TRANSFORMERS : LE COMMENCEMENT (2024)

Cet opus animé revient sur les origines d’Optimus Prime et Megatron, à l’époque où ils n’étaient que de simples robots ouvriers sur la planète Cybertron…

TRANSFORMERS ONE

 

2024 – USA

 

Réalisé par Josh Cooley

 

Avec les voix de Chris Hemsworth, Brian Tyree Henry, Scarlett Johansson, Keegan-Michael Key, Steve Buscemi, Laurence Fishburne, Jon Hamm

 

THEMA ROBOTS I SAGA TRANSFORMERS

En 2014, la « Transformania » bat toujours son plein. Depuis le premier Transformers de Michael Bay, les robots géants multiformes ravissent le grand public et les exploitants des salles de cinéma. Dans la foulée de la sortie du quatrième opus « live » de la saga, Transformers : l’âge de l’extinction, Paramount Pictures décide donc de mettre en place une « salle des scénaristes » spécialement dédiée à l’échange d’idées pour d’éventuels futurs opus. Ainsi, parallèlement au développement des épisodes suivants en prises de vues réelles (The Last Knight en 2017, Bumblebee en 2018, Rise of the Beasts en 2023), l’idée d’un long-métrage en animation commence à s’élaborer (le dernier en date, La Guerre des robots, était sorti en 1986). Lorsque le projet commence à se concrétiser, le metteur en scène Josh Cooley est embauché sur la foi de son travail chez Pixar (il fut notamment le réalisateur de Toy Story 4). Une fois n’est pas coutume, la mise en forme du film n’est pas confiée à un studio d’animation mais à une société d’effets spéciaux, en l’occurrence Industrial Light & Magic, qui signa justement les séquences en images de synthèse des précédents Transformers.

Co-signé par Andrew Barrer, Gabriel Ferrari et Eric Pearson, le scénario s’efforce de faire entrer en cohérence la mythologie originale des robots de Hasbro telle qu’elle fut définie dans les années 80 et les itérations plus récentes déclinées à travers divers jeux vidéo, comics et romans. Ce Transformers étant le premier de la franchise à ne comporter aucun personnage humain, il a hélas tendance à accentuer l’un des défauts récurrents de cette saga pétaradante : l’anthropomorphisme balourd de ses personnages. Nous sommes prêts à admettre l’idée d’une planète uniquement peuplée par des androïdes, pourquoi pas ? Mais si ces robots n’ont jamais côtoyé un seul être humain de leur vie, selon quelle logique imiteraient-ils à ce point nos tics, nos manies, nos expressions et nos comportements ? Ce travers – accentué par la prestation vocale excessive d’un casting de stars dominé par Chris Hemsworth, Brian Tyree Henry, Scarlett Johansson et Keegan-Michael Key – joue clairement en défaveur de la nécessaire suspension d’incrédulité des spectateurs.

Rien ne se crée, tout se transforme

Les deux personnages principaux (Orion Pax et D-16, qui ne s’appellent pas encore Optimus Prime et Megatron) étant des robots incapables de se transformer, ils se retrouvent tout en bas de l’échelle sociale aux côtés de milliers de machines ouvrières condamnées comme eux à extraire de l’énergie dans les bas-fonds de la cité. L’enjeu principal du scénario semble alors se résumer à la question suivante : parviendront-ils un un jour à se transformer ? Attention spoiler : la réponse est oui. Après une première demi-heure un peu pesante, Transformers : le commencement trouve enfin un second souffle salutaire qui permet à son intrigue de prendre une tournure plus intéressante, collectant dès lors les séquences d’action joyeusement extravagantes comme cette poursuite dans la forêt au cours de laquelle nos héros maîtrisent encore très mal leur capacité à se transformer. Esthétiquement, il n’y a rien à dire, c’est du très beau travail. Les textures métalliques des robots sont bluffantes de réalisme, les chorégraphies rivalisent de dynamisme et certains designs singuliers valent le détour, notamment cette cité inversée (avec les buildings tête en bas) ou le premier look de D-16 qui évoque beaucoup (est-ce volontaire ?) Le Golem de Paul Weggener. Au final, ce Transformers n’a rien de très révolutionnaire ni de bien mémorable, même si le spectacle s’apprécie sans ennui ni temps mort. Son ambition n’allant visiblement pas beaucoup plus loin, le contrat est rempli.

 

© Gilles Penso


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THE SUBSTANCE (2024)

Pour être toujours au top à Hollywood, les actrices doivent savoir rester jeunes et belles… Oui, mais à quel prix ?

THE SUBSTANCE

2024 – FRANCE / GB / USA

Réalisé par Coralie Fargeat

Avec Demi Moore, Dennis Quaid, Margaret Qualley, Edward Hamilton-Clark, Gore Abrams, Oscar Lesage, Christian Erickson, Robin Greer, Tom Morton

THEMA MÉDECINE EN FOLIE I DOUBLES

« Avez-vous déjà rêvé d’une meilleure version de vous-même ? » Ce message énigmatique résonne sur le téléviseur d’Elizabeth Sparkle (Demi Moore), une ancienne gloire oscarisée dont l’étoile sur Hollywood Boulevard s’est mise à pâlir au fil des ans – ce que montre le très efficace plan-séquence elliptique sur lequel s’ouvre The Substance. Pour prolonger sa carrière déclinante, Elizabeth anime une émission d’aérobic à succès, mais même ce second souffle s’épuise. Passée la cinquantaine, la star déchue n’intéresse plus les chaînes de télévision, en quête d’un visage – et d’un corps – plus jeune. Au volant de sa voiture, distraite par le spectacle déprimant des affiches à son effigie en train d’être démontées, elle est victime d’un accident qui la conduit illico à l’hôpital. Plus de peur que de mal. Mais avant qu’elle rentre chez elle, un jeune et séduisant infirmer lui remet une clé USB en lui glissant au coin de l’oreille : « ça a changé ma vie ». Et voilà Elizabeth devant sa télévision, face à un clip vidéo intriguant vantant les mérites de « la substance ». Ce sérum miracle est censé générer une version « plus jeune, plus belle et plus parfaite » de soi-même à condition d’en respecter scrupuleusement le mode d’emploi. Notre actrice devenue « has been » va-t-elle se laisser tenter ?

Sept ans après son premier long-métrage, Coralie Fargeat nous propose donc une déclinaison clinique autour des mythes de Faust et de Dorian Gray en repoussant très loin les limites du fameux « body horror » cher à David Cronenberg. Demi Moore excelle dans le rôle de la star vieillissante. Tout au long de sa carrière, l’actrice aura su habilement jouer avec son propre corps, le métamorphosant dans À armes égales, le muant en objet de désir monnayé dans Strip-tease ou d’âpres négociations dans Harcèlement, bref détournant son apparence physique pour en montrer les atouts, les travers et les faux-semblants. Elle semblait la candidate idéale pour entrer dans l’univers trouble de la réalisatrice. Pour incarner sa version rajeunie, Fargeat opte pour Margaret Qualley, fille d’une icône hollywoodienne synonyme de charme et d’élégance, en l’occurrence Andie MacDowell. L’effet miroir et la mise en abyme fonctionnent ainsi à plein régime, les deux actrices fusionnant à l’écran dans des conditions de tournage qu’on image par moments délicates, pour ne pas dire inconfortables. Au beau milieu de ce dédoublement surnaturel, Dennis Quaid se délecte visiblement dans le rôle du producteur macho, vulgaire et hypocrite, prenant le relais du regretté Ray Liotta qui était initialement pressenti dans le rôle – et auquel le générique de fin rend hommage.

Beauté fatale

Certains travers de Revenge n’ont pas totalement disparu de The Substance, notamment le portrait unilatéralement détestable de l’ensemble des personnages masculins – tous idiots, frustres et obsédés sexuels -, la complaisance un tantinet puérile avec laquelle Fargeat filme les fesses de ses actrices et surtout quelques raccourcis scénaristiques difficiles à avaler (comme la transformation soudaine de l’héroïne en spécialiste de la chirurgie, du bâtiment et de la construction). Mais il faut saluer l’incroyable inventivité de la mise en scène, traduisant les perceptions exacerbées d’Elizabeth et de son alter-ego à travers des choix de focale déstabilisants, un sound design « sensitif » perturbant, un jeu étrange sur les cadrages symétriques et les couleurs saturées, une musique électronique entêtante… Et puis il y a bien sûr le jusqu’au-boutisme hallucinant de la mutation physique de notre infortunée protagoniste. Poussé dans ses retranchements par l’exigence de la réalisatrice, Pierre-Olivier Persin concocte des effets spéciaux de maquillage surréalistes qui évoquent tour à tour La Mouche, Society, Le Blob mais aussi Picasso et Bacon. Par-delà l’apothéose horrifico-organique vers laquelle s’achemine The Substance, on notera une discrète référence au film précédent de Coralie Fargeat via une boucle d’oreille en forme d’étoile. Cette autocitation semble vouloir lier les deux films au-delà du simple clin d’œil. Finalement, Revenge et The Substance abordent un thème voisin, celui de la femme que le regard de l’homme pousse à devenir quelque chose d’autre, fut-ce un ange exterminateur ou un monstre. Présenté en première mondiale au 77e Festival de Cannes, The Substance y a remporté le prix du meilleur scénario.

 

© Gilles Penso


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ROBOT SAUVAGE (LE) (2024)

Suite à un naufrage, un robot programmé pour assister les humains se retrouve sur une île peuplée d’animaux…

THE WILD ROBOT

 

2024 – USA

 

Réalisé par Chris Sanders

 

Avec les voix de Lupita Nyong’o, Pedro Pascal, Kit Connor, Bill Nighy, Stephanie Hsu, Matt Berry, Ving Rhames, Mark Hamill, Catherine O’Hara, Boone Storm

 

THEMA ROBOTS

Tout est parti d’une seule image, comme souvent. Un jour, Peter Brown dessine machinalement un robot dans un arbre. Interpellé par ce croquis, il laisse alors vagabonder son imagination : « Que ferait un robot intelligent s’il se retrouvait en pleine nature ? » Voilà comment est née l’idée du roman « Robot sauvage », élu en 2016 meilleur livre de l’année par le Publishers Weekly, et que l’auteur dédie « aux robots du futur ». Le nom de son personnage principal, Rozzum ou Roz, cligne de l’œil vers le roman « RUR » de Karel Capek, dont le titre est l’acronyme de « Rossum Universal Robots ». Chris Sanders découvre ce roman grâce à sa fille, et lorsque Dreamworks lui propose quelques années plus tard de l’adapter à l’écran, il ne lui faut pas longtemps avant d’accepter. « Le livre de Peter Brown était à la fois d’une simplicité trompeuse et d’une grande complexité émotionnelle », explique-t-il. « Au fil des pages, j’ai senti de plus en plus que j’étais la bonne personne pour porter ce livre à l’écran. Protéger le caractère et l’esprit d’une histoire tout en trouvant le moyen de la traduire au cinéma est une chose délicate, que l’on n’a qu’une seule chance de réussir. Je me suis senti capable de le faire » (1). Le Robot sauvage devient ainsi le cinquième long-métrage de Sanders après Lilo & Stitch, Dragons, Les Croods et L’Appel de la forêt. Auparavant, il œuvra sur les scénarios de La Belle et la Bête, Aladdin, Le Roi Lion et Mulan. De toute évidence, il était effectivement « la bonne personne ».

« Notre histoire commence sur l’océan, avec du vent, de la pluie, du tonnerre, des éclairs et des vagues ». C’est ainsi que commence le roman de Brown, et c’est exactement de cette manière que démarre le film, respectueux du matériau initial même s’il choisit de prendre plusieurs fois ses distances, notamment à travers certains personnages. Mais le cœur du récit est le même, résumé en une seule phrase par un renard moins brutal qu’il ne voudrait le faire croire : « La gentillesse n’est pas une technique de survie ». La nature nous est de fait décrite de manière assez crue dans le film, le plus fort mangeant sans cesse le plus faible. Mais l’intrusion parfaitement surréaliste de ce grand robot naufragé va changer la donne et finir par prouver que, contrairement à ce que semble prôner le code de conduite de la nature sauvage, la gentillesse peut aussi se muer en technique de survie. Les bons sentiments affleurent en effet dans Le Robot sauvage, mais avec un tel naturel qu’ils font mouche. Le film prend justement le risque de tourner le dos au cynisme pour laisser s’exprimer des émotions universelles.

« Je ne suis pas programmée pour être une mère ! »

D’emblée, Sanders s’amuse du décalage entre les services d’assistance que propose l’intelligence artificielle et les besoins primaires de la vie en pleine forêt. La puissance technologique de Roz nous semble bien dérisoire et hors de propos en tel contexte. Pour permettre au robot – et aux spectateurs – de comprendre le langage des animaux dans un vocabulaire intelligible, le film utilise une idée scénaristique extrêmement habile qui évoque beaucoup les jeux de John McTiernan sur l’interprétation des langues étrangères (dans des films comme À la poursuite d’Octobre Rouge ou Le Treizième guerrier par exemple). Les bêtes restent sauvages, mais Roz utilise un algorithme de traduction qui permet d’entendre leurs propos. Lorsque la machine se découvre un instinct maternel absolument pas prévu dans ses circuits, le récit amorce son grand tournant dramatique. « Je ne suis pas programmée pour être mère », s’affole-t-elle. « Personne ne l’est ! » lui répond une maman opossum. Le parti pris esthétique du film traduit la cohabitation étrange entre la machine et la forêt, au fil d’un équilibre audacieux entre l’approche hyperréaliste (la texture métallique du robot) et un rendu impressionniste (la nature et les animaux). Le fond et la forme entrent ainsi en phase de manière somptueuse, sous l’influence manifeste des travaux de Hayao Miyazaki. Résultat : Le Robot sauvage est probablement l’un des plus beaux films d’animation de l’année 2024.

 

(1) Extrait d’un entretien publié dans « Animation Magazine » en juin 2024.

 

© Gilles Penso


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MOTHER LAND (2024)

Face à un monde dévasté par une force maléfique, une mère s’efforce de protéger ses deux enfants dans leur maison isolée au milieu des bois…

NEVER LET GO

 

2024 – USA

 

Réalisé par Alexandre Aja

 

Avec Halle Berry, Percy Daggs IV, Anthony B. Jenkins, Matthew Kevin Anderson, Christin Park, Stephanie Lavigne

 

THEMA DIABLE ET DÉMONS I SAGA ALEXANDRE AJA

Mother Land (étrange « traduction » française de Never Let Go) n’était pas au départ un projet destiné à Alexandre Aja. Lorsque Kevin Coughlin et Ryan Grassby vendent leur scénario original à 21 Laps Entertainment, la société de production de Shawn Levy, c’est Mark Romanek qui est envisagé pour en assurer la mise en scène. Spécialisé dans les clips musicaux et les films publicitaires haut de gamme, Romanek n’a à son actif qu’une petite poignée de longs-métrages (Static, Photo Obsession, Auprès de moi toujours) mais son style visuel marqué semble adapté à cette histoire étrange à la lisière du drame psychologique, du thriller, de l’horreur et de la fantasy. Ce n’est qu’après le désistement de Romanek qu’Aja entre en scène, bientôt rejoint par Halle Berry en tête d’affiche. Le motif de la mère cherchant à protéger ses enfants d’une menace surnaturelle dans un monde post-apocalyptique, en respectant des règles très strictes, a déjà été balisé dans des films comme Sans un bruit ou Bird Box, mais le réalisateur cherche l’inspiration ailleurs. « Je pensais sans cesse au film japonais Onibaba », avoue-t-il. « Pour moi, c’est l’un des meilleurs films jamais réalisés. Il y a quelque chose de fascinant à propos de ces deux femmes vivant dans les hautes herbes, coupées du monde, et se trahissant à travers ce masque surnaturel qui finit par les posséder. C’était assez proche de ce que je cherchais à créer dans le film. » (1)

Mother Land nous plonge dans une atmosphère de conte de fées oppressant. Une mère, June, vit seule avec ses deux jeunes garçons dans une cabane au beau milieu d’une grande forêt isolée. Une force surnaturelle surnommée « Le Mal » s’est répandue à travers le monde, provoquant sa fin et faisant d’eux les seuls survivants. Pour échapper à cette entité maléfique capable de prendre toutes sortes de formes (un serpent, un être familier, un humain zombifié à la langue fourchue, ou pire), chacun doit se soumettre à un rituel très strict : réciter chaque jour une prière adressée à la maison pour qu’elle les protège, partir ramasser dans la forêt tout ce qui peut leur permettre de subsister, c’est-à-dire pas grand-chose (des petits animaux, des insectes, des batraciens, quelques morceaux de végétation, de l’écorce) et surtout ne jamais sortir sans être attaché à une corde qui les relie à leur foyer. Sans cette corde, le Mal pourrait s’emparer d’eux et les posséder. Ils s’accrochent alors à cette « ligne de vie » comme si elle était sacrée. « Ne lâchez jamais » (le titre original du film) devient alors leur code de conduite, un mantra qu’ils répètent inlassablement puisque visiblement leur vie en dépend.

La corde raide

Le concept étrange de Mother Land, qui semble presque échappé d’un film de M. Night Shyamalan, permet très tôt de placer au cœur de ses enjeux dramatique la question de la foi. Les règles drastiques que cette femme impose, les prières qu’elle inscrit sur le linteau de la porte et sur le sol, cette « purification d’âme » qui consiste à enfermer chaque enfant une heure par jour dans le noir… Tout ceci est-il vraiment justifié, ou n’est-ce que de la bigoterie dangereuse mêlée de névrose et de superstition ? Ce Mal dont June ne cesse de parler – mais qu’elle semble seule à voir – existe-t-il en dehors de sa tête ? Bien vite, la maison devient le symbole du ventre maternel, relié à un cordon ombilical qu’elle refuse de couper. La force du film est d’entretenir le doute et de semer le trouble autant dans l’esprit du spectateur que dans celui des deux jeunes protagonistes. En pleine interrogation, le spectateur apprécie la prestation de Halle Berry, plongée à nouveau dans l’épouvante sous la direction d’un réalisateur français, vingt ans après Gothika de Matthieu Kassovitz. Cette fois-ci, l’actrice change de registre, assumant ses presque soixante ans, loin des rôles glamour qui firent sa gloire par le passé. Sa carrière entre visiblement dans une nouvelle ère. Elle n’est pas le moindre atout de ce film déroutant qui ne livre pas tous ses secrets et laisse de nombreuses questions en suspens au moment de son épilogue.

 

(1) Extrait d’un entretien publié dans Dexerto en septembre 2024

 

© Gilles Penso


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DEATH STREAMER (2024)

Un vampire moderne enregistre la mise à mort de ses victimes et retransmet en direct ses méfaits sur Internet…

DEATH STREAMER

 

2024 – USA

 

Réalisé par Charles Band

 

Avec Sean Ohlman, Aaron McDaniel, Kaitlin Moore, Emma Massalone, Travis Stoner, Chili Jean, Maddy May, Piper Parks, Angel R. Reed, Ashley Lanese

 

THEMA VAMPIRES I SAGA CHARLES BAND

À l’âge vénérable de 72 ans, Charles Band continue inlassablement à produire – et parfois à réaliser – de minuscules séries B d’horreur et de science-fiction pour alimenter le catalogue de sa compagnie Full Moon. Dans la foulée de Quadrant, il signe donc ce Death Streamer qui s’appuie sur la même idée générale : détourner les motifs du cinéma d’épouvante classique en les couplant avec la technologie de pointe, tout en ajoutant un petit soupçon d’érotisme (en gros, Band choisit des actrices qui ne sont pas contre l’idée de finir le film topless). Ainsi, après Jack l’éventreur revisité à travers le prisme de la réalité virtuelle dans Quadrant, voici le vampirisme accommodé à la sauce internet et live streaming. Pilier incontournable de la maison Full Moon depuis le milieu des années 90, Neal Marshall Stevens est chargé d’écrire le scénario, qu’il signe sous l’un de ses pseudonymes habituels, en l’occurrence Roger Barron. Autant avouer qu’il ne se foule pas trop la rate, brodant comme il peut autour d’une idée bizarre développée par Band lui-même. Et comme le réalisateur/producteur aime travailler en famille, il demande à l’un de ses bras droits Ted Nicolaou (par ailleurs réalisateur d’une foule de films pour Full Moon, notamment la saga Subspecies) de s’occuper du montage. Death Streamer se concocte donc en petit comité dans une ambiance de confiance mutuelle.

Death Streamer commence dans un club privé, le « Hellfire House », où se tient une soirée libertine façon Eyes Wide Shut reconstituée avec un budget famélique. Charles Band filme donc une petite dizaine de figurants qui se trémoussent mollement. Le maître des lieux est un homme ténébreux répondant au nom d’Arturo Valenor. Il s’agit d’un vampire dont le mode opératoire varie peu. Avec l’assistance d’un serviteur massif au masque de cuir et d’une barmaid en tenue SM, il attire des jeunes femmes dans son antre, leur fait boire un cocktail qui contient un peu de son propre sang puis plante ses crocs dans leur cou. Petit élément insolite : Valenor enregistre tous ses méfaits et les diffuse sur Internet en temps réel, grâce à une paire de lunettes connectées, augmentant sans cesse son nombre de vues et d’abonnés. Aurions-nous là affaire à un nouveau type de vampire « influenceur », mi tiktokeur mi-instagrameur ? Toujours est-il que ce flux vidéo sanglant, cantonné jusqu’alors au dark web, tombe un jour sous les yeux de trois animateurs d’une émission consacrée aux phénomènes paranormaux, « Church of Chills ». Pour s’attirer un maximum de followers, ils décident de retransmettre ce programme vers le grand public. Or notre vampire moderne apprécie très peu cette réappropriation de son propre « show »…

Vampirodrome

Il y a bien un embryon d’idée intéressante dans ce script, celle d’un vampire qui profite d’Internet pour élargir son culte de manière exponentielle. Le principe de ce programme malsain et viral aurait pu positionner le film comme une satire des dérives des réseaux sociaux, tout en proposant une sorte de variante vampirique de Videodrome décrivant l’altération des spectateurs soumis à la diffusion des mises à mort saignantes. Mais les ambitions de Charles Band ne vont pas si loin. Lui-même semble d’ailleurs croire à peine à l’histoire qu’il raconte. Il suffit de voir le manque de crédibilité de ces trois youtubeurs du paranormal qui vivent et campent 24 heures sur 24 dans une église où ils se sont installés et se chamaillent sans cesse au fil de dialogues dénués d’intérêt. Pour faire office de remplissage, Band nous assène au passage de très larges extraits de leur émission fictive sans que l’intrigue y gagne quoi que ce soit. Le vampire lui-même, incarné par le fort peu charismatique Sean Ohlman, n’est ni effrayant ni séduisant, malgré ce que tente de nous faire croire le film. Et que dire de ces effets numériques bon marché montrant les yeux du monstre qui flottent dans le ciel ou des jets d’hémoglobine pixellisés ? Voilà donc un ajout extrêmement mineur au catalogue Full Moon, que seuls les spectateurs les plus curieux chercheront à se mettre sous la dent.

 

© Gilles Penso


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TERRIFIER 3 (2024)

Art le clown revient en grande forme, cette fois-ci sous un déguisement de Père Noël, pour transformer les fêtes de fin d’année en massacre…

TERRIFIER 3

 

2024 – USA

 

Réalisé par Damien Leone

 

Avec Lauren LaVera, David Howard Thornton, Antonella Rose, Elliot Fullam, Samantha Scaffidi, Margaret Anne Florence, Bryce Johnson, Alexa Blair

 

THEMA TUEURS I DIABLE ET DÉMONS I SAGA ART LE CLOWN

Tout au long de sa filmographie, Damien Leone aura joué les couteaux suisses en prônant le système D. Qu’il s’agisse de ses variantes autour de Terrifier ou de son improbable Frankenstein vs. The Mummy, on sent bien l’amour du bricolage et du « do it yourself ». Cette capacité à occuper la plupart des postes clés de ses films offre à Leone une liberté qui lui permet de jouer effrontément les « sales gosses » en repoussant toujours plus loin les limites du mauvais goût et de l’horreur graphique. Ce cinéaste indépendant aurait pu rester dans son coin et continuer tranquillement à creuser le même sillon sans provoquer beaucoup de remous dans l’industrie du cinéma. Seulement voilà : Terrifier 2, sorti en 2022, est un succès international inespéré qui rapporte plus de soixante fois sa mise de départ. En toute logique, les grands studios qui considéraient ce trublion avec une indifférence mêlée de dédain lui font soudain les yeux doux. Mais Leone n’est pas dupe. Il sait bien que s’il signe avec une major, il peut dire adieu à son irrévérence. C’est presque par provocation qu’il semble vouloir dépasser les bornes de la bienséance dans le scénario de Terrifier 3, histoire d’effrayer tous les financiers hollywoodiens qui seraient tentés de se mêler de ses affaires. Et de fait, le film se fera dans les mêmes conditions précaires que les précédents, même si le budget a un peu grimpé.

Cette fois-ci, Leone s’en prend à Noël. Il n’est évidemment pas le premier à vouloir souiller les sacro-saintes fêtes de fin d’année. Le slasher hivernal est même devenu un sous-genre en soi, en grande partie grâce à la saga Douce nuit sanglante nuit à laquelle se réfère ouvertement Terrifier 3 à l’occasion de plusieurs séquences. Sauf que bien sûr, Leone veut aller plus loin que tout le monde et donner au massacre des proportions dantesques. Et pour bien nous faire comprendre que les esprits fragiles peuvent aller voir ailleurs, les enfants sont ici les premières victimes d’Art le clown. Choquée, la censure française affublera Terrifier 3 d’une interdiction aux moins de 18 ans. On n’avait pas vu ça dans l’hexagone depuis Saw 3 en 2006. Sauf qu’au lien d’entraver la carrière du film en salles, cette interdiction finit par attiser toutes les curiosités. Résultat : ce troisième Terrifier fait un démarrage spectaculaire, emplissant jusqu’au dernier siège des salles de cinéma survoltées où le public – majoritairement jeune – éclate de rire pour ne pas hurler de dégoût et fait au film un triomphe.

Vive le sang d’hiver

Damien Leone construit comme toujours son film autour d’une série de morceaux d’anthologie consistant à équarrir de la manière la plus spectaculaire, douloureuse, graphique et invraisemblable un maximum de victimes avec l’aide d’une nouvelle panoplie d’instruments de torture et d’armes disparates. Le gore selon Leone n’a pas la poésie macabre de Lucio Fulci, ni le caractère 100% cartoonesque de Peter Jackson, ni même la quête de réalisme anatomique de la saga Saw. Mais il emprunte un peu à toutes ces tendances pour élaborer son propre style. Dans ces moments intenses, la révulsion, l’effroi, le rire et la stupeur se répartissent équitablement, l’horreur atteignant une certaine forme d’abstraction d’autant plus déstabilisante qu’Art conserve invariablement son sens de l’humour et sa pantomime burlesque. Quelques scènes de Terrifier 3 entreront sans doute dans la légende, notamment celle de la douche qui semble vouloir renvoyer dos à dos Psychose et Massacre à la tronçonneuse. Entre ces nombreuses séquences gratinées, le film bat un peu de l’aile, le réalisateur peinant à nous attacher à ses personnages (notamment l’héroïne du film précédent, muée malgré elle en Némésis du maléfique Art) ou à développer la mythologie du clown en la rattachant au motif de la possession diabolique. On sent bien que l’intérêt de Leone est ailleurs, et que les ambitions de son long-métrage sont avant tout celles d’un spectacle de Grand-Guignol. De ce point de vue, rien à dire, Terrifier 3 remplit son contrat. Un quatrième opus est bien entendu déjà dans les starting block.

 

© Gilles Penso

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HELLBOY : THE CROOKED MAN (2024)

Passé complètement inaperçu, ce quatrième Hellboy oublie la fantasy et les grands monstres au profit d’une ambiance de « folk horror » glauque…

HELLBOY : THE CROOKED MAN

 

2024 – USA

 

Réalisé par Brian Taylor

 

Avec Jack Kesy, Jefferson White, Leah McNamara, Adeline Rudolph, Joseph Marcell, Hannah Margetson, Martin Bassindale, Carola Colombo, Nathan Cooper

 

THEMA SORCELLERIE ET MAGIE I DIABLE ET DÉMONS I ZOMBIES I ARAIGNÉES I REPTILES ET VOLATILES I SAGA HELLBOY

Si le Hellboy de Neil Marshall n’a pas soulevé beaucoup d’enthousiasme, souffrant de la comparaison avec le diptyque très apprécié de Guillermo del Toro, ce quatrième opus – sorti à peine cinq ans après le précédent et jouant une fois de plus la carte du « reboot » – est quasiment passé sous les radars. Pourtant, c’est celui que Mike Mignola, auteur de la bande dessinée originale, apprécie le plus. Notre homme ne s’est jamais privé de clamer haut et fort sa déception face aux premiers longs-métrages trahissant selon lui sa création. Ici, il met la main à la pâte, participant personnellement au scénario qui s’appuie sur la série de comics « The Crooked Man » dessinée par Richard Corben. Co-réalisateur de Hyper Tension, Ultimate Game et Ghost Rider 2, Brian Taylor hérite de la mise en scène et affirme à son tour une volonté de rupture avec les autres adaptations. « Les films de Guillermo del Toro étaient des space operas à grande échelle », dit-il. « Mais certaines des bandes dessinées que Mike réalisait à l’époque étaient très différentes. Il s’agissait plutôt d’horreur folklorique et effrayante. Un Hellboy plus jeune, errant dans les coins sombres du monde. Pour moi, l’intérêt était de revenir à cet esprit et de proposer une version de Hellboy que, selon moi, nous n’avons pas encore vue. » (1) D’où un film sombre et violent, classé R (interdit aux mineurs non accompagnés d’un adulte), et produit pour un budget beaucoup plus restreint que celui de ses prédécesseurs.

Cet Hellboy là se déroule en 1959 et démarre dans un train lancé à vive allure. Agent débutant du BDRP (Bureau for Paranormal Research and Defense, autrement dit Bureau de recherche et de défense sur le paranormal), la parapsychologue Bobbie Jo Song (Adeline Rudolph) est chargée de livrer une araignée géante aux capacités surnaturelles qu’elle a fait enfermer dans une caisse. Cette mission ayant un caractère potentiellement très dangereux, elle est escortée par Hellboy (Jack Kesy). Or à mi-parcours, le monstre s’affole et s’échappe. En partant à sa recherche, Bobbie Jo et Hellboy se retrouvent au fin fond des Appalaches, dans une petite communauté rurale où sévissent de nombreuses sorcières dirigées par un démon local qui répond au doux nom de Crooked Man, « l’homme tordu » (Martin Bassindale). Bien décidé à défaire la forêt et ses habitants de ce monstre collecteur d’âmes tourmentées, Hellboy va se retrouver confronté à son propre passé…

Fanboy

Chapitré en trois parties (« La boule de sorcière », « L’os porte-bonheur » et « L’Ouragan »), le film se distingue clairement des trois autres par son approche frontalement horrifique. L’atmosphère est anxiogène, l’humour relégué à l’arrière-plan et l’intrigue prend vite la tournure d’un cauchemar. A l’avenant, Brian Taylor concocte une série de séquences bizarres et perturbantes, comme le corps d’une femme qui se regonfle à la manière d’un ballon de baudruche pour reprendre sa forme humaine, ce cheval qui se transforme en vieil homme agonisant, ce serpent géant qui sort de sous une jupe pour entrer dans une bouche ou encore la résurrection en série de tous les cadavres enterrés dans le sol d’une église. Face à tant de diableries, Hellboy conserve son flegme brutal tandis que sa partenaire joue les Dana Scully cartésiennes, même lorsque le paranormal lui saute au visage. On ne peut s’empêcher de saluer l’audace de tels partis pris. Jack Kesy fait le job, les maquillages sont réussis, l’esprit des comic books les plus sinistres de la série est respecté. Mais honnêtement, le résultat est loin d’être concluant. Ce film froid et pesant suscite beaucoup plus d’ennui que d’intérêt et donne presque l’impression de visionner un « fan movie » réalisé certes avec passion mais sans dramaturgie, sans finesse, sans vision de mise en scène. Le risque encouru par l’équipe de cet Hellboy n’aura d’ailleurs pas été payant, si l’on considère ses bien maigres retombées financières.

 

(1) Extraits d’une interview parue dans Collider en février 2023

 

© Gilles Penso


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LA CHOSE DERRIÈRE LA PORTE (2023)

Pour faire revenir son mari tombé au front pendant la première guerre mondiale, une jeune femme désespérée se tourne vers la magie noire…

LA CHOSE DERRIÈRE LA PORTE

 

2023 – FRANCE

 

Réalisé par Fabrice Blin

 

Avec Séverine Ferrer, David Doukhan, Clémence Verniau, Philippe Lamendin, Fabien Jegoudez, Yves Lecat, Quentin Surtel

 

THEMA SORCELLERIE ET MAGIE

Voilà plusieurs années que Fabrice Blin taquine la camera. Après avoir signé une poignée de courts-métrages et un documentaire consacré au légendaire format Super 8, il s’attaque avec La Chose derrière la porte à son premier long de fiction en se réappropriant partiellement une imagerie qu’il avait déjà mise en scène dans l’un de ses courts, Mandragore. Si les écrits de H.P. Lovecraft et de ses contemporains (notamment Clark Ashton Smith) peuvent naturellement venir à l’esprit, et si les mutations organiques de David Cronenberg ne semblent pas très loin, Fabrice Blin se réclame aussi d’une littérature fantastique très hexagonale, celle de Maurice Renard et Claude Seignolle. Les influences composites qui le nourrissent auraient pu entraver le résultat final et muer La Chose derrière la porte en patchwork de clins d’œil, travers parfois imputables aux baptêmes de mise en scène. Or ce premier film possède au contraire une personnalité et une singularité indiscutables, justement parce que ses sources d’inspiration ont été digérées et régurgitées sous une forme nouvelle. Boosté par sa pulsion créatrice, motivé par l’enthousiasme de son coproducteur Jean-Marc Toussaint, épaulé par une petite équipe de tournage dévouée, Fabrice Blin plante ses caméras pendant trois semaines dans la maison de campagne de ses beaux-parents et y construit pièce par pièce son film.

Nous sommes en 1914. Alors que la Première Guerre mondiale fait rage dans les campagnes françaises, Jean (David Doukhan), le fusil à l’épaule, s’en va combattre les Allemands au grand dam de sa bien-aimée Adèle (Séverine Ferrer) qui reste seule dans sa maison au milieu de la campagne, dans l’espoir fragile de le voir rentrer sain et sauf. Mais la nouvelle tant redoutée finit par arriver : Jean a succombé dans les tranchées. Dévastée par la douleur et incapable d’accepter cette perte, Adèle sombre peu à peu dans le désespoir. Ses nuits sont hantées de cauchemars où elle voit son mari disparu, et ces visions la guident jusqu’à un mystérieux grimoire enfoui dans les ruines d’une forêt proche. Ce livre ancien, qui n’est pas sans nous rappeler bien sûr le Necronomicon, renferme des secrets occultes et des formules interdites. Au fil de sa lecture, Adèle comprend qu’elle détient peut-être le pouvoir de faire l’impensable : ramener Jean d’entre les morts. Mais peut-on impunément jouer les nécromanciens sans en payer le prix fort ?

Body Snatchers

L’un des partis pris artistiques les plus radicaux du film est l’épure de ses dialogues, qui se résument finalement à peu de choses. Et ce n’est pas plus mal, puisque nous tutoyons ici l’indicible cher à Lovecraft, l’abomination innommable à laquelle aucun mot ne saurait rendre justice. La Chose derrière la porte baigne d’ailleurs en permanence dans une atmosphère onirique qui nous laisserait presque imaginer que tout ce que s’y passe pourrait être le fruit d’un cauchemar enfiévré. Ce qui expliquerait les réactions un peu décalées du personnage incarné par Séverine Ferrer – mi sidération mi fascination – face à l’horreur sans cesse renouvelée qui se présente à sa porte. Convoquer le mythe de la mandragore entraîne forcément une imagerie de « body horror » végétale qui n’est pas sans rappeler L’Invasion des profanateurs de sépultures et toutes ses variantes, une référence une fois de plus pleinement assumée et intelligemment détournée. Malgré un budget qu’on imagine extrêmement restreint, Fabrice Blin soigne sa mise en scène avec un étonnant souci du détail. La photographie, les décors, le design sonore, la musique oppressante de Raphael Gesqua, les impressionnants maquillages spéciaux de David Scherer, rien n’est laissé au hasard, tout concourt à bâtir cette ambiance moite qui s’immisce dès les premières minutes du métrage et ne le quitte plus jusqu’à son climax déchirant. On saluera au passage la pleine implication de Séverine Ferrer et la présence imposante de David Doukhan, un rôle qui – espérons-le – lui ouvrira la porte vers d’autres personnages et d’autres univers.

 

© Gilles Penso


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SPEAK NO EVIL (2024)

Habité par son rôle de psychopathe exubérant, James McAvoy tient la vedette de ce remake américain de Ne dis rien

SPEAK NO EVIL

 

2024 – USA

 

Réalisé par James Watkins

 

Avec James McAvoy, Mackenzie Davis, Scoot McNairy, Aisling Franciosi, Alix West Lefler, Dan Hough, Kris Hitchen, Motaz Malhees, Jakob Højlev Jørgensen

 

THEMA TUEURS

L’idée d’un remake du glacial Ne dis rien de Christian Tafdrup pouvait sembler parfaitement incongrue, uniquement mue par l’appât du gain des studios hollywoodiens et les mauvaises habitudes prises par le grand public outre-Atlantique. Pourquoi risquer de distribuer sur le territoire de l’Oncle Sam un film dano-hollandais avec des acteurs inconnus alors qu’une version américaine avec un comédien populaire en tête d’affiche a de plus grandes chances d’attirer les spectateurs en masse ? Tel fut le raisonnement tristement logique du producteur Jason Blum au moment de la mise en chantier de Speak No Evil, deux ans seulement après la sortie du film original (dont la plupart des dialogues étaient pourtant échangés en langue anglaise, ce qui n’aurait pas dû représenter une barrière pour le public US). La réalisation de cette nouvelle version est confiée à James Watkins, à qui nous devons deux autres films de genre très remarqués : Eden Lake en 2008 et La Dame en noir en 2012. Ce choix est loin d’être inintéressant, dans la mesure où Tafdrup lui-même avoue s’être partiellement inspiré d’Eden Lake pour réaliser Ne dis rien. La boucle serait-elle en quelque sorte bouclée ?

Les nationalités des protagonistes ont changé mais la situation de départ reste rigoureusement identique. Pendant leurs vacances en Italie, Louise et Ben Dalton (Mackenzie Davis et Scoot McNairy), un couple d’Américains accompagné de leur fille de 12 ans Agnes (Alix West Lefler), se lient d’amitié avec Paddy et Ciara (James McAvoy et Aisling Franciosi), deux Anglais au tempérament volcanique, et avec leur fils Ant (Dan Hough), extrêmement timide et handicapé par une atrophie de la langue. De retour chez eux après les vacances, Louise et Ben reçoivent une lettre de Paddy et Ciara qui les invitent à séjourner quelques jours avec eux dans leur ferme isolée du Devon. Nos Américains biens sous tous rapports connaissant quelques problèmes de couple et leur fille souffrant d’une anxiété maladive qui la pousse à s’attacher à son lapin en peluche, ce petit séjour de détente dans la campagne semble être une bonne idée. L’accueil sur place est certes chaleureux, mais une série d’incidents et le comportement passif-agressif des hôtes gâchent un peu l’ambiance…

Surenchère

On le voit, Speak No Evil joue dans un premier temps la carte de la fidélité extrême à son modèle, qu’il reproduit presque plan par plan, réplique par réplique. Le montage ajoute certes des petites choses ici et là, accentuant surtout le caractère fantasque de Paddy, mais nous restons en terrain très connu. Ce que le remake cherche à apporter par rapport au film original, c’est d’abord une certaine légèreté de ton (l’humour noir y est frontalement assumé), quitte à forcer un peu le trait. Le scénario tient aussi à expliciter les incidents survenus dans le passé des protagonistes pour leur donner un peu de chair. L’intention est louable, même si nous aurions tendance à préférer les non-dits de Ne dis rien qui jouait habilement sur la suggestion. Speak No Evil s’éloigne surtout de son modèle au moment du dernier acte, différant la révélation finale pour distiller les informations plus en amont. L’objectif est manifestement de renforcer le suspense de la situation. Mais le final vire brusquement à la caricature, oubliant toute demi-mesure, surexpliquant tout, convoquant les fusillades, la pyrotechnie et les cascades, transformant McAvoy en émule hurlant et gesticulant du Jack Nicholson de Shining, bref caressant dans le sens du poil un public américain décidément jugé infantile. Le film reste très efficace, jouant habilement avec les nerfs des spectateurs, mais l’audace nihiliste de Ne dis rien cède ici le pas à une sorte de Vaudeville grandguignolesque qui tourne presque à la parodie et amenuise du même coup l’impact de l’œuvre originale – laquelle tournait justement le dos aux canons hollywoodiens.

 

© Gilles Penso


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MEGALOPOLIS (2024)

Le film le plus fou de Francis Ford Coppola réunit un casting hétéroclite dans une Amérique alternative aux allures de Rome antique…

MEGALOPOLIS

 

2024 – USA

 

Réalisé par Francis Ford Coppola

 

Avec Adam Driver, Giancarlo Esposito, Nathalie Emmanuel, Aubrey Plaza, Shia LaBeouf, Jon Voight, Laurence Fishburne, James Remar, Talia Shire, Dustin Hoffman

 

THEMA POLITIQUE FICTION

Francis Ford Coppola aurait pu abandonner des dizaines de fois, décréter qu’il y eut plus d’un signe l’intimant à passer à autre chose, se concentrer sur des projets plus sûrs et plus rémunérateurs. Mais Megalopolis s’est mué en obsession. Coûte que coûte, il fallait que ce film se concrétise. La première version du scénario date du début des années 1980. Après le spectaculaire échec au box-office de Coup de cœur, qu’il avait financé de sa poche, Coppola doit d’abord éponger ses dettes. Ce n’est qu’en 2001 que Megalopolis redémarre. Cette fois-ci, ce sont les attentats du 11 septembre qui stoppent tout. Quand le cinéaste relance les hostilités en 2019, il se heurte cette fois-ci à la pandémie du Covid-19. Coppola n’étant pas du genre à baisser les bras, il laisse passer la crise et puise dans ses deniers personnels les 120 millions de dollars exigés par le budget. La démarche pourrait sembler presque suicidaire, étant donné le caractère résolument non-commercial de l’œuvre. Mais quand on se lance dans un film comme Megalopolis, la pulsion créatrice l’emporte sur la logique du tiroir-caisse. Coppola est mû par un désir ardent : établir un parallèle entre la chute de Rome et l’avenir des États-Unis, en transposant dans un monde parallèle contemporain les événements de la conspiration des Catilinaires survenus en 63 avant J.C.

Dans New Rome, version alternative de New York, l’architecte César Catilina (Adam Driver) s’oppose à Franklyn Cicero (Giancarlo Esposito), le maire archi-conservateur de la ville. Inventeur visionnaire, César a développé le Megalon, un matériau bio-adaptatif révolutionnaire qu’il est convaincu de pouvoir utiliser pour changer le monde. Son rêve est désormais de bâtir Megalopolis, une cité utopique futuriste.  Or Cicero trouve ces idées fantasques et dangereuses. Il lance donc une campagne de diffamation contre César, l’accusant d’être responsable de la mort mystérieuse de sa femme. C’est le moment que choisit Wow Platinum (Aubrey Plaza), animatrice télé arriviste et maîtresse de César, pour séduire puis épouser le banquier millionnaire Hamilton Crassus III (Jon Voight). Entretemps, Julia (Nathalie Emmanuel), la fille du maire, engagée au départ pour espionner César, finit par tomber sous son charme et découvre qu’il a le pouvoir de stopper le temps. Elle sera une alliée de poids pour concrétiser le projet de Megalopolis, malgré les manigances du vil Clodio Pulcher (Shia LaBeouf), le cousin jaloux de César…

Boulimie créative

La science-fiction est donc ici convoquée pour aborder sous un angle allégorique les travers de notre société, sans pour autant que Coppola joue le jeu trop frontal de la satire politique. Redoublant d’idées de mise en scène, submergé par une boulimie créative qui n’est pas sans rappeler certaines fulgurances de Coup de cœur ou de Dracula, le père du Parrain et d’Apocalypse Now gorge son écran de trouvailles poétiques et symboliques, osant marier le cinéma du 21ème siècle transfiguré par les effets numériques avec celui des pionniers du cinéma muet. Mégalopolis évoque d’ailleurs beaucoup Metropolis, la forte similitude entre les titres des deux films n’étant probablement pas fortuite. Le surréalisme surgit partout, de ces immenses statues antiques qui s’effondrent mollement dans les rues à cette main qui surgit des nuages pour attraper la pleine Lune, en passant par les ombres immenses qui s’agitent sur les façades des bâtiments ou le bureau du maire qui s’enfonce dans le sable comme un navire qui sombre… Le temps étant l’un des motifs récurrents du film – César le décrit comme une sorte de ruban qui nous entoure en reliant le passé et le futur -, le cinéaste semble vouloir boucler la boucle en se référant à son tout premier long-métrage, Dementia 13, le temps d’une image macabre sous-marine. Ce retour en arrière positionnerait-il Megalopolis comme une œuvre-testament ? Il s’agit en tout cas d’un film-somme, d’un rêve de longue date enfin sorti des limbes, envers et contre tous. Et si les critiques se jetèrent sur sa carcasse comme des loups affamés lors de sa présentation au Festival de Cannes, gageons qu’il sera réévalué et fera même date dans l’histoire du cinéma. Combien de fois dans une vie assiste-t-on à un tel spectacle sur grand écran ?

 

© Gilles Penso


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