ONIBABA (1964)

Pour survivre en pleine période de guerres civiles, deux femmes réfugiées dans un marais envahi de roseaux assassinent les soldats blessés…

ONIBABA

 

1964 – JAPON

 

Réalisé par Kaneto Shindô

 

Avec Nobuko Otawa, Jitsuko Yoshimura, Kei Satô, Jûkichi Uno, Taji Tonoyama, Someshô Matsumoto, Kentarô Kaji, Hosui Araya, Fudeko Tanaka, Michinori Yoshida

 

THEMA TUEURS

Avec Onibaba, Kaneto Shindô frappe un grand coup en conjuguant l’âpreté d’un drame réaliste avec les spectres du fantastique japonais traditionnel. Tourné en 1964, ce film en noir et blanc continue de hanter les esprits par sa force plastique, sa charge symbolique et sa tension palpable. En s’éloignant de l’humanisme dépouillé de L’Île nue, son chef-d’œuvre muet de 1960, Shindô explore ici des territoires plus sombres, où l’horreur n’est jamais tout à fait surnaturelle, et où l’enfer n’est pas une abstraction mais une condition humaine. Le cadre est aussi brut que la situation : pendant les guerres civiles du XIVe siècle, une vieille femme et sa belle-fille survivent dans une plaine marécageuse infestée de roseaux géants, isolées du monde et de toute trace de civilisation. Elles ont trouvé un moyen radical de subsister : tuer les soldats perdus qui s’approchent trop près, jeter leurs corps dans une fosse, et échanger leur armure contre du millet. Cette routine sanglante est perturbée par l’arrivée d’un déserteur, Hachi. Le désir s’installe entre elle et la jeune femme. Sa belle-mère, par jalousie ou peur d’être abandonnée, bascule alors dans une violence plus insidieuse…

Onibaba est d’abord un film de pulsions primaires – principalement sexuelles et alimentaires. La nature elle-même semble complice des actes du duo assassin. L’espace est structuré par les roseaux, véritables murs mouvants, à la fois refuge, piège et labyrinthe. Shindô en tire un découpage hypnotique, où la répétition des plans – courses dans les herbes, gestes du quotidien, ébats nocturnes – imprime une rythmique presque rituelle. La caméra épouse les pulsations du paysage, enserrant les corps comme pour mieux les soumettre à une nature dévorante. La photographie de Kiyomi Kuroda magnifie cette claustrophobie en plein air. Les contrastes marqués, les jeux d’ombres portées, les visages burinés à la lueur des torches évoquent autant l’expressionnisme allemand que le réalisme poétique japonais. L’environnement semble constamment en alerte, prêt à se refermer sur ses habitants. Si Onibaba ne met en scène aucun champ de bataille, il en capte tous les effets collatéraux, en particulier la désolation, la famine et l’effondrement moral.

Le masque du démon

C’est par le biais d’un artifice quasi surnaturel que le film atteint son apogée : un masque de démon, trouvé sur le cadavre d’un samouraï, que la vieille femme utilise pour effrayer sa belle-fille et la détourner de Hachi. Bientôt, inexplicablement, ce masque se retrouve collé à son visage, comme si sa propre monstruosité – symbolique jusque-là – avait fini par contaminer sa chair. L’horreur n’est donc pas dans le masque lui-même, mais dans ce qu’il révèle : la solitude, la vieillesse, la jalousie et la perte de contrôle sur un monde déjà déséquilibré. Kaneto Shindô, scénariste prolifique, tisse ici un récit minimaliste mais d’une efficacité redoutable. Il ne s’embarrasse d’aucune sous-intrigue inutile : tout converge vers l’essentiel. L’épure du décor – pas un seul plan ne s’aventure hors de cette plaine de roseaux – renforce encore l’intensité du drame. Même la fosse, au fond de laquelle les cadavres s’accumulent, devient une bouche symbolique, gouffre de mort où l’on jette ce qui dérange. À travers l’horreur du quotidien, Shindô nous confronte finalement à une question cruciale : que reste-t-il de l’humain quand les repères moraux s’effondrent ? La réponse est moins dans le masque que dans le regard de celle qui le porte – miroir inversé de la bête que la guerre, la solitude et le temps ont inexorablement enfanté.

 

© Gilles Penso

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DEMON IN THE BOTTLE (1996)

Pour son baptême de réalisateur, le roi des effets spéciaux Randall William Cook confronte quatre gamins curieux à d’inquiétantes créatures…

DEMON IN THE BOTTLE

 

1996 – USA

 

Réalisé par Randall William Cook

 

Avec Ashley Tesoro, Michael Malota, Rahi Azizi, Michael Dubrow, Michael Walters, Franklin A. Vallette, Randall William Cook, Lucian Cojocaru, Petre Constantin

 

THEMA DIABLE ET DÉMONS I MILLE ET UNE NUITS I SAGA CHARLES BAND

Parmi les nombreux films développés pour le jeune public par le producteur Charles Band, Demon in the Bottle occupe une place particulière. Il marque d’abord le baptême de réalisateur de Randall William Cook, maestro des effets spéciaux qui œuvra sur des films aussi variés que S.O.S. fantômes, The Thing, Vampire vous avez dit vampire ? ou The Gate. Habitué aux productions Charles Band (il participa aussi à Rayon laser, Le Jour de la fin des temps, Puppet Master 2 et Le Château du petit dragon), Cook se conforme aux restrictions budgétaires de mise sans pour autant réfréner ses ambitions. « C’est un film très peu onéreux qui a été tourné en trois semaines à peine, le temps qu’il nous avait fallu pour filmer la séquence du temple avec les chiens de la terreur dans S.O.S. fantômes », raconte-t-il. « Il n’est pas aussi spectaculaire que si nous avions bénéficié d’un “vrai” planning de tournage, mais j’ai tout de même essayé de l’agrémenter de créatures intéressantes. » (1) Très motivé, le réalisateur joue en outre trois rôles dans le film : un professeur d’histoire, un chef pirate et la voix d’un personnage mythique surnommé « Le Gardien ». L’autre particularité de Demon in the Bottle est qu’il fait l’objet d’un deal hypothétique avec le studio Disney, qui envisage à l’époque de le diffuser sur ses canaux et même de le distribuer en vidéo.

Le film commence en 1737, au large des côtes de Louisiane. Un pirate maudit et désabusé voit son navire sombrer, entraînant l’équipage dans les profondeurs. Avant de périr, il enfouit un trésor au cœur d’une grotte et fait tout sauter afin de le sceller pour l’éternité. Des siècles plus tard, cette légende est racontée en classe par Amanda (Ashley Tesoro, qu’on retrouvera dans The Werewolf Reborn), une élève passionnée de mystères, qui dit l’avoir découverte en manipulant une planche de Ouija. À la sortie des cours, pour prouver que certaines énigmes échappent à la raison, elle montre à un camarade sceptique, Russell (Michael Malota, futur héros de Shandar, la cité miniature), un collier surmonté d’un cristal ayant appartenu à son grand-père. Cet artefact, affirme-t-elle, vient tout droit de l’Atlantide. Mais le collier lui échappe et tombe dans une bouche d’égout. Pour le récupérer, Amanda et Russell s’aventurent dans les souterrains de la ville. Une chute brutale les entraîne au fond d’une fosse où reposent des squelettes et un imposant coffre débordant de richesses. Au milieu de ce trésor – celui du pirate du prologue, on l’aura compris -, une étrange bouteille dorée attire leur attention : son bouchon est surmonté d’un petit personnage enturbanné. Lorsque la figurine s’anime soudainement avant de s’enfuir, la bouteille, désormais ouverte, libère une entité démoniaque. Pris de panique, Amanda et Russell tentent de fuir, bientôt rejoints par deux camarades entraînés malgré eux dans une lutte contre la créature qu’ils viennent d’éveiller…

Le Gardien et le Démon

Si les péripéties du film n’ont rien de foncièrement palpitant, il faut reconnaître le soin apporté à sa mise en forme : de beaux décors décrépits filmés à Bucarest, une musique attrayante de John Morgan qui évoque dès le générique l’univers féerique des mille et une nuits, une photographie léchée que signe le vétéran Adolfo Bartoli… et bien sûr les effets spéciaux de Randall William Cook. Les deux créatures vedette sont d’indiscutables réussites. La première, « Le Gardien », est entièrement conçue en images de synthèse – un exploit pour l’époque – et prend la forme d’une tête très bavarde montée sur des accroches qui lui permettent de marcher comme une araignée. « Depuis des années, je rêvais de créer un personnage qui joue vraiment la comédie, contrairement à ceux qui se contentent de rugir ou de sauter dans tous les sens », avoue le réalisateur. « J’ai dû attendre de réaliser mon propre film pour pouvoir y parvenir. » (2) La seconde, le démon, a un indiscutable air de famille avec plusieurs des créations précédentes de Cook, notamment les monstres de The Gate et Gate 2. Il prend d’abord la forme d’une sorte de tornade grimaçante en dessin animé, puis celles d’un colosse mi-simiesque mi-reptilien. Construite par l’équipe de Mark Rappaport, la marionnette est extrêmement expressive et animée avec des baguettes. On sent bien que Cook aurait adoré l’animer en stop-motion – sa grande spécialité – s’il en avait eu le temps. Pour pallier les mouvements limités du monstre, notre homme utilise habilement des décors miniatures, des incrustations et des effets de perspective. Malgré ses qualités formelles, Demon in the Bottle ne sera finalement pas distribué par Disney et sombrera dans un oubli franchement injustifié. Car sans être un chef d’œuvre, cette petite aventure exotique se situe clairement sur le dessus du panier des productions Charles Band pour enfant.

 

(1) et (2) Propos recueillis par votre serviteur en mai 1999 

© Gilles Penso

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MONDO CANNIBALE (1980)

Jess Franco se lance sans beaucoup de conviction dans la mode des films d’horreur exotiques à base de tribus anthropophages…

LA DEA CANNIBALE

 

1980 – ITALIE / ESPAGNE / FRANCE

 

Réalisé par Jess Franco

 

Avec Al Cliver, Sabrina Siani, Jérôme Foulon, Lina Romay, Shirley Knight, Anouchka, Antonio Mayans, Olivier Mathot, Jess Franco, Raymond Hardy

 

THEMA CANNIBALES

En 1980, Jess Franco se laisse tenter par la vogue des films de cannibales, lancée par les œuvres sulfureuses de Ruggero Deodato (Le Dernier monde cannibale) et Umberto Lenzi (La Secte des cannibales), et tourne simultanément deux films sur le thème : Chasseur de l’enfer et Mondo cannibale. Sortis coup sur coup fin 1980, tous deux donnent la vedette à l’acteur Al Cliver et utilisent les mêmes décors. Habitué aux noms d’emprunt, Jess Franco signe Mondo Cannibale sous le pseudonyme de J. Franco Prosperi, clin d’œil trompeur à Francesco Prosperi, le réalisateur de Mondo Cane, afin d’appâter le public tout en gardant ses distances avec un genre qu’il méprise. Car rétrospectivement, Franco regrettera amèrement de s’être lancé dans une telle aventure, pas du tout conforme à ses goûts personnels. « Je trouve les films de cannibales dégoûtants », avouera-t-il plus tard. « En comparaison, les miens ressemblent à du Walt Disney ! J’ai fait ces deux films de cannibales uniquement pour l’argent. Franchement, je ne comprends pas pourquoi quelqu’un voudrait voir ça ! » (1) Pas très tendre avec Sabrina Siari, rôle féminin principal de Mondo cannibale, il la qualifiera de « la pire actrice avec laquelle j’ai jamais tourné, sa seule véritable qualité étant son adorable postérieur ! » (2). Toujours très classe, l’ami Jess Franco…

Al Cliver incarne ici le docteur Jeremy Taylor, spécialisé dans les maladies tropicales, parti en mission en Amazonie jusqu’à Malabi avec sa femme Elizabeth et sa fille Lena. Soudain, son bateau est attaqué par les Gaevis, des indigènes anthropophages qui dévorent vivante son épouse et le font prisonnier. La petite fille parvient à se cacher à l’intérieur du bateau, mais le chef de la tribu cannibale et son fils la découvrent plus tard évanouie au bord d’une rivière. Ils l’emmènent aussitôt au village, où elle est vénérée comme la « déesse blanche ». Après avoir subi une amputation du bras, Jeremy fuit la tribu sauvage et, secouru, parvient à retourner à New York. Son rétablissement, tant physique que psychologique, est encore lent. La présence d’Ana, médecin dévoué qui s’éprend de lui, est déterminante. Mais Jeremy est obsédé par l’idée de retrouver sa fille, qu’il croit voir partout, y compris dans les vitrines des magasins. Ainsi, au bout de dix ans, il parvient à organiser une nouvelle expédition au pays des cannibales, financée par un milliardaire amateur d’aventure, Charles Fenton, et sa compagne Barbara Shelton.

La déesse blanche

On comprend aisément les réticences de Jess Franco vis-à-vis de l’actrice Sabrina Siani, terriblement inexpressive malgré une beauté indiscutable. Car en grandissant, la petite Lena s’est muée en jolie sauvageonne en peaux de bête aux allures de Sheena ou de Tarzanne, promise désormais au chef de la tribu qui l’a recueillie. Hélas, la fadeur de la jeune comédienne entrave singulièrement l’aura de celle que tous adulent pourtant comme la puissante « déesse blanche ». Les indigènes eux-mêmes, maquillés à la va-vite, s’adonnent à des danses tribales sans trop croire à ce qu’ils font. Il n’est pas difficile de constater que les figurants sont complètement à côté de la plaque, voire s’amusent en sautillant et en souriant face à la caméra, là où ils sont censés nous inquiéter. La tête visiblement ailleurs, Franco filme les « festins » des cannibales n’importe comment, au cours de séquences interminables constituées de gros plans flous, de bruits de succion et de chants tribaux. Le réalisateur et son chef opérateur tirent parti comme ils peuvent de la photogénie des extérieurs naturels, en y insérant des stock-shots de crocodiles et de serpents à sonnettes, tandis que quelques cadavres sanguinolents et quelques membres mutilés occupent parfois l’écran pour sacrifier aux canons du genre. Rien de bien palpitant, en somme. Mais Mondo cannibale aura au moins le bon goût d’éviter les massacres d’animaux devenus souvent passages obligatoires des films de cet acabit.

 

(1) et (2) Extraits d’une interview présente sur le bonus de Blue Underground en novembre 2007.

 

© Gilles Penso

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TROMEO & JULIET (1996)

Les créateurs du Toxic Avenger revisitent le classique de Shakespeare en y injectant du mauvais goût, du gore et des créatures mutantes…

TROMEO AND JULIET

 

1996 – USA

 

Réalisé par Lloyd Kaufman

 

Avec Jane Jensen, Will Keenan, Valentine Miele, William Beckwith, Steve Gibbons, Sean Gunn, Debbie Rochon, Lemmy, Stephen Blackheart, Flip Brown

 

THEMA TUEURS I MUTATIONS

En 1992, Lloyd Kaufman, patron de la firme Troma, rêve de revisiter William Shakespeare sous un angle trash. Avec Andy Deemer et Phil Rivo, deux employés du studio, il rédige une première mouture de Tromeo & Juliet. L’idée consiste alors à transposer la tragédie de Vérone dans un New York délirant, d’écrire l’intégralité des dialogues en vers shakespearien et de faire intervenir le Toxic Avenger. Mais Michael Herz, cofondateur de Troma, et le reste de l’équipe ne sont pas très enthousiastes face à ce scénario. Le projet retourne donc dans les cartons. Trois ans plus tard, en 1995, un jeune scénariste encore inconnu entre en scène : James Gunn, futur réalisateur des Gardiens de la galaxie et de Superman. Embauché par Kaufman, il repart de zéro et livre une version plus sombre, volontiers obscène, toujours écrite en vers. Dans cette réécriture, Juliet est strip-teaseuse et Tromeo dealer de crack. Le résultat étant jugé trop extrême, même selon les critères de Troma, Kaufman retravaille le script avec Gunn, atténue la noirceur, injecte davantage d’humour et coupe une bonne partie des alexandrins pour alléger le rythme. Le film trouve enfin sa juste tonalité. Mis en boîte à l’été 1995 pour 350 000 dollars – un budget pharaonique à l’échelle de Troma – Tromeo & Juliet s’affirme comme l’une des productions les plus ambitieuses du studio.

Structuré en plusieurs actes et raconté par le légendaire Lemmy du groupe Motörhead, Tromeo & Juliet prend place dans le Manhattan des années 90, où la guerre fait rage entre deux familles rivales : les riches Capulet et les pauvres Que. La haine se manifeste de manière grotesque, chacun s’envoyant des messages sanglants sous forme d’un pigeon éventré ou d’un écureuil pendu. Au cœur de ce chaos, nos deux jeunes héros se débattent dans des passions contrariées. Tromeo Que (Will Keenan), jeune homme pauvre et malchanceux, vit avec son père alcoolique Monty (Earl McKoy) et travaille dans un salon de tatouage aux côtés de son cousin Benny (Stephen Blackehart) et de son ami Murray (Valentine Miele). Pour satisfaire ses pulsions sexuelles, il se masturbe devant des CD Roms interactifs consacrés à Shakespeare ! Juliet Capulet (Jane Jensen), elle, recluse dans le manoir familial sous l’œil oppressant de son père Cappy (William Beckwith), de sa mère passive Ingrid (Wendy Adams) et de son cousin surprotecteur Tyrone (Patrick Connor), trouve un certain plaisir charnel avec sa domestique Ness (Debbie Rochon). Sa famille souhaite la marier au plus vite à London Arbuckle (Steve Gibbons), un riche magnat de la viande, pour consolider l’empire mafieux des Capulet. Mais lorsqu’elle rencontre Tromeo, c’est le coup de foudre… et le début des vrais problèmes.

West Trash Story

Conformément à l’esprit habituel des films Troma, les personnages s’avèrent ici tous plus stupides les uns que les autres. Alcooliques, drogués, incestueux, dégénérés, flatulents, bagarreurs, incontinents, ils cumulent une somme impressionnante de tares. Peu avare en nudité (les poitrines féminines se dévoilent volontiers), le film se lâche aussi sur le gore cartoonesque dès que l’occasion se présente : oreilles extirpées à mains nues, cerveau arraché, doigts tranchés, tête fendue, bras sectionné, décapitations, énucléations, visage aplati, boîte crânienne pulvérisée… C’est un véritable festival, orchestré par l’équipe des effets spéciaux de maquillage de Vincent Schicchi. Mais le film va plus loin en basculant ouvertement dans le fantastique horrifique. Dans deux séquences de cauchemar, Juliet fait l’amour à un homme dont le pénis est un monstre grimaçant, puis voit son ventre grossir brusquement jusqu’à expulser des popcorns et des rats ! Dans une autre scène, un boucher découvre un répugnant invertébré géant non identifié qui n’aurait pas dépareillé dans Le Festin nu. Quant à la potion conçue par le mystérieux Fu Chang, elle métamorphose carrément Juliet en femme-vache ! On le voit, tous les délires sont permis dans ce film-somme qui n’hésite pas non plus à accumuler les cascades automobiles et les autocitations (les déguisements de Sergent Kabukiman et Toxic Avenger dans un bal costumé, les posters de Atomic College, Toxic Avenger 2, Surf Nazis Must Die et de bien d’autres productions Troma). Ses nombreux excès feront de Tromeo & Juliet l’un des titres phares de la compagnie, et propulseront de manière stratosphérique la carrière de James Gunn.

 

© Gilles Penso

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LA FIANCÉE DU MONSTRE (1955)

Bela Lugosi incarne un savant fou rêvant de créer une race de surhomme, épaulé par un colosse muet et par une pieuvre géante. Du pur Ed Wood !

BRIDE OF THE MONSTER

 

1955 – USA

 

Réalisé par Ed Wood

 

Avec Bela Lugosi, Tor Johnson, Tony McCoy, Loretta King, Harvey B. Dunn, George Becwar, Paul Marco, Don Nagel, Bud Osborne, John Warren, Ann Wilner

 

THEMA MÉDECINE EN FOLIE I MONSTRES MARINS

Au milieu des années 50, Hollywood est en pleine mutation : l’âge d’or des studios décline, la télévision se déploie et la science-fiction s’impose comme le genre fétiche des drive-in. C’est précisément dans cette brèche qu’Edward D. Wood Jr., jeune cinéaste passionné et terriblement maladroit, tente de se faire un nom. Après son inclassable Glen or Glenda, dans lequel il offrait à Bela Lugosi un rôle surréaliste, il s’attelle à un projet plus traditionnel, du moins en apparence : La Fiancée du monstre. Tout commence en 1953 avec un scénario d’Alex Gordon intitulé The Atomic Monster. Faute de financement, le projet tombe à l’eau. Wood le reprend à son compte, le rebaptise The Monster of the Marshes, Bride of the Atom, puis finalement Bride of the Monster, et parvient à trouver un financement très particulier. Un certain Donald E. McCoy, industriel de la viande emballée, accepte d’investir à condition que son fils obtienne le rôle masculin principal. C’est ainsi que le débutant Tony McCoy se retrouve héros de cette série B invraisemblable. Le rôle féminin, destiné à Dolores Fuller (compagne d’Ed Wood), échoit finalement à Loretta King. Le tournage commence en octobre 1954 dans les modestes Ted Allan Studios de Los Angeles, mais s’interrompt très vite faute d’argent. Fidèle à sa réputation d’improvisateur, Wood achève le film par bribes, récupérant des accessoires à droite et à gauche, bricolant des décors en carton et multipliant les stock-shots d’animaux.

La véritable attraction du film reste Bela Lugosi. À 73 ans, épuisé par la morphine, l’ancien Dracula d’Universal accepte tout ce qu’on lui propose. Très heureux de sa prestation dans Glen or Glenda, Ed Wood lui offre ici son dernier rôle parlant, celui du docteur Erik Vornoff, un savant fou qui rêve de donner naissance à une armée de guerriers atomiques, peu avare en répliques grandiloquentes telles que : « Je créerai une race de surhommes atomiques qui conquerront le monde ! » Malgré sa fatigue, l’acteur hongrois donne au personnage une intensité tragique qui contraste violemment avec la pauvreté du reste du film. À ses côtés, Tor Johnson campe Lobo, le colosse muet et balafré, serviteur idiot et maltraité par Vornoff. Son jeu, raide et pathétique, s’inspire manifestement de celui de Boris Karloff. Fasciné par l’héroïne lorsqu’elle apparaît dans sa robe blanche immaculée, il incarne une bête attendrissante, écho maladroit à La Belle et la Bête et à La Fiancée de Frankenstein.

Poulpe fiction

L’intrigue s’amorce sans temps mort : une terrible tempête pousse deux hommes à se réfugier dans la sinistre « maison des saules », repaire du docteur Vornoff et de Lobo. Dans la cheminée de la demeure se cache un passage secret donnant accès à un laboratoire. Là, Vornoff soliloque en discutant avec une pieuvre géante qu’il garde amoureusement dans un aquarium, et qui hante régulièrement le marécage du coin pour faire quelques victimes humaines. L’activité principale du savant consiste à enlever les malheureux qui s’égarent dans la région pour les soumettre à ses expériences atomiques, mais toutes périssent. Un policier et sa fiancée journaliste mènent bientôt l’enquête, épaulés par un vieux scientifique spécialiste du monstre du Loch Ness. Le clou du spectacle est bien sûr la fameuse pieuvre. Récupérée du film Le Réveil de la sorcière rouge (1948) avec John Wayne, elle n’a plus de moteur fonctionnel. Lors des scènes d’attaque, ce sont donc les acteurs eux-mêmes qui agitent les tentacules de caoutchouc en se contorsionnant dans l’eau trouble, tandis que Wood insère des stock-shots d’une véritable pieuvre pour tenter de sauver l’illusion. Ce décalage grotesque confère au film une aura comique irrésistible. En 1994, Tim Burton consacrera une grande partie du film Ed Wood à la reconstitution du tournage de cette inénarrable Fiancée du monstre.

 

© Gilles Penso

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TRON : ARES (2025)

Truffé de morceaux d’anthologie, ce troisième Tron bâtit son scénario autour de la problématique du contrôle des intelligences artificielles…

TRON : ARES

 

2025 – USA

 

Réalisé par Joachim Rønning

 

Avec Jared Leto, Greta Lee, Evan Peters, Jodie Turner-Smith, Hasan Minhaj, Arturo Castro, Cameron Monaghan, Gillian Anderson, Jeff Bridges

 

THEMA MONDES VIRTUELS ET PARALLÈLES I SAGA TRON

Un troisième Tron n’était pas forcément l’idée commerciale la plus pertinente du studio Disney, l’aura et le culte entourant le premier et – dans une moindre mesure – le deuxième film n’ayant pas vraiment trouvé leur écho au box-office. De fait, ce nouvel opus aura mis plusieurs années avant de se frayer un chemin jusque sur les écrans. Le développement d’une suite de Tron : l’héritage est pourtant annoncé dès l’automne 2010 par Steven Lisberger lui-même, le père du premier Tron. Mais rien ne se passera comme prévu. L’échec au box-office de A la poursuite de demain, puis l’acquisition par Disney de Lucasfilm et Marvel seront autant d’obstacles dressés sur le chemin de ce troisième volet, pas complètement annulé mais en état de « suspension cryogénique », pour reprendre les termes de Joseph Kosinski, réalisateur de Tron : l’héritage. Les grèves des acteurs et scénaristes hollywoodiens de 2023 n’arrangent évidemment pas les choses. Mais Disney tient bon. Après un grand jeu de chaises musicales, le film est finalement confié au réalisateur norvégien Joachim Rønning, habitué aux séquelles des films de la maison de Mickey (Pirates des Caraïbes : la fontaine de jouvence, Maléfique : le pouvoir du mal) et le tournage s’amorce en janvier 2024 à Vancouver. Refusant de faire de Tron : Ares une sorte de remake déguisé du premier film (c’était l’un des reproches qu’on pouvait adresser à Tron : l’héritage) ou même de reprendre les personnages du deuxième épisode (malgré une fin ouverte qui laissait planer plusieurs prolongements possibles), les scénaristes Jesse Wigutow et David Digilio jouent la carte du renouveau.

Nous suivons donc en parallèle deux destins qui ne vont pas tarder à se croiser. D’un côté, Eve Kim (Greta Lee), talentueuse programmeuse et présidente de la société Encom, l’immense entreprise technologique autrefois dirigée par Kevin Flynn, s’isole loin de la civilisation pour tenter de percer le mystère du « Code de Permanence » afin de perpétuer les travaux de sa défunte sœur et d’œuvrer pour le bien commun. De l’autre, Julian Dillinger (Evan Peters), héritier aux dents longues d’un empire technologique bâti par son grand-père, développe la création d’un arsenal high-tech piloté par des intelligences artificielles. Mais ses créations, si impressionnantes soient-elles, se désagrègent au bout de 29 minutes. Il se met donc en quête du fameux « Code de Permanence », missionant sur le terrain un programme à qui il a donné une forme humaine et un corps physique : Arès (Jared Leto). Petit problème inattendu : ses interactions avec l’humanité vont pousser Arès à remettre en question son allégeance à Dillinger. Car cette fois, ce ne sont plus seulement les humains qui s’aventurent dans les univers virtuels. Les programmes, à leur tour, franchissent le miroir numérique, avec des conséquences pour le moins spectaculaires. D’où une série de séquences d’action complètement dingues, en particulier une course de cycles au milieu de la circulation urbaine et un climax aux proportions titanesques.

Quand le virtuel devient réel

Puisque désormais les intelligences artificielles s’invitent dans notre monde et prennent une apparence humanoïde, l’analogie avec Terminator – manifestement assumée – saute aux yeux, notamment lorsque ces simulacres d’êtres vivants se lancent dans une mission destructrice et finissent par échapper au contrôle de leurs créateurs. L’idée de l’autodestruction des créatures artificielles, au bout d’une demi-heure, reflète l’obsolescence programmée de nos outils technologiques mais se fait aussi l’écho des vies successives des personnages de jeux vidéo… avec à la clé une question fascinante : vaut-il mieux vivre mille vies fugaces, ou une seule, mais durable ? Après le coup médiatique qui avait placé les Daft Punk à la tête de la bande originale de Tron : l’héritage, il fallait transformer l’essai. En choisissant cette fois-ci Nine Inch Nails, les producteurs ont le nez creux. La musique incroyablement énergique de Trent Reznor et Atticus Ross contribue beaucoup à l’impact du film, qui se pare visuellement d’une esthétique plus chaleureuse que celle du deuxième volet. A ce titre, la séquence du « hacking » est un morceau de bravoure quasiment hypnotique. Le casting est l’autre bonne surprise du film. Jared Leto est impeccable en être virtuel troublé par des sentiments humains inattendus, Jodie Turner-Smith parfaite en « Terminatrice » dénuée d’émotion. On apprécie aussi le rôle nuancé tenu par Gillian Anderson et l’apparition incontournable de Jeff Bridges. Bien sûr, le film n’est pas exempt de faiblesses : quelques raccourcis scénaristiques pas toujours faciles à avaler, une approche parfois simpliste de l’intelligence artificielle et un fan service appuyé, jusqu’à une scène post-générique à la Marvel. Mais la générosité du spectacle l’emporte haut la main… surtout au format Imax 3D, pour lequel Tron : Arès a été conçu, garantie pour le public d’une immersion totale et vertigineuse.

 

© Gilles Penso

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LA FEMME SANGSUE (1960)

Un médecin croit avoir trouvé le secret de la jeunesse éternelle au fin fond de la savane africaine et souhaite l’expérimenter sur son épouse…

THE LEECH WOMAN

 

1960 – USA

 

Réalisé par Edward Dein

 

Avec Coleen Gray, Grant Williams, Philip Terry, Gloria Talbott, John Van DReelen, Estelle Hemsley, Kim Hamilton, Arthur Batanides, Harold Goodwin

 

THEMA MUTATIONS I EXOTISME FANTASTIQUE

Au début des années 60, l’âge d’or des « Universal Monsters » est déjà loin. À part L’Étrange créature du lac noir, création tardive du producteur William Alland, les grands monstres du répertoire classique ne font plus recette sur le continent américain – ce qui ne les empêche pas de s’épanouir en Grande-Bretagne sous les bons auspices de la Hammer. Lorsqu’Universal lance La Femme sangsue, c’est donc moins pour raviver cette flamme moribonde que pour accompagner en double-programme la sortie américaine du film anglais Les Maîtresses de Dracula – produit justement par la Hammer. Le budget est donc minime et la production confiée à Joseph Gershenson, chef du département musical d’Universal. Parallèlement à ses activités liées aux bandes originales, Gershenson s’est en effet spécialisé dans la production de séries B d’horreur comme Le Monstre des abîmes de Jack Arnold ou Dans les griffes du vampire d’ Edward Dein. C’est d’ailleurs Dein qui hérite de la mise en scène de La Femme sangsue. Les slogans affichés sur les posters de l’époque, peu portés sur la demi-mesure, annonçaient avec force points d’exclamations : « Elle vide les hommes de leur amour… et de leur vie ! »

Rien ne va plus entre le docteur Paul Talbot (Philip Terry), un endocrinologue réputé, et son épouse June (Coleen Gray), qui accepte très mal de se voir vieillir et sombre peu à peu dans l’alcool. Alors que le divorce semble inévitable, le médecin reçoit une patiente très âgée, Malla (Estelle Hemsley), au visage ridé comme celui d’une momie. Celle-ci affirme venir de la peuplade africaine Nando et avoir vécu plus de 150 ans. Son peuple connaîtrait en effet le secret du rajeunissement et du prolongement de la vie. Fasciné, Talbot monte une expédition dans la savane africaine à la recherche de l’orchidée miraculeuse capable d’un tel prodige. À partir de là, le film prend les allures d’un vieux Tarzan, avec une jungle de studio filmée sur les plateaux d’Universal et un grand nombre de stock-shots d’animaux sauvages : éléphants, singes, serpents, crocodiles, lions, hippopotames, bref une véritable arche de Noé. June, qui a accepté de se joindre à son époux en espérant une réconciliation possible, comprend bientôt qu’il ne l’a emmenée avec lui que pour en faire un cobaye de cette plante rajeunissante exotique…

La veuve noire

Dès qu’il se transporte dans la jungle, le film véhicule une image très caricaturale de l’Afrique, qui ne surprenait pas outre mesure au début des années 30 (époque de Tarzan l’homme singe, King Kong ou Tintin au Congo) mais semble sérieusement datée trois décennies plus tard. Toute la première partie de La Femme sangsue souffre de cette accumulation d’archétypes et de rebondissements souvent capillotractés. Le troisième acte, qui nous ramène à la civilisation, se révèle beaucoup plus intéressant. Car notre « femme sangsue » (le terme « veuve noire » conviendrait tout autant) se lance désormais dans une croisade à mi-chemin entre les méfaits de la comtesse Bathory et ceux de Dorian Gray. Sa quête de jeunesse est tellement désespérée qu’elle en perd toute notion de bien et de mal, même si l’issue du drame sera forcément fatale – son personnage semble le savoir aussi bien que les spectateurs. Si les rôles masculins, y compris Grant Williams, ex-Homme qui rétrécit, restent très en retrait, le film repose majoritairement sur les épaules de Coleen Gray. Ex-tête d’affiche d’Howard Hawks (La Rivière rouge) et de Stanley Kubrick (L’Ultime razzia), la comédienne crève l’écran sous les atours respectifs de la femme aigrie et vieillissante, de la jeune séductrice briseuse de ménages et du monstre décrépit qui se révèle peu à peu, sous les bons auspices du maquilleur Bud Westmore. Le film reste très théâtral, y compris au cours de son climax expédié à la va-vite, mais vaut au moins le détour pour la prestation étonnante de son actrice principale.

 

© Gilles Penso

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JIANG HU, LA FIANCÉE AUX CHEVEUX BLANCS (1993)

Dans la droite lignée d’Histoires de fantômes chinois, cette love story fantastique made in Hong Kong déborde de folie et de grâce…

BAK FAT MOH LUI ZYUN

 

1993 – HONG-KONG

 

Réalisé par Ronny Yu

 

Avec Brigitte Lin, Leslie Cheung, Francis Ng, Elaine Lui, Kit Ying Lam, King-chei Cheng, Eddy Ko, Leila Kong, Lok-Lam Law, Fong Pau, Jeffrey Lau

 

THEMA SORCELLERIE ET MAGIE

Il est des films qui, plus que d’autres, cristallisent à eux seuls tout un pan du cinéma populaire. Jiang Hu, réalisé par Ronny Yu en 1993, en fait partie. Véritable condensé de tout ce que le cinéma hongkongais de la grande époque peut offrir de meilleur – virtuosité formelle, débordement émotionnel, romantisme lyrique, flamboyance martiale – cette adaptation très libre d’un classique du roman wuxia chinois (Baifa Monü Zhuan de Liang Yusheng) transcende son matériau pour livrer une fresque à la fois débridée, tragique et envoûtante. Au cœur de l’intrigue, Zhuo Yihang, disciple prodige mais hésitant du clan Wu Tang, se retrouve déchiré entre son devoir envers son école et son amour impossible pour Lian Nichang, redoutable guerrière au service d’une secte maléfique dirigée par une entité siamoise. Lui est l’héritier désigné d’un ordre ancien fondé sur la discipline et la tradition, elle est une orpheline ayant grandi au milieu des loups, élevée dans la violence et muée en instrument de vengeance. Mais sous leurs cuirasses respectives, les deux personnages aspirent à la même chose : fuir la guerre des clans, échapper aux chaînes du destin et s’aimer librement.

On pourrait croire à une simple variation asiatique de Roméo et Juliette, mais Jiang Hu nous transporte ailleurs. Car Ronny Yu se lance dans une relecture de la tragédie romantique nimbée de fantasmagorie et de combats martiaux. Le spectateur est ici transporté dans un monde en perpétuelle explosion, où les affrontements chorégraphiés à la perfection alternent avec des moments de grâce suspendue. La caméra virevolte, suit les corps dans leur ballet aérien, caresse les étoffes et épouse les élans du cœur avec une sensualité rarement égalée. Les décors baroques, les éclairages saturés, les mouvements de caméra acrobatiques confèrent au film une atmosphère unique, à la frontière du conte féerique et du manga. Tout semble ici volontairement stylisé à l’extrême : les cris, les gestes, les larmes et les rires. Peu féru de réalisme, Ronny Yu cède la place au symbolisme, à la théâtralité et à l’émotion brute. Parfaits dans les rôles principaux, Leslie Cheung (Histoires de fantômes chinois) et Brigitte Lin (Zu, les guerriers de la montagne magique) nous livrent des performances à fleur de peau. Tandis que Cheung incarne un héros tourmenté, écartelé entre fidélité et désir, Lin personnifie la douleur rentrée et la rage contenue. Rarement l’écran aura accueilli un couple aussi magnétique et tragiquement beau.

Grands écarts stylistiques

L’originalité de Jiang Hu réside aussi dans sa façon d’équilibrer la violence et le romantisme. Chaque moment de tendresse semble suspendu au bord d’un précipice, tandis que chaque explosion de violence est le fruit d’une blessure affective. Le film navigue constamment entre deux extrêmes : d’un côté une poésie visuelle presque naïve (les envolées lyriques, les métaphores florales, les serments d’amour éternel), de l’autre un imaginaire horrifique excessif (le corps difforme des siamois, les sorts diaboliques, les bains de sang stylisés). Ce grand écart, typique du cinéma de Hong Kong des années 90, constitue précisément ce qui fait le charme et la singularité du film. Jusqu’alors cantonné à l’action pure (Legacy of Rage avec Brandon Lee), Ronny Yu se réinvente ici en styliste lyrique, influencé autant par les opérettes chinoises que par le cinéma gothique européen. Son film s’inscrit dans la lignée des grands wuxia-fantasy du tournant des années 90, aux côtés des Histoires de Fantômes Chinois de Ching Siu-Tung, dont il reprend le sens du rythme, l’exubérance des combats et l’intensité mélodramatique. Ce sera son ticket pour Hollywood, puisqu’après The Phantom Lover (relecture du Fantôme de l’opéra, toujours avec Leslie Cheung) Yu enchaînera avec Magic Warriors, La Fiancée de Chucky et Freddy contre Jason.

 

© Gilles Penso

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LA MAISON DU DOCTEUR MOREAU (2004)

Après trois adaptations officielles produites par de grands studios, Charles Band s’attaque à son tour au roman d’H.G. Wells sous un angle très singulier…

DR MOREAU’S HOUSE OF PAIN

 

2004 – USA

 

Réalisé par Charles Band

 

Avec John Patrick Jordan, Jessica Lancaster, Peter Donald Badalamenti, Lorielle New, Ling Aum, B.J. Smith, Debra Mayer, Jacob Witkin, Laura Petersen

 

THEMA MÉDECINE EN FOLIE I SAGA CHARLES BAND

Depuis Blood Dolls en 1999, Charles Band, très accaparé par ses activités de producteur, n’avait guère eu l’occasion de repasser lui-même derrière la caméra. Certes, il y eut bien Puppet Master : The Legacy, mais ce film n’était qu’un « best of » se contentant de compiler des extraits des épisodes de la fameuse saga des poupées meurtrières. Pour son premier « vrai » film depuis cinq ans, Band souhaite effectuer un bond qualitatif et aborder un sujet fort. D’où l’idée de s’attaquer au roman LÎle du docteur Moreau de H.G. Wells, tombé dans le domaine public aux États-Unis. Mais au lieu d’une nouvelle adaptation du texte, Band demande au scénariste C. Courtney Joyner d’imaginer une sorte de suite. Ironiquement, Joyner signe depuis quelques années une grande partie de ses scénarios sous le pseudonyme Earl Kenton, en hommage au réalisateur de L’Île du docteur Moreau de 1932. La boucle est donc bouclée, d’autant que La Maison du docteur Moreau marque la fin de sa longue collaboration avec Band. Le casting est constitué de comédiens qui deviendront des familiers des productions Full Moon, comme John Patrick Jordan et Jacob Witkin (futurs héros récurrents de la saga Evil Bong), ou qui sont déjà habitués depuis longtemps aux films de la « famille » Charles Band, en particulier Debra Meyer, vue dans Blood Dolls, Voodoo Academy, Prison of the Dead, Micro Mini Kids, Stitches, Hell Asylum, Cryptz, Groom Lake, Speck, Decadent Evil et Gingerdead Man.

Le film se situe dans les années 1930. Eric « Kid » Carson (John Patrick Jordan), un jeune boxeur qui ne fait visiblement pas beaucoup d’étincelles sur les rings, est à la recherche de son frère, lequel s’est mystérieusement volatilisé sans laisser de trace. En compagnie de Judith (Jessica Lancaster), la fiancée du disparu, et de Mary Anne (Debra Mayer), une journaliste en quête de scoop, il mène sa petite enquête et file le train d’une strip-teaseuse, Aliana (Lorielle New), dont son frère s’était visiblement épris. Cette piste emmène le trio dans un ancien sanatorium jadis dédié au traitement de la polio et désormais abandonné. Là, ils tombent entre les griffes du docteur Moreau (Jacob Witkin), dont les expériences consistent à transformer les animaux en humains, et vice-versa. Si la femme-panthère Aliana est l’une de ses plus grandes réussites, on ne peut pas en dire autant du cochon humain Gallagher (Peter Donald Badalamenti), du colosse humanoïde mi-lion mi-hyène Peewee (B.J. Smith) ou de la malheureuse Gorgana (Laura Petersen) au faciès affreusement difforme. De toute évidence, Eric, Judith et Mary Anne seront ses prochains cobayes…

Dans les griffes de la femme-panthère

La photographie léchée du vétéran Mac Ahlberg apporte une véritable plus-value au film. Tourné en 35 mm – un luxe, quand la plupart des productions Full Moon ont depuis longtemps basculé vers la vidéo -, le long-métrage bénéficie d’une ambiance de film noir assez rare chez Charles Band, avec à la clé musique jazz, voitures d’époque et costumes des années 30. Le réalisateur-producteur frappe d’ailleurs fort dès les premières minutes, lorsqu’Aliana pousse un cri de panthère avant de transpercer le crâne d’un mafieux un peu trop entreprenant d’un coup de griffe ! Les effets spéciaux sont confiés à John Carl Buechler qui, comme toujours, s’en donne à cœur joie malgré les moyens limités, concoctant quelques humanimaux surprenants et même une poignée d’effets gore. Pour que la recette soit complète, Lorielle New assure au film son quota de nudité et d’érotisme, reprenant le flambeau des précédentes femmes-panthères (Kathleen Burke en 1932, Barbara Carrera en 1977 et Fairuza Balk en 1996), dans une version nettement moins pudique… et bien plus blonde. Afin de renforcer le caractère insolite du récit et de souligner le trouble qui habite ses personnages, Band use et abuse des cadrages obliques, reflets visuels de la folie ambiante. Certes, La Maison du docteur Moreau n’a rien d’un grand film et trahit sans cesse son budget anémique, mais il témoigne aussi d’une ambition sincère : celle d’élever, ne serait-ce que modestement, le niveau des productions Full Moon de l’époque.

 

© Gilles Penso

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LA FOLLE HISTOIRE DU MONDE (1981)

La préhistoire, l’antiquité, le moyen-âge, la Révolution française et même le space opera sont au menu de cette fresque signée Mel Brooks…

HISTORY OF THE WORLD PART I

 

1981 – USA

 

Réalisé par Mel Brooks

 

Avec Mel Brooks, Dom DeLuise, Madeline Kahn, Harvey Korman, Cloris Leachman, Ron Carey, Gregory Hines, Pamela Stephenson, Shecky Greene, Sid Caesar

 

THEMA EXOTISME FANTASTIQUE I DINOSAURES I DIEU, LES ANGES ET LA BIBLE I SPACE OPERA

En 1981, Mel Brooks est depuis longtemps considéré comme l’un des maîtres absolus de la parodie. Certes, les ZAZ sont venus empiéter sur son terrain de jeu avec Y’a-t-il un pilote dans l’avion ?, mais le père de Frankenstein Junior reste la référence en la matière. Il se lance donc un défi monumental : condenser l’évolution de l’humanité en un film comique débridé. Telle est l’ambition de La Folle histoire du monde, une fresque burlesque où se croisent des hommes préhistoriques surexcités, un Moïse dépassé par les événements, des empereurs romains libidineux, des inquisiteurs mélomanes, un roi de France obsédé par ses privilèges mais aussi des dinosaures et des vaisseaux spatiaux. Comme souvent chez Brooks, le projet naît d’une blague improvisée. « Je traversais le parking de la 20th Century Fox pour me rendre à mon bureau lorsqu’un des machinistes qui avait travaillé sur Le Grand frisson m’a interpellé depuis l’arrière d’un camion en me demandant : “ Hé Mel, c’est quoi la suite ? Tu prévois un gros projet ? “ », raconte-t-il. « Tout à coup, le titre le plus impressionnant auquel je pouvais penser m’est venu à l’esprit : “ Oui, le plus grand film jamais réalisé. Il s’appellera History of the World ”. Quelqu’un d’autre dans le camion a crié : “ Comment peux-tu couvrir l’histoire du monde entier dans un seul film ? ” Je lui ai répondu : “ Tu as raison. Je l’appellerai History of the World – Part I ” » (1) Voilà comment nait l’idée d’un faux premier volume, laissant croire à une suite inexistante.

Le film est conçu comme une série de sketches parodiant les grandes épopées hollywoodiennes. On y croise des hommes singes tout droit échappés de 2001 l’odyssée de l’espace, Moïse recevant les Dix Commandements (et en brisant par mégarde cinq supplémentaires), l’Empire romain, l’Inquisition espagnole transformée en comédie musicale façon MGM, et enfin la Révolution française. Brooks, bien décidé à s’amuser des deux côtés de la caméra, incarne pas moins de cinq rôles. Autour de lui gravite un casting habitué à ses délires : Dom DeLuise en César glouton, Harvey Korman en Comte de Monet, Cloris Leachman en Madame Defarge, ainsi qu’un nouveau venu : le danseur Gregory Hines, propulsé vedette après le retrait de Richard Pryor. La mise en scène adopte une logique de cabaret : gags visuels, jeux de mots, chansons, références absurdes, anachronismes assumés. On passe sans transition de la vulgarité la plus crasse (les Homo erectus « toujours debout ») aux clins d’œil lettrés (Œdipe aveugle mendiant dans les rues de Rome) en passant par les références cinéphiliques. L’humour ne s’embarrasse d’aucune limite : tout peut être détourné, de la liturgie biblique aux exactions de l’Inquisition. Brooks lui-même avouera avoir hésité sur cette dernière séquence, craignant la réaction du public. Mais il transforme la cruauté en comédie musicale somptueuse, avec décors immenses, ballets nautiques à la Esther Williams et showgirls surgissant de l’eau en candélabres humains. Le résultat est un sommet d’absurde et de mauvais goût assumé.

« It’s good to be the King »

La fameuse scène de Moïse brisant l’une des trois tables de la loi nait quant à elle d’un pur hasard. En contemplant le décor des cavernes préhistoriques, Brooks imagine soudain qu’elles pourraient devenir le mont Sinaï. Résultat : une séquence improvisée devenue culte. Autre héritage du film : la réplique « It’s good to be the King », lancée par Brooks en Louis XVI, entrée dans la culture populaire, transformée en morceau de rap au succès planétaire et même recyclée dans Sacré Robin des Bois. Quant à la parodie de Star Wars, « Les Juifs dans l’espace », elle recycle des bruitages du film de George Lucas et prépare le terrain pour La Folle Histoire de l’espace. Adepte du gag sous toutes ses formes, Brooks n’a jamais eu son pareil pour combattre l’antisémitisme en le ridiculisant. D’où cette relecture absurde des Dix Commandements, ce Torquemada d’opérette, ces rabbins spatiaux ou ce « Hitler on Ice » que nous promet la bande annonce finale. Avec son budget de 11 millions de dollars, le film coûte plus cher que les trois précédents Brooks réunis. Sorti le 12 juin 1981, le même jour que Les Aventuriers de l’Arche Perdue et Le Choc des Titans, il se retrouve en compétition frontale avec des blockbusters intimidants. L’accueil critique sera partagé. Si certains dénoncent un humour inégal, d’autres saluent l’audace et la générosité du spectacle. Certes, nous sommes loin du raffinement délicieusement absurde d’un Sacré Graal, mais la bonne humeur de Brooks et de ses complices finit par devenir communicative. Il faudra attendre 2023 pour voir surgir sur la chaîne Hulu History of the World Part II, une mini-série coproduite par Brooks, preuve que sa blague vieille de quarante ans avait encore du carburant.

 

(1) Extrait d’une interview parue dans le New York Times en juin 1981

 

© Gilles Penso

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