BOOKS OF BLOOD (2020)

Onze ans après le Livre de sang de John Harrison, cette nouvelle version réinvente plusieurs récits de Clive Barker…

BOOKS OF BLOOD

 

2020 – USA

 

Réalisé par Brannon Braga

 

Avec Britt Robertson, Freda Foh Shen, Nicholas Campbell, Anna Friel, Rafi Gavron, Yul Vazquez, Andy McQueen, Kenji Fitzgerald, Paige Turco, Saad Siddiqui

 

THEMA TUEURS I FANTÔMES

Pilier de la saga Star Trek, Brannon Braga fut scénariste pour Star Trek : la nouvelle génération, Star Trek : Générations, Star Trek : Premier Contact, Star Trek Voyager et Star Trek Enterprise. Nous lui devons aussi les scripts de Mission impossible 2 et de plusieurs épisodes de 24 heures chrono. Au début des années 2020, il s’associe à Adam Simon (réalisateur de Sanglante paranoïa et Carnosaur) avec qui il se lance dans l’écriture d’adaptations pour l’écran de nouvelles issues des six tomes du recueil Livre de sang de Clive Barker. L’idée première est de créer une série TV d’anthologie, avec des épisodes autonomes tirés des courtes histoires publiées entre 1984 et 1985. Mais le rendement d’un tel programme reste incertain. Braga et Simon se rabattent alors sur un seul film, qui sera directement diffusé sur la plateforme de Hulu. Le segment central s’inspire directement de la toute première nouvelle du recueil, qui fut déjà adaptée en 2009 par John Harrison dans son Livre de sang. Pour les autres « sketches », les duettistes inventent de toute pièce de nouvelles histoires et puisent quelques idées dans la dernière nouvelle du cycle, Jérusalem Street (qui servit aussi d’inspiration au film de Harrison). Déjà metteur en scène de plusieurs clips et épisodes de séries TV, Braga signe là son premier long-métrage en tant que réalisateur.

Après une brève entrée en matière au cours de laquelle un tueur à gage occis un libraire après lui avoir extirpé une information importante – l’adresse où se trouve un « livre de sang » qui pourrait le rendre riche jusqu’à la fin de ses jours -, le premier segment démarre : Jenna. Nous y suivons le parcours tourmenté d’une étudiante mentalement très perturbée qui souffre notamment de misophonie (une aversion pour les bruits) et décide de fuguer pour trouver refuge dans un bead & breakfast tenu par un vieux couple sympathique. Malgré le jeu très convainquant de Britt Robertson (À la poursuite de demain), un travail minutieux sur le sound design pour traduire les phobies de la jeune protagoniste et la construction d’une ambiance très efficacement paranoïaque (ponctuée de visions macabres glauques), ce sketch ne mène finalement nulle part et nous laisse sur notre faim. Par ailleurs, on se perd en conjectures sur les choix des scénaristes : pourquoi avoir créé une histoire étrangère à l’univers de Barker alors que les Livres de sang regorgent de récits captivants qui ne demandent qu’à être (ré)adaptés ?

Trilogie macabre

Le second chapitre, Miles, nous ramène quant à lui sur un terrain connu. Cette intéressante réadaptation de la nouvelle Livre de sang, moins fidèle dans la forme que le film de John Harrison mais plus proche dans l’esprit, intègre la notion de deuil qui permet d’enrichir les personnages et de réorienter leurs motivations. Il ne s’agit donc pas d’étudier une demeure prétendument hantée mais de communiquer avec l’esprit d’un enfant disparu dans la maison où il a grandi. Sans doute plus efficace que chez John Harrison, dans la mesure où elle est plus concise, cette version possède les mêmes qualités que le segment Jenna (une mise en scène soignée, une direction d’acteurs impeccable) mais s’achève sans doute trop abruptement sans nous laisser le soin de bien mesurer le besoin qu’ont les morts de raconter leurs histoires en les inscrivant dans la chair d’un « livre vivant ». Quant au dernier segment, Bennett, il reprend le tueur du début du film pour le mener sur la trace du livre de sang. Pas particulièrement palpitant, cet épilogue présente tout de même la particularité de se raccorder aux trois récits précédents en les entremêlant les uns avec les autres pour fermer toutes les portes narratives ouvertes jusqu’alors. L’idée se défend, mais l’écriture de Books of Blood manque singulièrement de rigueur et de finesse pour convaincre. En l’état, cette tentative reste très anecdotique.

 

© Gilles Penso

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WEEK-END DE TERREUR (1986)

Le 1er avril, les amis d’une jeune étudiante la rejoignent sur une île pour multiplier les blagues potaches, jusqu’à ce que la situation dégénère…

APRIL FOOL’S DAY

 

1986 – USA

 

Réalisé par Fred Walton

 

Avec Deborah Foreman, Ken Olandt, Amy Steel, Jay Baker, Deborah Goodrich, Griffin O’Neal, Leah Pinsent, Clayton Rohner, Amy Steel, Thomas F. Wilson

 

THEMA TUEURS

Après avoir participé à quatre films de la saga Vendredi 13 pour Paramount Pictures, le producteur Frank Mancuso Jr. se lance dans un autre slasher dont la réalisation est confiée à Fred Walton. Ce dernier avait beaucoup fait couler d’encre en 1979 grâce à Terreur sur la ligne, qui empruntait les codes du cinéma d’horreur et du film policier pour se muer contre toute attente en drame urbain. Le voici désormais à la tête d’un film en apparence beaucoup plus classique, même si son scénario s’efforce en fin de métrage de dynamiter les lieux communs du genre. L’un des rôles féminins principaux est confié à Amy Steel, sur la foi de sa présence remarquée dans Le Tueur du vendredi. Un autre échoit à Deborah Foreman (Valley Girl) qui impressionne fortement Walton lors de sa seconde audition, la première n’ayant pas convaincu l’équipe de production. Au détour du casting, l’œil attentif reconnaîtra aussi Tom Wilson, l’inoubliable Biff Tannen de Retour vers le futur. Après avoir envisagé de tourner le film à Martha’s Vineyard (qui prêta déjà ses décors naturels aux Oiseaux et aux Dents de la mer), Mancuso Jr et Walton se rabattent finalement sur le Canada, plus précisément Victoria, capitale de la Colombie-Britannique, notamment dans deux propriétés privées mises à la disposition de l’équipe pendant six semaines.

Pour le week-end du 1er avril, la riche étudiante Muffy St. John (Deborah Foreman) a invité quelques camarades de fac à séjourner dans sa maison familiale, au beau milieu d’une petite île. Sur le ferry qui transporte la joyeuse équipe, l’ambiance est à la drague et à la franche rigolade, avec tout un lot de blagues de très haut niveau (« ta braguette est ouverte », « Argh, j’ai un couteau planté dans le ventre ! »). Mais l’une des plaisanteries tourne mal et Buck (Mike Nomad), employé sur le ferry, se retrouve gravement blessé et transporté d’urgence à l’hôpital. Ce qui n’empêche pas la troupe turbulente de garder son entrain en débarquant chez Muffy. Celle-ci a préparé de nombreux poissons d’avril à l’intention de ses convives. Les farces vont donc bon train, des coussins péteurs aux chaises escamotables en passant par les verres baveurs, les cigares explosifs, les robinets arroseurs, les poignées de portes amovibles ou les lampes trafiquées. Mais bientôt, les rires se figent. Un meurtrier se cache en effet dans l’ombre et se met à frapper un à un les invités…

Poison d’avril

De prime abord, rien ne distingue ce Week-end de Terreur de n’importe lequel des slashers ayant fleuri sur les écrans depuis les succès de La Nuit des masques et Vendredi 13. Tous les clichés de mise s’accumulent sagement : le groupe de jeunes gens réunis dans une maison au milieu de la nature, les couples qui se font et se défont, les assassinats en série et même le chat qui fait sursauter ! Dans la joie, la bonne humeur et la finesse, le montage alterne la réplique « l’un d’entre vous va sortir sa bistouquette » avec le gros plan d’une saucisse qui sort de son sac, ou s’appesantit sur le visage d’un garçon énamouré qui déclame à une de ses amies : « j’aimerais bien labourer ton champ ». L’exaspération nous gagne donc assez tôt. Fred Walton s’offre certes quelques idées de mise en scène intéressantes (le cadavre qui apparaît dans une barque sous les lattes d’une cabane, les têtes décapitées qui émergent au fond d’un puits) et le compositeur Charles Bernstein (Les Griffes de la nuit) concocte un joli thème d’ouverture dont les sonorités enfantines nous rappellent celui écrit par Jerry Goldsmith pour Poltergeist. Mais ce n’est pas suffisant pour maintenir vivace l’intérêt des spectateurs. Certes, la révélation finale est une surprise très audacieuse qui transcende le récit de A à Z. Mais elle manque singulièrement de crédibilité et de cohérence. Visiblement peu satisfait par ce twist final, Walton ajoute même un épilogue pas beaucoup plus convaincant.

 

© Gilles Penso

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NOTHING (2003)

Deux amis qui s’isolent dans une petite maison pour échapper au monde extérieur découvrent soudain qu’ils sont entourés d’un grand vide blanc…

NOTHING

 

2003 – CANADA

 

Réalisé par Vincenzo Natali

 

Avec David Hewlett, Andrew Miller, Gordon Pinsent, Marie-Josée Croze, Andrew Lowery, Elana Shilling, Soo Garay, Martin Roach

 

THEMA POUVOIRS PARANORMAUX

A la fin de Cube, le seul survivant d’un labyrinthe machiavélique au fonctionnement inexplicable ouvrait une porte donnant sur une lumière blanche aveuglante… Le même éclat aseptisé semble nimber tout entier Nothing, troisième long-métrage de Vincenzo Natali. « Il faut croire que j’ai une imagination très limitée, puisque je n’arrête pas de me répéter ! » plaisante le cinéaste à propos de ce point commun visuel. « La lumière blanche me fascine parce qu’elle m’évoque la page blanche de l’écrivain », poursuit-il. « Dans les films de Steven Spielberg, cette lumière blanche symbolise la présence de Dieu. Pour moi, elle représente plutôt le contraire. C’est le néant, l’opposé de Dieu, l’absence de toute chose. C’est un concept existentiel inquiétant, qui nous ramène à notre propre solitude. Rien ni personne ne nous attend de l’autre côté de la porte » (1) Malgré cette vision apparemment nihiliste, l’humour, encore discret dans Cube et Cypher, est le moteur de Nothing, une comédie fantastique atypique qui se situe dans un registre étrange, quelque part entre le nonsense des Monty Pythons et les questionnements existentialistes de La Quatrième dimension.

David Hewlett et Andrew Miller, qui faisaient déjà partie du casting de Cube, incarnent ici deux amis d’enfance cohabitant dans une petite maison de ville. Andrew est un agent touristique agoraphobe qui travaille à domicile pour éviter d’affronter le monde extérieur, et Dave un employé de bureau traité avec mépris par l’ensemble de son entourage. Suite à un enchaînement malheureux de concours de circonstances, ces deux êtres quelque peu inadaptés se retrouvent pourchassés par une horde de gens mécontents, y compris la police qui vient siéger sur le seuil de leur bicoque. Alors que la situation semble critique, David et Andrew ouvrent la porte pour découvrir que la maison se trouve maintenant dans un vide blanc qui se prolonge à perte de vue. Abasourdis, tous deux essaient d’explorer les environs, mais doivent se rendre à l’évidence : il n’y a rien, où qu’ils aillent. Par la seule force de leur pensée, ils ont réussi à faire disparaître tout le monde extérieur. Il leur est désormais possible d’effacer tout ce qu’ils détestent…

Carte blanche

Vincenzo Natali repousse donc une fois de plus les limites du cinéma conceptuel. Ici, le père de Cube et Cypher s’aventure sur un terrain aussi audacieux que vertigineux : un huis clos minimaliste dans un vide absolu. L’idée de base est fascinante, presque insensée. Mais n’était-il pas risqué de tout miser sur cette situation absurde ? Reconnaissons à Natali sa capacité à en exploiter toutes les possibilités, jouant habilement avec le cadre, multipliant les artifices visuels pour éviter la monotonie, sollicitant les grands angles, les vues en contre-plongée sous le vide et même des cadrages aux formes insolites. Tous les moyens sont bons pour briser la rigidité de l’espace uniforme. Mais Nothing finit par être prisonnier de ses propres contraintes. L’absence totale de repère tend bientôt à plonger le spectateur dans une certaine lassitude. L’espace immaculé qui constitue l’unique décor devient un élément redondant qui limite l’implication émotionnelle. D’autant qu’il n’est pas simple de s’attacher à ces deux protagonistes pathétiques, envers lesquels le réalisateur lui-même ne semble pas nourrir beaucoup d’empathie. En somme, Nothing est une expérience cinématographique aussi fascinante que frustrante. Si Vincenzo Natali démontre une fois de plus son talent pour explorer des concepts inédits, son troisième long-métrage peine à transcender son dispositif et à établir une véritable connexion émotionnelle avec son public. Son essai suivant, Splice, sera beaucoup plus convaincant.

 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en février 2010

 

© Gilles Penso

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PROPHET (1998)

Le réalisateur stakhanoviste Fred Olen Ray dirige l’expert du kickboxing Don « The Dragon » Wilson dans ce thriller de science-fiction mouvementé…

THE CAPITOL CONSPIRACY / THE PROPHET

 

1998 – USA

 

Réalisé par Fred Olen Ray

 

Avec Don « The Dragon » Wilson, Alexander Keith, Ted Monte, Barbara Steele, Arthur Roberts, Paul Michael Robinson, Rick Dean, Jenna Bodnar, Sid Sham

 

THEMA POUVOIRS PARANORMAUX

Il y a des réalisateurs particulièrement prolifiques, capables d’enchaîner plusieurs films la même année. Mais en ce domaine, Fred Olen Ray semble être un recordman toutes catégories. En 1998, pas moins de onze longs-métrages mis en scène par ses bons soins sont dans les réseaux de distribution, parmi lesquels ce Prophet connu aussi sous le titre de The Capitol Conspiracy. Après son expérience heureuse avec l’as des arts martiaux Don « The Dragon » Wilson sur le film d’action Inferno alias Indian Ninja, Olen Ray rempile pour un nouveau thriller mouvementé qui s’appuie cette fois-ci sur un argument de science-fiction. Pour cette coproduction entre les compagnies Royal Oaks d’Andrew Stevens et Concorde/New Horizons de Roger Corman, le réalisateur signe sous le pseudonyme d’Ed Raymond (c’était déjà le cas pour Inferno) et s’appuie sur les talents acrobatiques de son acteur principal couvert de titres et de récompenses (élu maintes fois champion du monde de kickboxing et de full-contact par de prestigieuses fédérations internationales, au risque de faire pâlir Jean-Claude Van Damme), quitte à ce que le scénario et la cohérence des péripéties passent largement à l’arrière-plan. Comme beaucoup de films de Fred Olen Ray à l’époque, Prophet sera exploité directement en vidéo.

Le virevoltant « Dragon » Wilson incarne ici Jarrid Maddix, un agent du FBI chargé de retrouver cinq personnes que ses supérieurs accusent d’être des terroristes. Alors qu’il traque avec sa partenaire Vicki Taylor (Alexander Keith) ce groupe de suspects potentiellement très dangereux, notre héros découvre qu’on lui cache des choses et que tous les fugitifs qu’il suit à la trace possèdent des pouvoirs paranormaux. Or Maddix se rend bientôt compte qu’il est lui aussi doté des mêmes capacités hors du commun, sans comprendre pourquoi. Lorsque les supérieurs de l’agent récalcitrant se rendent compte qu’il est au courant de leurs petits secrets, ils chargent un de ses collègues de l’éliminer. En fuite, devenu l’homme à abattre, le kickboxer déchaîné tente de révéler l’existence du projet « Sunstreet », dans le cadre duquel plusieurs agents ont été soumis à des expériences pendant leur enfance afin de développer leurs capacités psychiques.

Barbara Steele complote dans l’ombre…

On ne peut pas dire que Prophet soit un film d’une très grande qualité, même au regard des autres « œuvres » signées par Olen Ray. A vrai dire, ce récit d’agent spécial aux facultés pré-cognitives n’est qu’un prétexte pour que le peu charismatique « The Dragon » cogne régulièrement ses adversaires, séduise sa blonde partenaire et s’interroge mollement sur son propre passé. Cela dit, il faut reconnaître à Olen Ray un indiscutable savoir-faire dans la mise en scène des séquences d’action, notamment celles au cours desquelles la star saute et roule au milieu des voitures lancées à vive allure dans sa direction tout en mitraillant à tout va. Dans un rôle secondaire, on note la présence de Barbara Steele sous la défroque de l’agent Oakley du FBI, qui reste cantonnée dans son bureau gris et donne régulièrement des instructions à ses équipes. Le scénario nous révèle en cours de route qu’elle est la véritable méchante du film, ayant jadis organisé des expériences médicales contre-nature sur des enfants désormais dotés de pouvoirs parapsychiques. Cette parenthèse facultative dans la filmographie de l’immense comédienne révélée par Mario Bava marquera d’ailleurs le net ralentissement dans sa carrière. Olen Ray, lui, n’aura pas le temps de souffler, déjà embarqué dans une demi-douzaine d’autres séries B du même acabit.

 

© Gilles Penso

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JOSH KIRBY : TIME WARRIOR ! CHAPITRE 6 – LAST BATTLE FOR THE UNIVERSE (1996)

L’ultime volet de la saga du jeune « guerrier du temps » et de ses compagnons s’achève sur une note étonnamment intimiste…

JOSH KIRBY TIME WARRIOR! CHAPTER 6 : LAST BATTLE FOR THE UNIVERSE

 

1996 – USA

 

Réalisé par Frank Arnold

 

Avec Corbin Allred, Jennifer Burns, Derek Webster, Jonathan C. Kaplan, Michael C. Mahon, Stacy Sullivan, Helen Siff, Charisma Carpenter, Johnny Green

 

THEMA VOYAGES DANS LE TEMPS I NAINS ET GÉANTS I SAGA JOSH KIRBY I CHARLES BAND

Au fil de leurs aventures précédentes, le lycéen Josh Kirby (Corbin Allred), la guerrière Azabeth Siege (Jennifer Burns), le scientifique Irwin 118 (Jonathan C. Kaplan) et la petite créature Prism (une marionnette mécanique dont l’utilité scénaristique nous laisse perplexes) avaient rencontré des dinosaures transformés en montures médiévales, un bébé extra-terrestre géant, des jouets vivants, des vers gloutons, un robot carnassier et des hommes-champignons. Nous étions donc en droit de nous attendre à une apothéose pour l’ultime épisode. Or contre toute attente, le réalisateur Frank Arnold et ses scénaristes (Ethan Reiff et Cyrus Voris) décident au contraire de jouer la carte de l’intimisme. Ce choix est guidé par les très faibles moyens mis à leur disposition (toutes les créatures précédemment citées étant bricolées avec des budgets étriqués ne permettant pas de faire des merveilles) mais aussi par la tournure qu’est en train de prendre l’arc narratif de ce serial estampillé Full Moon Entertainment. C’est finalement un parti-pris judicieux, qui permet de ramener l’aventure à de plus justes proportions et de l’achever de manière inattendue.

Comme toujours, l’épisode précédent (Journey to the Magic Cavern) nous abandonnait en plein cliffhanger. Mais celui-ci était d’une nature particulière. Au lieu de jeter nos héros d’un danger à un autre en les abandonnant dans des situations particulièrement hasardeuses, il remettait en question tous les événements précédents par la grâce d’un audacieux retournement de situation. Le début de cet ultime opus nous permet de mieux comprendre la réorganisation des forces et des enjeux via une série de flash-backs complétant quelques pièces du puzzle manquant. Les pouvoirs de Josh Kirby semblant augmenter d’épisode en épisode (« je ne suis pas n’importe qui, je suis un guerrier temporel ! » affirme-t-il en oubliant momentanément toute modestie), le voilà désormais capable de se transformer littéralement en machine à voyager dans le temps. La « dernière bataille pour l’univers » que nous promet le sous-titre de ce sixième épisode se prépare donc. Le fait que l’intrigue se situe désormais dans les années 80 offre de très intéressants paradoxes temporels, le moindre n’étant pas la rencontre de Josh avec un bébé qui n’est autre que lui-même ou avec une mère qu’il n’a jamais connue. Ces situations permettent pour la première fois de doter la série d’un atout émotionnel qui lui était jusqu’alors rigoureusement inconnu. Et c’est manifestement la plus grande force de cet épisode.

La fin de l’aventure

Les moments les plus intimistes sont donc les plus réussis, d’autant que les effets visuels restent l’une des grandes faiblesses de la série (images de synthèse approximatives, plans composites hasardeux, effets numériques ratés). Chaque fois que la mise en scène les sollicite, le caractère « cheap » de l’entreprise saute aux yeux. Reste l’armure de Zoetrope, une création toujours aussi impressionnante, même si la première partie du film s’amuse à l’incruster de manière très maladroite dans des extraits des épisodes précédents pour visualiser son voyage temporel à rebours. On regrette aussi l’extrême mollesse du combat final opposant le vilain en armure et Josh – déguisé en chevalier médiéval avec un dé à coudre géant en guise de heaume ! Il n’empêche que les personnages restent attachants et que l’épilogue – qui doit beaucoup à Retour vers le futur – boucle habilement la boucle entamée avec le premier épisode. Ainsi s’achève la saga Josh Kirby, une longue aventure épique qui aura su faire fi de ses moyens très limités pour s’offrir de belles ambitions et ravir le jeune public américain de l’époque. Ces six films n’arrivèrent pas jusqu’à nous, leur circuit de distribution étant resté limité, et il faut bien reconnaître qu’ils n’ont pas bien passé le cap des années, leur style et leurs effets étant fatalement très datés aujourd’hui. Ils s’inscrivent malgré tout dans le haut du panier des productions de Charles Band destinées à un public familial, aux côtés d’un Prehysteria, d’un Jack et le haricot magique ou d’un Château du petit dragon.

 

© Gilles Penso

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VOIX PROFONDES (1991)

Une jeune femme communique avec la voix de son défunt père pour tenter d’élucider le mystère qui entoure sa mort…

VOCI DAL PROFONDO / VOICES FROM BEYOND

 

1991 – ITALIE

 

Réalisé par Lucio Fulci

 

Avec Duilio del Prete, Karina Huff, Pascal Persiano, Laurence Flaherty, Bettina Giovannini, Paolo Paoloni, Sacha Darwin, Frances Nacman, Antonella Tinazzo

 

THEMA POUVOIRS PARANORMAUX I MORT

Connu aussi sous le titre Voix d’outre-tombe, Voix profondes est l’avant-dernier long-métrage de Lucio Fulci, dont la carrière commença à décliner lentement mais sûrement à partir du milieu des années 80, malgré quelques fulgurances encore impressionnantes rappelant l’immense cinéaste qu’il fut. L’intrigue de ce mélange étrange de film policier et de film d’horreur s’inspire d’une nouvelle que Fulci écrivit pour le journal La Gazetta di Firenze. L’intrigue est développée par le réalisateur et Daniele Stroppa, en vue d’une adaptation à l’écran, avant que Piero Regnoli entre en scène pour aider à lui donner la forme finale d’un scénario. D’abord titré Urla dal profondo (« Les cris des profondeurs »), le film s’appellera finalement Voci dal profondo (« Les voix des profondeurs »), le titre international Voices from Beyond, quant à lui, se référant volontairement à L’Au-delà, l’un des plus grands succès de Fulci. Visant le marché international, Voix profondes est entièrement tourné en anglais, l’ensemble du film étant ensuite post-synchronisé pour son exploitation en Italie. Le film connaît par ailleurs quelques déboires de distribution. Tourné en 1991, il ne sort en effet que trois ans plus tard dans un nombre très limité de salles avant d’atterrir sur le marché vidéo.

L’histoire de Voix profondes tourne autour de Giorgio Mainardi (Duilio del Prete), un homme d’affaires puissant, riche et en bonne santé. Pourtant, le voilà soudain victime d’une mystérieuse hémorragie gastrique qui provoque sa mort. Le médecin demande une autopsie pour déterminer la cause du décès (Lucio Fulci s’amusant à jouer lui-même le pathologiste qui pratique l’examen post-mortem). Alors que la fille du défunt, l’étudiante Rosy Mainardi (Karina Huff), rentre à la maison pour les funérailles, chaque membre de la famille médite sur ses propres griefs avec Giorgio. Sa femme Lucia (Bettina Giovannini) a eu une relation amoureuse avec son demi-frère et pense que Giorgio savait que son fils Davide (Daliano Azzos) n’était pas de lui. Sa belle-mère Hilda (Frances Nacman), qui a épousé son père infirme et muet, n’a toujours pas digéré qu’il ait restreint ses ressources financières. Son demi-frère Mario (Pascal Persiano) se souvient s’être vu refuser l’affectation à un poste de direction dans l’administration familiale. Sa maîtresse Rita (Antonella Tinazzo) a quant à elle été humiliée lors de leur dernière rencontre dans un restaurant. Au milieu de cet imbroglio digne d’un soap opera, Rosy est soudain contactée par une voix d’outre-tombe : celle de son père qui lui demande depuis l’au-delà d’élucider sa mort…

Télépathie macabre

Il faut reconnaître à Voix profondes l’originalité de son concept, mêlant les codes du « whodunit » hérités d’Agatha Christie avec un argument purement fantastique. Voir dialoguer par télépathie un corps en décomposition avec une jeune femme est un spectacle insolite et macabrement surréaliste. Pour donner corps à ce récit surprenant, Fulci laisse la caméra coller de près aux personnages, les accompagnant dans le moindre de leurs mouvements et se livrant à quelques acrobaties virtuoses. Mais ces touches d’originalité ne suffisent pas à rendre le film convaincant. Voix profondes souffre d’une narration accidentée, d’une musique hors sujet de Stelvio Cipriani et d’acteurs bien peu convaincants. Fulci lui-même gardera un souvenir mitigé du tournage. « C’est un film que j’aime beaucoup mais qui a un mauvais casting », avouera-t-il peu après. « Karina Huff était désagréable, Duilio del Prete était complètement à côté du rôle et Frances Nacman jouait une belle-mère beaucoup trop caricaturale » (1). Sans doute ce décalage entre les intentions du réalisateur et la performance de ses comédiens joua-t-il en défaveur du résultat final. Au cours du générique, Fulci se fend d’une mention étonnante : « Ce film est dédié à mes quelques vrais amis, en particulier à Clive Barker et Claudio Carabba. » Barker affirma en effet souvent avoir été inspiré par ses classiques horrifiques des années 80 (notamment Frayeurs, La Maison près du cimetière et L’Au-delà) tandis que Carabba fut l’un des rares critiques italiens à prendre son travail au sérieux. De là à les mentionner comme ses « quelques vrais amis », avouons que le constat est un peu triste.

 

(1) Extrait d’un entretien cité dans Splintered Visions : Lucio Fulci and His Films de Troy Howarth (2015)

 

© Gilles Penso

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UZUMAKI (2000)

Dans une petite ville du Japon, les habitants deviennent l’un après l’autre obsédés par tout ce qui a une forme de spirale…

UZUMAKI

 

2000 – JAPON

 

Réalisé par Higuchinsky

 

Avec Eriko Hatsune, Fhi Fan, Hinako Saeki, Shin Eun-kyung, Keiko Takahashi, Ren Ôsugi, Denden, Masami Horiuchi, Tarô Suwa, Tôru Tezuka, Sadao Abe, Asumi Miwa

 

THEMA MUTATIONS

Inclassable, déroutant, vertigineux, Uzumaki est de ces films qui laissent ses spectateurs dans un état mi-troublé mi-euphorique, persuadés d’avoir visionné quelque chose d’unique et d’incomparable. Avant le film, il y a un manga écrit et dessiné par Junji Ito. Son idée : reprendre le motif visuel de la spirale, habituellement associé à des choses positives et enjouées, pour le muer en vecteur de cauchemar. « Dans les dessins animés humoristiques japonais, les spirales marquent généralement les joues des personnages et représentent un effet de chaleur », explique-t-il. « Je me suis dit qu’il serait intéressant de détourner cette image en la dessinant différemment pour la faire basculer vers l’horreur. » (1). En découvrant les dessins de Ito, emplis de langues monstrueusement entortillées, de chevelures dignes de celles des Gorgones, de regards hagards et de portails circulaires ouverts vers d’autres dimensions, l’univers de H.P. Lovecraft nous vient naturellement à l’esprit, une influence que l’auteur assume pleinement. Le réalisateur japonais Akihiro Higuchi (plus connu sous son pseudonyme Higuchinsky) se voit confier la transposition du manga en prises de vues réelles. Le défi est de taille, d’autant qu’il s’agit de son premier long-métrage. Mais comment refuser une telle proposition ?

Structuré en quatre chapitres (« Prémonition », « Érosion », « Visitation » et « Transmigration »), Uzumaki se déroule dans une petite ville japonaise et choisit comme protagoniste Kirie Goshima (Eriko Hatsune), une étudiante sans histoire dont le monde s’apprête à basculer irrémédiablement. Un jour, elle surprend le père de son petit ami en train de filmer pendant des heures un escargot sur un mur. L’homme semble en transe, focalisant son regard sur la coquille de l’animal. « Quand je vois une spirale, je sens un profond mystère », dira-t-il plus tard. Son obsession incompréhensible pour les formes hélicoïdales prend une tournure de plus en plus étrange, voire inquiétante. Mais il n’est pas le seul dans cette situation. Petit à petit, tous les habitants semblent voir des spirales partout, tandis que leur comportement et leur morphologie s’altèrent. Les cheveux s’entortillent, les yeux se révulsent, les dos se recourbent, comme si un univers parallèle fait de courbes infinies était en train de s’inviter dans le nôtre…

Spiromaniac

En adéquation avec le thème obsessionnel de son film, Higuchinsky n’en finit plus de décliner les formes de spirales : les gros plan sur la roue d’un vélo qui roule, les moulinets de la matraque d’un policier, les effets de transition en iris circulaire, les affiches sur les devantures des magasins, les nuages dans le ciel, une poterie sur un tour, un escalier en colimaçon, les mouvements circulaires de la caméra, le ressort d’un diable dans une boite, les ronds dans l’eau, les empreintes digitales, les cheveux bouclés, un éclat de pare-brise… Le vertige gagne donc peu à peu le spectateur, mais ce n’est qu’un prélude au surgissement d’une série d’images fantastiques hallucinantes, de l’homme qui fait tourner ses yeux en spirale au corps entortillé dans une machine à laver en passant par les hommes-escargots géants qui rampent sur le mur de l’école ! Ici, le body horror prend une tournure surréaliste que seuls gâchent quelques effets numériques dénués de finesse. Dans Uzumaki, l’apocalypse prend donc des allures de vortex qui n’en finit plus de tourner sur lui-même, comme en témoigne ce grand final nihiliste éloigné de celui du manga, dans la mesure où Junji Ito n’avait pas terminé son écriture lorsque le film était en production. En 2024, une mini-série animée adaptera à son tour le sujet.

 

(1) Extrait d’une interview parue dans Wayback Machine en mars 2006.

 

© Gilles Penso

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L’ANGE DE LA VENGEANCE (1981)

Après avoir été doublement agressée, une jeune femme muette se transforme en tueuse psychopathe massacrant tous les hommes qu’elle croise…

MS.45 / ANGEL OF VENGEANCE

 

1981 – USA

 

Réalisé par Abel Ferrara

 

Avec Zoe Tamerlis, Albert Sinkys, Darlene Stuto, Helen McGara, Nike Zachmanoglou, Abel Ferrara, Peter Yellen, Editta Sherman, Vincent Gruppi

 

THEMA TUEURS

Lorsqu’Abel Ferrara tourne Driller Killer en 1979, c’est avec la volonté de s’engouffrer dans la vogue montante du cinéma d’horreur moderne tel qu’il fut redéfini par Massacre à la tronçonneuse, avec un budget minuscule et un gros potentiel commercial. L’affaire s’avère plutôt rentable, poussant Ferrara, son scénariste Nicholas St John et le producteur Arthur Weiseberg à retenter une aventure similaire. Mais pour L’Ange de la vengeance (dont le titre original Ms.45 se réfère au calibre de l’arme qu’utilise l’héroïne), Ferrara et St John souhaitent toucher un public moins confidentiel et tourner dans des conditions plus professionnelles. Si le réalisateur jouait lui-même le rôle principal de Driller Killer – faute de trouver quelqu’un de disponible -, il lui faut cette fois-ci une jeune femme en tête d’affiche. La perle rare lui est présentée par des amis qui la dénichent lors d’un casting pour le film musical Times Square. Il s’agit de Zoë Tamerlis, âgé alors de 17 ans. Ferrara est séduit par son visage d’ange, sa vive intelligence et sa sensibilité à fleur de peau. Il l’engage sur le champ et en fera l’une de ses collaboratrices régulières. Plus tard, elle écrira notamment le scénario du chef d’œuvre torturé Bad Lieutenant. Zoë Tamerlis (entretemps devenue Zoë Lund) mourra hélas prématurément à l’âge de 37 ans, victime de ses nombreuses addictions.

L’héroïne de L’Ange de la vengeance est Thana, une jeune femme dont le prénom n’a pas été choisi au hasard puisqu’il se réfère à Thanatos, le dieu grec de la mort. Muette de naissance, introvertie, elle travaille dans un atelier de couture auprès de collègues féminines bienveillantes et émancipées. Un soir, alors qu’elle rentre chez elle, un homme l’entraîne de force dans une ruelle sombre et la viole. Cette agression est tellement soudaine et tellement rapide qu’elle ressemble presque à un cauchemar, d’autant que le violeur (que joue Ferrara) porte un masque qui le fait ressembler à un monstre. Recroquevillée sur le trottoir sale, au milieu des poubelles, Thana semble ne pas réaliser ce qui vient de lui arriver. C’est en état de choc, débraillée, sale, le visage livide, qu’elle regagne son appartement. Là, le spectateur a un coup d’avance car il sait qu’un cambrioleur s’est introduit chez elle. Or cet intrus la viole à son tour. La deuxième agression est plus pénible encore, parce qu’elle dure longtemps et que Thana semble dans un état de sidération qui l’empêche de réagir, son mutisme accroissant davantage le sentiment d’impuissance qui la gagne. Soudain, dans un réflexe d’autodéfense et de survie, elle saisit un presse papier et frappe son agresseur, puis l’achève à coups de fer à repasser…

L’exterminatrice

Ferrara installe un cadre très réaliste en début de métrage. Comme à l’époque de Driller Killer, les images sont souvent « volées » dans les rues de New York avec de vrais passants. La violence qui s’apprête à éclater n’en semblera que plus réaliste, plus quotidienne, plus crue. D’autant que le cinéaste choisit les quartiers les plus pauvres, les plus sales et les plus miteux de la ville. L’Ange de la vengeance emprunte frontalement plusieurs effets de style au cinéma d’horreur, notamment lors des visions post-traumatiques de Thana (qui imagine la main d’un agresseur saisir sa poitrine ou croit voir dans le miroir le violeur masqué qui surgit derrière elle) ou lorsqu’elle découpe le cadavre de sa première victime au couteau de cuisine. Certes, Ferrara préfère ici la suggestion au gore, mais la séquence reste très suggestive. D’autant que quelques détails graphiques ultérieurs (des bouts d’entrailles qui bouchent la baignoire, une main tranchée dans une poubelle, une tête dans un sac) rendent cette horreur très concrète. L’humour noir n’est pas exclu pour autant, comme lorsque Thana donne à manger quelques morceaux du cadavre finement hachés au petit chien de sa voisine envahissante. Bientôt, la jeune héroïne ne supporte plus le moindre contact physique avec les hommes. En ce sens, son déséquilibre n’est pas sans évoquer Répulsion de Roman Polanski, avec lequel L’Ange de la vengeance présente de nombreux points communs. Dragueurs minables, photographes de mode, proxénètes, voyous, milliardaires saoudiens, tous ceux qui ont la mauvaise idée de l’approcher de trop près passent l’arme à gauche. Une métamorphose physique s’opère par ailleurs chez elle, la couturière timide et renfermée se muant en femme fatale sophistiquée à la beauté glaciale. Sa tenue la plus iconique reste cependant celle d’une nonne, que Ferrara choisit à la fois pour sacrifier aux codes du cinéma d’exploitation mais aussi et surtout pour jouer avec l’imagerie de la morale judéo-chrétienne. Car la frontière entre le bien et le mal n’en finit plus de s’estomper tandis que le film avance vers son final explosif et nihiliste.

 

© Gilles Penso

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LUI ET MOI (1988)

Un beau jour, un homme ordinaire à la vie bien rangée découvre que son sexe a une conscience autonome et commence à lui parler…

ME AND HIM / ICH UND ER

 

1988 – USA / ALLEMAGNE

 

Réalisé par Doris Dörrie

 

Avec Griffin Dunne, Carey Lowell, Craig T. Nelson, Eilen Greene, Kelly Bishop, Kim Flowers, Bill Raymond, David Alan Grier, Kara Glover, Rocco Sisto, Nancy Giles

 

THEMA DOUBLES

Bernd Eichinger a commencé sa carrière de producteur au milieu des années 70 et s’est rapidement imposé comme un nom important de la cinématographie non seulement allemande mais aussi internationale. En 1988, lorsqu’il décide de se lancer dans Lui et moi, il a déjà à son actif des films de la trempe de L’Histoire sans fin ou Le Nom de la rose. Sa source d’inspiration vient cette fois-ci d’un roman grivois d’Alberto Moravia, Io e Lui, qui fit déjà l’objet d’une adaptation en 1973 à l’occasion du film homonyme de Luciana Salce, avec Lando Buzzanca et Bulle Ogier. Eichinger cherche à remettre cette histoire salace au goût du jour par le biais d’une co-production germano-américaine qui donne la vedette à un acteur comique populaire, en l’occurrence Griffin Dunne (Le Loup-garou de Londres, After Hours, Who’s That Girl, Cheeseburger Film Sandwich). Son patron sera incarné par le charismatique Craig T. Nelson (Poltergeist) et sa nouvelle collègue de travail prendra les atours séduisants de Carey Lowell (James Bond Girl dans Permis de tuer). C’est Doris Dörrie, réalisatrice allemande spécialisée dans les comédies, les drames et les romances depuis le début des années 80, qui se charge de la mise en scène, tournant ici son premier long-métrage en langue anglaise.

Dunne incarne comme souvent un homme ordinaire dont la vie simple et rangée s’apprête à basculer irrémédiablement. Il entre ici dans la peau de Bert Uttanzi, un architecte de New York marié et père d’un enfant, dont le vœu le plus cher est de concrétiser son nouveau projet afin de pouvoir offrir à sa famille la maison de leurs rêves. Mais le soir de son anniversaire, sans crier gare, il entend son pénis qui s’adresse à lui ! La crise de panique bien compréhensible qui le frappe soudain sollicite l’intervention d’une ambulance. Lorsque le médecin à qui il explique son malaise tente de résumer la situation (« Vous me dites que la voix que vous pensez entendre provient de votre zone génitale ? »), le caractère absurde de la situation n’échappe à personne. Pourtant, Bert doit se rendre à l’évidence : son sexe lui parle. Affamé, le capricieux pénis se met à titiller Bert pour le pousser à balayer d’un revers de main sa vie tranquille et à multiplier les aventures avec toutes les femmes attirantes qui croiseront son chemin. Comment gérer une telle soif de libido ? Le jour où une ravissante nouvelle collègue de travail débarque dans le cabinet où il travaille, les choses commencent sérieusement à se compliquer…

Occasion manquée

Avec un postulat pareil, deux options se profilaient à l’horizon : la slapstick sophistiqué façon Blake Edwards ou la comédie graveleuse et potache. Les deux possibilités offraient un potentiel intéressant, mais bizarrement Doris Dörrie n’en choisit aucune. Lui et moi est en effet un film désespérément tiède qui ne sait visiblement que faire de son concept. L’humour que déploie le scénario laisse perplexe dans la mesure où la plupart des gags tombent à plat, soit parce que les personnages adoptent des comportement parfaitement incohérents (notamment toutes les femmes qui tombent comme des mouches face aux techniques de drague pourtant grossières du protagoniste), soit parce que le timing est à côté de la plaque (l’enterrement imaginaire du pénis de Bert par exemple). Sans parler de ces nombreux moments embarrassants (la première rencontre entre Griffin Dunne et Carey Lowell dans la bibliothèque, le numéro musical final). Il y avait pourtant matière à tourner en dérision les incompatibilités apparentes des raisonnements masculins et féminins (ce que fera habilement Nancy Meyers dans Ce que veulent les femmes) et surtout à créer une infinité de quiproquos avec un homme parlant à son sexe dont il est seul à entendre la voix. On repense à cette scène de L’Aventure intérieure où Martin Short discutait avec Dennis Quaid miniaturisé dans les toilettes publiques. En quelques secondes, Joe Dante nous déridait avec beaucoup plus d’efficacité que n’y arrive Doris Dörrie en 90 minutes. Lui et moi est donc une occasion manquée. Bernd Eichinger ne lâchera pourtant pas l’affaire et produira en 2000 une autre adaptation du roman de Moravia, Ils ne pensent qu’à ça ! de Marc Rothemund.

 

© Gilles Penso

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LIVRE DE SANG (2009)

Dans cette adaptation d’une courte nouvelle de Clive Barker, une parapsychologue, son assistant et un étudiant enquêtent sur une maison hantée…

BOOK OF BLOOD

 

2009 – GB

 

Réalisé par John Harrison

 

Avec Jonas Armstrong, Sophie Ward, Clive Russell, Paul Blair, Romana Abercromby, Simon Bamford, Doug Bradley, Gowan Calder, Graham Colquhoun

 

THEMA FANTÔMES

Proche collaborateur de George Romero dans les années 80 et 90, John Harrison fut notamment le compositeur des mémorables bandes originales de Creepshow et Le Jour des morts-vivants, le scénariste de plusieurs épisodes d’Histoires de l’autre monde et des Contes de la crypte, le producteur exécutif de Diary of the Dead mais aussi – dans un tout autre registre – le scénariste du Dinosaures de Disney et le producteur des deux Dune de Denis Villeneuve. En tant que réalisateur, cet homme éclectique signa entre autres Darkside, les contes de la nuit noire et plusieurs épisodes de la mini-série Dune au début des années 2000. Avec Livre de sang, il s’attaque à l’écrivain Clive Barker et s’efforce de rester fidèle à l’univers trouble et tourmenté du père d’Hellraiser. La tâche n’est pas simple, pas tant parce que la fidélité au texte original nécessite des images très sanglantes et explicites, mais surtout parce que le texte de la nouvelle éponyme, qui inaugure une série de recueils publiés à partir de 1984, est très court : moins de vingt pages. Pour en tirer un long-métrage, Harrison puise aussi dans l’ultime nouvelle du recueil Livres de sang, Jérusalem Street, et se permet plusieurs ajouts scénaristiques étrangers à la prose de Barker. Certains vont s’avérer judicieux, d’autres moins…

« Les morts ont leurs artères », disait l’écrivain en guise de prologue. « Elles défilent, infaillibles alignements de trains fantômes, de rames de rêve, à travers la désolation qui s’étend derrière nos vies, portant un trafic éternel d’âmes envolées. » Cette poésie macabre est presque reprise mot à mot par la voix off qui inaugure le film. Après une scène introductive énigmatique au cours de laquelle un jeune homme ensanglanté et partiellement défiguré est kidnappé par un mercenaire qui est chargé de le dépecer, le cours des événements se rembobine pour nous présenter Mary Florescu (Sophie Ward), professeur de paranormal et auteur à succès qui se lance avec son partenaire Reg Fuller (Paul Blair) dans une enquête autour d’une maison marquée par de terribles événements. Une adolescente y aurait été violée, battue et assassinée par une entité invisible. Lorsqu’elle rencontre, dans l’amphithéâtre où elle prodigue ses cours, Simon McNeal (Jonas Armstrong), un étudiant visiblement doté de pouvoirs parapsychiques, elle le convainc de les aider dans leurs investigations…

Les mots des morts

L’un des éléments les plus intéressants de Livre de sang est sans doute la difficulté – pour les spectateurs comme les protagonistes – à faire la part des choses entre les manifestations surnaturelles et les supercheries, le rêve et la réalité, les hallucinations et les souvenirs, au sein d’une intrigue qui emprunte un peu la voie de La Maison du diable et de Poltergeist, en évoquant parfois le saisissant L’Emprise de Sidney J. Furie (notamment lors de la scène où Mary est empoignée par une force invisible qui laisse ses empreintes de doigts sur son visage). Mais la médaille a un revers : à trop vouloir construire une backstory pour Mary et Simon (chacun a été frappé par un traumatisme d’enfance, leur rapport aux visions de l’au-delà sont complexes), le scénario s’emmêle et perd ce qui faisait le charme du texte de Barker. Dans la nouvelle, les motivations de Simon étaient claires et le retournement de situation final en tirait toute son efficacité. Ici, le trop plein d’informations et de contre-informations amenuise l’impact du récit et gâche une partie de son potentiel. L’autre problème est lié à l’imagerie convoquée pour décrire le monde des morts : des fantômes grimaçants translucides, des panoramas infernaux en images de synthèse, bref des visions trop frontales pour convaincre, d’autant que les effets visuels maladroits manquent singulièrement de subtilité. Le bilan est donc très mitigé, même s’il faut reconnaître à John Harrison un talent indiscutable dans la construction d’une atmosphère anxiogène malsaine et dans la direction de ses comédiens, tous très convaincants. On note au passage l’apparition furtive de Doug Bradley (le Pinhead d’Hellraiser) dans une séquence de cauchemar.

 

© Gilles Penso

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