SHERLOCK HOLMES CONTRE JACK L’ÉVENTREUR (1965)

Le détective et l’assassin les plus célèbres de tous les temps s’affrontent dans cette savoureuse production britannique…

A STUDY IN TERROR

 

1965 – GB

 

Réalisé par James Hill

 

Avec John Neville, Donald Houston, John Fraser, Anthony Quayle, Barbara Windsor, Adrienne Corri, Frank Finlay, Judi Dench

 

THEMA TUEURS

Si Arthur Conan Doyle n’a jamais consacré un seul de ses romans à une enquête de Sherlock Holmes liée aux agissements sanglants de Jack l’éventreur, la tentation de faire se rencontrer les deux personnages était trop forte pour qu’un jour où l’autre le cinéma ne tente pas l’aventure. Écrit par Donald et Derek Ford (Le Spectre maudit), le scénario de Sherlock Holmes contre Jack l’éventreur tente ainsi le grand écart entre la réalité et la fiction. Le titre original du film se réfère à celui d’un roman spécifique (A Study un Scarlet de 1887) et le dialogue que le célèbre détective entame avec son frère Mycroft à propos de « l’affaire du manoir » est fidèlement repris à la nouvelle The Greek Interpreter que Doyle écrivit en 1893. Parallèlement, le film met en scène cinq victimes de l’éventreur (Annie Chapman, Mary Ann Nichols, Elizabeth Stride, Catherine Eddowes et Mary Jane Kelly) qui ont réellement existé et sur lesquelles Scotland Yard a mené ses investigations. La mise en scène est assurée par James Hill, qui allait se spécialiser dans la réalisation d’épisodes de séries TV britanniques très recommandables telles que Chapeau Melon et bottes de cuir, Le Saint ou Amicalement vôtre, et à qui nous devons également Le Capitaine Nemo et la ville sous-marine.

En 1888, le quartier de Whitechapel devient le théâtre de plusieurs meurtres nocturnes visant des prostituées. Sherlock Holmes (John Neville), d’abord informé de ces crimes par les récits de son ami, le docteur John Watson (Donald Houston), se retrouve impliqué de manière inattendue lorsqu’il reçoit par la poste une trousse de chirurgien incomplète, à laquelle manque un couteau de dissection. Grâce à son œil acéré, Holmes découvre des armoiries dissimulées dans le coffret, celles de la noble famille Osborne. Cette piste les mène, Watson et lui, jusqu’à la propriété du duc de Shires (Barry Jones). Sur place, ils apprennent que la trousse appartenait autrefois à Michael Osborne (John Cairney), le fils aîné de la famille, aujourd’hui disparu et en disgrâce auprès de son père. Ils font également la connaissance de Lord Edward Carfax (John Fraser), le frère cadet de Michael. Poursuivant l’enquête, Holmes découvre qu’un prêteur sur gage a récemment reçu le coffret des mains d’une certaine Angela Osborne (Adrienne Corri). Il charge alors Watson de retrouver cette femme à l’asile pour déshérités du docteur Murray (Anthony Quayle). Pendant ce temps, les effroyables meurtres de Jack l’Éventreur continuent de semer la terreur dans Londres…

Un slasher victorien

Futur Baron de Munchausen pour Terry Gilliam, John Neville est un excellent Sherlock Holmes, son mélange subtil d’élégance, de cynisme et de flegme froid rappelant la prestation de Peter Cushing dans Le Chien des Baskerville. Neville reprendra et enrichira d’ailleurs ce rôle quelques années plus tard sur les planches de Broadway. Le casting, orné de toute une galerie de solides comédiens britanniques, laisse aussi la part belle à Donald Houston, très convaincant en Watson, et laisse apparaître Judi Dench, future interprète de M pour la saga James Bond. Sacrifiant à un certain classicisme, la mise en scène de James Hill laisse toutefois la part belle à quelques idées visuelles très intéressantes, comme ce plan séquence en caméra subjective décrivant – du point de vue du tueur – l’agression d’une des prostituées, un procédé qui sera repris à son compte par John Carpenter pour Halloween, puis deviendra le passage obligatoire de nombreux slashers. La révélation finale est certes un peu décevante, sans toutefois gâcher le plaisir éprouvé par ce long-métrage composite – à mi-chemin entre le film d’épouvante victorien et l’enquête policière en costumes – qui bénéficie en outre d’une très belle partition de John Scott mêlant l’orchestre à d’étranges mélodies solistes à la mandoline.

 

© Gilles Penso


Partagez cet article

JOKER : FOLIE À DEUX (2024)

Cette suite des mésaventures du clown macabre revêt la forme inattendue d’une comédie musicale dépressive. La blague de trop ?

JOKER : FOLIE A DEUX

2024 – USA

Réalisé par Todd Philips

Avec Joaquin Phoenix, Lady Gaga, Brendan Gleeson, Catherine Keener, Zazie Beetz, Steve Coogan, Harry Lawtey, Leigh Gill, Ken Leung, Jacob Lofland, Bill Smitrovich

THEMA SUPER-VILAINS I SAGA DC COMICS

Pourquoi diable Todd Phillips, humble faiseur de comédies plus ou moins légères (la trilogie Very Bad Trip, Starsky et Hutch), ayant pleinement profité du système, s’est-il soudain autoproclamé artiste maudit pourfendeur d’Hollywood ? A l’instar de son « héros » à qui l’on demande constamment s’il a une histoire drôle à raconter, le réalisateur en aurait-t-il eu plus qu’assez de faire ce qu’on lui demandait ? L’engouement massif suscité par le Joker premier du nom avait pourtant démontré qu’il était encore possible aujourd’hui de livrer une œuvre nihiliste au rythme lent et de toucher un large public. La performance alors exceptionnelle de Joaquin Phoenix, tantôt pathétique tantôt terrifiant, les intelligentes trahisons faites au matériau d’origine (notamment le handicap du personnage justifiant son rire nerveux), et le soin tout particulier apporté à la mise en scène et à la photographie, parvenant à émuler l’atmosphère et le grain cafardeux des 70’s, autant de qualités indéniables qui permettaient d’oublier des influences envahissantes (La Valse des pantins et Taxi Driver en tête) ainsi qu’un manque de subtilité embarrassant dans le traitement du sujet de fond (face aux méchants riches, seuls l’anarchie et le chaos prévalent).

Heureusement, le film se terminait nappé d’une ambiguïté plus intéressante, voyant un psychopathe devenu symbole de liberté porté aux nues dans un asile à ciel ouvert. Philipps avait donc déjà scruté jusqu’au vertige son monstre en devenir et souligné le fait qu’il soit le seul à s’esclaffer quand il faudrait pleurer, offrant le triste miroir d’un monde à la dérive ne sachant plus où se situe son humanité. Las, la séquelle qui nous occupe ici ne s’avère être qu’une indigente thérapie à 200 millions de dollars, échouant sur tous les tableaux avec une arrogance horripilante. Mauvais film de procès ne cessant de ressasser ad nauseam les éléments du premier volet cités plus haut, analyse pachydermique des maladies mentales enfonçant des portes ouvertes, piètre comédie musicale (ce cher Todd n’a pas dû en regarder beaucoup, ou alors seulement La La Land) à la mise en images banale, aux textes sur-explicatifs des tourments des protagonistes et aux arrangements chouinants de pub télé, l’œuvre manque qui plus est cruellement de la folie promise dans son titre, n’atteignant jamais de véritable alchimie entre réalisme et fantasme (au contraire de Dancer in the Dark de Lars Von Trier auquel le réalisateur emprunte beaucoup).

Joker in the Dark

Les rares défenseurs du film (dont un Quentin Tarantino en plein ego trip qui y a fantasmé son Tueurs nés revisité) clameront que ce cuisant échec public et critique donne raison à son orchestrateur et à son doigt d’honneur visant la vénalité de Warner et DC. La triste vérité est tout autre : ce doigt d’honneur s’adresse avant tout aux spectateurs et à leurs attentes légitimes, Phillips refusant en bloc de faire autre chose que du surplace 2h18 durant, se moquant complètement du Joker (Phoenix, anesthésié, en est ici réduit à jeter constamment la tête en arrière en crachant sa fumée de cigarette), de ses illusoires amours avec Harley Quinn (pauvre Lady Gaga qui se retrouve avec bien peu à exprimer) et de l’univers qu’il a lucrativement investi. Jack Burton et The Thing s’affirmaient comme des gestes artistiques rebelles absolus au sein d’un système hollywoodien oppressif, Gremlins 2 affichait le panache d’un superbe suicide commercial, Kill Bill 2 et The Devil’s Rejects proposaient de véritables remises en question de leurs prédécesseurs… Joker 2 se borne à ériger un monument de prétention bêtement symptomatique du cynisme faussement décalé de son époque.

 

© Julien Cassarino


Partagez cet article

MI BESTIA (2024)

Mila, 13 ans, est confrontée à une prophétie qui annonce la venue du diable le jour de la fête de la Lunada…

MI BESTIA

 

2024 – COLOMBIE / FRANCE

 

Réalisé par Camila Beltran

 

Avec Stella Martinez, Mallerly Murillo, Marcela Mar, Hector Sanchez

 

THEMA DIABLE ET DÉMONS

La cinéaste Camila Beltrán a fait des études artistiques en Colombie avant d’intégrer la prestigieuse Ecole nationale supérieure d’arts de Paris-Cergy. Pedro Malheur, son court-métrage de fin d’études, a obtenu la mention spéciale du Jury au Festival de Clermont-Ferrand en 2014 et son dernier Pacifico Oscuro a été sélectionné au Festival de Locarno en 2020. Également productrice avec sa société Fellina Films, elle signe avec Mi Bestia, conte horrifique dont le titre est inspiré d’El Dia de la Bestia d’Alex de la Iglesia, un premier long-métrage envoutant et réussi. Portée par le charme de Stella Martinez, son actrice principale filmée en (très) gros plan, l’histoire évoque les souvenirs réels de l’enfance de la cinéaste à Bogota (où est tourné le film), et spécialement des fêtes locales de la Lunada. « Au départ, je ne pensais pas que je faisais un film de genre, parce que la croyance de la venue du diable faisait partie de notre vie », raconte-t-elle. « Il y avait des affiches là-dessus, et je me souviens que tout le monde en avait peur. Ce qui paraît fantastique ici, là-bas c’est le quotidien. » (1)

Le diable, « qui rode en permanence », va profiter de l’arrivée de la lune rouge et d’une éclipse pour se manifester, ainsi est la prophétie, telle que l’assure la religieuse de l’établissement catholique de Mila, élève solitaire et taciturne dont la mère, souvent absente, est occupée par son travail et son amant. D’ailleurs l’insistance de ce dernier à veiller absolument sur Mila est de plus en plus suspecte. Bénéficiant de cadrages serrés s’approchant au plus près des émotions de la jeune fille, Mi Bestia nous raconte intimement les évènements qui la distinguent et l’isolent de son entourage, et qui finissent par la transformer en créature, en démone ou en diable. « C’est un pouvoir que Mila ne comprend pas mais qu’elle accueille et qu’elle accepte », explique la réalisatrice. « Au moment de la transformation, une musique un peu mélancolique accompagne une sorte de sortie, de libération, de survol. Il ne s’agit ni d’un affrontement, ni du besoin de se faire justice à travers une certaine violence venue du monstre ou de l’animal. » (2)

Nuit démonique à Bogota

Doté d’une belle photo dans un format carré 1.33 assez rare à l’heure du 16/9 numérique, ce long-métrage de la réalisatrice colombienne Camila Beltrán, programmé dans la sélection de l’Acid Cannes, s’inscrit dans la lignée des films où l’arrivée de la puberté se confond avec une transformation redoutable sous le poids et l’influence des diktats religieux, des superstitions et des légendes. Métamorphose monstrueuse dans Tiger Stripes d’Amanda Nell Eu, dangereuse dans El Agua d’Elena López Riera, ou démoniaque dans Mi Bestia, tous ces films exempts de manichéisme, véhiculent une poésie métaphorique, et, comme le Carrie de Brian de Palma en 1976, parlent en filigrane de solitude, de différence, de mise au ban, d’agression, d’incertitudes, et de la difficulté à apprivoiser son corps lorsqu’il se transforme à l’adolescence.

 

(1) et (2) Propos recueillis par Quélou Parente en mai 2024

 

© Quélou Parente


Partagez cet article

SILENT BITE (2024)

Un groupe de gangsters déguisés en Pères Noëls se réfugient avec leur butin dans un hôtel où les guette une menace inattendue…

TITRE ORIGINAL

 

2024 – CANADA

 

Réalisé par Taylor Martin

 

Avec Luke Avoledo, Nick Biskupek, Camille Blott, Louisa Capulet, Sayla de Goede, Dan Molson, Simon Philips, Chad Ridgely, Kelly Schwartz, Sienna Star

 

THEMA VAMPIRES

Toujours prompt à souiller Noël avec des gerbes de sang, le scénariste Simon Philips s’était déjà rendu coupable des scripts de Once Upon a Time at Christmas en 2017 et de The Nights Before Christmas en 2019. Silent Bite s’inscrit dans la même mouvance, mêlant horreur, comédie et fêtes de fin d’année. Les deux films précédents n’ayant pas particulièrement marqué les mémoires, pas plus que le dernier travail d’écriture en date de Philips (Mickey’s Mouse Trap), nous ne savions trop quoi espérer de ce nouvel opus, confié au réalisateur Taylor Martin qui signe là son premier long-métrage. Le jeu de mot du titre, qui s’amuse à remplacer « nuit » par « morsure » dans l’expression « Silent Night », passe forcément beaucoup moins bien en français (les esprits grivois auront même du mal à réfréner quelques rires gras, comment leur en vouloir ?). Silent Bite commence sur des chapeaux de roue. Un générique constitué de cartons dessinés façon comic book (qui semblent avoir été bricolés avec une I.A.) s’égrène avec dynamisme tandis que retentit une reprise rock de « Jingle Bells ». Conditionnés, nous nous calons dans notre fauteuil près du sapin et des guirlandes en attendant tranquillement la suite. Après tout, nous ne sommes pas à l’abri d’une bonne surprise.

La veille de Noël, une bande de braqueurs déguisés en Pères Noël dévalise une banque. Après leurs méfaits, Prancer (Luke Avoledo), Grinch (Nick Biskupek), Father Christmas (Simon Phillips) et Snowman (Michael Swatton) trouvent refuge au Jolly Roger Inn and Resort, un motel isolé en plein désert. Pendant ce temps, leur complice Rudolph (Dan Molson) détourne l’attention de la police en les éloignant le plus possible de ses partenaires et du butin. Le propriétaire du motel (Paul Whitney), attiré par une part du gâteau, accepte de les héberger en toute discrétion. Mais la tranquillité espérée tourne court lorsque quatre femmes séduisantes, également clientes de l’hôtel, se mettent à éveiller la méfiance des braqueurs. Leur instinct ne les trompe pas : ces créatures mystérieuses sont en réalité des vampires, bien décidées à se mettre les gangsters sous la dent pour leur dîner de Noël. La situation se complique encore lorsque l’un des braqueurs découvre dans une des chambres du motel qu’une captive du quatuor infernal est en train de se transformer en vampire…

Ça sent le sapin

Même s’il ne peut s’empêcher de payer son tribut à Quentin Tarantino (en reprenant la structure narrative d’Une nuit en enfer et en puisant dans Reservoir Dogs l’idée de la dispute à propos des noms de code), Silent Bite part plein d’entrain, grâce à son rythme nerveux, ses dialogues qui fusent et sa tonalité légère. Mais l’originalité espérée n’est pas vraiment au rendez-vous. Les situations nous sont déjà familières (on pense à une infinité d’autres films de vampires, y compris Abigail qui confrontait aussi en huis-clos une suceuse de sang avec des malfaiteurs), les personnages très stéréotypés et les péripéties finalement assez limitées. Et si les interprètes des gangsters exhalent un certain charisme (l’acteur/scénariste Simon Phillips en tête), les actrices qui incarnent les vampires manquent cruellement de crédibilité et de conviction, comme si elles n’y croyaient pas eux-mêmes. C’est notamment le cas de Sayla de Goede, la « mère » des créatures de la nuit qui multiplie les mimiques caricaturales et les gestuelles théâtrales. Une poignée d’idées amusantes saupoudrent certes le film (comme le réceptionniste qui donne le sentiment de parler tout seul puisque la caméra de surveillance n’enregistre pas les vampires) mais son potentiel prometteur s’évapore bien vite. Pas spécialement drôle, pas du tout effrayant, plombé par une poignée d’effets numériques approximatifs, chiche en sang et en gore, Silent Bite a du mal à se positionner et nous fait finalement l’effet d’un pétard mouillé.

 

© Gilles Penso


Partagez cet article

CREATION OF THE GODS I : KINGDOM OF THE STORMS (2023)

Ce film de tous les superlatifs raconte l’histoire d’un prince tyrannique causant la perte du royaume des Shang à l’époque des derniers empires chinois…

FENG SHEN 1 : ZHAOGE FENG YUN

 

2023 – CHINE

 

Réalisé par Wuershan

 

Avec Huang Bo, Kris Philips, Suejian Li, Yu Xia, Kun Chen, Quan Yuan, Le Yang, Yosh Yu, Chen Muchi, Bayaertu, Bayalag, CiSha, Yongdai Ding, Shaofeng Feng

 

THEMA HEROIC FANTASY I SORCELLERIE ET MAGIE

Creation of the Gods est une trilogie fantastique adaptée entre autres d’un roman classique du 16° siècle de Xu Zhonglin, Investiture of the Gods, qui mélange légendes, mythologie et faits historiques. Il raconte l’histoire d’un prince tyrannique qui va causer la perte du royaume des Shang à l’époque des vrais derniers empires chinois sous les dynasties Song, Yuan et Ming. Selon la sagesse confucéenne, la loyauté, la subordination à ses supérieurs et la piété filiale représentent des valeurs fondamentales sur lesquelles reposent l’harmonie sociétale et même cosmique. Si l’autorité divine autorisait un empereur à gouverner, elle pouvait tout aussi bien lui retirer ce droit si son comportement cessait d’être vertueux, provoquant la chute de l’Empire. C’est ainsi que, selon un pacte appelé le Mandat Céleste, les révoltes contre une dynastie se justifiaient dès lors qu’un souverain perdait la confiance et le respect de son peuple (dont le bonheur était le garant d’une bonne conduite de ses gouverneurs). Le parricide et la désobéissance à son supérieur étaient donc deux interdits absolus pour qu’une dynastie se perpétue sous de bons auspices. Mais lorsqu’un roi déroge lui-même à la règle, rompant le pacte avec les divinités du Ciel et provoquant le chaos dans le royaume, à qui se fier et à qui obéir ? C’est tout l’enjeu de ce mythique Kingdom of the Storms orchestré par Wuershan, diplômé de la prestigieuse et très sélective Beijing Film Academy dont les étudiants cumulent au fil des ans un nombre impressionnant de prix internationaux.

Wuershan a déjà réalisé des fresques historiques fantastiques basées sur les contes et légendes de la Chine ancienne, et il n’en est pas à sa première représentation du « démon renard » que l’on retrouve ici sous les traits d’une splendide femme, Su Daji (Naran). Serait-elle réellement responsable de la cruauté du tyrannique souverain ? Ou, comme elle le dit elle-même, n’a-t-elle fait que répondre à ses désirs enfouis de puissance ? Car la sagesse des anciens enseigne que les pensées, bonnes ou mauvaises, ne viennent pas par hasard. Lorsqu’elles attirent l’attention des dieux comme des démons, c’est aux hommes de se comporter de façon à rétablir l’équilibre du monde. Si l’atmosphère de Creation of the Gods, avec sa montagne sacrée et maudite où les dieux immortels orchestrent le bien et le mal à l’abri des regards humains, rappelle d’une certaine manière Zu, Warriors of the Magic Mountain, film de 1983 réalisé par Tsui Hark, c’est que les deux films répondent aux codes et à la philosophie du wu xia pan, tel que le cinéma martial hongkongais nous y a habitués.

L’Empire du milieu contre-attaque

On retrouve ici des personnages qui s’envolent lors de combats spectaculaires où la magie n’est jamais loin, une philosophie taoïste basée sur les concepts du yin et du yang où des prêtres et des sages vêtus de blanc y affrontent des êtres démoniaques toujours en noir, où les différents clans ont des costumes de couleurs bien tranchées pour les différencier, et où les conflits se règlent majoritairement à la pointe de l’épée ou du sabre avec des interventions surnaturelles… Toute ressemblance avec l’heroic-fantasy occidentale n’étant pas fortuite. A noter que les costumes sont dessinés par Timmy Yip, oscarisé pour Tigre et dragon d’Ang Lee avec les stars Chow Yun-fat et Michelle Yeoh. Malgré la sensualité des corps, on notera que l’amour y est inaccessible, la beauté féminine insaisissable, voire dangereuse, et que la musique symphonique s’efface, lors des scènes romantiques, derrière des chansons qui nous hantent généralement des années durant. Ici, elle est signée du compositeur Gordy Haab, souvent comparé à John Williams. Les nostalgiques noteront que les SFX et les décors artisanaux d’autrefois, sculptés par des éclairages multicolores qui n’avaient rien à envier à ceux de Mario Bava, ont laissé leur place à l’ère du numérique à un foisonnement de plans truqués avec des images de synthèse dont le rendu inégal reste cependant assez impressionnant pour que se succèdent les sensations fortes. Avant l’épisode II, Demon Force, et l’épisode III, Creation Under Heaven, Kingdom of Storms est déjà fort de son énorme succès en Chine (sacré Coq d’or 2023) comme à l’international.

 

© Quélou Parente


Partagez cet article

STREET TRASH (2024)

Cette suite tardive du film culte de Jim Muro peine à convaincre malgré sa profusion de séquences gore et dégoulinantes…

STREET TRASH

 

2024 – USA

 

Réalisé par Ryan Kruger

 

Avec Sean Cameron Michael, Donna Cormack-Thomson, Joe Vaz, Lloyd Martinez Newkirk, Shuraigh Meyer, Gary Green, Warrick Grier, Andrew Roux, Ryan Kruger

 

THEMA MUTATIONS I FUTUR

Très amateur du cinéma fantastique des années 80, l’acteur/réalisateur Ryan Kruger avait créé une petite surprise avec son film déjanté Fried Barry qui, à travers son histoire invraisemblable de junkie enlevé par des extra-terrestres, ne cessait de rendre hommage à la pop culture des eighties (les films de Spielberg, Cameron, Dante, Carpenter, mais aussi les clips musicaux de l’époque). Lorsque se présente pour lui l’opportunité de revisiter Street Trash, il n’hésite pas longtemps. « Dans les années 80 et au début des années 90, Street Trash faisait partie de ces films que mes amis et moi regardions en vidéo à deux heures du matin – nous l’avions en VHS et nous le faisions circuler », raconte-t-il. « Cela faisait partie de notre enfance. » (1) Pour autant, Kruger ne veut pas se lancer dans un remake (contrairement à ce que pourrait faire croire la simple reprise du titre original) mais plutôt dans une suite centrée sur d’autres personnages et d’autres péripéties. « Il était très important pour moi, en tant que fan du film original, de ne pas le copier mais de proposer autre chose » (2), confirme-t-il. Installé en Afrique du Sud depuis 2008, il y situe logiquement son action. Et si un dialogue mentionne rapidement « l’incident survenu à New York en 1987 », l’intrigue suit sa propre voie, indépendamment de celle du film de Jim Muro.

Nous sommes à Cape Town, 25 ans dans le futur. Le chômage s’est mis à grimper à la vitesse grand V, la misère a gagné les rues et les pronostics de réélection du maire Mostert (Warrick Grier) ne sont pas très engageants. Pour régler le problème des sans-abris une bonne fois pour toutes, Mostert demande à un groupe de scientifiques de créer secrètement et de produire à la chaîne un gaz susceptible de liquéfier tous les clochards, seul moyen selon lui de nettoyer enfin les rues de la cité. Pour plus d’efficacité, ce gaz est installé dans des drones qui sillonnent les quartiers mal famés en pleine nuit. Dans ce contexte sinistre, le scénario s’intéresse à un petit groupe de « homeless » survivant comme ils peuvent dans cette jungle urbaine qui prend vaguement les allures de celle de New York 1997 : l’ancien vétéran Ronald (Sean Cameron Michael), le philosophe Chef (Joe Vaz), les frères Wors et Paps (Lloyd Martinez et Shuraigh Meyer), le taciturne 2-Bit (Gary Green) et la nouvelle venue Alex (Donna Cormack-Thomson). Cette « famille » hétéroclite ne va pas tarder à se retrouver au cœur d’un affrontement explosif avec les forces de l’ordre…

Liquéfactions

La volonté de s’écarter du film original en installant celui-ci dans un cadre futuriste et dystopique est compréhensible, mais Ryan Kruger n’a ni les moyens de ses ambitions (l’étroitesse du budget est très souvent palpable, notamment dans les séquences de mouvement de foule), ni de véritables enjeux dramatiques à défendre. Ses personnages sont en effet des archétypes volontiers caricaturaux auxquels il est bien difficile de s’intéresser, et dont l’interprétation varie entre le charisme solide (Sean Cameron Michael) et le cabotinage embarrassant (Warrick Grier). Kruger continue de multiplier ses clins d’œil au cinéma qu’il aime (2-Bit est habillé comme Roger Rabbit, Alex joue les émules de Ripley dans Aliens, Chef a le même look que Stanley Kubrick) et développe quelques idées surprenantes (l’ami imaginaire qui apparaît sous forme d’un petit monstre bleu hargneux et lubrique). Mais une grande partie de ses effets comiques tombe à plat (notamment ce gag récurrent au cours duquel les personnages se tournent vers la caméra en s’adressant à un certain Offley dont on ne voit que les mains). Le bilan reste donc très mitigé. Fort heureusement, ce Street Trash a la bonne idée de ne jamais se réfréner sur les effets gore excessifs. En digne successeur de son modèle, il éclabousse donc régulièrement l’écran d’explosions de pustules multicolores, de liquéfactions visqueuses et de décompositions gluantes, en s’appuyant sur des effets spéciaux 100% physiques particulièrement efficaces. C’est hélas la seule chose véritablement réjouissante qu’il faudra se mettre sous la dent.

 

(1) Extrait d’une interview publiée sur Gizmodo en novembre 2024

 

© Gilles Penso


Partagez cet article

ROBOFORCE (1988)

Dans cette réponse hongkongaise à Robocop, le producteur Tsui Hark et le réalisateur David Chung cèdent à tous les excès…

TIE JIA WU DI MA LI YA

 

1988 – HONG-KONG

 

Réalisé par David Chung

 

Avec John Sham, Sally Yeh, Tsui Hark, Tony Leung, Ching-Ying Lam, Dennis Chan, Teddy Chan, Wing Cho, Kong Chow, Paul Chun, Ben Lam, Foo-Wai Lam

 

THEMA ROBOTS

À première vue, Roboforce semble être une variante de Robocop, sorti sur les écrans moins d’un an plus tôt. Un humanoïde au visage humain, un grand robot destructeur, des gangs qui affrontent la police, des fusillades et des explosions à tire-larigot sont en effet au programme. Mais en réalité, cette comédie de science-fiction délirante n’a pas grand-chose à voir avec le classique de Paul Verhoeven. Certes, le succès des aventures d’Alex Murphy motiva très certainement sa mise en chantier, mais Tsui Hark – qui produit le film et en tient l’un des rôles principaux – en profite surtout pour offrir au public un spectacle hors-norme, tout à fait conforme au grain de folie que véhiculaient des œuvres telles que Zu, les guerriers de la montagne magique, Histoires de fantômes chinois ou Mad Mission 3. Réalisateur de Police Action et La Légende des héros, David Chung hérite de la mise en scène et s’en donne à cœur joie, épaulé par Hark lui-même (co-réalisateur officieux du film) et par Ching Siu-Tung qui règle toutes les séquences d’action. Le film commence très fort avec l’attaque d’un robot cuirassé et fumant qui s’en prend aux forces de l’ordre. Insensible aux balles, capable de voler, armé de missiles qui pulvérisent les véhicules blindés, ce monstre mécanique est la dernière invention du redoutable Hero Gang qui terrorise Hong-Kong.

Par cette démonstration de force, les membres du Hero Gang entendent bien faire comprendre aux autorités qu’ils sont invincibles. Leur chef (Ben Lam), un psychopathe obsédé par les robots, décrète que « l’émotion est une faiblesse humaine ». Il a d’ailleurs décidé de remplacer son bras droit, la tueuse Maria (Sally Yeh) qui est éprise de lui et n’agit que pour le satisfaire, par une contrepartie robotique qu’il nomme Pioneer II (Pioneer I étant la machine massive vue dans l’introduction du film). Bien sûr, Maria voit d’un très mauvais œil la création de cet avatar cybernétique qui a l’outrecuidance d’arborer le même visage qu’elle. Pour sa première mission, Pioneer II doit retrouver « Whisky » (incarné par Tsui Hark), un ancien membre du gang, et le tuer. Mais Whisky vient de se lier d’amitié avec « Curly » (John Sham), un concepteur d’armes high-tech qui travaillait jadis pour la police et qui parvient à reprogrammer le robot féminin. Bientôt, les gangsters, les policiers, les robots et nos deux héros maladroits vont devoir s’affronter. Un journaliste malchanceux campé par Tony Leung vient s’ajouter à ce cocktail déjà explosif…

Mad Robot

Roboforce vaut principalement pour la folle inventivité de ses séquences mouvementées et de ses effets spéciaux, qui lui permirent de remporter un prix spécial lors de sa présentation au mythique Festival du Film Fantastique de Paris en 1988. Si le robuste Pioneer I crève l’écran, la Maria robotique (qui doit sans doute son prénom à l’héroïne de Metropolis) ne démérite pas. Capable de grimper sur les façades des immeubles avec autant de facilité que Spider-Man, elle déchire le métal comme si c’était du papier, projette des poings extensibles, défonce les murs, transforme ses doigts en mitrailleuses et ses bras en lance-missiles, décolle grâce à ses pieds-réacteurs, bref assure un spectacle total. Au cours du dernier acte du film, son relooking évoque autant le classique de Fritz Lang que les designs de Hajime Sorayama. Il faut bien reconnaître que l’aspect comique du film ne brille pas par sa finesse. Les acteurs en font des tonnes, face à un réalisateur qui les laisse visiblement en totale roue libre, les gags traînent en longueurs et les mimiques excessive du trio masculin vedette finissent par lasser. Fort heureusement, cet humour éléphantesque est contrebalancé par des scènes d’action dingues : les gangsters qui mitraillent à tout va en s’accrochant aux branches des arbres avec des filins, l’assaut d’une moto volante chargée d’un arsenal destructeur, le combat contre les deux robots ou encore l’impensable échauffourée finale sur le flanc d’un mecha titanesque. Toute la folie et la démesure du cinéma hongkongais des eighties explose dans ce Roboforce décomplexé auquel on ne pourra pas reprocher son manque de générosité et d’imagination.

 

© Gilles Penso


Partagez cet article

MORTAL KOMBAT (2021)

Pour la troisième adaptation de la célèbre licence de jeux vidéo, exit le rire de Christophe Lambert, le ton est plus sérieux pour un résultat mitigé…

MORTAL KOMBAT

 

2021 – USA

 

Réalisé par Simon McQuoid

 

Avec Lewis Tan, Jessica McNamee, Josh Lawson, Joe Taslim, Mehcad Brooks, Ludi Lin, Max Huang, Matilda Kimber, Laura Brent, Tanadobu Asano, Chin Han

 

THEMA POUVOIRS PARANORMAUX

À l’aube des années 90, Threshold Entertainment prévoit de produire trois films basés sur les jeux Mortal Kombat des studios Midway. Après le succès du premier opus en 1995, une suite est naturellement envisagée, mais l’absence de Christophe Lambert dans le rôle iconique de Raiden et des effets spéciaux désastreux envoient le film dans le décor et repoussent l’idée d’un troisième volet. Tombé dans les affres des changements perpétuels de scénarios et du développement, le projet refait surface en 2001, lorsque Thresold tease une suite en demandant aux fans quels personnages ils pensent y voir mourir. Mais une série de catastrophes, dont la destruction d’un décor par l’ouragan Katrina en 2009 et un procès avec Midway, met fin à l’aventure. Provisoirement cependant, car Warner Bros. rachète les actifs de Midway et de fait récupère la licence de jeux de baston. Sa filiale vidéoludique NetherRealm en reprend le développement et produit une nouvelle mouture. C’est cette version qui servira de base au nouveau film, avec l’entrée dans la production d’un certain James Wan, figure montante du cinéma d’horreur. Après avoir été confié en premier lieu à Kevin Tancharoen suite à son court-métrage Mortal Kombat Rebirth, le projet d’un reboot échoit à Simon McQuoid, dont ce sera le premier film. Le nom de James Wan et la garantie d’un classement R (interdiction aux moins de 16 ans) commencent à intriguer positivement les fans du jeu… du moins jusqu’à sa sortie sur les écrans.

L’histoire suit Cole Young (Lewis Tan), combattant de MMA peu doué, qui est soudainement traqué par un mystérieux assassin aux pouvoirs surnaturels. Il est sauvé par Jax (Mehcad Brooks) qui lui fait une incroyable révélation : Cole serait en réalité un combattant élu pour défendre la Terre contre une menace venue d’une autre dimension. Jax l’envoie retrouver une dénommée Sonya Blade (Jessica McNamee), avant d’affronter Sub-Zero (Joe Taslim). La promesse de violence et d’hémoglobine, classification R oblige, est tenue, même si le sang numérique peut parfois faire tâche. Les 55 millions de dollars de budget garantissent de beaux effets visuels et des maquillages efficaces. Malheureusement, dès que l’action se déroule dans le temple de Raiden (Tanadobu Asano), les décors à l’allure de carton-pâte nous ramènent directement au nanardesque Mortal Kombat : destruction finale, celui-là même qui avait annihilé les chances du troisième film. De plus, dans un souci de contenter les supposées attentes du public, le film déborde outrageusement de fan service jusqu’à l’absurde.

Sain de gore mais pas d’esprit

Tous les mouvements de combats iconiques sont là, les fatalities également, ça dégouline de tripes et de sang, comme dans le jeu. Mais lorsqu’un des personnages s’écrie « Flawless Victory », « Fatality » ou « Liu Kang wins », qui sont évidemment des répliques du jeu, la suspension d’incrédulité s’écroule. Ce qui marche dans un jeu ne fonctionne pas au cinéma pour la simple et bonne raison que les expériences de joueur et de spectateur sont aux antipodes l’une de l’autre. Et, à l’instar d’un Schwarzenegger dans Last Action Hero, les personnages de Mortal Kombat ne sont pas censés savoir qu’ils sont dans une adaptation de jeu vidéo, et n’ont donc aucune raison de déclamer de telles répliques ! Malgré la présence de Hiroyuki Sanada en Scorpion, dont l’introduction au tout début du film ne sert pas à grand-chose, ce reboot n’a finalement pas le charme ni le second degré du premier Mortal Kombat avec le cabotinage de Christophe Lambert en prime. Le film se prend beaucoup trop au sérieux pour ce qu’il raconte, oubliant que le matériau d’origine se moquait déjà de lui-même avec du gore burlesque et faisait peu de cas de sa propre diégèse. Espérons que la suite prévue pour 2025 aura un peu plus de recul.

 

© Christophe Descouzères


Partagez cet article

ANIMALE (2024)

Un conte fabuleux, cruel et libératoire dans lequel se noue une étrange connivence entre un taureau et une jeune camarguaise…

ANIMALE

 

2024 – FRANCE

 

Réalisé par Emma Benestan

 

Avec Oulaya Amamra, Damien Rebattel, Vivien Rodriguez, Claude Chaballier, Elies-Morgan Admi-Bensellam, Pierre Roux, Marinette Rafai, Renaud Vinuesca

 

THEMA MAMMIFÈRES

Nous sommes en Camargue, au pays des courses de taureaux, de celles où l’on respecte le plus l’animal, où blessures et mise à mort sont exclues. Après avoir gagné sa place au milieu des raseteurs (acteurs d’un sport traditionnellement réservé aux hommes), Nejma rêve à présent de se distinguer dans l’arène. Mais une étrange connivence semble s’établir entre elle et l’animal, tandis que des hommes de son entourage disparaissent… Depuis Animale,  il existe désormais une légende en Camargue qui raconte qu’une femme, à l’instar de La Féline de Jacques Tourneur, ou des héros de films de lycanthropes comme Le Loup-garou de Londres, se transformerait non pas en panthère noire, ni en canidé sanguinaire, mais en taureau (un taureau-garou en quelques sortes) ! L’action se passe dans l’univers peu connu des manades, là où les bovidés vivent en liberté en attendant, pour les plus vigoureux, d’être capturés lors des fêtes votives. Ils sont alors guidés par les guardians jusque dans l’arène, où les raseteurs doivent attraper une cocarde placée entre leurs cornes. Point de folklore ni de tourisme dans ce film, mais au contraire une image respectueuse de la nature et de la région dont elle révèle toute la splendeur.

Ce merveilleux film de métamorphose revisite les codes du genre pour mieux les réinventer avec un point de vue résolument féministe, et un animalisme discret que ne renieraient pas les auteurs du Règne animal. Le résultat est un sincère chant d’amour, remarqué dans de nombreux festivals : film de clôture de la Semaine de la Critique à Cannes, film d’ouverture du NIFF 2024, accueilli au FEFFS, etc. La splendide photo du très prisé chef-opérateur belge Ruben Impens, qui s’est distingué avec les deux premiers films de Julia Ducournau, Grave et Titane, sublime ici l’authenticité d’un environnement sauvage, des hommes qui l’habitent, de ses bêtes puissantes, et parmi eux, la beauté naturelle d’une jeune femme qui poursuit un rêve émancipatoire, celui d’être dans l’arène et d’y remporter les honneurs de la prochaine course camarguaise. Toutefois, une étrange connexion s’établit entre elle et le taureau. Peu à peu, l’empathie que ressent la belle pour la bête va lui révéler sa propre animalité, tandis que le bovin et son regard vont nous sembler de plus en plus humains. L’actrice principale Oulaya Amamra crève l’écran dans chacun des plans serrés où transpire sa volonté de vivre libre dans un monde en partie hostile, et contre lequel il va falloir se battre.

Libre, passionnée et engagée

Détentrice, comme John McTiernan, d’une licence en anthropologie, et ancienne étudiante de la Fémis, Emma Benestan, dont c’est le second long-métrage, fait ses débuts dans le cinéma dans les salles de montage avant de passer à la réalisation. Elle tournera deux courts-métrages et deux documentaires en Camargue avant son premier long-métrage, Fragile, qui a reçu un accueil critique chaleureux. Animale est le fruit de son envie de continuer à exprimer son amour pour la région taurine (dont elle est issue), les habitants et la faune, et de montrer une autre image que celle stéréotypée de la femme franco-algérienne au cinéma, tout en conjuguant sa passion pour les westerns (qu’elle aimait regarder avec son père) et les films de genre avec lesquels elle a grandi dans son adolescence. Animale est donc un des grands chocs de la saison, un film fantastique rare, original, beau, écologique et engagé. Avec ce conte moderne, la cinéaste bouscule les stéréotypes de genre, et du genre et nous offre un film lyrique et fantastique qui est avant tout un hymne à la liberté !

 

© Quélou Parente


Partagez cet article

HERE – LES PLUS BELLES ANNÉES DE NOTRE VIE (2024)

Robert Zemeckis réunit l’équipe de Forrest Gump et se lance dans un défi technique et artistique insensé pour explorer – encore – les caprices du temps…

HERE

 

2024 – USA

 

Réalisé par Robert Zemeckis

 

Avec Tom Hanks, Robin Wright, Paul Bettany, Kelly Reilly, Lauren McQueen, Harry Marcus, Michelle Dockery, Zsa Zsa Zemeckis

 

THEMA VOYAGES DANS LE TEMPS

Avec la trilogie Retour vers le futur, Qui veut la peau de Roger Rabbit ? et Forrest Gump, Robert Zemeckis a déjà inscrit son nom au panthéon du 7ème Art. Malheureusement, son dernier grand succès critique et commercial remonte à Seul au monde en 2000. Depuis, il a alterné avec une fortune déclinante les films familiaux (Le Pôle express, Le Noël de Scrooge, Sacrées sorcières, Pinocchio) et les sujets plus adultes ancrés dans le monde réel (The Walk, Flight, Alliés, Bienvenue à Marwen), en n’ayant cesse de repousser les limites technologiques et narratives de son cinéma via la « performance capture », la 3D et les chorégraphies vertigineuses de ses plan-séquences virtuels, de façon plus ou moins ostentatoire. Le voilà qui nous revient avec un projet digne de son prestigieux curriculum et de son talent. Et si Here est vendu comme la suite spirituelle de Forrest Gump, c’est qu’il en réunit non seulement son duo vedette Tom Hanks/Robin Wright devant la caméra, mais que derrière celle-ci, on retrouve Eric Roth au scénario ainsi que les fidèles collaborateurs Don Burgess à la photo et Alan Silvestri à la musique. Il n’y a pas d’intrigue à proprement parler dans Here, seulement un propos et un concept narratif, dont l’originalité est de voir se dérouler le quotidien de plusieurs familles à différentes époques depuis un unique point de vue fixe durant 1h40, un procédé déjà employé dans le roman graphique de Richard McGuire et ici repris à l’identique mais avec une différence lié à l’« image qui bouge » : dans la bande dessinée, des vignettes se juxtaposaient au décor « vide » pour montrer différents personnages à différentes époques. Chez Zemeckis, elles apparaissent et disparaissent, le changement de mobilier ou de période s’opérant via des fondus ou des « morphings », les vignettes flottantes s’ouvrant comme des fenêtres dans le continuum espace-temps cher à Doc Brown.

Le prologue du film nous offre ainsi un voyage immobile depuis l’ère préhistorique jusqu’au début du 20ème siècle, la maison se construisant autour de la caméra et donc du spectateur, condamné à être le témoin passif de ces vies bien éphémères en regard des millions d’années déjà passées. On peut légitimement se demander si Here a sa place dans L’Encyclopédie du Film Fantastique. Cela tient au caractère fantomatique de cet observateur statique qui fait basculer le film du simple mélodrame à une expérience onirique. Au cinéma, aucune image n’est réellement neutre : le choix du cadre, la valeur de plan, le son, la musique, le mouvement… Tous ces paramètres témoignent ou trahissent toujours le point de vue du réalisateur et influencent aussi la perception et le ressenti du spectateur. Ici, le point de vue est absolument neutre et ce dispositif théâtral mise dès lors tout sur les situations décrites, les acteurs et les dialogues ; avec toutefois une différence de taille par rapport à la scène, Zemeckis pouvant passer d’une époque à l’autre et transformer physiquement ses acteurs de façon plus probante et rapide que n’importe quel maquillage. À ce petit jeu-là, les effets de rajeunissement numérique de l’ensemble de la distribution sont les plus crédibles qu’on ait jamais vus. L’intelligence artificielle est bien sûr passée par là et on mesure les progrès déterminants réalisés en à peine deux ans depuis la sortie de Indiana Jones et le cadran de la destinée. Here permet à Zemeckis de poursuivre ses expérimentations narratives, car impliquer le spectateur avec un long plan fixe implique de repenser la grammaire cinématographique classique. Si on remettait les différentes temporalités du film dans un ordre linéaire et chronologique, on aboutirait à un film à sketches très inégal tant certaines situations ne constituent que de simples flash-backs. Il ne fait d’ailleurs aucun doute que le véritable point d’ancrage émotionnel soit le personnage de Tom Hanks, que l’on suit de sa naissance à son 4ème âge, et que les autres récits n’agissent qu’en contrepoint thématique ou philosophique. Certes, le montage par association d’idées a déjà fait les beaux jours du cinéma expérimental et surréaliste, mais tout innovateur qu’il soit, Zemeckis n’a jamais été un auteur marginal ou abscons. On peut rapprocher Here de Tree of Life de Terrence Malick, qui convoquait lui aussi des dinosaures au milieu de sa saga familiale pour mettre en perspective l’intime et l’infini univers. Mais là où Malick appliquait une forme poétique et abstraite (ésotérique ?), Zemeckis adopte une approche immédiatement compréhensible, plus directe et rationnelle pour ne pas s’aliéner le public.

Le passé, toujours présent

Here est peut-être l’ultime variation sur un thème cher à Robert Zemeckis : le temps. Dans Retour vers le futur déjà, il nous emmenait 30 ans en arrière pour montrer comment les lieux, les codes et les mentalités avaient évolué. Dans Forrest Gump, le personnage est l’arbre qui cache la forêt : certains reprochent au film sa candeur toute américaine mais c’est aussi la chronique parfois mordante, parfois désabusée de 40 d’histoire américaine pas toujours glorieuse. Marty et Forrest sont des protagonistes constants dans des environnements changeants. Dans Here, bien que le passage du temps soit à nouveau l’axe principal, le point de vue semble inversé : c’est l’Univers qui regarde les personnages évoluer. A vouloir condenser l’histoire entière d’une famille sur deux générations, Zemeckis et Roth recourent à certaines facilités scénaristiques pour nous tirer quelques larmes, mais les événements qu’ils choisissent de raconter sont volontairement génériques pour parler au plus grand nombre (première rencontre amoureuse, grossesse, naissance, dispute, rêves déçus, décès, vieillissement). On pourrait ainsi reprocher le caractère trop consensuel et lisse du mélodrame, mais le plan final n’évoque sans doute pas par hasard le celui qui ouvrait Tout ce que le ciel permet de Douglas Sirk, le roi du mélodrame domestique hollywoodien. Sous la surface se cachent des saillies plus critiques (voir l’époque à laquelle les premiers occupants de couleur peuvent enfin s’offrir cette maison cossue et les recommandations qu’ils font à leur fils). On retrouve également la volonté de mêler petite et grande Histoire déjà observée dans le scénario de 1941, co-signé par Zemeckis pour Steven Spielberg en1979. Le temps passe aussi vite dans la vie qu’à l’écran et Zemeckis n’a plus 20 ans depuis longtemps : il livre ici une œuvre lui permettant à nouveau d’innover techniquement et narrativement, mais aussi empreint de sagesse et de bienveillance, une histoire sans antagoniste sinon la Grande Horloge elle-même, avançant sans état d’âme ni cruauté mais n’épargnant personne. Le temps passe, une vie s’écoule et la mémoire collective n’en retiendra pas tous les faits. Mais pour chacun d’entre nous, les moments et les petits riens partagés avec les personnes qui nous accompagnent représentent TOUT. Et en écoutant le thème d’Alan Silvestri durant le générique, c’est avec l’idée bouleversante d’une vie bientôt oubliée mais dont la valeur de chaque instant vécu ne fait aucun doute que nous laisse Here.

 

 © Jérôme Muslewski


Partagez cet article