LE GRAND INQUISITEUR (1968)

Vincent Price tient ici l’un de ses plus grands rôles, celui d’un chasseur de sorcières impitoyable qui sévit dans l’Angleterre du 17ème siècle…

WITCHFINDER GENERAL / THE CONQUEROR WORM

 

1968 – GB

 

Réalisé par Michael Reeves

 

Avec Vincent Price, Ian Ogilvy, Rupert Davies, Hilary Dwyer, Robert Russell, Nicky Henson, Tony Selby, Michael Beint, Bernard Kay, Beaufoy Milton

 

THEMA TUEURS

Très active à partir du milieu des années 60, la petite maison de production anglaise Tigon a souvent capitalisé sur des sujets d’horreur et de science-fiction. À la fin de la décennie, les mœurs se libèrent, la censure se relâche et de nouvelles histoires axées sur le sexe et la violence deviennent possible. Ainsi naît l’idée de produire un long-métrage consacré à la chasse aux sorcières et à l’inquisition. Michael Reeves, qui a réalisé La Sœur de Satan et La Créature invisible, se voit offrir le job. Malgré son jeune âge (24 ans) et le petit budget mis à sa disposition (moins de 100 000 livres), Reeves a de grandes ambitions et n’entend pas traiter le sujet à la légère. Le scénario adapte un roman de Ronald Basset, lui-même inspiré des exactions d’un inquisiteur bien réel qui se serait rendu responsable de la mort de plus de 300 personnes. Pour le rôle-titre, Reeves rêve de Donald Pleasence, mais le distributeur américain AIP, qui cofinance le film, lui impose Vincent Price, encore auréolé du succès du cycle d’adaptations d’Edgar Poe réalisé par Roger Corman. Ce choix va entraîner de nombreuses disputes sur le plateau. Reeves n’aime pas le jeu de Price, qu’il juge trop excessif, et l’acteur apprécie fort peu le manque de considération de ce jeune réalisateur qu’il trouve insolent. Malgré – où à cause de – ces tensions croissantes, cette collaboration à contrecœur accouchera d’un petit chef d’œuvre.

Le prologue du Grand inquisiteur est glaçant. Une femme est trainée par un groupe de villageois, tandis qu’un prêtre marmonne ses versets d’une voix monotone. La malheureuse est conduite jusqu’à une potence où elle est pendue. La scène est froide, réaliste, presque documentaire, accroissant le malaise provoqué par cette figure pourtant connue du cinéma d’épouvante. Nous sommes en 1645, dans une Angleterre déchirée par la guerre civile. Dans le petit village de Brandeston, le soldat Richard Marshall (Ian Ogilvy) profite d’une permission pour aller rendre visite à Sara (Hilary Dwyer), qu’il s’apprête à épouser avec la bénédiction de l’oncle de cette dernière, le prêtre John Lowes (Rupert Davies). Mais John a été accusé abusivement de sorcellerie par les villageois. L’inquisiteur impitoyable Matthew Hopkins (Vincent Price) débarque alors, flanqué de son cruel assistant John Streane (Robert Russell), et décide de vérifier s’il est effectivement un adorateur de Satan, quitte à employer la torture. L’engrenage de la violence et de l’horreur s’enclenche alors…

Les fanatiques

Remarquablement mis en scène par un jeune cinéaste au sommet de son art, Le Grand inquisiteur se hisse sans mal au niveau des deux mètres-étalons du genre que sont Les Diables et La Marque du diable. Vincent Price y est parfait, dans un registre moins grandiloquent que d’habitude, plus sobre, plus sérieux et beaucoup plus inquiétant. L’acteur reconnaîtra d’ailleurs après coup les qualités de directeur d’acteur de Reeves et oubliera ses rancunes. Le visage sévère, plein de duplicité et de perversions enfouies, il fait froid dans le dos à chacune de ses apparitions, se cachant derrière la loi pour justifier ses actes. Lorsque Sara accepte de le laisser abuser d’elle pour sauver son oncle, un malaise profond nous saisit. Son bras droit ne vaut pas mieux, incarné à merveille par un Robert Russell impressionnant sous la défroque de cet homme dépravé qui torture pour le plaisir et plonge dans le stupre avec délectation. Le fanatisme religieux est ici montré sous ses atours les plus hideux : la cruauté, l’hypocrisie, la manipulation, la frustration et la perfidie y jouent le coude à coude en un véritable catalogue de travers et de perversions. Une fois n’est pas coutume dans cette histoire de sorcellerie, l’horreur n’est donc pas surnaturelle mais désespérément humaine. Porté par une somptueuse musique orchestrale de Paul Ferris, Le Grand inquisiteur s’achève sur un final nihiliste qui fait froid dans le dos. Reeves ne pourra hélas pas transformer l’essai. Victime d’un mauvais dosage d’alcool et de somnifères, il s’éteindra quelques mois à peine après la sortie du film.

 

© Gilles Penso

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LA BELLE ET LA BÊTE (2017)

Emma Watson endosse la robe de Belle dans ce remake soigné mais vain du magnifique film animé de 1991…

BEAUTY AND THE BEAST

 

2017 – USA

 

Réalisé par Bill Condon

 

Avec Emma Watson, Dan Stevens, Luke Evans, Josh Gad, Kevin Kline, Hattie Morahan, Haydn Gwynne, Gerard Horan, Ray Fearon, Ewan McGregor

 

THEMA CONTES

Après le succès critique et financier du Livre de la jungle (2016), Disney s’engage dans une ambitieuse opération de recyclage live-action de ses grands classiques. Dans ce cadre, le remake de La Belle et la Bête s’impose comme une évidence stratégique. Le dessin animé de 1991, premier film d’animation nommé à l’Oscar du meilleur film, a marqué toute une génération. Remettre en image cette œuvre culte représente autant une opportunité commerciale qu’un défi artistique. Pour Dan Stevens (la Bête) et surtout Emma Watson, qui endosse les atours de Belle, c’est l’occasion de revisiter une icône intemporelle. La réalisation est confiée à Bill Condon, vétéran solide et éclectique (Dreamgirls, Twilight 4 & 5) et surtout amoureux des comédies musicales. L’objectif est clair : transposer fidèlement l’œuvre animée en prise de vue réelle, avec une très grosse ambition visuelle et une pincée de modernité. « Il ne s’agissait pas de réinventer le film original », explique Condon. « Mais en le transposant dans le monde réel, nous avons commencé à nous poser des questions qui n’avaient pas d’importance dans le film d’animation. Comment Belle et Maurice se sont-ils retrouvés dans ce village ? Que s’est-il passé avec sa mère ? Comment le Prince est-il devenu une figure aussi dissolue au point d’être maudit ? Je pouvais toujours m’appuyer sur ma propre révérence pour le film original afin de décider quoi changer sans aller trop loin. » (1)

Le tournage débute en 2015, sur fond de technologies avancées : la Bête est entièrement créée en images de synthèse, via un système de performance capture, tandis que les objets enchantés (Lumière, Big Ben, Mme Samovar…) sont conçus en animation numérique pure et dure. Alan Menken, déjà à l’œuvre en 1991, revient pour adapter ses mélodies mythiques et composer de nouveaux morceaux. Parmi eux, « Evermore », chanté par la Bête, tente de lui donner plus d’épaisseur émotionnelle, sans égaler le romantisme fragile de « Something There ». Emma Watson, très impliquée, impose une version moderne de Belle : une jeune femme indépendante, qui enseigne la lecture aux filles du village et refuse les avances de Gaston avec une fierté assumée. Si l’intention est louable, l’exécution demeure un peu scolaire. L’actrice semble en effet emprisonnée par la lourdeur du dispositif. Même constat pour la direction artistique. Luxuriante, presque écrasante, partagée entre les décors baroques du château et le village propret façon carte postale, elle nous offre une esthétique léchée tout en laissant s’installer un sentiment de distance.

Belle mais bête

Si le film de Condon est une indiscutable réussite visuelle, bien malin sera celui qui lui trouvera une âme. L’exécution est belle, certes, mais un peu froide et surtout vaine, pâlissant cruellement de la comparaison avec son extraordinaire modèle. De fait, même si Emma Watson fait manifestement du mieux qu’elle peut (en cherchant à s’éloigner du personnage d’Hermione Granger qui lui collait jusqu’alors à la peau) et si le travail des effets visuels reste impressionnant, la finesse, l’élégance et la pureté des dessins originaux font cruellement défaut à cette version, dont on ne comprend honnêtement pas l’intérêt artistique. Commercialement, c’est une autre histoire. Avec plus d’un milliard de dollars au box-office, La Belle et la Bête version 2017 est un succès éclatant… mais aussi un symbole. Celui d’un cinéma qui mise sur la nostalgie plutôt que sur l’inventivité, d’un remake qui reproduit sans transcender, d’un film techniquement irréprochable mais émotionnellement creux. Avec le recul, et face aux insipides Aladdin, Peter Pan et Wendy, La Petite sirène ou Blanche Neige qui lui succèderont, ce remake aura toutefois tendance à être réévalué à la hausse. Après tout, Bill Condon est un homme de goût au style raffiné, même si cela se voit peu dans le cadre d’un produit aussi formaté.

 

(1) Extrait d’une interview publiée dans Raising Whasians en mars 2017

 

© Gilles Penso

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UNTIL DAWN : LA MORT SANS FIN (2025)

Dans cette adaptation du jeu Playstation sorti dix ans plus tôt, un groupe d’amis se retrouve coincé dans une boucle temporelle horrifique…

UNTIL DAWN

 

2025 – USA

 

Réalisé par David F. Sandberg

 

Avec Ella Rubin, Michael Cimino, Odessa A’zion, Ji-young Yoo, Belmont Cameli, Maia Mitchell, Peter Stormare, Tibor Szauervein, Lotta Losten, Mariann Hermányi

 

THEMA MUTATIONS I VOYAGES DANS LE TEMPS

Avec Until Dawn, David F. Sandberg quitte l’univers des super-héros des deux Shazam ! pour revenir à l’horreur, son terrain de jeu originel (Dans le noir, Annabelle 2). Le scénario est co-écrit par Gary Dauberman (Ça, Annabelle) et Blair Butler (Hell Fest, Le Bal de l’enfer), dont la mission est de revisiter l’univers du jeu vidéo Until Dawn sans en faire une adaptation littérale. Plutôt que de calquer la trame du jeu, Sandberg opte en effet pour une nouvelle histoire ancrée dans le même univers. « Le jeu est déjà, en soi, un film de dix heures », explique le réalisateur. « Donc, pour moi, ça aurait été beaucoup moins intéressant si on s’était contenté de l’adapter fidèlement. On se serait retrouvé avec une version condensée, sans interactivité, et ça n’aurait tout simplement pas eu le même impact. » (1) Ce choix se reflète jusque dans le décor. Exit le chalet enneigé du jeu : ici, l’action prend place dans une maison isolée, nichée au fond d’une vallée sous une pluie battante. Le concept du film semble à priori être celui d’un slasher accommodé à la sauce Un jour sans fin, cocktail qui avait déjà fait ses preuves avec Happy Birthdead, mais dont Sandberg altère un peu la mécanique. Pour l’épauler, il s’entoure de trois de ses fidèles collaborateurs : le compositeur Benjamin Wallfisch, le directeur de la photo Maxime Alexandre et le monteur Michel Aller.

Clover (Ella Rubin), accompagnée de son ex Max (Michael Cimino), de ses amies Nina (Odessa A’zion) et Megan (Ji-young Yoo), ainsi que d’Abe (Belmont Cameli), le petit ami de Nina, part sur les traces de sa sœur disparue, Melanie (Maia Mitchell). Leur enquête les mène jusqu’à une station-service d’où Melanie avait envoyé son dernier message. Sur place, Clover fait la rencontre d’un étrange pompiste (Peter Stormare) qui l’avertit : des gens disparaissent régulièrement sur la route menant à une ancienne ville minière, Glore Valley. Intrigué, le groupe décide de s’y rendre, mais une pluie torrentielle les force à se réfugier dans une espèce de centre hôtelier. À l’intérieur, Abe tombe sur un mur couvert d’affiches de personnes disparues, parmi lesquelles se trouve Melanie. En fouillant les lieux, ils découvrent un passage menant à une étrange maison enfouie sous le bâtiment. C’est là qu’un mystérieux assaillant masqué, armé d’une pioche, surgit et les massacre un à un. Mais aussitôt après leur mort, ils reviennent tous à la vie…

Meurs un autre jour

Le film donne l’impression d’avoir été conçu comme un train fantôme aux allures de best-of des images d’Épinal de l’horreur : les lumières qui s’éteignent, le tueur masqué, la maison sinistre, la sorcière qui ricane, les clowns en peluche, les poupées de porcelaine, les monstres dans la forêt, la vieille VHS, les zombies, avec en prime des séquences de possession, de mutations et de cannibalisme. Bref, tout l’arsenal est convoqué. Ce côté patchwork évoque beaucoup les films de William Malone inspirés de William Castle (La Maison de l’horreur, 13 fantômes). Le scénario prend d’ailleurs la tournure d’une sorte d’escape game macabre. Étant donné que les personnages reviennent à la vie après chaque mort violente, l’enjeu dramatique s’en trouve considérablement dilué. D’où quelques répliques délicieusement absurdes, comme : « Je sais qu’on peut tous survivre, donc commençons par mourir. » Cette mécanique scénaristique vient du jeu vidéo Playstation lui-même, donc rien d’étonnant à ce principe de vies multiples et successives. Mais sans l’interactivité propre au jeu, l’implication du spectateur en prend forcément un coup. Quelques séquences horrifiques originales et spectaculaires ponctuent tout de même le film et ne se réfrènent pas sur le gore. Reste que l’exercice, un brin artificiel, finit par tenir le spectateur à distance. Until Dawn est donc sympathique, certes, mais pas très mémorable.

 

(1) Extrait d’une interview parue dans Screen Rant en février 2025

 

© Gilles Penso

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LE RETOUR DE FLESH GORDON (1990)

Le héros spatial parodique né en 1974 revient tardivement bander ses muscles dans cette séquelle graveleuse et déjantée…

FLESH GORDON MEETS THE COSMIC CHEERLEADERS

 

1990 – CANADA

 

Réalisé par Howard Ziehm

 

Avec Vince Murdocco, Robyn Kelly, Tony Travis, William Dennis Hunt, Morgan Fox, Bruce Scott, Maureen Webb, Stevie-Lyn Ray, Sharon Rowley, Blaire Kashino

 

THEMA SPACE OPERA

En 1974, Flesh Gordon détournait avec irrévérence le célèbre serial Flash Gordon, pastichant son sous-texte sexuel latent avec peu de moyens mais beaucoup d’idées (et un beau déferlement d’effets spéciaux conçus par quelques ténors de la profession alors en début de carrière). Face au succès de ce premier opus devenu instantanément culte, le producteur et réalisateur Howard Ziehm songe à lui donner une suite. À la fin des années 1970, il développe donc un projet baptisé The Further Adventures of Flesh Gordon (« Les nouvelles aventures de Flesh Gordon »), qu’il coécrit avec Carol Chassen. Cette fois, il vise une classification R (moins restrictive que le X du premier opus), espérant élargir son public. Mais le budget estimé dépasse vite les 1,5 million de dollars proposés par American International Pictures. Il faudra attendre les années 80 pour que le projet revive. Grâce à l’intervention du producteur canadien Maurice Smith, le film change de nom – Flesh Gordon Meets the Cosmic Cheerleaders (« Flesh Gordon rencontre les pom-pom girls cosmiques ») – et obtient enfin un financement solide, ainsi qu’une distribution internationale. Près de 17 ans après le premier opus, Ziehm peut enfin donner corps à sa suite. Si William Dennis Hunt reprend son rôle de dictateur maléfique, le reste du casting change intégralement. Et c’est le champion d’arts martiaux Vince Murdocco qui endosse le rôle-titre.

Des années après avoir libéré la planète Porno du joug de l’empereur Wang, Flesh Gordon est devenu vedette de cinéma et reproduit dans des films minables ses exploits passés. Alors qu’un accident interrompt l’un des tournages auxquels il participe, Flesh est kidnappé par quatre pom-pom girls à bord d’un vaisseau spatial et emmené sur une étrange planète récemment entrée dans le système solaire. Ces jeunes femmes, membres de la « Society of Cheerleaders to Rehabilitate Erections Worldwide », expliquent qu’elles ont besoin de son essence sexuelle vitale, car leur planète est frappée par un fléau d’impuissance. Pour secourir Flesh, Dale Ardor (Robyn Kelly) fait appel au Dr E. Jackull (Tony Travis), qui les conduit à bord de son vaisseau vers cette mystérieuse planète. Flesh est libéré, mais Dale est aussitôt capturé par la « Présence maléfique », un super-vilain redoutable qui projette de remplacer son propre pénis impuissant par celui de Flesh !

Des seins animés

Volontairement kitsch, ringard et stupide, Le Retour de Flesh Gordon assume tant sa bêtise et sa nullité qu’il en devient sympathique, presque recommandable. Le film a le mérite de ne pas nous tromper sur la marchandise avec ses gags à répétitions : un vaisseau spatial en forme de sein géant, un savant qui rêve de créer des poitrines démesurées, un système de pilotage à base de tétons qu’il faut lécher, un parachute en forme de soutien-gorge géant… Les créatures, conçues cette fois-ci par Jim Towler, se partagent entre des marionnettes (notamment un King Kong incontinent et un poulpe lubrique), et de nouvelles figurines en stop-motion. Parmi celles-ci, on note un extra-terrestre bipède aux yeux exorbités et un pénis sur pattes, animés tous deux par Lauritz Larson (qui donne parfois le sentiment d’être atteint de la maladie de Parkinson tant les mouvements des bestioles en question sont saccadés !). Quand ils n’ont pas des formes mammaires, les vaisseaux spatiaux sont phalliques (comme le démontre cet aberrant défilé d’engins volants pendant le générique de début), et les héros eux-mêmes n’échappent pas à ce festival d’absurdités. Flesh Gordon est donc un bellâtre en costume de carnaval victime de majorettes spatiales nymphomanes, sa fiancée Dale ressemble à une femme fatale des films noirs des années 40 jusqu’à ce qu’elle perde son apparente dignité et finisse par être jetée en pâture au poulpe cité plus haut, le docteur Jackull est un savant obsédé non seulement par les mamelles mais aussi par les poules… Bref, aucun excès n’est interdit. Une grosse partie de l’inventivité du premier Flesh Gordon s’est hélas envolé à l’occasion de cette séquelle tardive qui subira une salve de critiques assassines mais connaîtra un petit succès grâce à sa distribution en VHS puis en DVD.

 

© Gilles Penso

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LA LÉGENDE D’OCHI (2025)

Sur une île isolée d’Europe de l’est, une jeune fille découvre une petite créature sauvage et décide de la ramener à sa mère, envers et contre tous…

THE LEGEND OF OCHI

 

2025 – USA

 

Réalisé par Isaiah Saxon

 

Avec Helena Zengel, Willem Dafoe, Emily Watson, Finn Wolfhard, Razvan Stoica, Carol Bors, Andrei Antoniu Anghel, David Andrei Baltatu, Eduard Mihail Oaencea

 

THEMA CONTES

La Légende d’Ochi est le premier long-métrage d’Isaiah Saxon, figure atypique venue du monde des clips musicaux, où il a signé des œuvres marquantes pour Björk (« Wanderlust »), Grizzly Bear (« Knife ») ou encore Panda Bear (« Boys Latin »). Ses réalisations audacieuses mêlent marionnettes, animation et effets pratiques, dans l’esprit d’artisans comme Spike Jonze ou Michel Gondry. « J’ai passé une bonne décennie à écrire des films irréalisables, parce que mon objectif était de toucher les enfants », confie le cinéaste. « S’adresser à eux demande des moyens considérables, ce qui pousse les studios à privilégier des valeurs sûres : des franchises célèbres, des licences déjà établies, et des budgets colossaux. Autant dire qu’aucun de ces critères ne favorise l’émergence d’un jeune réalisateur aux idées étranges. Dans ce contexte, j’ai passé des années à écrire des scénarios bien trop coûteux pour l’étape où j’en étais dans ma carrière » (1) Tout change quand A24, studio habitué aux œuvres horrifiques et indépendantes, se laisse séduire par le projet de La Légende d’Ochi. Saxon envoie le scénario à Willem Dafoe, qui accepte en 48 heures. Suivront Emily Watson et la jeune Helena Zengel, révélée dans System Crasher. Pour boucler le financement, l’auteur/réalisateur approche les frères Russo, via ses amis Daniel Kwan et Daniel Scheinert, qui collaborèrent avec eux sur Everything Everywhere All at Once. Grâce à eux, AGBO injecte des fonds d’amorçage et le film entre en production.

Nous sommes sur l’île imaginaire de Carpathia, une terre rude peuplée de communautés agricoles isolées. Les anciens racontent qu’il ne faut jamais s’aventurer dans les bois après la tombée de la nuit à cause des Ochi, des créatures mystérieuses aux couleurs vives, proches du singe, qui poussent des cris aigus et échappent depuis toujours à la compréhension humaine. Maxim (Willem Dafoe), patriarche excentrique et autoritaire, dirige une milice d’enfants armés pour les traquer, sous prétexte de protéger les siens. Mais sa fille, Yuri (Helena Zengel), ne partage ni sa violence ni sa vision du monde. Solitaire et sensible, la jeune fille peine à trouver sa place dans une famille où son père privilégie clairement ses apprentis guerriers. Un soir, lors d’un repérage dans la forêt, elle découvre un bébé Ochi, piégé et blessé. Au lieu de l’achever, elle le soigne en cachette, touchée par sa vulnérabilité. Très vite, un lien unique se noue entre eux, fondé sur une langue étrange faite de sons perçants qu’elle apprend à comprendre. Décidée à le rendre à sa mère, Yuri s’aventure au-delà des frontières du connu, bravant la colère de son père, la traque de ses frères d’armes et les secrets enfouis de sa propre histoire…

L’appel de la forêt

Il y a du E.T. et du Gremlins dans cette histoire, indubitablement, mais contrairement à nombre de ses confrères emportés par un élan nostalgique, Isaiah Saxon ne cherche jamais à reproduire l’atmosphère ou les effets de styles du cinéma d’Amblin des années 80. Le style de son film est plus brut, plus sauvage, plus instinctif, beaucoup moins lisse que les contes familiaux habituels. Cette singularité est d’ailleurs parfaitement saisie par la bande originale du film signée David Longstreth. De fait, même si la petite créature vedette en évoque d’autres (le Mogwaï de Gremlins, le Grogu du Mandalorian), le lien qui se resserre entre elle et la jeune héroïne échappe aux canons du genre. Le film s’appuie beaucoup sur la qualité de ses effets spéciaux (combinant l’animatronique à l’ancienne et les effets numériques) pour mieux rendre crédible cet univers hybride partagé entre le réalisme « terrien » (cette communauté rurale qui patauge dans la boue en écoutant de vieilles chansons à la radio) et la fantasmagorie féerique (le repaire des créatures simiesques, sorte de relecture de l’île du crâne de King Kong reconstituée dans de magnifiques extérieurs roumains dont le chef opérateur Evan Prosofsky capte habilement la somptueuse photogénie). La Légende d’Ochi présente donc le grand mérite d’éviter les sentiers battus. Revers de la médaille : sa tonalité est tellement indéfinissable qu’elle peut jouer en sa défaveur, trop étrange pour séduire pleinement les jeunes spectateurs et pas assez adulte pour convaincre totalement les autres. Mais un film qui cherche à échapper aux diktats imposés par les « deal memos » des grands studios est toujours à marquer d’une pierre blanche.

 

(1) Extrait d’une interview publiée dans Filmmaker en avril 2025.

 

© Gilles Penso

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GINGERDEAD MAN 2 (2008)

Le bonhomme en pain d’épice psychopathe revient à la vie dans cette suite parodique qui permet à Charles Band de se moquer de lui-même…

GINGERDEAD MAN 2 : PASSION OF THE CRUST

 

2008 – USA

 

Réalisé par William Butler

 

Avec Kevan Moezzi, Kelsey Sanders, Joseph Porter, Frank Nicotero, Jon Southwell, Jacob Witkin, Michelle Bauer, Bruce Dent, Emily Button, Parker Young

 

THEMA SORCELLERIE ET MAGIE I SAGA CHARLES BAND I GINGERDEAD MAN

Scénariste du premier Gingerdead Man, William Butler se voit offrir par Charles Band l’opportunité de réaliser le second opus. Même s’il s’est éloigné entretemps des productions Full Moon pour développer avec un certain succès ses propres projets (les films d’horreur Madhouse et La Prison hantée, les scénarios des opus 4 et 5 de la franchise Le Retour des morts-vivants), Butler accepte sans hésiter. « Certains considéraient que ce retour chez Full Moon était une sorte de régression, mais pas moi », explique-t-il. « Si Charlie Band – qui m’a mis un toit sur la tête, m’a aidé à obtenir ma carte d’adhésion au syndicat des acteurs professionnels et m’a traité comme un roi pendant dix ans — me demande un projet, je le fais ! Je lui ai donc dit que j’étais partant, mais seulement s’il me laissait faire ce que je voulais, évidemment dans les limites du budget. Alors il m’a demandé ce que j’avais en tête, et j’ai dit que je voulais crucifier le Gingerdead Man. Sa réponse a été : “c’est du génie ! Fais-le !” » (1) Le prologue du film prend la forme d’un conte de fées déviant : un livre enchanté s’ouvre et la voix-off narre avec emphase les événements du premier film — l’histoire déjà absurde d’un tueur en série réincarné en bonhomme en pain d’épices. Une fois ce préambule expédié avec humour, le véritable spectacle peut commencer sur fond de « Run, Run, Run » d’Aimee-Lynn Chadwick, hymne rock qui accompagne une série d’affiches de faux nanars.

L’intrigue s’installe dans les studios Cheatum, autrefois fief du légendaire Rupert Cheatum, roi autoproclamé de la série B, aujourd’hui repris par son fils Kelvin, incarné par Kevan Moezzi. Ce dernier s’acharne à achever le tournage de Tiny Terrors 9 : Purgatory of the Petite, un film d’horreur fauché dans lequel une espèce de prêtre sataniste invoque cinq petits monstres, parmi lesquels un robot, un bébé monstre et une sorte de pénis monstrueux ! Au milieu des marionnettes défaillantes, des acteurs désabusés et des décors brinquebalants, nous voilà donc en pleine satire méta hilarante, dans laquelle Charles Band tourne littéralement sa propre carrière en dérision. Une bagarre éclate d’ailleurs sur le plateau à cause des conditions chiches dans lesquelles est réalisé ce film sur lequel quasiment personne n’est payé, tandis que le jeune producteur espère continuer à faire fructifier ses franchises et gagner de l’argent avec des jouets dérivés de ses films. C’est dans ce chaos que débarquent Tommy (Joseph Porter), un fan de cinéma en phase terminale, et son aide-soignante Heather (Kelsey Saunders), qui l’emmène visiter le studio. Or une assistante gironde (Michelle Bauer) vient apporter des biscuits pour toute l’équipe, y compris le Gingerdead Man qui, allez savoir pourquoi, a atterri dans sa boîte. Désireux d’intégrer un corps humain, le cookie diabolique se lance bientôt dans un rituel sanglant…

La dernière tentation du biscuit

« Gingerdead Man 2 aurait dû commencer par un avertissement du genre : “L’histoire que vous allez voir est inspirée de faits réels, seuls les noms ont été changés pour protéger les innocents” », raconte le créateur d’effets spéciaux Michael Deak. « Mis à part les marionnettes qui s’animent et les meurtres, c’est plus proche de la réalité que de la fiction. Certaines répliques viennent directement de notre expérience. » (2) Cette orientation autoparodique permet de varier les plaisirs sur un concept qui, dès le premier opus, semblait avoir déjà atteint ses propres limites. Le film bénéficie d’une mise en forme étonnamment soignée, et surtout du retour de Richard Band à la musique. Sa partition orchestrale et virevoltante confère une ampleur inattendue aux événements les plus absurdes. Autre retour bienvenu, celui de John Carl Buechler aux effets spéciaux – et devant la caméra cette fois, puisqu’il incarne le réalisateur dépassé de Tiny Terrors 9. Autour de lui, on retrouve plusieurs visages familiers du métier (Greg Nicotero, John Vulich, Michael Deak), venus jouer leur propre rôle. Même le réalisateur David DeCoteau passe une tête, introduit par un fan en ces termes : « Ses films sont connus pour leurs sensations fortes, leur concept d’horreur gothique originaux et leur homoérotisme subtil ! » Le « vrai » petit monstre se mêle aux « faux » – les marionnettes invraisemblables – dans un jeu de mise en abyme osé, tant le biscuit maléfique ressemble à ce qu’il est : un bout de caoutchouc sommairement animé par des techniciens hors champ. Les meurtres eux, versent dans le gore cartoonesque : œil pendouillant, fer à friser dans les fesses… jusqu’au moment où le cookie prend les commandes d’un robot pour attaquer ses victimes à coups de rayons laser ! Bref, c’est du grand n’importe quoi parfaitement assumé. Le climax achève de faire basculer le film dans le délire pur en parodiant La Passion du Christ de Mel Gibson, crucifixion et couronne d’épine à l’appui !

 

(1) et (2) Propos extraits du livre « It Came From the Video Aisle ! » (2017)

 

© Gilles Penso

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FOUNTAIN OF YOUTH (2025)

Un chasseur de trésors embarque sa sœur, son neveu et une petite équipe de chercheurs sur les traces de la légendaire Fontaine de Jouvence…

FOUNTAIN OF YOUTH

 

2025 – USA

 

Réalisé par Guy Ritchie

 

Avec John Krasinski, Natalie Portman, Eiza Gonzalez, Domhnall Gleeson, Arian Moayed, Laz Alonso, Carmen Ejogo, Stanley Tucci, Benjamin Chivers

 

THEMA EXOTISME FANTASTIQUE

Un film d’aventures exotico-fantastique avec Josh Krasinski et Natalie Portman sous la direction de Guy Ritchie ? Sur le papier, l’initiative était prometteuse. À l’écran, c’est une autre histoire. Car de toute évidence le réalisateur d’Arnaques, crimes et botaniques ou de Snatch n’a plus du tout la même niaque qu’autrefois. Notre homme est manifestement plus enclin à entrer dans les moules confortables du blockbuster familial (souvenons-nous de son laborieux Aladdin) qu’à bousculer les conventions filmiques comme il le fit en début de carrière. Quant à Krasinski (l’homme derrière la saga Sans un bruit) et Portman (qu’on ne présente plus), ils touchent leur chèque généreux en assurant le service minimum, bien conscients que ce téléfilm est formaté pour une plateforme de streaming, autrement dit qu’il s’adresse à un public peu exigeant à qui l’on offre le sentiment d’une satisfaction aussi immédiate (des têtes d’affiche, de l’action, des effets spéciaux, de l’humour, du dépaysement) qu’éphémère. De toute évidence, Fountain of Youth est un film qui se regarde distraitement puis s’oublie aussitôt. Dommage tout de même de voir un si beau potentiel et un tel budget (180 millions de dollars, tout de même) sacrifiés sur l’autel du « fast food filmique ».

Krasinski incarne ici Luke Purdue, un ancien archéologue déchu qui mène une vie de hors-la-loi rythmée par quelques coups d’éclat. En Thaïlande, il dérobe un mystérieux tableau à une organisation criminelle, déjouant au passage les plans de la troublante Esme (Eiza Gonzalez) et de ses sbires, bien décidés à mettre la main sur la toile. De retour à Londres, il débarque à l’improviste chez sa sœur Charlotte (Natalie Portman), conservatrice de musée en pleine procédure de divorce. Mais ce n’est pas pour renouer les liens familiaux : Luke s’empare d’un autre tableau dans le musée de Charlotte et l’entraîne dans une fuite aussi précipitée que périlleuse, épaulé par ses acolytes Murphy (Laz Alonso) et Deb (Carmen Ejogo). Sous le feu des questions de l’inspecteur d’Interpol Jamal Abbas (Arian Moayed), Charlotte perd son poste. Furieuse, elle confronte son frère dans sa planque, où elle rencontre Owen Carver (Domhnall Gleeson), magnat sans scrupules atteint d’un cancer incurable. Ce dernier finance l’expédition clandestine de Luke : une chasse au trésor ambitieuse sur les traces de leur défunt père, lui aussi explorateur. Leur objectif ? Retrouver la mythique Fontaine de Jouvence.

Les fables de la Fontaine

Il ne faut pas chercher bien loin pour comprendre quelles sont les sources d’inspiration de Fountain of Youth. Pour concocter son récit, James Vanderbilt puise tranquillement dans la franchise Indiana Jones et dans le Da Vinci Code. Capable du meilleur (Zodiac) comme du pire (Independence Day : Resurgence), le scénariste fait ici preuve d’une manifeste paresse d’écriture qui, au-delà d’un permanent effet de déjà-vu (qui culmine avec le plagiat pur et simple du climax d’Indiana Jones et la dernière croisade), démontre une fâcheuse tendance à prendre son public pour un imbécile. La preuve : une manie bizarre de répéter sans cesse les mêmes informations (combien de fois nous dit-on que Luke et Charlotte sont frères et sœur, que le mantra de leur père était de « préférer le voyage au butin », que leur commanditaire est gravement malade ?), comme si les spectateurs des films « à domicile » devaient être plus stimulés que les autres de peur qu’ils perdent le fil d’une intrigue pourtant filiforme. Ritchie tente bien de caviarder son film de séquences mouvementées pour faire bonne mesure (poursuites, cavalcades, fusillades, explosions), et montre un indéniable savoir-faire en ce domaine. Mais rien non plus que nous n’ayons déjà vu ailleurs. Et comme en outre la bande originale de Christopher Benstead est une véritable souffrance pour les oreilles, voilà qui ne facilite guère notre implication. Un coup dans l’eau, donc, malgré des prémisses pleines de promesses.

 

© Gilles Penso

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DOCTEUR JEKYLL ET LES FEMMES (1981)

Udo Kier incarne le célèbre médecin aux deux visages dans cette version sulfureuse et décadente du mythe créé par Robert Louis Stevenson…

DOCTEUR JEKYLL ET LES FEMMES

 

1981 – FRANCE / ALLEMAGNE

 

Réalisé par Walerian Borowczyk

 

Avec Udo Kier, Marina Pierro, Patrick Magee, Clement Harari, Howard Vernon, Gérard Zalcberg, Jean Mylonas, Eugene Braun Munk, Louis Colla, Catherine Coste

 

THEMA JEKYLL ET HYDE

Udo Kier fut tour à tour le docteur aux méthodes contre-nature de Chair pour Frankenstein et le vampire souffreteux de Du sang pour Dracula, sous la direction de Paul Morrissey. Pour faire bonne mesure, il endosse cette fois-ci la blouse du docteur Jekyll, dans cette variante tout aussi déviante du mythe classique, même si Walerian Borowczyk préfère au gore et aux effets de style du cinéma d’exploitation une exploration plus insidieuse et « ouatée » des travers humains. C’est en découvrant la comédie Sir Henry at Rawlinson End de Steve Roberts (1980) que Borowczyk choisit de solliciter l’acteur Patrick Magee (inoubliable dans Orange mécanique), et le directeur de la photographie Martin Bell. Mais le rythme de travail extrêmement lent de ce dernier ne convainc pas le réalisateur, qui le remplace au bout de trois jours par Noël Véry, l’homme qui mit en images pour lui Contes immoraux et Collections privées. Le titre souhaité par Borowczyk, Le Cas étrange du Dr. Jekyll et Miss Osbourne, mettait en avant la perspective duale du récit. C’est pourtant sous le titre Docteur Jekyll et les femmes, imposé par le distributeur UGC, que le film sortira en salle, au grand regret du réalisateur.

Dans le Londres du XIXe siècle, le haut du panier de la société londonienne se rend aux fiançailles du Dr Henry Jekyll (Udo Kier) et de Miss Fanny Osbourne (Marina Pierro). Les robes de soirées et les costumes élégants froufroutent dans une ambiance feutrée, la mère du fiancé esquisse une valse au piano en déclenchant des petites applaudissements polis, une jeune fille en ballerines offre à l’assistance quelques jolis entrechats. Bref, tout est propre et convenable. Pendant le dîner, la discussion s’anime un peu lorsque le docteur Lanyon (Howard Vernon) dénigre les théories scientifiques de Jekyll autour de la médecine transcendantale, qu’il juge fallacieuses. Soudain, les convives apprennent qu’une fillette a été violemment agressée dans la rue, à deux pas de chez Jekyll, par un inconnu qui l’a presque battue à mort et a tenté de la violer. Qui serait capable de telles horreurs ? Or l’obsédé sexuel responsable de cette agression s’est introduit dans la fête, transformant les fiançailles en un tourbillon cauchemardesque de meurtres et de débauche.  Le monstre reste insaisissable, puisqu’après chaque exaction, il redevient le très respectable Jekyll…

Mon double, ma femme et moi

La musique atonale de Bernard Parmegiani, couplée à une photographie cotonneuse, noyée dans une sorte de brume, comme pour évoquer les peintures de Wermer, contribue à bâtir une atmosphère angoissante et éthérée, presqu’irréelle. Après la scène d’agression glaçante qui ouvre le film, Borowczyk prolonge le malaise en insérant dans la soirée mondaine des Jekyll des images furtives de meurtres, d’agressions, de corps dévêtus et mutilés. Ici, la nudité et les actes sexuels sont à peine dissimulés (en ce domaine, on sait Borowczyk volontiers démonstratif). Hyde semble d’ailleurs posséder un pouvoir quasi hypnotique sur les femmes, comme en témoigne la soumission soudaine et langoureuse de la fille du général qui exulte sous ses assauts devant son père horrifié (un Patrick Magee qui excelle comme toujours dans le registre de l’excès théâtral). Le cinéaste semble surtout vouloir moquer la bourgeoisie guindée et son hypocrisie. Le film finit par brouiller les pistes avec la réalité, dans la mesure où son Jekyll s’inspire en partie de Robert Louis Stevenson lui-même et de ses addictions à la morphine et au laudanum. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si le nom que le scénario donne à sa promise (Fanny Osbourne) est celui de la vraie fiancée de l’écrivain. La séquence de suspense au cours de laquelle celle-ci espionne le bon docteur – qui sert de support visuel au poster du film – marque un point de non-retour dans l’intrigue, puisque c’est le moment où elle découvre son secret et où nous assistons à la métamorphose. Jekyll s’y plonge dans un bain de liquide coloré où il s’agite comme une bête. À l’issue de ce rituel qu’on peut interpréter comme un double symbole de naissance et de baptême (et que le réalisateur filme dans un étonnant plan-séquence fixe), il change d’apparence physique et de comportement. L’acteur Gérard Zalcbreg se substitue alors à Udo Kier avant de s’écrier avec une voix gutturale : « Remplis-moi de haine ! » C’est le prélude à un climax chaotique et violent. Au moment de sa sortie, Docteur Jekyll et les femmes remportera le prix de la meilleure réalisation au Festival du film fantastique de Sitges en 1981.

 

© Gilles Penso

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MISSION: IMPOSSIBLE – THE FINAL RECKONING (2025)

Dans cette suite directe du précédent volet, Ethan Hunt joue contre la montre pour empêcher un holocauste nucléaire…

MISSION : IMPOSSIBLE – THE FINAL RECKONING

 

2025 – USA

 

Réalisé par Christopher McQuarrie

 

Avec Tom Cruise, Hayley Atwell, Ving Rhames, Simon Pegg, Esai Morales, Henry Czarny, Pom Klementieff, Rolf Saxon, Angela Bassett

 

THEMA ESPIONNAGE ET SCIENCE-FICTION I SAGA MISSION IMPOSSIBLE

Ce huitième chapitre des aventures d’Ethan Hunt a la particularité de former un dyptique avec Mission : Impossible – Dead Reckoning, partie 1 sorti en 2023. Pourtant, suite à des résultats au box-office en deçà des attentes, la Paramount a pris la décision de ne pas l’intituler « partie 2 », lui préférant ce Final Reckoning, qui évitera à la fois de décourager les spectateurs ayant fait l’impasse sur le précédent et en attirera d’autres en suggérant qu’il pourrait s’agir de l’ultime volet de la saga initiée en 1996, en jouant même sur l’éventualité d’une fin tragique pour notre héros casse-cou. Après tout, même James Bond a fini par tirer sa révérence… The Final Reckoning entend donc reprendre les affaires là où nous les avions laissées deux ans auparavant. Hélas, ce qui aurait dû permettre de commencer sur les chapeaux de roue s’avère en fait un frein à l’action : afin de ne perdre personne en route, on nous offre d’entrée de jeu un résumé en bonne et due forme, à la façon d’un épisode de série TV (les fameux « previously on »). Dans le film précédent, nous déplorions l’aspect trop didactique des dialogues. Le reproche vaut toujours et les choses ont même empiré puisque McQuarrie ajoute cette fois de réguliers flashbacks (de tous les films, sauf le second) en mode « best of Tom Cruise ». Plus ennuyeux encore, cette exposition parvient à simplifier les enjeux présumés complexes du déjà très long épisode précédent, à savoir : Ethan Hunt a mis la main sur les deux morceaux d’une clé permettant d’accéder au code original de l’Entité (l’Intelligence artificielle qui menace la survie de l’humanité), laquelle se trouve dans l’épave d’un sous-marin nucléaire gisant au fond de l’océan arctique. Beaucoup de bruit pour rien sur le plan dramatique ! La mission dEthan Hunt, « sil laccepte », consiste donc à récupérer le disque dur contenant lEntité puis den décharger le contenu dans un serveur situé en Afrique du Sud le programme sera à jamais prisonnier hors-ligne.

Bien sûr, le chemin sera parsemé d’embûches, et si McQuarrie avait réussi dans Rogue Nation et Fallout à écrire des scènes d’action aussi imaginatives que spectaculaires, il s’applique avant tout ici à relier les points d’un dessin dont on devine très vite les contours, maitrisant parfaitement le concept de la loi de Murphy afin que les complications et retournements de situation surviennent toujours au moment opportun, créant par là-même un suspense très artificiel. Une critique applicable en particulier au morceau de bravoure sous-marin à mi-parcours : à moins d’être ablutophobe, difficile en effet de craindre pour la vie d’Ethan Hunt, d’autant que les qualités d’apnéiste de son interprète sont amenuisées par des coupes régulières au montage et que la scène, tournée dans un décor immergé en studio, ne se distingue pas forcément de ce qu’on a pu voir par exemple dans Demain ne meurt jamais. Pire encore, la fameuse scène du biplan, sur laquelle reposait toute la promotion de Final Reckoning, est certes absolument dingue à l’écran (le format IMAX ajoute beaucoup au spectacle) mais… elle semble appartenir à un autre film : tranchant sur le plan visuel avec tout ce qui a précédé, qui se voulait sombre et claustrophobe, voilà que le climax nous emmène virevolter dans un ciel azur sans nuages au-dessus de paysages verdoyants paradisiaques détournant presque l’attention de l’action, d’autant que l’on a plutôt l’impression d’assister à un show aérien et quEthan Hunt semble s’escamoter au profit de la star Tom Cruise. Une entame de la suspension d’incrédulité accentuée par toutes les vidéos promos qui inondaient la toile plusieurs mois avant la sortie du film et dans lesquelles l’acteur aux mâchoires de fer, à trop vouloir montrer qu’il conservait tout son « cool », même accroché à une aile d’avion, a fini par quelque peu démystifier lui-même ses propres exploits.

 MI-8 : MI-figue, MI-raisin

S’agissant présumément du dernier Mission Impossible en raison de son titre quelque peu roublard, McQuarrie et Cruise cherchent à orchestrer le point d’orgue de la saga et convient tous les anciens à la fête. On retrouve ainsi Angela Bassett, promue ici au rang de présidente des États-Unis (une prédiction ratée de l’élection de Kamala Harris ?), mais après Henry Czerny, le retour d’un autre personnage très secondaire du film original laisse quelque peu perplexe. Cette volonté de raccrocher tous les wagons s’avère encore une fois aussi artificielle qu’inutile pour un film déjà (trop) long. Paradoxalement, McQuarrie développe certains personnages qui n’en demandaient pas tant, alors qu’aucune mention n’est faite d’Ilsa (Rebecca Ferguson), disparue dans l’épisode précédent et remplacée au pied levé par Grace (Haley Atwell) dans le cœur d’Ethan Hunt, sans que cela ne surprenne grand-monde. Même le méchant Gabriel (Essai Morales) passe la majeure partie du temps sur la touche et ne semble avoir été retenu que pour offrir un adversaire à Ethan Hunt lors de la scène finale. Étrange également que le fait qu’il ait tout de même tué la première petite amie de ce dernier ne semble plus vraiment être au centre de leur antagonisme. Où est passé le scénariste rigoureux de Usual Suspects, Way of the Gun ou Jack Reacher ? Et que dire de ces tunnels de dialogue où chaque personnage se livre chacun son tour à une petit monologue théâtral et prophétique, même en présence d’une bombe menaçant d’exploser d’une seconde à l’autre ? Quant à McQuarrie-réalisateur, il opère là encore des choix surprenants en rappelant parfois l’ambiance des adaptations des romans de Tom Clancy (la franchise Jack Ryan) mais en reprenant aussi une esthétique évoquant les productions Bruckheimer, voir notamment ces images apocalyptiques de missiles nucléaires fondant sur les monuments iconiques des grandes capitales que Michael Bay n’aurait pas reniées, mais aussi les scènes dans le centre de contrôle de l’armée ou ces plans de porte-avion américain. The Final Reckoning ne retrouve jamais l’équilibre subtil entre grand spectacle et scénario au cordeau qui faisait tout le sel de Rogue Nation et Fallout. On regrettera particulièrement la pirouette commerciale consistant à avoir scindé l’histoire en deux, là où un seul film délesté de certains dialogues et personnages secondaires se serait avéré plus dense et digeste. McQuarrie continue de servir l’image et l’ego de son acteur/producteur, au détriment de l’intégrité du film. Il était question à l’origine que chaque film soit réalisé par un réalisateur différent qui apporterait sa sensibilité et son style, mais Tom Cruise en aura finalement décidé autrement. Il est pourtant probablement temps d’apporter un regard neuf sur la franchise, qui pourrait commencer à ressembler à une variante de Fast & Furious par certains aspects, en particulier la place un brin vaniteuse que s’y s’accorde leur star principale.

 

 © Jérôme Muslewski

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ANTS – L’ATTAQUE DES FOURMIS TUEUSES (1977)

Un téléfilm très moyennement palpitant dans lequel des insectes mutent à cause de la pollution et se mettent à attaquer la population…

ANTS ! / IT HAPPENED AT LAKEWOOD MANOR

 

1977 – USA

 

Réalisé par Robert Scheerer

 

Avec Robert Foxworth, Lynda Day George, Gerard Gordon, Bernie Casey, Suzanne Somers, Myrna Loy, Barry Van Dyke, Karen Lamm, Anita Gillette, Steve Franken

 

THEMA INSECTES ET INVERTÉBRÉS

À la fin des années 1970, les petits écrans américains se prennent de passion pour les petites créatures hostiles. Après avoir signé Quand les abeilles attaqueront en 1976, le scénariste Guerdon Trueblood enchaîne rapidement avec Ants ! – initialement titré It Happened at Lakewood Manor – pour le réseau ABC. Trueblood poursuivra d’ailleurs dans cette veine avec Tarantulas: cargo de la mort (1977). La réalisation est confiée à Robert Scheerer, vétéran de la télévision américaine. Le tournage, mené à un rythme soutenu pour coller aux contraintes télévisées, mobilise un casting solide : Robert Foxworth, Lynda Day George et Bernie Casey en sont les têtes d’affiche. Une autre actrice, pourtant secondaire au moment du tournage, va rapidement voler la vedette à tout le monde : Suzanne Somers. Terrifiée par les insectes, Somers doit surmonter sa phobie pour tourner des scènes entières recouverte de fourmis vivantes. Ce défi finira par devenir l’image iconique du film : lorsque Ants ! sort en vidéo, la jaquette met en avant une photo de l’actrice cernée d’insectes. Entre-temps, Vivre à trois, sitcom dans laquelle elle incarne Chrissy Snow, devient un succès fulgurant, et propulse Somers sur le devant de la scène. Lors de l’exploitation du film en vidéo, toute la communication est rajustée pour la mettre en tête d’affiche. En France, le film est d’abord diffusé sous le titre Les Fourmis, avant de ressortir en VHS dans les années 80 sous un nom plus percutant : Ants – L’attaque des fourmis tueuses.

Autour du paisible Lakewood Manor, une pension de famille en bord de mer, les fondations d’un projet immobilier vont bientôt réveiller un cauchemar. Tandis que Tony (Gerald Gordon) et Gloria (Suzanne Somers) tentent de convaincre la propriétaire de vendre pour y bâtir un complexe luxueux, un chantier voisin met au jour une colonie de fourmis, rendues anormalement agressives par une accumulation d’insecticides enfouis dans le sol. Rapidement, les incidents se multiplient : deux ouvriers sont retrouvés gravement intoxiqués après avoir été ensevelis sous un monticule de terre. Le contremaître Mike Carr (Robert Foxworth) et son collègue Vince (Bernie Casey) découvrent avec stupeur qu’ils présentent un taux de toxines inhabituellement élevé. Alors que l’un d’eux succombe, d’autres victimes suivent : un enfant échappe de peu à une attaque, un cuisinier est retrouvé mort dans sa cuisine, envahie par des fourmis surgies des canalisations. Alerté par cette série d’événements tragiques, Mike tente de convaincre les responsables de la menace grandissante. Mais son avertissement reste lettre morte, jusqu’à ce qu’il décide de détruire la fourmilière avec un bulldozer. L’effet est immédiat… et catastrophique : les millions d’insectes dérangés se ruent vers l’hôtel, piégeant ses occupants à l’intérieur.

À pas de fourmis

Produit typique de la vague des téléfilms catastrophes des années 70, Ants aligne tous les poncifs du genre sans jamais vraiment réussir à les transcender. Réalisé avec application mais sans inspiration, le film déroule cette invasion de fourmis tueuses avec une platitude désarmante, où ni l’urgence ni l’effroi ne parviennent à s’installer durablement. Les insectes, pourtant censés être au cœur de la menace, sont filmés sans panache, et sont remplacés dans les plans larges par une multitude de points noirs inertes qui n’entretiennent pas vraiment l’illusion. Le rythme, d’une lenteur presque soporifique, n’aide pas à faire monter la tension. Les protagonistes, réduits à des archétypes interchangeables, réagissent de manière si prévisible qu’on peine à s’inquiéter pour eux. Parmi les scènes réussies, on notera les pales d’un hélicoptère qui projettent dans des nuages de poussière une multitude de fourmis sur une foule affolée, ou encore le climax au cours duquel les héros sont assis, immobiles, respirant dans un tuyau et recouverts d’insectes en attendant les secours. Mais ces petites fulgurances ponctuelles ne suffisent pas à donner du mordant à cette série B trop sage, bien loin de la folie jubilatoire de L’Empire des fourmis géantes de Bert I. Gordon, sorti la même année.

 

© Gilles Penso

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