ANDROMINA (2000)

Trois pilotes spatiaux décident de visiter une planète uniquement peuplée par des femmes et rigoureusement interdite aux hommes…

ANDROMINA : THE PLEASURE PLANET

 

2000 – USA

 

Réalisé par Darren Patrick Moloney

 

Avec Christian Boeving, Samantha Philips, Griffin Drew, Gina-Raye Carter, Shannan Leigh, Shyra Deland, Mike Roman, Miyoko Fujimori, Eric Stratton, Tess Broussard

 

THEMA SPACE OPERA I SAGA CHARLES BAND

Andromina : The Pleasure Planet ne doit pas être confondu avec Pleasure Planet, réalisé par Albert Pyun en 1986 et déjà distribué par Charles Band (avec le titre alternatif de Vicious Lips). Mais Band n’est pas du genre à ne pas réutiliser une bonne idée. Pleasure Planet est donc recyclé comme sous-titre d’Andromina, l’un des nombreux films de science-fiction érotiques tournés à la chaîne pour la collection « Surrender » destinée au public adulte. Réalisateur de séquences additionnelles du Carnosaur produit par Roger Corman, Darren Patrick Moloney hérite de la mise en scène de cette série B sans prétention. Le scénario est signé Louise Monclair, coutumière du genre avec à son actif une quinzaine de titre tels que Zorrita, Phantom Love, Passion’s Obsession, Exotic Time Machine 2 ou Castle Eros. Mais le script est le parent pauvre de ce genre de film, plus porté sur l’anatomie de ses actrices que sur la cohérence de ses péripéties. Griffin Drew, l’une des beautés qui en tiennent la vedette, se souvient d’ailleurs confusément du tournage. « Pour être honnête, je n’ai pas vraiment compris mon personnage », raconte-t-elle dans l’extrait d’une interview citée sur le site IMDB. « Je pense que je suis une extraterrestre ou une sorte de déesse. Je passe mon temps à virevolter dans le film, vêtue d’une jolie toge rose. Finalement, je tombe amoureuse d’un des personnages, qui m’emmène sur une autre planète où je deviens accro au shopping ou quelque chose comme ça. » Voilà qui résume bien la rigueur scénaristique du film !

Autrefois, Andromina était la planète la plus torride de la galaxie, un véritable paradis pour les cowboys interstellaires en quête de plaisirs exotiques et de créatures de rêve. Mais cette époque est malheureusement révolue. Lorsque trois pilotes spatiaux y atterrissent, ils découvrent une planète désertée où les femmes ont quasiment toutes disparu et où l’ambiance n’est plus à la fête. « Le temps est à la réalité virtuelle et aux rendez-vous programmés », leur lance la barmaid désabusée qui les accueille. « Plus personne ne veut le faire à l’ancienne, désormais. » On croirait entendre une réplique échappée de Demolition Man. Le trio décide alors de se rendre sur la planète Eros, peuplée exclusivement de femmes, afin d’y trouver des nouvelles recrues pour que la fête puisse à nouveau battre son plein sur Andromina. Mais les hommes n’ont jamais été autorisés à y entrer. Chacun des intrépides pilotes rencontre trois tribus différentes sur Eros. L’un est emprisonné, l’autre promis à un bûcher sacrificiel. Quant au troisième, il est considéré comme le nouveau roi.

La planète des seins

Amusant, le concept est digne de celui d’une série de SF « classique » et cultive une imagerie kitsch délibérée. Les femmes qui peuplent la planète Eros ressemblent ainsi tour à tour à des sauvageonnes préhistoriques, des vestales romaines, des motardes tout de cuir vêtues ou encore des barbares échappées d’un film d’heroic fantasy de seconde zone. Ce n’est pas le moindre atout de cette série B polissonne qui, régulièrement, dévêt ses acteurs et ses actrices pour des parties de jambes en l’air intempestives qui ne font guère avancer l’intrigue mais permettent de remplir le quota érotique attendu. L’intrigue rappelle aussi celle de Petticoat Planet, une autre production Charles Band dans laquelle un homme débarquait sur une planète uniquement habitée par des femmes. Quelques répliques satiriques gentillettes pimentent un peu le scénario très vaguement féministe d’Andromina, comme lorsque la responsable d’une des sectes de la planète s’offusque du comportement d’une de ses collègues, trop portée à son goût sur la violence et les sentences brutales, et lui lance : « tu mériterais d’être un homme ! ». Le budget anémique condamne le réalisateur à se contenter d’une poignée de décors simplistes. La planète Andromina se limite donc à un bar, tandis que les sites d’Eros sont une forêt, une minuscule prison, une salle d’interrogatoire, une cabane et c’est à peu près tout. Les ambitions du film n’étant pas très élevées et les spectateurs n’en demandant pas beaucoup plus, cette épure se révèle amplement suffisante.

 

© Gilles Penso

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AU SERVICE DE SATAN (2004)

Un petit garçon abruti de jeux vidéo croise la route d’un tueur psychopathe masqué et, croyant avoir affaire au diable, lui propose de l’assister…

SATAN’S LITTLE HELPER

 

2004 – USA

 

Réalisé par Jeff Lieberman

 

Avec Alexander Brickel, Katheryn Winnick, Stephen Graham, Amanda Plummer, Wass Stevens, Dan Ziskie, Melisa McGregor

 

THEMA TUEURS

Réalisateur de quelques films d’horreur insolites dans les années 70 et 80 (Le Rayon bleu, La Nuit des vers géants, Survivance), Jeff Lieberman était ensuite tombé dans l’anonymat du téléfilm avant de signer le scénario de L’Histoire sans fin 3. Ce contre-emploi total s’était soldé par un terrible échec artistique en 1994. Dix ans plus tard, il revient des limbes avec un projet pour le moins improbable : Au service de Satan. Ce film marque un retour à priori inespéré, bricolé avec un budget microscopique et une liberté absolue. Loin des modes de son époque – found footage, torture porn, remakes en série -, Lieberman conçoit un conte noir qui tente d’équilibrer la satire sociale, la farce macabre et l’horreur pure. S’il n’a plus les moyens de ses ambitions visuelles d’autrefois, le réalisateur garde intact son goût du décalage. L’action se déroule sur Bell’s Island, petite bourgade américaine paisible, où le jeune Douglas Whooly passe ses journées à jouer à un jeu vidéo intitulé Satan’s Little Helper. Le principe consiste à incarner l’assistant du diable et commettre un maximum de crimes pour engranger des points. Tout va bien jusqu’au soir d’Halloween, lorsque sa grande sœur Jenna rentre au bercail avec son nouveau petit ami, Alex. Jaloux et vexé de ne pas avoir sa sœur pour lui seul, Douglas s’enfuit en proclamant qu’il veut se « donner à Satan ».

Sur sa route, notre jeune protagoniste croise une silhouette inquiétante affublée d’un masque de diable, en train de disposer un cadavre sur un perron. L’enfant, persuadé d’avoir trouvé son idole, propose spontanément ses services à celui qu’il croit être le vrai Satan. Le tueur, muet et impassible, accepte avec un hochement de tête. Ensemble, ils entament dès lors une tournée meurtrière à travers la ville, Douglas croyant participer à un gigantesque jeu grandeur nature. À partir de là, Lieberman déroule une suite de séquences bizarres. Le duo improbable sème la mort en plein jour, sous les regards amusés des passants qui croient assister à des blagues d’Halloween. Le tueur écrit « BOO » avec le sang de ses victimes, pend une vieille femme à sa véranda, renverse un aveugle et une femme enceinte avec un chariot, sous le regard hilare de Douglas. Lorsque le tueur se fait passer pour Alex et rentre à la maison, le film joue la carte du suspense mâtiné de malaise. Car Jenna, croyant avoir affaire à son petit ami déguisé, se laisse séduire par un Satan silencieux qui la déshabille du regard.

Le masque du diable

Sous ses atours de série B farfelue, Au service de Satan prend les allures d’une satire au vitriol du monde contemporain. Lieberman y fustige une société anesthésiée par les écrans, où l’horreur devient spectacle et où la mort ne choque plus personne. Le tueur masqué reste muet, comme un avatar vidéoludique. Et Douglas, petit joueur déboussolé, symbolise une génération incapable de distinguer la violence simulée de la violence réelle. Côté interprétation, Katheryn Winnick (future Lagertha de Vikings) s’en tire honorablement, tandis qu’Amanda Plummer apporte une étrangeté bienvenue en mère décalée. Mais l’enfant héros, volontairement insupportable, nous laisse perplexes. Trop naïf pour émouvoir, trop bête pour inquiéter, il constitue un bien piètre protagoniste. Comment dès lors s’identifier à lui ? Cette faiblesse dramatique majeure, ajoutée à de nombreuses longueurs en milieu de film, empêche Au service de Satan d’atteindre pleinement son potentiel. La première partie nous amuse par son ton irrévérencieux, mais la seconde s’enlise de plus en plus, avant qu’un dernier acte jouissif ne tente un peu tardivement de rattraper l’ensemble. Voir Jeff Lieberman revenir à ses premières amours est toujours agréable, même si l’on aurait préféré un résultat plus abouti et plus convaincant.

 

© Gilles Penso

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LE TRIANGLE À QUATRE CÔTÉS (1953)

Amoureux d’une femme qui a épousée son meilleur ami, un scientifique décide de la dupliquer grâce à une machine de son invention…

FOUR-SIDED TRIANGLE

 

1953 – GB

 

Réalisé par Terence Fisher

 

Avec Barbara Payton, James Hayter, Stephen Murray, John Van Eyssen, Percy Marmont, Jennifer Dearman, Glyn Dearman, Sean Barrett, Kynaston Reeves

 

THEMA DOUBLES

Quelques années avant de devenir le grand architecte du gothique de la Hammer, Terence Fisher se lance dans un film de science-fiction à petit budget adapté d’un roman de William F. Temple. Resté inédit en salles françaises, Le Triangle à quatre côtés n’a longtemps circulé que de manière très confidentielle, avant de connaître une discrète redécouverte à la télé et en DVD au début des années 2000. L’histoire se concentre sur deux amis d’enfance, Bill (Stephen Murray) et Robin (John Van Eyssen). Devenus scientifiques, ils conçoivent ensemble une machine capable de dupliquer la matière. Résultat : un objet copié n’est pas une imitation mais littéralement un second original, identique à l’atome près. L’expérience tourne à l’obsession lorsque Bill décide d’utiliser la machine pour créer un second exemplaire de leur amie commune Lena (Barbara Peyton), dont il est secrètement épris mais qui a choisi d’épouser Robin. Ainsi naît Helen, double parfait de Lena, identique dans son apparence et sa mémoire. Mais la duplication de l’amour se heurte à un paradoxe tragique : Helen, malgré son existence propre, reste amoureuse de Robin.

Ce postulat, simple et vertigineux, inscrit le film dans la grande tradition de la science-fiction morale, celle où la découverte scientifique met en lumière les zones d’ombre de l’âme humaine. La mise en scène de Fisher préfigure déjà son goût pour les laboratoires aux allures de sanctuaires. Car les scènes d’expérimentation, illuminées par des éclairs artificiels et des reflets de cornues, annoncent déjà Frankenstein s’est échappé. On sent le plaisir du cinéaste à manipuler l’espace clos, les lueurs froides et les instruments étranges. Mais si Le Triangle à quatre côtés emporte le morceau grâce à son concept fou et à son atmosphère, il souffre aussi d’un déséquilibre narratif. La dernière partie, plus mélodramatique, s’éloigne du potentiel tragique du roman. Là où la plume de Temple permettait de sonder la conscience du double, Fisher choisit une approche plus sentimentale, presque fataliste. Les questionnements scientifiques s’effacent au profit d’un drame de l’amour impossible. Ce parti pris empêche sans doute le film d’atteindre la fièvre romantique qu’un tel sujet pouvait inspirer.

Les dures lois de la géométrie

Les acteurs eux-mêmes contribuent à cette retenue. Stephen Murray compose un Bill plutôt rigide, tandis que John Van Eyssen (futur Jonathan Harker du Cauchemar de Dracula) incarne un Robin plus lisse que passionné. Quant à Barbara Peyton, l’interprète de Lena et de son double, elle peine malgré son charme à incarner cette figure idéalisée que convoitent les deux hommes. Son jeu parfois mécanique accentue involontairement l’étrangeté du sujet du film. James Hayter, dans le rôle du docteur Harvey, apporte un contrepoint bienvenu, celui du témoin moral, figure paternelle et raisonnable. Malgré ces limites, Le Triangle à quatre côtés demeure un jalon précieux de la carrière de Fisher. Non seulement il explore déjà ses obsessions pour le motif du double (qu’on retrouvera décliné tout au long de sa carrière, jusqu’à l’emblématique Les Deux visages du docteur Jekyll), mais il révèle aussi sa capacité à insuffler de la poésie dans la science-fiction. Œuvre mineure, certes, mais annonciatrice, Le Triangle à quatre côtés s’impose donc comme une sorte de brouillon fascinant, doublé d’une méditation sur l’amour et sur la tentation de défier les lois naturelles. Ce fameux motif de l’apprenti-sorcier deviendra l’enjeu majeur de Frankenstein s’est échappé quatre ans plus tard.

 

© Gilles Penso

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LA LÉGENDE DE JOHNNY MYSTO (1997)

Un jeune garçon passionné de magie hérite d’une bague ensorcelée et voyage jusque dans le moyen-âge pour sauver sa sœur disparue…

JOHNNY MYSTO : BOY WIZARD

 

1997 – USA

 

Réalisé par Jeff Burr

 

Avec Toran Caudell, Russ Tamblyn, Michael Ansara, Amber Tamblyn, Ian Abercrombie, Patrick Renna, Pat Crawford Brown, Jack Donner, Magda Catone

 

THEMA SORCELLERIE ET MAGIE I VOYAGES DANS LE TEMPS I SAGA CHARLES BAND

La Légende de Johnny Mysto voit le jour dans la tourmente créative qui caractérise souvent les productions de Charles Band. À l’origine, c’est à Peter Fedorenko qu’est confié le scénario, mais son travail est jugé insatisfaisant. La tâche d’écriture est ensuite confiée à Neal Marshall Stevens, qui signe sous son pseudonyme habituel de Benjamin Carr. Fedorenko affirmera plus tard que Stevens et Band lui ont volé certaines idées du film. La même année, il subira également des déconvenues avec Kid Midas, pour lequel Band « oubliera » de le rémunérer. Tourné en Roumanie, comme la très grande majorité des films du label Moonbeam, La légende de Johnny Mysto commence à l’époque médiévale, alors qu’une gamine est poursuivie dans les bois par des soldats chevauchant des montures drapées de couvertures qui leur donnent des allures sinistres de squelettes quadrupèdes. Elle parvient à s’échapper et à se glisser dans un trou caché dans le sol. La voilà qui atterrit dans la cachette souterraine du légendaire magicien Merlin (Ian Abercrombie). Grâce à elle, l’enchanteur dispose désormais d’un miroir magique qui va lui permettre de transférer son pouvoir à un enfant qui naîtra dans mille ans.

La suite nous transporte à l’époque contemporaine. Johnny Mysto (Toran Caudell), magicien débutant, peine encore à maîtriser ses tours de passe-passe et devient la risée de ses camarades à cause des spectacles ratés qu’il donne dans son propre jardin. Fasciné par les émissions télévisées du célèbre magicien Blackmoor (Russ Tamblyn), Johnny rêve de suivre ses pas. Avec son meilleur ami Glenn (Patrick Renna), il finit par rencontrer le maître. Impressionné par sa curiosité, Blackmoor lui offre une mystérieuse bague. Le soir venu, seul dans sa chambre, Johnny enfile l’objet et découvre qu’il brille d’un éclat surnaturel. Encouragé, il tente un tour… et le réussit instantanément. Ses petits spectacles pour les enfants du voisinage rencontrent enfin un franc succès. Mais le pouvoir de la bague échappe bientôt à son contrôle : lors d’un tour, sa petite sœur Andrea (Sarah Aseltine) disparaît… et se retrouve projetée en plein moyen âge. Déterminé à la retrouver, Johnny remonte alors dans le temps aux côtés de Blackmoor…

Cocktail médiéval

Les habitués des productions Charles Band retrouvent ici les sempiternelles forêts roumaines déjà filmées sous toutes leurs coutures, notamment pour la saga Josh Kirby, ainsi que les fausses maisons de banlieue américaines construites dans les studios de Castel Films et les châteaux médiévaux vus déjà des dizaines de fois. Cela dit, ces décors recyclés fonctionnent plutôt bien dans le cadre de Johnny Mysto. Sur la forme, le film de Jeff Burr se tient : de la figuration en costume, une belle photographie, une musique efficace de Joseph Williams (les séries Demain à la une et Roswell), des effets numériques basiques mais efficaces (destinés principalement à visualiser les combats d’énergie). Hélas, le casting n’est pas très attrayant. Les gamins manquent de charisme et les deux vedettes invitées, Russ Tamblyn (Les Aventures de Tom Pouce, West Side Story, Twin Peaks) et Ian Abercrombie (L’Armée des ténèbres, Seinfeld, Clone Wars), semblent ici cachetonner sans beaucoup de conviction. Le film ne manque certes pas d’idées intéressantes (les quiproquos liés à Glenn qui a pris l’apparence de la petite Andrea, les assistantes du grand méchant qui prennent les allures de nones lugubres et masquées, l’apparition de l’épée Excalibur), mais son intrigue n’est pas particulièrement palpitante ni franchement crédible, même dans le cadre d’un conte fantastique pour jeune public. La Légende de Johnny Mysto nous laisse donc l’impression d’une petite série B confuse et très moyennement convaincante.

 

© Gilles Penso

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DR. M (1990)

Claude Chabrol réinvente le mythe du docteur Mabuse, créé par Fritz Lang, en immergeant son casting international dans un Berlin morose…

DR. M

 

1990 – FRANCE / ALLEMAGNE / ITALIE

 

Réalisé par Claude Chabrol

 

Avec Alan Bates, Jennifer Beals, Jan Niklas, Hanns Zischler, Benoît Régent, Alexander Radszun, Peter Fitz, Daniela Poggi, William Berger, Michael Degen

 

THEMA SUPER-VILAINS

Berlin-Ouest. À l’aube, une femme se jette sous un train, puis un animateur de télévision s’immole et un routier provoque un carambolage monstrueux… En quelques jours, la capitale semble frappée par une épidémie de suicides collectifs. Le lieutenant Claus Hartmann (Jan Niklas) mène l’enquête et découvre que toutes les victimes partageaient la même obsession : Sonja Vogler (Jennifer Beals), top model radieuse et visage des publicités pour le Club Theratos, un complexe de vacances très populaire. Les investigations d’Hartmann le mettent sur la piste du mystérieux Dr. Marsfeldt (Alan Bates), magnat des médias et propriétaire du Club, convaincu d’apporter la délivrance à une société rongée par le désespoir grâce à ses émissions hypnotiques. Claude Chabrol s’attaque ainsi à l’un des mythes fondateurs du cinéma allemand, celui du docteur Mabuse, inventé par Fritz Lang dans les années 1920. En transposant la figure du génie criminel manipulateur dans un Berlin légèrement futuriste, le réalisateur français revisite la thématique du contrôle des masses, à la veille de la chute du Mur. Le contexte historique donne au film une aura quasi prophétique. La réunification allemande s’annonce, mais Chabrol filme encore un monde cloisonné, schizophrène, où l’aliénation n’est plus politique mais médiatique.

Dans le Berlin décadent de Lang, Mabuse incarnait la corruption morale née du chaos d’après-guerre. Chez Chabrol, Marsfeldt devient l’incarnation d’un mal plus contemporain, celui de la société du spectacle. Les instruments de domination des années 20 (le jeu, la drogue et l’hypnose) sont ici remplacés par la télévision, la publicité et le simulacre. Le lavage des cerveaux passe par les écrans géants et les slogans publicitaires, reflet d’un monde où la frontière entre propagande et divertissement s’efface. Pour servir ce discours, Chabrol et son chef opérateur Jean Rabier adoptent un rendu visuel glacial. Le film se déroule dans un Berlin presque désert, peuplé de buildings de verre et de tunnels métalliques où la lumière semble filtrée par les écrans. L’un des décors les plus saisissants est sans doute celui du nightclub où la jeune génération se trémousse devant des images muettes de guerres projetées sur les murs. Souvent perçu comme l’entomologiste des passions bourgeoises, le cinéaste s’aventure ici sur le terrain du fantastique social. Mais cette ambition visuelle et symbolique se heurte à une narration confuse, pour ne pas dire incohérente.

Le docteur abuse

Les thèmes qui nourrissent le scénario – la fascination morbide pour les stars, la dépendance médiatique, le suicide comme ultime échappatoire – auraient pu accoucher d’un grand film sur la déshumanisation moderne. Malheureusement, Chabrol ne parvient jamais à harmoniser ses intentions. Les dialogues sont souvent exagérément explicatifs, la mise en scène peu inspirée, la relation entre Hartmann et Sonja sous-exploitée. Et si les comédiens savent souvent être convaincants, Alan Bates franchit hélas la limite du cabotinage en abattant bien trop vite son jeu de grand manipulateur aux yeux des spectateurs. Dommage, parce qu’il y avait là une multitude d’idées passionnantes, dont certaines rejoignent le Looker de Michael Crichton, avec ses images subliminales et ses présentatrices dont on a volé l’image. Chabrol reste sans doute trop cérébral, trop prisonnier de sa construction allégorique. Paradoxalement, ce film qui voulait parler de son temps paraît aujourd’hui à la fois daté et visionnaire. Daté, parce que sa technologie analogique et son imagerie télévisuelle appartiennent à une autre époque. Visionnaire, parce qu’il pressent la montée d’un pouvoir médiatique global, capable de façonner les désirs et les désespoirs collectifs. Dr. M est finalement un film malade coincé entre deux mondes, à l’image de son Berlin fantôme.

 

© Gilles Penso

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KID MIDAS (1997)

Un jeune garçon qui vit seul avec sa grand-mère rêve de pouvoir transformer tout ce qu’il touche en or. Mais c’est un vœu dangereux…

THE MIDAS TOUCH / KID MIDAS

 

1997 – USA

 

Réalisé par Peter Manoogian

 

Avec Trever O’Brien, Ashley Tesoro, Joey Simmrin, David Jeremiah, Marla Cotovsky, Danna hansen, Shannon Welles, Joseph Whipp, Theodor Danetti

 

THEMA CONTES I SAGA CHARLES BAND

Kid Midas est le septième et dernier film que Peter Manoogian réalise pour le producteur Charles Band, après Le Maître du jeu, Eliminators, Territoire ennemi, Arena, Demonic Toys et Glutors. Cette ultime collaboration se déroule d’ailleurs de manière totalement imprévue. Après trois ans sans travailler ensemble, les deux hommes se croisent en 1995 à l’American Film Market et décident de refaire encore un film. Band a déjà le titre et le scénario, librement inspiré de la légende du roi Midas et écrit par Peter Fedorenko (qui avouera plus tard n’avoir jamais été payé pour ce travail). Le jeune acteur qui tient la vedette de ce conte moderne est Trever O’Brien, frère cadet d’Austin O’Brien qui jouait lui-même dans Prehysteria pour Charles Band – et dans la foulée dans Last Action Hero aux côtés d’Arnold Schwarzenegger. Comme souvent chez Band à cette époque, Kid Midas est tourné en Roumanie pour profiter des infrastructures peu coûteuses de Castel Films. « Vivi Dragan Vasile, le directeur de la photographie, était formidable », se souvient Manoogian. « Il avait travaillé sous le régime communiste en Roumanie, à une époque où les budgets n’avaient pas d’importance et où les films étaient tournés dans l’ordre chronologique. Nous nous sommes tout de suite très bien entendus, même s’il ne parlait pas un mot d’anglais et que je ne parlais que très peu roumain ! Pour moi, le plus difficile, dans Kid Midas, était de faire ressembler Bucarest à une ville des Etats-Unis. Il y a des voitures américaines en Roumanie, mais elles sont difficiles à trouver. Et nous avions également des acteurs roumains dans des rôles d’Américains, alors vous imaginez… » (1)

Tourné en quatre semaines pour 400 000 dollars, Kid Midas démarre sur les chapeaux de roue, porté par une musique rock’n’roll et une caméra qui survole un jardin luxueux avant de pénétrer dans un grand château. On y découvre un enfant très riche, gâté au possible. Il dispose de sa propre masseuse, d’un majordome, de cuisiniers, de serviteurs, circule à moto dans le château et savoure des repas gastronomiques… jusqu’à ce que la réalité s’impose : tout cela n’est qu’un rêve. En réalité, Billy Bright, 12 ans, est un garçon ordinaire qui vit seul avec sa grand-mère après la disparition de ses parents, gagne un peu d’argent en distribuant des journaux à vélo et se fait brutaliser par les autres garçons de l’école. Non loin de chez lui se dresse une vieille maison sinistre, réputée pour abriter une sorcière, et que personne n’ose approcher. Poussé par ses camarades, Billy y pénètre et rencontre une étrange vieille femme. « Je suis restée assise sur cette chaise à attendre qu’une âme suffisamment courageuse ose entrer dans ma maison », lui dit-elle. Elle lui offre alors d’exaucer un vœu : le don de Midas, qu’il espérait utiliser pour permettre à sa grand-mère de subir une opération cardiaque. Mais le garçon découvre rapidement que la possibilité de transformer en or tout ce qu’il touche est plus une malédiction qu’une bénédiction…

Goldfinger

L’entrée en matière de Kid Midas emprunte donc ses motifs aux mélodrames, avec ce pauvre orphelin qui vit avec sa grand-mère malade et peine à joindre les deux bouts. Puis l’intrigue prend la tournure d’une fable morale. Car il y a une contrepartie à ce pouvoir fabuleux. Chaque fois qu’il transforme un objet en or, Billy s’affaiblit de plus en plus. Si sa meilleure amie Hannah (Ashley Tesoro) s’en inquiète, son copain lourdaud Leon (Joey Simmrin) ne voit que l’appât du gain. Tous deux agissent finalement comme les figures symboliques (l’ange et le diablotin) qui donnent corps à la conscience des personnages de cartoons. Deux usuriers idiots et cupides viennent pimenter l’intrigue. Mais le pire survient lorsque Billy, en touchant sa grand-mère, la transforme en statue dorée (version troisième âge de Shirley Eaton dans Goldfinger). Comme si ça ne suffisait pas, lui-même commence à subir une étrange métamorphose qui lui donne presque les allures du jeune héros possédé de Rayon Laser, avec ses yeux luisants, ses dents jaunes et son teint blafard. Quelques trucages numériques très basiques mais amusants permettent à Manoogian de visualiser les effets surnaturels du film, comme un chat empaillé qui s’agite, un sablier qui se volatilise, une poignée de porte qui bouge dans tous les sens ou la transformation en or de tous les objets que Billy touche. Grâce à sa mise en scène dynamique et son montage alerte, Kid Midas évite tout ennui, même si la seconde partie du métrage multiplie les péripéties incohérentes et s’achève un peu mollement, comme un soufflé qui retombe.

 

(1) Propos extraits du livre « It Came From the Video Aisle ! » (2017)

 

© Gilles Penso

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RUNNING MAN (2025)

38 ans après la version kitsch avec Schwarzenegger, Edgar Wright se réapproprie le roman de Stephen King et lui offre l’adaptation idéale…

THE RUNNING MAN

 

2025 – USA

 

Réalisé par Edgar Wright

 

Avec Glen Powell, Emilia Jones, Josh Brolin, Katy O’Brian, Lee Pace, Colman Domingo, William H. Macy, Michael Cera, David Zayas, Jayme Lawson

 

THEMA FUTUR I SAGA STEPHEN KING

Décidément, Stephen King n’en finit pas de hanter les écrans. Après le bouleversant Life of Chuck de Mike Flannagan et l’éprouvant Marche ou crève de Francis Lawrence, Running Man s’invite à son tour dans la course, sous la houlette d’un réalisateur qu’on n’attendait pas forcément sur ce terrain : Edgar Wright. Le pari étant d’autant plus risqué que l’ombre du film de 1987 réalisé par Paul Michael Glaser, avec un Arnold Schwarzenegger caricatural en combinaison rouge pétard, continue de planer sur l’imaginaire collectif. Mais cette fois, pas question d’arènes fluo ni de gladiateurs de bande dessinée. Wright remonte à la source, celle du roman publié sous le pseudonyme Richard Bachman qu’il découvrit à l’âge de 14 ans et dont il souhaite retrouver l’esprit subversif et la hargne. Le réalisateur de Shaun of the Dead et Last Night in Soho réussit le miracle d’injecter dans le récit une folle énergie propre à son style turbulent – montage millimétré, ruptures de ton, écarts humoristiques – sans pour autant s’éloigner de la plume de King. Cette quête de fidélité pousse Wright à se réapproprier des éléments du roman qui pourraient sembler parfaitement anachroniques dans un récit d’anticipation, notamment l’obligation pour le héros d’enregistrer ses messages vidéo sur cassette et de les envoyer par la poste. Ce décalage, parfaitement assumé, nous plonge dans une sorte d’univers rétro-futuriste.

En tête d’affiche, Glenn Powell assure, impeccable dans la peau de ce Ben Richards en cavale dont la rage contenue n’efface pas son caractère profondément sympathique. Après Top Gun : Maverick et Twisters, l’acteur confirme sa capacité à conjuguer le physique athlétique et l’intensité dramatique. À ses côtés, Josh Brolin impose son autorité carnassière en directeur de chaîne télévisée au sourire éclatant et au cynisme inoxydable. Quant à Colman Domingo (Fear the Walking Dead), il est comme un poisson dans l’eau sous la défroque du présentateur TV gouailleur et excessif. Sa prestation haute en couleur s’éloigne du jeu de Richard Dawson, son prédécesseur des années 80, lequel mimait tant le Michel Piccoli du Prix du danger que le film de Glaser écopa d’un procès fort médiatisé, orchestré – et finalement gagné – par Yves Boisset. Même William H. Macy (Pleasantville, Fargo) s’invite pour un petit rôle savoureux.

La course à la mort de l'an 2025

Comme toujours, Edgar Wright truffe sa mise en scène virtuose de morceaux d’anthologie (la poursuite vertigineuse dans l’hôtel de Boston, le climax dans l’avion), motivé par l’une des idées maîtresses du roman : la falsification des images pour pouvoir faire avaler au public tout et son contraire. Le film de 1987 effleurait à peine le sujet pour mieux se concentrer sur les combats de gladiateurs opposant l’ex-Terminator à des ennemis tous plus exubérants les uns que les autres. Mais Wright tient à retrouver non seulement l’essence mais aussi la forme du texte. Et si les derniers rebondissements du film peuvent sembler excessifs, pour ne pas dire difficiles à avaler, ils reprennent quasiment à la lettre la prose de King. Le cinéaste aurait-il péché par excès de fidélité ? Peut-être. Il n’empêche que cette vision d’un monde privant les citoyens de leurs libertés individuelles les plus élémentaires nous semble encore plus d’actualité qu’à l’époque où le roman fut publié. Preuve que King, entre deux récits d’horreur plus allégoriques, faisait preuve d’une inquiétante préscience au regard de la société. Le hasard faisant d’ailleurs très bien les choses, le roman se situait en 2025, précisément l’année de sortie du film.

 

© Gilles Penso

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BATTLE FOR THE LOST PLANET (1986)

Un mixage de Star Wars et de Mad Max bricolé avec un budget ridicule et truffé d’effets spéciaux ambitieux à défaut d’être toujours convaincants…

BATTLE FOR THE LOST PLANET / GALAXY DESTROYER / GALAXY

 

1986 – USA

 

Réalisé par Brett Piper

 

Avec Matt Mitler, Denise Coward, Joe Gentissi, Bill MacGlaughlin, Saunder Finard, Helene Michele Martin, Robin Lovett, Carl Webber, Mark Deshaies, Kevin Gardner

 

THEMA SPACE OPERA

Sa cuisine fait office d’atelier et de studio de prise de vues, il occupe lui-même pratiquement tous les postes artistiques et techniques de ses films, il vit et travaille en marge d’Hollywood… Et pourtant les créatures de Brett Piper soutiennent souvent la comparaison avec celles de leurs homologues plus fortunés, preuve que la passion et le savoir-faire supplantent parfois largement l’absence quasi-totale de moyens techniques et financiers. Son premier long-métrage, Mystérieuse planète, témoigne de ses sources d’inspiration majeures : King Kong et les films de Ray Harryhausen. Quatre ans plus tard, il parvient à réunir l’argent et l’équipe nécessaires pour sa seconde « épopée » : Battle For the Lost Planet, connu aussi sous les titres de Galaxy Destroyer ou plus simplement Galaxy. Ce film de science-fiction audacieux commence comme une relecture à tout petit budget de La Guerre des étoiles puis se transforme en survival post-apocalyptique clignant de l’œil vers Mad Max 2. Le héros est Harry Trent (Matt Mitler), un hors-la-loi à la Han Solo qui erre dans l’espace pendant cinq ans. A son retour sur Terre, il découvre une planète ravagée par une race d’extra-terrestres belliqueux, des survivants difformes en haillons revenus à l’état sauvage, des fermiers vivant en autarcie et des motards en cuir.

Notre protagoniste rencontre aussi la belle Dana (Denise Coward) avec qui il a une scène d’amour nocturne soudain interrompue par l’intervention d’un monstre en stop-motion. Marque de fabrique de Brett Piper, la créature a beaucoup de caractère et emprunte son anatomie à plusieurs créatures : une grande gueule reptilienne sans dents, des défenses de pachyderme, un dos garni d’épines et quatre pattes qui le font se déplacer à la manière d’une sauterelle géante. Le montage de cette scène nous offre plusieurs interactions intéressantes avec les humains, à base de rétroprojections et de décors miniatures. Outil de prédilection de Piper, la stop-motion intervient aussi pour donner vie furtivement à une sorte d’arachnide quadrupède aux yeux noirs de chien battu, qui se contente de traverser l’écran, et pour visualiser la décomposition finale des méchants, à la manière des Morlocks de La Machine à explorer le temps. Généreux, le réalisateur truffe son film de maquettes pour représenter les cités futuristes, les vaisseaux spatiaux et les planètes, même si les modèles manquent beaucoup de finition et finissent par ressembler à de simples jouets.

Tensions sur le plateau

Tourné en grande partie dans une ferme spécialisée dans l’élevage de poulets, reconvertie à l’occasion en studio de fortune, ou sur des sites de vieilles usines désaffectées, Battle For the Lost Planet reste une expérience douloureuse pour son jeune réalisateur. Les multiples difficultés rencontrées en cours de fabrication du film occasionnent des retards de plus en plus importants dans le planning et un problème supplémentaire inattendu : la grande majorité des acteurs commence à exiger que les salaires soient doublés pour chaque jour de prises de vue supplémentaire, et que les paiements s’effectuent en espèces tous les matins avant que la caméra commence à tourner ! La confiance n’est donc pas le mot d’ordre et les tensions s’accumulent. Piper se voit ainsi contraint de passer la moitié de ses journées à courir chercher l’argent liquide nécessaire, ce qui a pour effet de retarder davantage le tournage et de faire grimper les coûts. S’il avait été plus aguerri, Piper aurait sans doute renvoyé tous les acteurs réticents et réécrit le scénario. Mais notre homme est alors en tout début de carrière. Il n’empêche que Battle For the Lost Planet connaît une petite carrière honorable sur le marché vidéo et donne même naissance à une suite : Mutant War.

 

© Gilles Penso

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SKELETONS (1997)

Un journaliste new yorkais et sa famille s’installent dans une petite ville américaine qui dissimule de très sombres secrets…

SKELETONS

 

1997 – USA

 

Réalisé par David DeCoteau

 

Avec Ron Silver, Christopher Plummer, Dee Wallace, Kyle Howard, James Coburn, Arlene Golonka, D. Paul Thomas, Paul Bartel, David Graf, Patrick Thomas

 

THEMA TUEURS I SAGA CHARLES BAND

Un film qui s’appelle Skeletons, réalisé par le maître de la série B horrifico-érotique David DeCoteau et produit, entre autres, par Charles Band (grand pourvoyeur de films de genre décomplexés pour le marché vidéo), pouvait laisser attendre un petit slasher léger, destiné à un public adolescent et peu regardant, dans la lignée des collaborations habituelles du duo (Creepozoids, Sorority Babes, Ma prof est une extra-terrestre, Morgana). Pourtant, il n’en est rien. Skeletons se révèle être un thriller horrifique raffiné, élégant et intelligent, porté par un casting prestigieux : Ron Silver (Le Mystère Von Bulöw), James Coburn (Les 7 mercenaires), Dee Wallace (E.T.), Christopher Plummer (L’Homme qui voulut être roi) et Paul Bartel (Usual Suspects). Un choix qui rompt radicalement avec les gauloiseries habituelles que DeCoteau tourne en quelques jours avec des budgets dérisoires. Il faut dire que le réalisateur n’était pas le premier choix des producteurs. Au départ, c’est le prestigieux Ken Russel (Au-delà du réel, Les Diables) qui est aux commandes. « Ken Russell était un visionnaire, mais il n’a pas quitté Skeletons en bons termes », raconte DeCoteau. « Les producteurs se disputaient beaucoup avec lui à cause du budget et du planning. Au moment où ils se séparaient de lui, je tournais un petit film d’action pour la même société, Prey of the Jaguar. Les producteurs ont adoré mon montage. Et c’est là qu’ils m’ont embauché. » (1)

Chapeauté principalement par Jordan Belfort, dont le personnage trouble inspirera Le Loup de Wall Street de Martin Scorsese, Skeletons est le fruit de l’association d’une dizaine de producteurs, parmi lesquels se trouve Charles Band (en « sous-main », et non crédité au générique). L’histoire s’attache à Peter Crane (Ron Silver), un journaliste lauréat du prix Pulitzer qui, après une attaque cardiaque, décide de quitter New York pour la tranquillité d’une petite ville de Nouvelle-Angleterre, en compagnie de son épouse Heather (Dee Wallace) et de son fils Zach (Kyle Howard). Mais il se retrouve bientôt impliqué dans l’affaire d’un homme accusé d’avoir tué son amant homosexuel à coups de pelle. Souhaitant étouffer l’affaire, la ville se retourne contre Peter lorsqu’il commence à fouiller dans ses secrets. Car cette « communauté modèle » veut préserver ses valeurs et un mode de vie solidement établi depuis deux siècles. Or cette affaire trouble dissimule bien plus qu’un simple meurtre. Et personne dans la bourgade ne semble disposé à voir la vérité éclater au grand jour…

Le glissement vers l’horreur

Le contexte du film reste donc très réaliste, en grande partie grâce au jeu subtil et naturel de l’excellente brochette de comédiens réunis à cette occasion. Or plus le récit avance, plus l’enquête policière glisse insidieusement vers l’épouvante. Duel, Délivrance, Les Chiens de paille nous viennent tour à tour à l’esprit, jusqu’à un climax sacrifiant à une imagerie horrifique beaucoup plus frontale, à mi-chemin entre Psychose et Massacre à la tronçonneuse. Mais l’approche reste la plupart du temps sobre et ancrée dans le réel, ce qui ne rend cette intrigue que plus oppressante. Car les travers abordés par le scénario – la violence ordinaire, la bigoterie, l’intolérance, le racisme, l’inceste – n’ont rien de surnaturel. On peut regretter quelques choix de mise en scène un peu faibles (principalement les flash-backs en noir et blanc) et surtout une résolution expédiée en quatrième vitesse. Mais Skeletons tient sacrément bien la route et mériterait de sortir de l’oubli injuste dans lequel il est tombé, d’autant qu’il démontre ce que David DeCoteau est capable de faire lorsqu’il travaille dans des conditions de production décentes et avec des acteurs talentueux.

 

(1) Extrait d’une interview publiée sur The Schlock Pit en 2015

 

© Gilles Penso

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LES LUTINS SAUTEURS 2 (1996)

Dans ce second épisode, une redoutable sorcière menace le royaume des « Leprechauns » qu’elle entend bien dominer…

SPELLBREAKER : SECRET OF THE LEPRECHAUNS

 

1996 – USA

 

Réalisé par Ted Nicolaou

 

Avec Gregory Smith, Madeleine Potter, Godfrey James, John Bluthal, Tina Martin, James Ellis, Sylvester McCoy, Ion Haiduc, Mike Higgins, Carina Tautu

 

THEMA CONTES I NAINS ET GÉANTS I SAGA CHARLES BAND

Charles Band n’attend pas de savoir si Les Lutins sauteurs aura du succès ou non auprès des têtes blondes pour en initier immédiatement une suite. La même équipe, toujours installée dans les studios de Castel Films en Roumanie, sous la houlette des producteurs locaux Oana et Vlad Paunescu, reprend donc du service. Ted Nicolaou, habitué à tourner sur place depuis le premier volet de la saga Subspecies, est en terrain connu et tire parti du mieux qu’il peut des infrastructures à sa disposition. Le scénario qu’il co-écrit avec Patrick J. Clifton (à l’œuvre la même année sur le quatrième volet de la saga Josh Kirby : Time Warrior) s’efforce d’ailleurs d’éviter toute digression. L’action ne se situera pas aux États-Unis, comme c’était le cas pour la majorité des péripéties du premier film, mais intégralement dans la forêt enchantée de Fairyhill. Ce choix confère aux Lutins sauteurs 2 une atmosphère intéressante, plus féerique, puisant non seulement dans la photogénie des forêts proches de Bucarest mais aussi dans celle d’une vieille bâtisse médiévale (qui servira d’antre pour la redoutable sorcière du film) et d’un vaste palais séculaire où siègeront les fées et leur reine.

Personnage secondaire des Lutins sauteurs, même s’il occupait déjà l’affiche en gros plan, le jeune Mikey Dennehy (Gregory Smith) est ici le véritable héros de l’histoire, celui qui dénouera toutes les situations épineuses imaginées dans le script inventif de Nicolaou et Clifton. Parti en Irlande pour passer les vacances d’été avec son grand-père Michael (John Bluthal) sur la colline enchantée, il s’adonne avec lui à la pêche et aux discussions animées avec les Leprechauns. Un jour, une mystérieuse inconnue nommée Morgan (Madeleine Potter) fait son apparition, à dos de cheval, et dit habiter dans les environs. Kevin (Godfrey James), le roi des lutins, tombe immédiatement sous son charme et envisage même de l’épouser – sans que le fait qu’elle soit une mortelle ou qu’elle mesure cinq fois sa taille ne semble le gêner outre-mesure. Mais derrière les traits avenants de Morgan se cache en réalité la sorcière Nula, reine des morts et épouse du sinistre Finvara qui semait la terreur dans le premier film. Seul Mikey soupçonne la vérité. Saura-t-il sauver la mise à temps ?

Supérieur à l’original

En optant pour un cadre intégralement forestier, Les Lutins sauteurs 2 change d’ambiance et opte pour une mécanique plus proche de celle des contes de fées traditionnels. Visuellement, le film est un peu plus ambitieux que son prédécesseur, utilisant de manière plus intensive les perspectives forcées, les petites marionnettes articulées (conçues par l’équipe de Michael Rappaport) et les objets surdimensionnés pour bien montrer les différences d’échelles entre les humains et « le petit peuple ». Les enjeux étant plus resserrés et le récit mieux ficelé, cette suite s’avère donc supérieure à son modèle. D’autant que plusieurs idées intéressantes ponctuent l’intrigue : une ballade dans la forêt au cours de laquelle des voix et des rires mystérieux se mêlent aux chants des oiseaux et au bruit des insectes dans la forêt – une belle illustration subtile d’un monde fantastique dissimulé derrière l’écran rassurant de la réalité ; le grand-père qui, suite à un sortilège, se retrouve ramené à la même taille que les lutins ; ou encore cette incursion dans le sinistre « underworld », portail entre le monde des humains et celui des immortels filmé dans un très beau décor caverneux et enfumé où surgit furtivement le sépulcral Finvara le temps d’un climax efficace. Voilà qui prouve une nouvelle fois à quel point Ted Nicolaou est capable de faire beaucoup avec des budgets pourtant ridicules.

 

© Gilles Penso

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