Pourquoi avoir choisi d’envoyer Mina à la place de Jonathan, et de transformer Lucy en narratrice ?
Dans ma narration, Dracula et Mina sont intimement liés par un amour qui, je pense, les dépasse tous les deux. Lui, le comte, parce que Mina est la réincarnation parfaite de celle qu’il a jadis aimé éperdument, et perdue, malgré sa force et sa distinction. Malgré son pouvoir et sa détermination. Ce qui l’a rendu profondément mélancolique (et donc humain, j’ai envie de dire !) Et elle, Mina, parce qu’elle est sous le joug du comte. Elle l’aime, mais d’un amour imposé, un amour improbable, au-delà du réel. Le fait de l’envoyer dans les Carpates, « dans la gueule du loup », permet de créer un lien très fort entre elle et le comte. Et de les isoler des autres (donc de Jonathan). La modernité peut venir en effet du personnage féminin, qui justement est mis en avant par rapport au roman où les rôles masculins me paraissent dominants… Ici, c’est la femme qui prend le pouvoir, alors qu’à cette époque, ce devait être tout le contraire. Elle voyage seule, elle rencontre le comte seule. Elle est émancipée, et en même temps, si elle y va, c’est avant tout pour une bonne cause : sauver l’entreprise familiale de la faillite… Jonathan ne pouvant se rendre auprès du comte, son père étant malade. C’est donc Mina qui s’y colle ! Mais derrière tout ça, il y a l’emprise du comte, qui peut manipuler les personnes à distance, en un rien de temps ! Et c’est contradictoire avec ce que je viens d’évoquer, à savoir la lenteur des transports, des courriers inhérents à cette époque… ! Oui, à cette période, tout est lent, mais c’est sans compter le pouvoir infini, au-delà des frontières, de Dracula ! J’ai envie de dire : Dracula, c’est internet avant l’heure ! Mina est obligée de se rendre au château du comte pour deux raisons en fait : la transaction immobilière sans laquelle l’avenir matériel et financier de sa famille s’effondre, et l’attraction terrible qu’exerce sur elle le comte à son insu… Il y a peut-être aussi là-dedans, un côté féministe avant l’heure ! Mon côté féminin qui parle à travers les héroïnes de cette adaptation ! Quant à Lucy, contrairement au roman, j’en ai fait la fille de Jonathan et Mina, conçue à la mort de Van Helsing. Elle est très jeune, innocente et sa curiosité enfantine la pousse à vouloir savoir tout de ce qu’il s’est passé là-bas, dans les Carpates… Selon moi, il était nécessaire de rester dans un « cocon familial », c’est pourquoi j’ai fait de Lucy, avant tout, la fille de Jonathan et Mina. Pour resserrer les liens entre eux, et pour avoir une approche « enfantine » et « innocente » de l’histoire. Seule une fillette de 7 ans peut avoir cette curiosité d’esprit, cet imaginaire par rapport aux évènements vécus par ses parents. Et puis il s’agit de changer la donne : habituellement, ce sont les parents qui lisent des histoires aux enfants pour les endormir… Ici, c’est Lucy, la fillette, qui dévoile l’histoire vécue par ses parents, avec justement ce côté « objectif » comme si ces derniers avaient été étrangers à tout ça. Elle décrit une réalité qu’elle n’a pas réellement connue, donc sans préjugés, sans intérêts. Et c’est ce type de narration qui va faire vivre l’histoire. Et c’est là mon intérêt ! Une histoire qui ici n’a pas lieu d’endormir les spectateurs, mais au contraire, de les tenir bel et bien éveillés !
Peux-tu nous parler des nouveaux personnages que tu as créés ?
Les deux principaux nouveaux personnages sont les « Bophreys », deux frères Siamois accrochés par le dos et les fesses, au service du comte Dracula, et qui tous deux ne s’entendent, mais alors, pas du tout ! Ce qui est difficile au vu de leur situation ! J’ai voulu ces personnages, pour leur étrangeté, pour apporter un côté encore plus mystérieux et surréaliste à la pièce, plus « baroque », bizarre, inattendu… et aussi pour la dose d’humour qu’ils amènent à la pièce, justement due au décalage qu’ils créent, en cassant quelque peu le côté « tragique et dramatique » du roman original. Il y a un peu de la « famille Addams » là-dedans ! Les Bophreys, ce sont la « soupape » de la cocote minute ! Ce sont peut-être eux qui nous font naviguer entre la réalité et le rêve. Le cauchemar et la comédie…