FANATIC (1965)

Avant de se marier, une jeune femme décide de rendre visite à la mère de son précédent fiancé… C’est une très mauvaise idée !

FANATIC / DIE ! DIE ! MY DARLING!

 

1965 – GB

 

Réalisé par Silvio Narizzano

 

Avec Tallulah Bankhead, Stefanie Powers, Peter Vaughan, Maurice Kaufmann, Yootha Joyce, Donald Sutherland, Gwendolyn Watts, Robert Dorning

 

THEMA TUEURS

Après Hurler de peur, Maniac, Paranoiac, Nightmare et Hysteria, la compagnie britannique Hammer décide de poursuivre dans la voie du thriller d’horreur psychologique hérité du double succès des Diaboliques et de Psychose. Fanatic est le premier de cette série à être tourné en couleurs, tournant ainsi le dos à l’approche très « film noir » de ses prédécesseurs. Étant donné que la grande majorité des artistes et des techniciens réguliers de la Hammer sont à l’époque sollicités par l’aventure épique La Déesse de feu, des nouveaux venus vont devoir s’atteler à Fanatic. C’est donc le cinéaste canadien d’origine italienne Silvio Narizzano qui hérite du film, signant là son premier long-métrage. Le scénario est l’œuvre du grand Richard Matheson (L’Homme qui rétrécit, Je suis une légende), qui adapte pour l’occasion le roman Nightmare d’Anne Blaisdell. Pour tenir la vedette du film, on sollicite la toute jeune Stefanie Powers, future héroïne de la série L’Amour du risque qu’on verra aussi dans Un nouvel amour de Coccinelle. Face à elle, la Hammer engage Tallulah Bankhead, une actrice du début du parlant dont la carrière fut surtout théâtrale et que les amateurs d’Alfred Hitchcock virent dans Lifeboat. Capricieuse, alcoolique, ingérable, Bankhead va donner beaucoup de fil à retordre au réalisateur débutant qui fera preuve d’énormément de patience pour pouvoir mener le tournage à son terme. La qualité de Fanatic n’en est que plus remarquable.

Le générique de début s’amuse avec le motif du chat et de la souris, mis en image selon les codes visuels graphiques et colorés chers aux années 60 (nous sommes alors en pleine période James Bond). Stefanie Powers joue Patricia Carroll, une jeune Américaine qui s’apprête à épouser Alan Glentower (Maurice Kaufmann), réalisateur pour la télévision anglaise. Mais avant de franchir le pas, elle ressent le besoin de rendre visite à Madame Trefoile (Tallulah Bankhead), la mère de son précédent fiancé Stephen, mort deux ans plus tôt dans un accident de voiture. La vieille dame est très avenante mais s’avère particulièrement bigote, citant Dieu, la Bible et l’église à tout va. Elle organise même des messes quotidiennes dans sa maison, auxquelles s’astreignent ses domestiques sans broncher (parmi lesquels on reconnaît un Donald Sutherland en début de carrière, dans le rôle d’un jardinier simple d’esprit). Plus étrange : Madame Trefoile parle à son fils décédé. Bientôt, nous comprenons qu’elle a décidé de remettre dans le droit chemin Patricia, considérée à ses yeux comme une brebis égarée.  La visite de courtoisie prend donc une tournure inattendue, pour ne pas dire inquiétante.

La couleur du diable

L’influence d’Alfred Hitchcock est plus que jamais lisible entre les lignes de Fanatic. On pense bien sûr à Psychose, si ce n’est qu’ici la mécanique narrative est inversée puisque c’est la mère qui est hantée par son fils décédé. Rebecca nous vient aussi à l’esprit, à travers l’intrusion d’un élément extérieur dans cette maison figée par le souvenir du trépassé. Les regards suspicieux des domestiques, à la dérobée, laissent entrevoir des secrets enfouis et beaucoup de non-dits. Et lorsque Madame Trefoile panique à la vision de la couleur rouge, symbole à ses yeux de la dépravation, du sang et du diable, c’est à Pas de printemps pour Marnie que le film semble se référer. Le jeu des couleurs met par ailleurs en évidence une autre influence, née de la vogue du giallo. Comment en effet ne pas penser à Mario Bava, et notamment à Six femmes pour l’assassin, dans cette pièce constellée de touches de couleurs saturées ? Parfaite en fanatique religieuse, Tallulah Bankhead nous offre de savoureuses séquences de confrontation avec Stefanie Powers, habituée à jouer les femmes de caractère. La future épouse que la jeune femme incarne n’est donc pas une proie facile, loin des victimes évanescentes qui caractérisent toute une frange du cinéma d’épouvante. Le piège se referme pourtant inexorablement sans laisser espérer d’échappatoire. La tension monte donc lentement mais sûrement dans cet excellent exercice de style qui s’affirme comme l’un des meilleurs de la série initiée avec Hurler de peur et Maniac.

 

© Gilles Penso

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MEGA SCORPIONS (2003)

À cause de déchets toxiques entreposés sur un terrain en construction, des scorpions mutent jusqu’à se transformer en monstres géants…

DEADLY STINGERS / MEGA SCORPIONS

 

2003 – USA

 

Réalisé par J.R. Bookwalter

 

Avec Nicolas Read, Marcella Laasch, Sewell Whitney, Sarah Megan White, John Henry Richardson, Stephen O’Mahoney, Trent Haaga, Lilith Stabs, Brinke Stevens

 

THEMA INSECTES ET INVERTÉBRÉS I SAGA CHARLES BAND

Au début des années 2000, le studio 20th Century Fox est à la recherche de petits films de genre pour alimenter son réseau de distribution vidéo et pense à Charles Band, grand spécialiste en ce domaine via sa compagnie Full Moon. Band, qui avait conclu un accord similaire avec Paramount, saute à pieds joints sur l’occasion et demande au scénariste C. Courtney Joyner de se mettre au travail. Ainsi naît le projet Stingers, rebaptisé Deadly Stingers, avec l’idée manifeste de remettre au goût du jour les films de monstres géants des années 50 tels que Des monstres attaquent la ville, Tarantula ou Le Scorpion noir. La Fox donne son feu vert et le scénario est retravaillé par J.R. Bookwalter, qui hérite de la mise en scène. Bookwalter est habitué aux productions Full Moon (il a dirigé Witchouse 2 et 3 et produit de nombreux films pour la compagnie), mais les conditions dans lesquelles se tourne Deadly Stingers (avec un budget d’environ 150 000 dollars) l’épuisent physiquement et nerveusement. « Je me suis retrouvé avec un scénario qui était beaucoup trop ambitieux par rapport au budget », raconte-t-il. « Il n’y avait pas assez d’argent, et je savais que les marionnettes de scorpions ne fonctionneraient jamais. Nous avons redoublé d’efforts sur le plateau pour essayer de les éclairer et de les cadrer en espérant qu’elles fonctionnent, mais c’était du temps perdu. Les graphistes ont donc fini par créer des plans qui n’existaient pas, et maintenant il y a peut-être dix plans de la marionnette et le reste est en images de synthèse ! » (1)

Le prologue du film nous montre des hommes en tenue antiradiations qui balancent des barils de déchets toxiques sur le site immobilier d’une petite bourgade américaine. À cause de ces dépôts illicites effectués depuis des années avec la bénédiction du maire corrompu de la ville (Jay Richardson), les scorpions commencent à muter jusqu’à atteindre des proportions alarmantes. La jeune Joey (Sarah Megan White) est ainsi témoin de la mort d’un camarade, réduit en charpie par l’un de ces arthropodes géants. Mais sa sœur aînée Alice (Marcella Laasch), qui dirige un centre de réinsertion pour jeunes en liberté conditionnelle, trouve son témoignage incohérent. Le shérif local n’y accorde pas beaucoup plus de crédit. Alors que les massacres se multiplient dans la ville, les résidents du centre de réinsertion vont devoir se serrer les coudes pour affronter les monstres de plus en plus nombreux et de plus en plus virulents…

Venin de jardin

Sans être honteux, le film accuse hélas sans cesse la faiblesse de ses moyens et semble avoir été tourné dans les maisons et le jardin de l’équipe. Les scorpions apparaissent furtivement, même si les images de synthèse fonctionnent plutôt bien (avec un petit côté saccadé qui leur donne presque les allures d’une animation en stop-motion, comme ceux d’Oblivion qui apparaissent ici dans un extrait vu à la télé). Le reste du temps, nous n’avons droit qu’à de brefs inserts d’une queue qui s’agite, de pinces ou de mandibules. Bookwalter se rattrape avec des effets gore bien saignants pour décrire les méfaits de ses créatures dont la vue subjective, sous forme de sept facettes hexagonales, s’inspire de toute évidence de La Mouche noire. Cela dit, même avec la meilleure volonté du monde, on imagine mal comment de telles bêtes sont capables d’entrer dans les maisons ou les coffres de voiture sans se faire remarquer. Ce n’est pas la moindre faiblesse d’un scénario qui assure le service minimum, cherchant pourtant à fouiller un peu ses personnages (l’ancien détective accusé du meurtre de sa femme, le junkie paranoïaque hanté par des « démons ») sans vraiment y parvenir. Le manque de conviction des acteurs ne facilite pas les choses. Face au résultat, le studio Fox déchante et décide de ne pas exploiter le film, qui reste donc dans un tiroir. Deadly Stingers atterrira finalement sur la plateforme de streaming de Full Moon sous un titre jugé plus accrocheur : Mega Scorpions. J.R. Bookwalter, lui, décidera d’arrêter là sa collaboration avec Charles Band.


(1) Propos extraits du livre « It Came From the Video Aisle ! » (2017)

 

© Gilles Penso

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NOVOCAINE (2025)

Un homme insensible à la douleur à cause d’une maladie génétique rare se retrouve confronté à trois gangsters violents…

NOVOCAINE

 

2025 – USA

 

Réalisé par Dan Berk et Robert Olsen

 

Avec Jack Quaid, Amber Midthunder, Ray Nicholson, Jacob Batalon, Betty Gabriel, Matt Walsh, Conrad Kemp, Evan Hengst, Craig Jackson, Lou Beatty Jr.

 

THEMA POUVOIRS PARANORMAUX

Dan Berk et Robert Olsen travaillent conjointement depuis les années 2010. Ensemble, ils ont signé le thriller Body, le film de vampires Stake Land II, la comédie horrifique Villains et l’aventure de science-fiction Une obsession venue d’ailleurs. Avec Novocaïne, ils passent à la vitesse supérieure en entrant dans la cour des grands, puisque les droits de leur cinquième long-métrage sont acquis par le studio Paramount, ce qui leur permet d’accéder à un budget confortable de 18 millions de dollars. Reprenant un principe voisin de celui du film indien Mard Ko Dard Nahi Hota de Vasan Bala, sorti en 2018, le scénario de Novocaïne est l’œuvre de Lars Jacobson (The Mother). Pour le rôle principal du film, Berk et Olsen n’ont qu’un seul nom en tête : Jack Quaid, sur la foi de sa prestation dans la série The Boys. « Le concept du film est cool, mais il fallait un acteur capable d’équilibrer le poids de la comédie et du drame », expliquent-ils. « Comme notre personnage ne ressent pas la douleur, Jack a dû réapprendre à encaisser les coups. Quand on fait mine d’être frappé dans un film, on grimace à cause de la douleur. Ici, il reçoit des coups mais ne les ressent pas. Comment peut-on être frappé sans réagir ? C’est une ligne difficile à suivre, physiquement et visuellement. C’était très excitant de voir tout cela se concrétiser. » (1)

Quaid incarne ici Nathan Caine, un homme introverti qui travaille comme directeur adjoint dans une banque à San Diego. Nathan a une particularité physique très rare : une insensibilité totale à la douleur due à une maladie génétique. Il doit donc prendre mille précautions quotidiennes pour éviter de se blesser sans s’en rendre compte. Lorsque sa collègue Sherry Margrave (Amber Midthunder) s’intéresse à lui, il hésite en raison de son état et de son manque d’expérience avec les femmes. Mais il finit par franchir le pas. Le lendemain matin, la veille de Noël, après une nuit torride qui laisse Nathan sur un nuage, trois voleurs déguisés en pères Noël et menés par le brutal Simon (Ray Nicholson) dévalisent la banque et prennent Sherry en otage. Soudain mû par un courage qu’il ne se connaissait pas, Nathan vole une voiture de police et se lance à leurs trousses, profitant de son insensibilité à la douleur pour se muer en une sorte de super-justicier…

Même pas mal !

Au départ, pour être honnête, on ne voit pas très bien comment le scénario va pouvoir tirer parti de la particularité physique de son héros pour tenir sur la longueur. Pour y parvenir, Novocaïne n’y va pas par quatre chemins et mue l’anomalie congénitale en un super-pouvoir (ou une capacité quasi-paranormale) permettant à son héros non seulement de ne pas ressentir la douleur mais aussi de passer outre les blessures de plus en plus spectaculaires que son corps subit. Partant de ce principe, les réalisateurs multiplient les scènes d’action inventives (le combat invraisemblable contre le tatoueur), les situations comiques absurdes (la confrontation dans une maison truffée de pièges digne de Maman j’ai raté l’avion) et les moments de suspense intenses (notamment au moment du climax). Très riche en rebondissements, l’intrigue empêche habilement les spectateurs de deviner où elle se dirige et comment tout ça va finir. Drôle, original, violent, mouvementé, Novocaïne souffre tout de même des tonnes d’incohérences qui le jalonnent et de son manque d’ambition narrative. Nous aurions en effet aimé que le scénario sache mieux exploiter son concept fou au-delà de son potentiel purement récréatif. Pour autant, avouons qu’on y passe un excellent moment. D’autant que nous n’avons pas tous les jours l’occasion de voir le fils de Dennis Quaid et celui de Jack Nicholson se coller des bourre-pifs !

 

(1) Extrait d’une interview parue dans JoBlo en décembre 2024

 

© Gilles Penso

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POPEYE THE SLAYER MAN (2025)

Après Popeye’s Revenge, le célèbre marin mangeur d’épinards est le « héros » de cet autre film d’horreur tout aussi improbable…

POPEYE THE SLAYER MAN

 

2025 – USA

 

Réalisé par Robert Michael Ryan

 

Avec Jason Robert Stephens, Sean Michael Conway, Elena Juliano, Angela Relucio, Sarah Nicklin, Mabel Thomas, Marie-Louise Boisnier, Scott Swope, Steven McCormack

 

THEMA TUEURS I MUTATIONS

Pauvre Popeye ! À peine le sympathique marin imaginé par E.C. Segar en 1919 (puis animé par les frères Fleischer à partir de 1933) tombe-t-il dans le domaine public que des trublions s’emparent de lui pour le transformer en émule de Freddy Krueger ou Jason Voorhees. Coup sur coup, deux films d’horreur aux budgets minuscules lui donnent ainsi la vedette : Popeye’s Revenge de William Stead et Popeye the Slayer Man de Robert Michael Ryan (en attendant a comédie noire britannique Shiver Me Timbers de Paul Stephen Mann). Cette seconde itération est signée par un habitué des micro-productions de genre, puisque nous lui devons Dark Revelations et Ouija Witch. Aussi improbable que ça puisse paraître, cinq personnes – dont le réalisateur – sont créditées au scénario. Ce n’est pourtant pas l’élément le plus saillant de ce tout petit film capitalisant plus sur l’effet de décalage (un personnage de comic strip comique se mue en tueur psychopathe) que sur la profondeur de son récit. Le script s’efforce malgré tout d’inventer un passé, une famille et des motivations à ce monstre fumeur de pipe et mangeur d’épinards. Mais à cette backstory près, Popeye the Slayer Man et Popeye’s Revenge pourraient quasiment s’appréhender comme deux épisodes d’une même série, tant les agissements du croquemitaine borgne et son allure générale se révèlent proches.

Nous sommes dans la petite ville d’Anchor Bay. Pour son projet d’études, Dexter (Sean Michael Conway), un jeune homme curieux et un brin rêveur, décide de tourner un documentaire sur une vieille rumeur locale : celle du « Sailor Man », une silhouette inquiétante qui hanterait les docks abandonnés depuis vingt ans, à la recherche d’un passé englouti. Armé de plusieurs caméras et accompagné de la discrète Olivia (Elena Juliano), pour qui il a du mal cacher son béguin, il embarque ses amis Lisa (Marie-Louise Boisnier), Katie (Mabel Thomas) et Seth (Jeff Thomas) dans l’aventure. Mais le temps leur est compté : un promoteur sans scrupules s’apprête en effet à raser les docks pour y ériger un projet immobilier. Le tournage doit se faire à toute vitesse avant que la démolition commence. La petite troupe entre donc par effraction dans les lieux, au milieu de la nuit, installe les caméras et commence à fouiller tous les recoins. Le « Sailor Man » existe-t-il vraiment ? Ils ne vont pas tarder à le découvrir à leurs dépens…

Nom d’une pipe !

Si le concept est parfaitement absurde (l’usine aurait fermé à cause d’une intoxication aux épinards contaminés qui sont à l’origine de la mutation de Popeye !), le ton du film reste très sérieux. Certes, quelques clins d’œil affleurent, comme l’apparition furtive d’une poupée de Winnie l’ourson (en référence manifeste à Winnie the Pooh : Blood and Honey), mais le film suit tranquillement la voie classique du slasher, avec les clichés de mise, notamment le vieil autochtone éméché qui met en garde les héros contre le croquemitaine et leur conseille de se tenir à distance des lieux où il sévit (conseil qu’ils s’empressent bien sûr de ne pas écouter). Raisonnablement efficace, la mise en scène joue régulièrement avec le motif visuel de l’ombre de Popeye, se dessinant en contre-jour à l’arrière-plan pour menacer les protagonistes. Si la routine est de mise (les personnages s’isolent dans l’ombre et sont assassinés à un rythme régulier), le film nous égaie grâce à son recours immodéré à des effets spéciaux gore « old school » excessif. Éviscérations, membres arrachés, têtes écrasées, scalp en gros plan, c’est une véritable orgie de latex et de faux sang. Plus original que son prédécesseur (qui se contentait de calquer son postulat sur celui de Vendredi 13), Popeye the Slayer Man s’apprécie donc sans ennui et s’achemine vers une fin très ouverte. Bientôt une suite ?

 

© Gilles Penso

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DOUBLE ASSASSINAT DANS LA RUE MORGUE (1932)

Bela Lugosi incarne un savant fou désireux de transformer un gorille en chaînon manquant dans cette adaptation très libre d’Edgar Poe…

MURDERS IN THE RUE MORGUE

1932 – USA

Réalisé par Robert Florey

Avec Bela Lugosi, Sidney Fox, Leon Ames, Bert Roach, Brandon Hurst, Noble Johnson, Betty Ross Clarke, D’Arcy Corrigan, Arlene Francis, Herman Bing

THEMA SINGES

 

Avant qu’Arthur Conan Doyle n’invente Sherlock Holmes, Edgar Allan Poe mettait en place tous les codes du roman policier avec sa nouvelle Double assassinat dans la rue Morgue écrite en 1841. L’ingénieux détective Dupin, ancêtre évident d’Holmes, y enquêtait sur des meurtres brutaux attribués à un singe dans les brumes d’un vieux Paris sinistre et oppressant (que Poe n’avait jamais visité, mais qu’il imagina, selon ses propres dires, « en rêve »). Après le tournage d’une bobine d’essai pour une version de Frankenstein qui ne se concrétisera pas (c’est finalement James Whale et Boris Karloff qui hériteront du projet), le réalisateur Robert Florey et l’acteur Bela Lugosi (alors encore auréolé du succès de Dracula) prennent à bras le corps l’adaptation de la nouvelle de Poe, tâche facilitée par le fait que Florey est familier avec la capitale française. Pour autant, le cinéaste ne cherche pas à filmer une reconstitution 100% réaliste de la ville. Bâtis en studio, ses décors sont encore sous influence de l’expressionnisme allemand, avec leurs toits tordus et leurs ombres menaçantes, même si certains détails comme les textures des façades et les pavés des rues restent fidèles à ce qu’était Paris au 19ème siècle. Et c’est dans ce cadre mi-crédible mi-onirique que va s’inscrire cette fable hantée par le mythe éternel de la Belle et la Bête.

La musique du générique est « Le Lac des cygnes » de Tchaikovsky, comme pour créer une filiation artificielle avec le Dracula de Tod Browning. Le seul véritable point commun entre les deux films est pourtant la présence de Lugosi, qui entre ici dans la peau d’un personnage bien différent du vampire transylvanien, mais tout autant inquiétant. Au cœur de la foire foisonnante qui se tient en plein Paris en 1845, alors que s’agitent pour les badauds des danseuses du ventre orientales et des apaches venus d’Amérique, l’attraction principale est Erik, le « gorille au cerveau humain ». Le sourcil touffu et le cheveu hirsute, Lugosi incarne le docteur Mirakle. « Je ne présente pas un monstre, une aberration de la nature, mais un des chaînons du développement de la vie », affirme-t-il avec emphase, avec son accent roumain si caractéristique, face aux visiteurs et aux curieux. Exalté, notre homme s’est mis en tête de mélanger le sang de son singe avec celui d’êtres humains afin de créer le chaînon manquant. Et pour y parvenir, il va lui falloir occire quelques jeunes femmes…

Un gorille dans la brume

Florey fait le choix surprenant d’alterner au montage les plans d’un homme dans un costume velu avec ceux d’un vrai chimpanzé pour donner corps à son singe, ce qui accentue le trouble sur la nature exacte de la créature. Comme tout savant fou qui se respecte, Lugosi est épaulé par un assistant contrefait qui répond au doux nom de Janos et possède lui-même des traits assez simiesques. Le motif de la Belle et la Bête se formule très tôt, dès lors que le singe dans sa cage montre un intérêt particulier pour Camille, la fiancée de Dupin (qui n’est pas ici détective mais étudiant en médecine). « Il sait reconnaître la beauté », dit alors fièrement Lugosi en parlant de son compagnon poilu. Cette attirance prendra les atours d’une course-poursuite finale préfigurant celle de King Kong avec un an d’avance, puisque le primate emportera la belle dans ses bras au moment du climax en grimpant sur les toits de la ville, pris en chasse par des autorités dépassées. La force de cette séquence finale est accentuée par la très belle photographie du chef opérateur Karl Freund, qui passera à la réalisation la même année à l’occasion de La Momie. Hélas, ce Double assassinat dans la rue Morgue n’aura pas le succès espéré et poussera Lugosi à glisser lentement mais sûrement vers les séries B de plus en plus anecdotiques. La nouvelle d’Edgar Poe connaîtra quant à elle plusieurs autres adaptations au cinéma et à la télévision.

 

© Gilles Penso

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THE MONKEY (2025)

Deux frères jumeaux héritent d’un jouet très curieux : un petit singe qui, dès qu’il joue du tambour, entraîne une mort violente…

THE MONKEY

 

2025 – USA

 

Réalisé par Osgood Perkins

 

Avec Theo James, Tatiana Maslany, Christian Convery, Colin O’Brien, Elijah Wood, Rohan Campbell, Sarah Levy, Osgood Perkins, Tess Degenstein, Danica Dreyer

 

THEMA JOUETS I SAGA STEPHEN KING

Découverte par les amateurs de Stephen King dans les pages du magazine Gallery au tout début des années 1980 avant sa réédition dans le recueil Brume, la nouvelle Le Singe est un petit concentré d’épouvante extrêmement efficace qui repose sur un concept simple: un jouet en forme de petit singe provoque la mort chaque fois qu’il frappe dans ses cymbales. En 1984, une adaptation officieuse à tout petit budget en fut tirée sous le titre Le Singe du diable. Mais il restait certainement une transposition de plus grande envergure à mettre en chantier. Grand spécialiste de King (Les Évadés, La Ligne verte), Frank Darabont acquiert les droits de la nouvelle pour en tirer un film dans la foulée de The Mist. Mais le projet n’aboutit pas. Il faudra presque attendre deux décennies pour que The Monkey se concrétise enfin, sous les bons auspices du producteur James Wan (The Conjuring) et du réalisateur Osgood Perkins (Longlegs). Savoir ces deux hommes à la tête du film est à priori de bon augure, si ce n’est que Perkins adopte deux partis pris surprenants : remplacer les cymbales du singe par un tambour (Disney possédant apparemment les droits du look original du jouet depuis Toy Story 3) et surtout traiter le récit au second degré. « J’ai pris un paquet de libertés », avoue-t-il ouvertement. « Les producteurs avaient un scénario beaucoup trop sérieux. Je leur ai dit que ça ne me convenait pas. La Mort vous va si bien fut l’un de mes références principales – ce genre d’horreur cartoonesque qui éclabousse. » (1)

Élevés par leur mère depuis que leur père a disparu sans laisser de trace, les frères jumeaux Hal et Bill Shelburn vivent une sorte de rivalité permanente, l’un étant sans cesse le souffre-douleur de l’autre, ce qui provoque un certain nombre d’humiliations pour le pauvre Hal, notamment dans l’école qu’ils fréquent tous les deux. Hal finit même par nourrir des envies de meurtres à l’encontre de son frère. Un jour, ils découvrent dans un placard contenant des affaires de leur père un carton portant une indication énigmatique : « tournez la clé et regardez ce qui arrive ». À l’intérieur se trouve un singe mécanique équipé d’un tambour. Par curiosité, ils tournent la clé mais rien ne se passe. Le soir-même, alors qu’il dînent dans un restaurant japonais avec leur baby-sitter, le singe se déclenche tout seul et commence à jouer du tambour avec frénésie. Aussitôt, le massacre commence…

Singeries

La tonalité choisie par Osgood Perkins est déstabilisante. Le montage est bourré d’ellipses provoquant des effets comiques efficaces et le gore éclabousse généreusement l’écran, à l’issue de réactions en chaîne qui ne sont pas sans évoquer la saga Destination finale. Cette approche au second degré est un choix d’autant plus assumé que le réalisateur s’auto-proclamme « spécialiste des morts insensées et spectaculaires ». Son père Anthony Perkins est en effet décédé du sida en 1992 et sa mère Berry Berenson était l’une des passagères du premier avion ayant heurté le World Trade Center en 2001. Au-delà de l’envie d’aborder le thème du jouet possédé sur un ton plus léger que les Annabelle et autres The Boy, le recours à l’humour noir aurait-il donc des vertus cathartiques, permettant à Osgood de tourner en dérision l’absurdité, l’inutilité et le caractère aléatoire de la mort ? Sans doute. Mais un tel parti pris n’est pas sans revers. En tournant le dos au potentiel effrayant du concept initial et en le tordant dans tous les sens pour y greffer des rebondissements invraisemblables, The Monkey finit par muer son histoire en simple défouloir sans âme. Pire : le sort des personnages nous importe peu puisqu’ils ne sollicitent aucune empathie chez les spectateurs. C’est tout de même un comble pour un scénario bâtissant son suspense sur la possibilité que chacun d’entre eux puisse trépasser à tout moment. Malgré les commentaires enthousiastes de Stephen King, louant les audaces du film, nous ne pouvons donc nous empêcher de sentir qu’Osgood Perkins est complètement passé à côté de son sujet.

 

(1) Extrait d’une interview publiée dans Empire en janvier 2025

 

© Gilles Penso

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MARY POPPINS (1964)

Il aura fallu près de trente ans pour que Walt Disney puisse convaincre P.L. Travers de lui céder les droits de ses romans… Il a bien fait d’insister !

MARY POPPINS

 

1965 – USA

 

Réalisé par Robert Stevenson

 

Avec Julie Andrews, Dick Van Dyke, David Tomlinson, Glynis Johns, Matthew Garber, Keren Dotrice, Hermione Baddeley, Reta Shaw, Reginald Owen

 

THEMA SORCELLERIE ET MAGIE

Sous l’impulsion de son épouse et de sa fille, Walt Disney tombe sous le charme du roman Mary Poppins et de ses suites, qui furent publiés à partir de 1934. La gouvernante magicienne qui en tient la vedette lui tape dans l’œil au point qu’il tente d’en acheter les droits d’adaptation dès 1939 auprès de sa créatrice la romancière Pamela L. Travers. Mais celle-ci refuse, persuadée qu’aucun film ne saura rendre justice à son œuvre. L’oncle Walt étant opiniâtre, il reviendra régulièrement à la charge. Ce n’est qu’au début des années 1960 que l’accord est enfin signé, à condition que Travers soit présente en tant que conseillère. Disney étant malin, il se réserve le droit du « final cut », que la romancière soit d’accord ou non avec le résultat final. Or Travers déteste une grande partie des choix artistiques du film, notamment l’édulcoration du caractère de Mary, la profusion de chansons et surtout la longue séquence dans laquelle les personnages évoluent dans un univers en dessin animé. En revanche, Walt et elle sont d’accord sur le casting de l’actrice principale : Julie Andrews. Disney l’a adorée dans « Camelot » à Broadway et accepte même de décaler le tournage pour lui laisser le temps d’accoucher. Andrews aurait préféré être sélectionnée pour tenir la vedette de My Fair Lady – un rôle qui échoit finalement à Audrey Hepburn -, mais elle n’aura pas à regretter ce « second choix. » Mary Poppins la rendra extrêmement populaire et lui permettra de remporter l’Oscar de la meilleure actrice.

La féerie s’installe dès l’entame du film. Tandis que la bande originale nous offre une compilation instrumentale des thèmes écrits par les frères Sherman, la caméra survole un Londres très graphique, le mot d’ordre esthétique du film étant la théâtralisation. D’où un tournage réalisé intégralement en studio, l’édification de décors volontairement excessifs (comme la bâtisse où vit l’amiral Bloom, dont le toit a les allures d’un navire) et le recours à des centaines de peintures sur verre signées Peter Ellenshaw pour prolonger les panoramas. Mary Poppins fait alors son apparition dans les cieux, accrochée à son parapluie/parachute, prête à bouleverser la vie de la famille Banks chez qui les nurses démissionnent les unes après les autres (la dernière en date étant incarnée par Elsa Lanchester, notre chère Fiancée de Frankenstein). Parallèlement entre en scène l’autre personnage clé du film (mixage de plusieurs amis de Mary Poppins dans les romans) : Bert (Dick Van Dyke), un musicien de rue qui assure la fonction de narrateur puisqu’il s’adresse directement aux spectateurs en les guidant pas à pas. Une sorte de miracle est en train de se préparer, nous annonce-t-il. Ses propos semblent autant annoncer les péripéties à venir que le futur gigantesque succès du film lui-même…

Le coup du parapluie

Pour s’opposer à la folie qui va bientôt s’installer dans le quotidien de la famille Banks, David Tomlinson est l’interprète idéal du banquier anglais des années 1910 à la vie bien rangée, au sérieux imperturbable, obsédé par l’ordre et allergique à toute idée de frivolité. Le choc avec l’arrivée de cette « sorcière bien aimée » aux allures de nounou bien comme il faut n’en sera que plus grand. Redoublant d’inventivité, les artistes du studio Disney sollicitent toutes les techniques d’effets spéciaux à leur disposition (oiseaux animatroniques, acteurs suspendus à des câbles pour défier la pesanteur, jouets animés en stop-motion, séquences projetées à l’envers, incrustations, caches, rotoscopie) pour pouvoir donner corps aux séquences les plus audacieuses du film. Le morceau de bravoure, en ce domaine, est sans doute le plongeon très poétique de nos protagonistes à l’intérieur d’un dessin à la craie sur un trottoir… qui les propulse dans un grand dessin animé, celui qui fit tant grincer des dents P.L. Travers. Mary Poppins regorge aussi de numéros musicaux devenus légendaires, de « A Spoonful of Sugar » (au moment où la chambre des enfants se range comme par magie) à « Supercalifragilisticexpialidocious » (dans le monde animé), en passant par « Chem-cheminée » (lors de la promenade sur les toits et dans les cieux londoniens), sans oublier la prodigieuse chorégraphie des ramoneurs qui fait office de climax mouvementé. Aujourd’hui encore, la magie du film opère. Pour l’anecdote, c’est en vistant le plateau de tournage que Robert Wiset et Ernest Lehman décidèrent immédiatement d’engager Julie Andrews pour tenir le rôle principal de La Mélodie du bonheur.

 

© Gilles Penso

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L’ENFER (1911)

Cette adaptation très ambitieuse de La Divine comédie de Dante nous immerge dans une série de tableaux macabres et surréalistes…

L’INFERNO

 

1911 – ITALIE

 

Réalisé par Francesco Bertolini et Adolfo Podovan

 

Avec Salvatore Papa, Arturo Pirovano, Giuseppe de Liguoro, Pier Delle Vigne, Augusto Milla, Attilio Motta, Emilise Beretta

 

THEMA DIABLE ET DÉMONS I MORT I MYTHOLOGIE

Le cinéma muet italien a démarré un peu plus tard que dans d’autres régions du monde mais s’est distingué très tôt par sa propension à dresser des reconstitutions spectaculaires ouvertes aux publics les plus larges. Pour y parvenir, les cinéastes transalpins de l’époque puisèrent souvent dans le folklore local et dans les classiques de la littérature italienne. D’où l’idée, en 1911, de s’attaquer à Le Divine comédie de Dante Aligheri, plus précisément à L’Enfer, les deux autres parties (Le Purgatoire et Le Paradis) ayant été jugées moins visuelles et moins attrayantes pour les spectateurs. Sous l’influence directe des gravures de Gustave Doré, qu’il s’efforce de reproduire avec un maximum de fidélité, L’Enfer de Francesco Bertolini et Adolfo Podovan mêle l’imagerie judéo-chrétienne et celle de la mythologie gréco-romaine avec une inventivité visuelle foisonnante et un déploiement de moyens conséquent. Tourné en 1908, principalement en studio, le film est racheté en cours de production par la société milanaise Milano Film qui initie un tournage additionnel en 1909 avec toute une série de nouvelles scènes filmées en extérieurs, ce qui n’est pas commun à l’époque. Il en résulte un film très atypique, dont l’ambition esthétique reste aujourd’hui encore très impressionnante.

Le film met en scène Dante lui-même (Salvatore Papa), égaré dans une forêt aux troncs épais où le menacent tour à tour un lion, une panthère et un loup. Le poète latin Virgile (Arturo Pirovano) intervient alors et le conduit jusqu’aux portes de l’Enfer. « Abandonnez tout espoir en entrant ici », lui dit-il. Tous deux s’apprêtent en effet à pénétrer dans des cercles de plus en plus profonds et de plus en plus effrayants. Leur odyssée dans les tréfonds de l’au-delà les amène à croiser Charon, le nocher des Enfers qui transporte les âmes égarées, le juge Minos, qui décide des châtiments des trépassés, le chien tricéphale Cerbère, les Gloutons soumis à des pluies infernales, le grimaçant Dieu Pluton au front cornu, une horde de mauvais esprits, les trois Furies, les blasphémateurs frappés par des pluies incandescentes, le dragon Geryon, les suicidés transformés en arbres qui saignent, les harpies qui volent sinistrement dans les cieux, des démons ailés et cornus armés de fouets et de fourches, des géants, et même Lucifer lui-même qui empoigne Judas pour le dévorer…

Le visage des damnés

Pour pouvoir visualiser les mille tourments des âmes damnées, L’Enfer met à contribution tous les trucages à sa disposition, mêlant aux astuces de Méliès (surimpressions, expositions multiples, câbles de suspension) une série de trouvailles techniques étonnantes. Des marionnettes grandeur nature donnent ainsi naissance à Cerbère et à Geryon, des costumes sophistiqués permettent de visualiser les Harpies et les hommes transformés en monstres reptiliens, la perspective forcée mue Pluton en titan et permet de faire interagir les protagonistes avec trois géants enchaînés, des caches prolongent les décors pour leur donner un caractère « dantesque ». Sans oublier une abondance de fumigènes et d’effets pyrotechniques. Cette recherche plastique permanente offre aux spectateurs des tableaux surréalistes, parmi lesquels on se souviendra des âmes qui volent dans les cieux, des centaines de corps qui agonisent au sol, surplombés par une pluie diluvienne et des rideaux de brume, des suppliciés enterrés par la tête dont les jambes s’agitent sous les flammes, ou encore du lac glacé duquel émergent à perte de vue des têtes humaines. L’Enfer n’hésite pas à basculer dans l’érotisme (les corps se dénudent allègrement) et l’horreur graphique (un supplicié porte à bout de bras sa tête décapitée qui hurle encore, un comte dévore la tête d’un archevêque). Sans doute les intertitres sont-ils trop chargés en textes, au lieu de laisser les images se suffire à elles-mêmes, mais le film frappe par l’ampleur de sa mise en scène et par une certaine modernité (les raccords dans l’axe, les mouvements de caméra). Ce sera d’ailleurs un immense succès en Italie.

 

© Gilles Penso

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L’INCROYABLE CRÉATURE DE L’ESPACE (1957)

Trois gangsters, une jeune femme kidnappée et un géologue se retrouvent dans la montagne face à une créature extra-terrestre…

THE ASTOUNDING SHE-MONSTER

 

1957 – USA

 

Réalisé par Ronnie Ashcroft

 

Avec Robert Clarke, Kenne Duncan, Marilyn Harvey, Jeanne Tatum, Shirley Kilpatrick, Ewing Miles Brown, Al Avalon, Scott Douglas

 

THEMA EXTRA-TERRESTRES

Si L’Incroyable créature de l’espace ressemble tant à un film d’Ed Wood, c’est parce que ce dernier fut officieusement sollicité comme consultant et coscénariste par la production. La petite compagnie Hollywood International Production n’alloue au réalisateur débutant Ronnie Ashcroft qu’un budget de 18 000 dollars, un planning de quatre jours de tournage et une équipe technique réduite à sa plus simple expression (un gaffer, un assistant, un caméraman et un preneur de son). Ashcroft lui-même s’occupe du montage dans son salon pour réduire les coûts de post-production. Difficile de faire des miracles dans ces conditions. Cette tentative maladroite de mélange de film de gangsters et de film de science-fiction n’a donc rien de franchement mémorable. En récupérant les droits de distribution, American International Pictures cherche tout de même à attirer un maximum de spectateurs. Un poster provocant est donc dessiné par l’artiste Albert Kallis (qui s’inspire d’une photo nue du mannequin Madeline Castle) et un titre racoleur est envisagé. Mais après réflexion, Naked Invader (« L’Envahisseuse nue ») est jugé un peu trop osé pour la censure de l’époque. On se rabat donc sur The Astounding She-Monster (« La Stupéfiante femme-monstre »), plus sagement traduit par L’Incroyable créature de l’espace lors de l’exploitation du film en France.

« Les astronomes et philosophes de l’antiquité pensaient que le futur était écrit dans les étoiles, et que le passé restait gravé sur le tableau noir du ciel », nous dit une voix off lyrique sur fond spatial. Nous apprenons alors qu’un conseil d’entités extra-terrestre décide de faire partir un émissaire depuis Antarès, étoile de la constellation du Scorpion, pour aller rendre visite à la Terre suite aux dangereux essais nucléaires effectués par les humains. Ce postulat, qui peut laisser espérer une intrigue brodant sur les mêmes thématiques que Le Jour où la Terre s’arrêta, n’est pourtant qu’un faux départ, car le reste de l’intrigue ne s’y réfère quasiment plus. La jolie extra-terrestre – en combinaison plus ou moins futuriste et au maquillage accentuant ses sourcils – qui émerge dans les bois, après la chute de la météorite qui la transportait, se contente en effet de se promener lentement dans la forêt sans prononcer un mot et d’irradier d’un simple geste de la main tous ceux qui s’approchent trop près d’elle. Bientôt, la visiteuse croise la route de trois gangsters, qui viennent de kidnapper une riche héritière dans l’espoir d’en tirer une juteuse rançon, et d’un géologue qui vit dans la montagne avec son chien…

« Les roues du destin tournent… »

Pendant la première partie du film, la voix off se sent obligée de commenter toute l’action avec une emphase exagérée, multipliant les formules du style « Les roues du destin tournent » ou « La haine a commencé à tisser sa mystérieuse toile. » Ce procédé pesant semble faire office de remplissage, car le premier tiers du métrage est quasiment dénué de son direct, multipliant les scènes muettes comme dans le calamiteux La Bête de Yucca Flats. Lorsque les gangsters, la kidnappée et le géologue se rencontrent, la mise en scène accuse soudain un statisme très théâtral. Presque tout se situe dès lors dans une cabane dans les bois, que Ronnie Ashcroft filme en plan large fixe tandis que les acteurs échangent des répliques banales et que l’action stagne dangereusement. Régulièrement, l’extra-terrestre campée par Shirley Kilpatrick fait une petite apparition pour tenter de nous égayer, mais elle n’a pas grand-chose à faire à part déambuler mollement. Comme en outre le dos du costume de l’actrice se déchire dès le premier jour de tournage et qu’il n’y a pas assez d’argent pour le remplacer ou le réparer, la malheureuse est contrainte d’effectuer d’étranges marches à reculons pour toujours rester face à la caméra ! On s’ennuie donc sérieusement dans ce film peu avare en dialogues scientifiques involontairement risibles (« Vu les rayons alpha et gamma qu’elle dégage, elle doit être en grande partie constituée de radium »). Dommage, car l’épilogue nous offre une petite révélation qui aurait pu emmener l’intrigue sur un terrain beaucoup plus intéressant.

 

© Gilles Penso

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CROCODILE (1979)

Suite à une série d’explosions nucléaires survenues en Thaïlande, un crocodile prend des proportions alarmantes et dévore tous ceux qu’il croise…

CROCODILE

 

1979 – THAILANDE / CORÉE DU SUD

 

Réalisé par Sompote Sands et Won-se Lee

 

Avec Nard Poowanai, Ni Tien, Angela Wells, Kirk Warren, Min Oo, Robert Chan Law-Bat, Hua-Na Fu, Bob Harrison, Wan-Ta Sha, Feng-Chien Tso, Nancy Wong

 

THEMA REPTILES ET VOLATILES

Crocodile (connu aussi en France sous le titre de Carnages) est le résultat d’une collaboration entre la Thaïlande et la Corée du Sud, initiée par le producteur Sompote Sangduenchai, plus connu à l’international sous le pseudonyme de Sompote Sands. Bien que ce dernier soit généralement cité en tant que réalisateur, il semblerait que la mise en scène de la version originelle ait en réalité été assurée par le cinéaste coréen Won-se Lee, sur la base d’un scénario rédigé par Su-jung Yeo et Yeol Yu. Quant à Sands, il s’est principalement consacré à la conception des effets visuels. Pour rendre le film plus attractif auprès du public américain, le producteur Dick Randall, figure emblématique du cinéma d’exploitation, s’est associé à Sompote Sands en 1981 pour intégrer de nouvelles séquences spécifiquement tournées en vue de la distribution outre-Atlantique. Trois versions de Crocodile existent donc. La toute première, officiellement signée par Won-se Lee et sortie en 1978, le montage américain, distribué par Herman Cohen et projeté en salles à partir de novembre 1981, et la version internationale (datée de 1979) qui propose davantage de nudité et de violence graphique (notamment une entrée en matière parfaitement gratuite au cours de laquelle le saurien géant dévore deux femmes topless).

Crocodile s’ouvre sur un cataclysme naturel s’abattant sur un petit village, réalisé avec des maquettes et de jolis effets atmosphériques, comme un plafond de nuages tourmentés ou un cyclone marin très spectaculaire. Le prétexte de ce désastre est une série d’explosions nucléaires survenues en Thaïlande et sur les côtes de la mer de Chine. Après la tempête qui a détruit une île, le docteur Tony Akom (Nard Poowanai) conduit sa famille à Pattaya. Mais les radiations ont fait croître démesurément un crocodile agressif (sous l’influence manifeste de Godzilla). Le monstre dévore l’épouse et la fille du docteur, puis décime un village touristique. Abattu, Akom décide alors de se venger et d’entreprendre la chasse au monstre. Il se fait aider par John Stromm (Min Oo) et par Tanaka (Kirk Warren), un pêcheur intrépide. Le film montre alors ouvertement sa vraie nature : un plagiat éhonté et extrêmement maladroit des Dents de la mer, le grand requin blanc étant remplacé par ce crocodile géant et mutant qui – allez savoir pourquoi – respecte un rituel qui le pousse à tuer tous les sept jours.

Massacre thaïlandais

La première partie du film alterne les scènes de plage, les attaques du saurien, les destructions du village et les préparatifs évasifs du héros (émule thaïlandais du capitaine Achab de Moby Dick) en vue de chasser l’animal. Le montage, chaotique, répète inlassablement les mêmes plans, dans une confusion assez pénible. Pour faire office de remplissage, le réalisateur intègre des scènes inutiles et d’un bon goût extrême, comme ce dépeçage en gros plan d’un crocodile dans une réserve (qui hérissera les poils de l’American Human Association, refusant catégoriquement de valider ce film). Le monstre vedette est alternativement un vrai crocodile, filmé au milieu de petites maquettes, et une gueule mécanique géante dans laquelle viennent se jeter ses victimes en criant. La seconde partie du film, conformément à son modèle, se déroule en mer où les trois héros traquent la bête à bord d’un bateau de pêche. Bien entendu, le loup de mer est finalement happé par les mâchoires du monstre, le bateau coule, et le monstre périt dans une explosion. Précisions que cette ultime déflgaration est due à un bâton de dynamite qui reste allumé sous l’eau pendant que le héros l’amène en nageant jusque dans la gueule du crocodile !

 

© Gilles Penso

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