exploitation dénudés et stéréotypés, décide de partir en vacances dans une maison isolée, où elle déterre accidentellement un zombie (Duane Polcou) bien décidé à la prendre pour cible. Le monstre vedette est ici affublé d’un maquillage un peu évasif, signé Michael Thomas, ce qui a tendance à renforcer le caractère « comic book » de ce segment drôle et excessif. Le rôle de l’agresseur et de la victime finissent par s’inverser en un joyeux retournement de situation qui s’appuie à la fois sur l’imagerie de House et de Evil Dead. Plus fou encore, le sketch « Lonely Are the Brain » met en scène le docteur Carruthers (Julian Wells), une scientifique dérangée qui mène des expériences sur les rêves dans une maison de repos peuplée de jeunes femmes séduisantes. Ces tests sont en réalité destinés à alimenter un cerveau vivant monstrueux, jusqu’à ce que l’une de ses cobayes (A.J. Khan) découvre la véritable nature de ces expérimentations et tente de mettre fin aux agissements de la savante folle. Ici, ce sont principalement des marionnettes qui sont sollicitées en guise d’effets spéciaux, notamment pour donner corps à des rats monstrueux, des serpents visqueux et cette fameuse entité maléfique au cerveau hypertrophié. Quelques-uns des éléments de cet ultime récit délirant annoncent le futur Dark Sleep de Brett Piper, dans lequel il rendra hommage à sa manière à l’univers de H.P. Lovecraft.

 

© Gilles Penso

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RESOLUTION (2012)

Le premier long-métrage d’Aaron Moorhead et Justin Benson prend la forme d’un huis-clos étouffant où se déploie une menace invisible…

RESOLUTION

 

2012 – USA

 

Réalisé par Justin Benson et Aaron Moorhead

 

Avec Peter Cilella, Vinny Curran, Zahn McClarnon, Bill Oberst Jr., Emily Montague, Kurt Anderson, Skyler Meacham, Josh Higgins, Justin Benson, Aaron Moorhead

 

THEMA VOYAGES DANS LE TEMPS

Resolution marque les débuts du duo Justin Benson et Aaron Moorhead, deux cinéastes qui s’imposeront ensuite comme des figures singulières du fantastique indépendant avec des films comme Spring, The Endless ou Synchronic. Dès ce premier long-métrage, ils signent une œuvre à la croisée des genres, oscillant entre le drame intime et le cauchemar métaphysique, son caractère fantastique se nichant dans les angles morts du récit. L’histoire débute de manière naturaliste. Michael (Peter Cilella), trentenaire rangé et futur père de famille, se rend dans une cabane perdue au cœur d’une réserve indienne pour retrouver son ami d’enfance Chris (Vinny Curran), toxicomane rongé par la méthamphétamine et la paranoïa. Déterminé à l’aider, Michael l’enchaîne au radiateur, espérant qu’une semaine de sevrage forcé suffira à le sauver. Voilà un point de départ clair, sommaire et dépouillé, presque théâtral. Mais bientôt, des éléments étranges s’invitent dans le huis-clos : des bruits nocturnes, des vidéos anonymes, des photographies anciennes, des fragments de pellicules…

Ce qui frappe d’abord, c’est la manière dont Resolution se réapproprient les codes du cinéma d’horreur. Pendant une large partie du film, Benson et Moorhead donnent l’impression de filmer un drame psychologique minimaliste. Les dialogues esquissent le portrait de deux hommes à la dérive, liés par une amitié abîmée mais indéfectible. Peu à peu, presque insidieusement, l’univers bascule. Les objets trouvés deviennent des messages, les images des avertissements, jusqu’à ce que la caméra elle-même devienne suspecte. C’est là que Resolution révèle sa véritable nature : une réflexion vertigineuse sur la narration, le regard et la fatalité. Le film semble hanté par une entité abstraite qui exige un récit et un dénouement, comme si les protagonistes étaient piégés dans une boucle où toute tentative d’échapper au scénario se soldait par un recommencement. En ce sens, Resolution convoque l’esprit de H.P. Lovecraft sans jamais citer explicitement ses mythes. On y retrouve la peur de l’invisible, l’insignifiance humaine face à une force cosmique indifférente, mais aussi l’impossibilité de comprendre ce qui dépasse notre perception. Mais cette influence est sans doute inconsciente, puisque les duettistes avouent ne s’être plongé dans la prose de l’écrivain de Providence que plus tard, pendant les préparatifs de The Endless.

Boucles et dissonances

Tourné avec un budget microscopique, Resolution s’appuie sur une mise en scène discrète, presque documentaire. La lumière naturelle, les cadrages fixes et l’absence d’effets spéciaux spectaculaires renforcent la crédibilité du contexte, ce qui rend les intrusions surnaturelles d’autant plus troublantes. Le duo Benson/Moorhead préfère la suggestion à la démonstration, la dissonance au jump scare. Le spectateur, à l’image de Michael, se retrouve bientôt dans un état de vigilance permanente, guettant les signes d’une logique cachée que le film refuse obstinément de révéler. À mesure que le récit avance, les couches de réalité se superposent et les personnages découvrent des archives montrant d’autres occupants de la maison, eux aussi confrontés à un cycle d’événements inexpliqués. Cette structure en abyme confère à Resolution une dimension quasi métafictionnelle, comme si nous assistions à un film conscient de sa propre existence, observé par une force qui pourrait bien être celle du cinéma lui-même. Benson et Moorhead détournent ainsi les outils du fantastique pour sonder les mécanismes du récit et interroger la position du spectateur. Qui regarde qui ? Qui contrôle le cadre ? L’horreur, ici, n’est pas dans la menace extérieure mais dans la conscience que tout, jusqu’à la peur, obéit à une logique écrite d’avance. Resolution s’inscrit ainsi dans la lignée d’un certain cinéma de l’inquiétude existentielle tout en annonçant les obsessions futures de ses auteurs : les boucles temporelles, la manipulation des réalités et la question du libre arbitre.

 

© Gilles Penso

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TIMEGATE (1999)

Deux jeunes femmes délaissées par leurs maris visitent une ville historique de l’Ouest et se retrouvent soudain propulsées en l’an 1888…

TIMEGATE : TALES OF THE SADDLE TRAMPS

 

1999 – USA

 

Réalisé par Dan Golden

 

Avec Amy Lindsay, Kim Yates, Nicholas Franklin Bray, Jim Stevens, Michelle Bauer, Ambert Newman, Shannon Malone, J.R. Kuykendall, Taimie Hannum, Collin Toran

 

THEMA VOYAGES DANS LE TEMPS I SAGA CHARLES BAND

Timegate est au départ le nom d’un concept avorté du créateur d’effets spéciaux Jim Danforth (Jack le tueur de géants), sorte de Jurassic Park avant l’heure racontant la mésaventure de touristes envoyés à l’époque des dinosaures. Charles Band a-t-il eu vent du projet ? Toujours est-il qu’il décide de s’emparer de ce titre pour un long-métrage qui n’a strictement rien à voir : un petit film érotico-fantastique conçu pour alimenter le catalogue « Surrender » que Band et son coproducteur Pat Siciliano inaugurèrent en 1996 avec Virtual Encounters. Ce n’est pas la première fois que les protagonistes des films de Charles Band voyagent dans le temps jusqu’à l’époque du Far West. C’était déjà le cas dans Ghost Town, Alien Abduction, Virtual Encounters 2, Phantom Town ou Timeslingers. Sans compter les westerns de SF qu’il conçut pour profiter d’un décor complet digne de Sergio Leone construit sur les plateaux de la société roumaine Castel Films à Bucarest, comme Oblivion, Oblivion 2 et Petticoat Planet. Avec Timegate, notre homme est donc en terrain connu. Si ce n’est que cette fois-ci, le tournage se déroule intégralement en Californie, avec un nombre de décors très limités – principalement un saloon et un tipi qui trône au milieu d’un bout de terrain désertique.

Les personnages principaux de Timegate sont Grace (Amy Lindsay) et Jenifer (Kim Yates), deux amies qui souffrent d’être un peu délaissées par leurs époux, Howard (Nicholas Franklin Bray) et Ray (Jim Stevens), très accaparés par leur travail commun – car tous deux sont collègues. Chacune trompe son ennui à sa manière, la première en se donnant au premier employé d’hôtel venu – redéfinissant de manière énergique la notion de « room service » -, la seconde en se morfondant lamentablement. Leurs hommes étant pris par un rendez-vous d’affaires, Grace et Jenifer décident d’aller visiter une vieille ville de l’Ouest muée en attraction touristique. Désespérée face à un miroir qui trône dans un ancien saloon, Jenifer se lamente : « je ne suis pas désirable, j’aimerais disparaître ! » Or son vœu se réalise. Elle se volatilise, tout comme Grace, et traverse le miroir. Les deux amies réapparaissent au même endroit… mais un siècle dans le passé. Désormais plongées dans une ambiance de western, elles vont devoir s’adapter à cette situation inattendue et trouver le moyen de regagner leur époque.

La quéquette de l'Ouest

Le fil de l’intrigue de Timegate est aussi ténu que le prétexte qui sert à projeter ses héroïnes dans le passé. Car tout ici ne sert qu’à accumuler un maximum de parties de jambe en l’air entre les filles et les cowboys. Il y a certes une petite idée amusante dans le scénario, qui permet à Grace et Jenifer de rencontrer les ancêtres de leurs époux respectifs : l’un est shérif, l’autre révérend, et aucun ne saura résister aux charmes de ces visiteuses d’une autre époque. En les séduisant, pourront-elles modifier le cours du temps et améliorer leurs relations futures avec Howard et Ray ? Autant dire que le film effleure à peine cette question, bien plus porté sur les scènes de fesses que sur les paradoxes temporels. Même chose pour cette vague enquête policière censée pimenter l’intrigue. La quête de l’assassin de l’adjoint du shérif tourne court dans la mesure où l’identité du coupable est très facile à deviner. Le casting nous permet d’apercevoir quelques visages familiers, comme la scream queen Michelle Bauer (Hollywood Chainsaw Hookers, Evil Toons, Dinosaur Island), la peu pudique Amber Newman (Dungeon of Desire) ou cette bonne vieille trogne de Irwin Keyes, second couteau dans des films aussi divers que Les Guerriers de la nuit, Le Droit de tuer ou La Famille Pierrafeu. Passées les 80 minutes réglementaires, le film renvoie Grace et Jenifer à leur époque et hop, le tour est joué. C’est ce qu’on appelle le service minimum.

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BAMBI : LA VENGEANCE (2025)

Le faon tout mignon de Walt Disney s’est transformé en monstre mutant à la force prodigieuse et aux instincts meurtriers…

BAMBI : THE RECKONNG

 

2025 – GB

 

Réalisé par Dan Allen

 

Avec Roxanne McKee, Russell Geoffrey Banks, Samira Mighty, Nicola Wright, Tom Mulheron, Alex Cooke, Catherine Adams, Joseph Greenwood, Adrian Relph

 

THEMA MAMMIFÈRES

Après Winnie l’Ourson, Porcinet et Peter Pan, c’est au tour de Bambi de se muer en personnage de film d’horreur. Comme dans les autres films de cette improbable saga connue des amateurs sous le nom de « Twisted Childhood Universe » (ou TCU), tout commence par un dessin animé minimaliste qui raconte les origines du monstre. Traumatisé par la mort de sa mère (comme tous les enfants qui découvrirent le film de Disney), Bambi survit seul dans la forêt, grandit, rencontre une biche et fonde une famille. Les nouveaux parents s’efforcent d’enseigner à leur progéniture les dangers du monde, ce qui n’empêche pas le drame de frapper à nouveau. La biche est mortellement renversée par un camion transportant des déchets toxiques et le petit faon disparaît dans la panique. Dévasté, Bambi boit l’eau contaminée d’une rivière, ce qui le transforme en une créature vorace et monstrueuse, bien déterminée à se venger. Nous voilà donc face à une sorte de « Toxic Avenger » cornu que le film va s’efforcer de montrer comme un dinosaure assoiffé de sang et de chair humaine. Et c’est Dan Allen, signataire d’un bon paquet de courts-métrages et de quelques films d’horreur à petit budget passés sous les radars (Unhinged, Mummy Reborn, It Came from Below), qui s’y colle.

Après son prologue dessiné, Bambi : la vengeance nous met en présence des personnages principaux : Xana (Roxanne McKee) et son fils Benji (Tom Mulheron). Tous deux prennent un taxi pour traverser la forêt et regagner la maison de campagne où séjourne la famille de Simon (Alex Cooke), le père de Benji. Simon lui-même est aux abonnés absents, à la grande déception de son fils, mais la belle-famille les attend au complet : deux oncles, une tante, un cousin et une grand-mère sénile qui ânonne seule dans son coin et noircit des feuilles avec des dessins bizarres représentant des animaux effrayants. Au milieu des bois nocturnes, le taxi qui transporte Benji et sa mère est soudain attaqué par un cerf monstrueux qui provoque un violent accident en rugissant. Evil Bambi vient d’entrer en scène ! Alors que Xena et son fiston essaient d’échapper au monstre déchaîné, un petit groupe de chasseurs se lance sur les traces de ce prédateur hors du commun…

Cerf violent

Étant donné que nous n’avions pas particulièrement été convaincus par les deux Winnie the Pooh, qu’espérer de ce Bambi ? Fallait-il encore s’attendre à un chassé-croisé dans une forêt sombre, avec force cris et jets de sang ? Oui, la recette est toujours la même. Mais la créature se révèle ici beaucoup plus spectaculaire. Pour transformer le gentil faon en monstre terrifiant, le film le dote d’une vitesse de bolide et d’une force colossale, mue ses bois en armes tranchantes, garnit sa mâchoire de crocs acérés, bref opère une impressionnante mutation. Particulièrement soignées – surtout si l’on tient compte du budget modeste de l’entreprise -, les images de synthèse qui donnent corps à la bête sont conçues par Ryan et Stephanie Bellgardt, habitués aux séries B désargentées. Grâce à leur travail remarquable, Dan Allen peut s’amuser à revisiter plusieurs scènes clés de Jurassic Park (notamment celle du T-rex sur la route et des raptors dans la cuisine) pour les adapter au quadrupède en furie, sans se réfréner sur les effets gore. Un malheur n’arrivant jamais seul, nos infortunés protagonistes découvrent en cours de route que d’autres animaux de la forêt ont absorbé les produits toxiques déversés dans la rivière, multipliant les possibilités de carnages. Désormais, vous ne regardez plus le sympathique Panpan comme avant ! Truffé de rebondissements inattendus et porté par des acteurs convaincants, Bambi : la vengeance n’est évidemment pas un chef d’œuvre, mais c’est sans doute ce qui se fait de mieux dans le genre « corruption des héros de notre enfance ».

 

© Gilles Penso

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LES AVENTURES FANTASTIQUES DU BARON MUNCHHAUSEN (1943)

Cette épopée flamboyante et féerique, conçue en pleine seconde guerre mondiale, fascine toujours autant par son inventivité et ses folies visuelles…

MÜNCHHAUSEN

 

1943 – ALLEMAGNE

 

Réalisé par Josef von Báky

 

Avec Hans Albers, Wilhelm Bendow, Michael Bohnen, Hans Brausewetter, Marina von Ditmar, Andrews Engelmann, Käthe Haack, Brigitte Horney, Waldemar Leitgeb

 

THEMA CONTES

Les Aventures fantastiques du Baron Münchhausen reste l’un des exemples les plus spectaculaires du cinéma de fantaisie produit en Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale. Mais c’est aussi une œuvre profondément paradoxale qu’il n’est pas simple d’extraire de son contexte historique. S’inspirant des récits légendaires de Karl Friedrich Hieronymus von Münchhausen – officier et aventurier du XVIIIᵉ siècle connu pour s’être attribué des exploits invraisemblables – le film a été commandité à l’initiative de Joseph Goebbels dans le cadre de la commémoration du vingt-cinquième anniversaire de la UFA et pour remonter le moral des troupes. Or cette épopée fantastique s’affranchit de tout message politique, optant pour un divertissement féerique d’une inventivité technique impressionnante. Le récit commence au XXᵉ siècle, lors d’un bal donné par le Baron von Münchhausen dans son château de Bodenwerder. Il y reçoit un jeune couple curieux de connaître l’histoire de son illustre ancêtre. À travers les souvenirs du baron, le spectateur est entraîné dans une succession de péripéties délirantes. Nous y découvrons la séduction de Catherine II de Russie, la rencontre avec le magicien Cagliostro et l’acquisition de la jeunesse éternelle ainsi que d’un anneau d’invisibilité, mais aussi la traversée d’un champ de bataille sur un boulet de canon, l’emprisonnement dans les geôles d’un sultan turc, les affrontements avec les sbires du doge en plein Venise, ainsi qu’un spectaculaire périple lunaire où des Sélénites sont capables de détacher leur tête du reste du corps.

À ces exploits déjà hallucinants s’ajoutent des inventions fantastiques et des artefacts farfelus tels qu’un fusil capable de tirer à des kilomètres, un messager ultra-rapide, des objets animés, bref autant d’excentricités propres à accentuer le grain de folie de ce conte excessif. La mise en scène de von Báky s’inspire directement des grandes productions hollywoodiennes des années 1930 et 1940, notamment Le Voleur de Bagdad et les classiques Disney, comme en témoignent les couleurs chatoyantes de l’Agfacolor, les décors monumentaux et les costumes somptueux. La réalisation des innombrables effets spéciaux du film aura nécessité près de dix mois de travail, la préparation des costumes et décors ayant déjà mobilisé cinq mois de préproduction. Mais si le film impressionne par son apparat visuel et la créativité de ses séquences fantastiques, sa construction narrative souffre de certaines longueurs et d’un enchaînement d’épisodes parfois hétérogène, proche d’une succession de sketches. Le rythme dramatique n’atteint pas toujours l’exubérance et la fluidité du modèle hollywoodien qu’est Le Voleur de Bagdad, et l’on ne peut s’empêcher de ressentir par moments une impression de dispersion.

La féerie dans la tourmente

Toutefois, ces réserves sont largement compensées par le charme des trouvailles visuelles et le sens de l’humour qui nimbe l’ensemble du film. Ces métamorphoses, ces duels absurdes, ces situations loufoques (le ballon s’élevant dans le ciel pour atteindre la Lune, les Sélénites aux têtes volantes, le fameux boulet de canon) sont autant de sources d’émerveillement. Nous voici donc en présence d’un chef d’œuvre de virtuosité technique et de fantaisie narrative, un condensé d’extravagance visuelle et de comédie inventive, déployé au fil de deux heures de spectacle flamboyant qui célèbrent l’imaginaire humain et confirment la puissance intemporelle des contes. Seulement voilà : Les Aventures fantastiques du Baron Munchhausen reste un outil de propagande du régime nazi, ou du moins fut-il envisagé dans cette optique. Difficile de faire totalement abstraction de cette information et d’apprécier pleinement le spectacle sans oublier les abominations perpétrées à l’époque par les assassins du troisième reich. C’est sans doute pour cette raison que nous aurions tendance à lui préférer la version réalisée par Terry Gilliam en 1988, qui reprend et amplifie son goût du délire visuel et de la fantaisie burlesque.

 

© Gilles Penso

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ANDROMINA (2000)

Trois pilotes spatiaux décident de visiter une planète uniquement peuplée par des femmes et rigoureusement interdite aux hommes…

ANDROMINA : THE PLEASURE PLANET

 

2000 – USA

 

Réalisé par Darren Patrick Moloney

 

Avec Christian Boeving, Samantha Philips, Griffin Drew, Gina-Raye Carter, Shannan Leigh, Shyra Deland, Mike Roman, Miyoko Fujimori, Eric Stratton, Tess Broussard

 

THEMA SPACE OPERA I SAGA CHARLES BAND

Andromina : The Pleasure Planet ne doit pas être confondu avec Pleasure Planet, réalisé par Albert Pyun en 1986 et déjà distribué par Charles Band (avec le titre alternatif de Vicious Lips). Mais Band n’est pas du genre à ne pas réutiliser une bonne idée. Pleasure Planet est donc recyclé comme sous-titre d’Andromina, l’un des nombreux films de science-fiction érotiques tournés à la chaîne pour la collection « Surrender » destinée au public adulte. Réalisateur de séquences additionnelles du Carnosaur produit par Roger Corman, Darren Patrick Moloney hérite de la mise en scène de cette série B sans prétention. Le scénario est signé Louise Monclair, coutumière du genre avec à son actif une quinzaine de titre tels que Zorrita, Phantom Love, Passion’s Obsession, Exotic Time Machine 2 ou Castle Eros. Mais le script est le parent pauvre de ce genre de film, plus porté sur l’anatomie de ses actrices que sur la cohérence de ses péripéties. Griffin Drew, l’une des beautés qui en tiennent la vedette, se souvient d’ailleurs confusément du tournage. « Pour être honnête, je n’ai pas vraiment compris mon personnage », raconte-t-elle dans l’extrait d’une interview citée sur le site IMDB. « Je pense que je suis une extraterrestre ou une sorte de déesse. Je passe mon temps à virevolter dans le film, vêtue d’une jolie toge rose. Finalement, je tombe amoureuse d’un des personnages, qui m’emmène sur une autre planète où je deviens accro au shopping ou quelque chose comme ça. » Voilà qui résume bien la rigueur scénaristique du film !

Autrefois, Andromina était la planète la plus torride de la galaxie, un véritable paradis pour les cowboys interstellaires en quête de plaisirs exotiques et de créatures de rêve. Mais cette époque est malheureusement révolue. Lorsque trois pilotes spatiaux y atterrissent, ils découvrent une planète désertée où les femmes ont quasiment toutes disparu et où l’ambiance n’est plus à la fête. « Le temps est à la réalité virtuelle et aux rendez-vous programmés », leur lance la barmaid désabusée qui les accueille. « Plus personne ne veut le faire à l’ancienne, désormais. » On croirait entendre une réplique échappée de Demolition Man. Le trio décide alors de se rendre sur la planète Eros, peuplée exclusivement de femmes, afin d’y trouver des nouvelles recrues pour que la fête puisse à nouveau battre son plein sur Andromina. Mais les hommes n’ont jamais été autorisés à y entrer. Chacun des intrépides pilotes rencontre trois tribus différentes sur Eros. L’un est emprisonné, l’autre promis à un bûcher sacrificiel. Quant au troisième, il est considéré comme le nouveau roi.

La planète des seins

Amusant, le concept est digne de celui d’une série de SF « classique » et cultive une imagerie kitsch délibérée. Les femmes qui peuplent la planète Eros ressemblent ainsi tour à tour à des sauvageonnes préhistoriques, des vestales romaines, des motardes tout de cuir vêtues ou encore des barbares échappées d’un film d’heroic fantasy de seconde zone. Ce n’est pas le moindre atout de cette série B polissonne qui, régulièrement, dévêt ses acteurs et ses actrices pour des parties de jambes en l’air intempestives qui ne font guère avancer l’intrigue mais permettent de remplir le quota érotique attendu. L’intrigue rappelle aussi celle de Petticoat Planet, une autre production Charles Band dans laquelle un homme débarquait sur une planète uniquement habitée par des femmes. Quelques répliques satiriques gentillettes pimentent un peu le scénario très vaguement féministe d’Andromina, comme lorsque la responsable d’une des sectes de la planète s’offusque du comportement d’une de ses collègues, trop portée à son goût sur la violence et les sentences brutales, et lui lance : « tu mériterais d’être un homme ! ». Le budget anémique condamne le réalisateur à se contenter d’une poignée de décors simplistes. La planète Andromina se limite donc à un bar, tandis que les sites d’Eros sont une forêt, une minuscule prison, une salle d’interrogatoire, une cabane et c’est à peu près tout. Les ambitions du film n’étant pas très élevées et les spectateurs n’en demandant pas beaucoup plus, cette épure se révèle amplement suffisante.

 

© Gilles Penso

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AU SERVICE DE SATAN (2004)

Un petit garçon abruti de jeux vidéo croise la route d’un tueur psychopathe masqué et, croyant avoir affaire au diable, lui propose de l’assister…

SATAN’S LITTLE HELPER

 

2004 – USA

 

Réalisé par Jeff Lieberman

 

Avec Alexander Brickel, Katheryn Winnick, Stephen Graham, Amanda Plummer, Wass Stevens, Dan Ziskie, Melisa McGregor

 

THEMA TUEURS

Réalisateur de quelques films d’horreur insolites dans les années 70 et 80 (Le Rayon bleu, La Nuit des vers géants, Survivance), Jeff Lieberman était ensuite tombé dans l’anonymat du téléfilm avant de signer le scénario de L’Histoire sans fin 3. Ce contre-emploi total s’était soldé par un terrible échec artistique en 1994. Dix ans plus tard, il revient des limbes avec un projet pour le moins improbable : Au service de Satan. Ce film marque un retour à priori inespéré, bricolé avec un budget microscopique et une liberté absolue. Loin des modes de son époque – found footage, torture porn, remakes en série -, Lieberman conçoit un conte noir qui tente d’équilibrer la satire sociale, la farce macabre et l’horreur pure. S’il n’a plus les moyens de ses ambitions visuelles d’autrefois, le réalisateur garde intact son goût du décalage. L’action se déroule sur Bell’s Island, petite bourgade américaine paisible, où le jeune Douglas Whooly passe ses journées à jouer à un jeu vidéo intitulé Satan’s Little Helper. Le principe consiste à incarner l’assistant du diable et commettre un maximum de crimes pour engranger des points. Tout va bien jusqu’au soir d’Halloween, lorsque sa grande sœur Jenna rentre au bercail avec son nouveau petit ami, Alex. Jaloux et vexé de ne pas avoir sa sœur pour lui seul, Douglas s’enfuit en proclamant qu’il veut se « donner à Satan ».

Sur sa route, notre jeune protagoniste croise une silhouette inquiétante affublée d’un masque de diable, en train de disposer un cadavre sur un perron. L’enfant, persuadé d’avoir trouvé son idole, propose spontanément ses services à celui qu’il croit être le vrai Satan. Le tueur, muet et impassible, accepte avec un hochement de tête. Ensemble, ils entament dès lors une tournée meurtrière à travers la ville, Douglas croyant participer à un gigantesque jeu grandeur nature. À partir de là, Lieberman déroule une suite de séquences bizarres. Le duo improbable sème la mort en plein jour, sous les regards amusés des passants qui croient assister à des blagues d’Halloween. Le tueur écrit « BOO » avec le sang de ses victimes, pend une vieille femme à sa véranda, renverse un aveugle et une femme enceinte avec un chariot, sous le regard hilare de Douglas. Lorsque le tueur se fait passer pour Alex et rentre à la maison, le film joue la carte du suspense mâtiné de malaise. Car Jenna, croyant avoir affaire à son petit ami déguisé, se laisse séduire par un Satan silencieux qui la déshabille du regard.

Le masque du diable

Sous ses atours de série B farfelue, Au service de Satan prend les allures d’une satire au vitriol du monde contemporain. Lieberman y fustige une société anesthésiée par les écrans, où l’horreur devient spectacle et où la mort ne choque plus personne. Le tueur masqué reste muet, comme un avatar vidéoludique. Et Douglas, petit joueur déboussolé, symbolise une génération incapable de distinguer la violence simulée de la violence réelle. Côté interprétation, Katheryn Winnick (future Lagertha de Vikings) s’en tire honorablement, tandis qu’Amanda Plummer apporte une étrangeté bienvenue en mère décalée. Mais l’enfant héros, volontairement insupportable, nous laisse perplexes. Trop naïf pour émouvoir, trop bête pour inquiéter, il constitue un bien piètre protagoniste. Comment dès lors s’identifier à lui ? Cette faiblesse dramatique majeure, ajoutée à de nombreuses longueurs en milieu de film, empêche Au service de Satan d’atteindre pleinement son potentiel. La première partie nous amuse par son ton irrévérencieux, mais la seconde s’enlise de plus en plus, avant qu’un dernier acte jouissif ne tente un peu tardivement de rattraper l’ensemble. Voir Jeff Lieberman revenir à ses premières amours est toujours agréable, même si l’on aurait préféré un résultat plus abouti et plus convaincant.

 

© Gilles Penso

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LE TRIANGLE À QUATRE CÔTÉS (1953)

Amoureux d’une femme qui a épousée son meilleur ami, un scientifique décide de la dupliquer grâce à une machine de son invention…

FOUR-SIDED TRIANGLE

 

1953 – GB

 

Réalisé par Terence Fisher

 

Avec Barbara Payton, James Hayter, Stephen Murray, John Van Eyssen, Percy Marmont, Jennifer Dearman, Glyn Dearman, Sean Barrett, Kynaston Reeves

 

THEMA DOUBLES

Quelques années avant de devenir le grand architecte du gothique de la Hammer, Terence Fisher se lance dans un film de science-fiction à petit budget adapté d’un roman de William F. Temple. Resté inédit en salles françaises, Le Triangle à quatre côtés n’a longtemps circulé que de manière très confidentielle, avant de connaître une discrète redécouverte à la télé et en DVD au début des années 2000. L’histoire se concentre sur deux amis d’enfance, Bill (Stephen Murray) et Robin (John Van Eyssen). Devenus scientifiques, ils conçoivent ensemble une machine capable de dupliquer la matière. Résultat : un objet copié n’est pas une imitation mais littéralement un second original, identique à l’atome près. L’expérience tourne à l’obsession lorsque Bill décide d’utiliser la machine pour créer un second exemplaire de leur amie commune Lena (Barbara Peyton), dont il est secrètement épris mais qui a choisi d’épouser Robin. Ainsi naît Helen, double parfait de Lena, identique dans son apparence et sa mémoire. Mais la duplication de l’amour se heurte à un paradoxe tragique : Helen, malgré son existence propre, reste amoureuse de Robin.

Ce postulat, simple et vertigineux, inscrit le film dans la grande tradition de la science-fiction morale, celle où la découverte scientifique met en lumière les zones d’ombre de l’âme humaine. La mise en scène de Fisher préfigure déjà son goût pour les laboratoires aux allures de sanctuaires. Car les scènes d’expérimentation, illuminées par des éclairs artificiels et des reflets de cornues, annoncent déjà Frankenstein s’est échappé. On sent le plaisir du cinéaste à manipuler l’espace clos, les lueurs froides et les instruments étranges. Mais si Le Triangle à quatre côtés emporte le morceau grâce à son concept fou et à son atmosphère, il souffre aussi d’un déséquilibre narratif. La dernière partie, plus mélodramatique, s’éloigne du potentiel tragique du roman. Là où la plume de Temple permettait de sonder la conscience du double, Fisher choisit une approche plus sentimentale, presque fataliste. Les questionnements scientifiques s’effacent au profit d’un drame de l’amour impossible. Ce parti pris empêche sans doute le film d’atteindre la fièvre romantique qu’un tel sujet pouvait inspirer.

Les dures lois de la géométrie

Les acteurs eux-mêmes contribuent à cette retenue. Stephen Murray compose un Bill plutôt rigide, tandis que John Van Eyssen (futur Jonathan Harker du Cauchemar de Dracula) incarne un Robin plus lisse que passionné. Quant à Barbara Peyton, l’interprète de Lena et de son double, elle peine malgré son charme à incarner cette figure idéalisée que convoitent les deux hommes. Son jeu parfois mécanique accentue involontairement l’étrangeté du sujet du film. James Hayter, dans le rôle du docteur Harvey, apporte un contrepoint bienvenu, celui du témoin moral, figure paternelle et raisonnable. Malgré ces limites, Le Triangle à quatre côtés demeure un jalon précieux de la carrière de Fisher. Non seulement il explore déjà ses obsessions pour le motif du double (qu’on retrouvera décliné tout au long de sa carrière, jusqu’à l’emblématique Les Deux visages du docteur Jekyll), mais il révèle aussi sa capacité à insuffler de la poésie dans la science-fiction. Œuvre mineure, certes, mais annonciatrice, Le Triangle à quatre côtés s’impose donc comme une sorte de brouillon fascinant, doublé d’une méditation sur l’amour et sur la tentation de défier les lois naturelles. Ce fameux motif de l’apprenti-sorcier deviendra l’enjeu majeur de Frankenstein s’est échappé quatre ans plus tard.

 

© Gilles Penso

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