PAUVRES CRÉATURES (2023)

Et si le Prométhée moderne donnait naissance à une merveilleuse femme libre, joyeuse et aimée ?

POOR THINGS

 

2023 – IRLANDE / GB / USA

 

Réalisé par Yórgos Lánthimos

 

Avec Emma Stone, Willem Dafoe, Mark Ruffalo, Ramy Youssef, Jerrod Carmichael, Christopher Abbott, Margaret Qualley, Kathryn Hunter, Hubert Benhamdine

 

THEMA MÉDECINE EN FOLIE

Lorsqu’il découvre le remarquable livre « Pauvres créatures » de l’artiste peintre et romancier écossais Alasdair Gray, sorti en 1992, Yórgos Lánthimos part à la rencontre de l’auteur pour obtenir les droits d’exploitation de cette version alternative du « Frankenstein » de Mary Shelley. Gray connaît son film Canine et l’a apprécié. L’accord est donc passé entre les deux artistes férus d’humour et de surréalisme. Malgré le potentiel de l’ouvrage, le film met du temps à se monter. Gray, décédé entretemps, n’aura pas eu le bonheur de découvrir ce splendide monument, déjà couronné du Lion d’or à la Mostra de Venise, et qui offre un rôle de rêve à son actrice principale. En effet, si le roman éponyme explorait de nombreux thèmes tout en conservant son ton et son humour, le réalisateur a choisi avec son scénariste de prédilection, Tony McNamara, de se focaliser sur le personnage de Bella Baxter. Envisager son histoire par le prisme de la créature est aussi une façon de se rapprocher de l’idée novatrice en son temps de Mary Shelley. Non seulement les correspondances entre les narrations y sont multiples mais elles font aussi écho avec la propre vie de l’écrivaine dont la mère, Mary Wollstonecraft, femme de lettres pionnière engagée pour la cause des femmes, est décédée quelques jours après sa naissance. Dans le film, Bella possède le corps d’une femme enceinte qui vient de se jeter volontairement d’un pont. Tout en respectant son choix d’en finir, le docteur Godwin Baxter (William Dafoe) veut lui donner une chance de transcender l’irréparable en lui implantant le cerveau de son propre bébé encore en vie. 

A contrario du monstre de Frankenstein, Bella Baxter est une expérimentation réussie qui dépasse les espérances du chirurgien, dont les pratiques évoquent également celles du docteur Moreau. Devenu à la fois tuteur et créateur, celui que Bella appelle God/Dad s’est attaché à elle au point que lorsqu’elle souhaite quitter le nid protecteur pour parcourir le monde avec un avocat coureur de jupons (Mark Ruffalo), il s’oblige à respecter encore sa volonté et son libre-arbitre. A noter qu’au-delà du jeu de mot, Godwin est aussi le prénom du père de Mary Shelley. « Je m’appelle Bella Baxter, je suis imparfaite et avide d’expérience (…) Il y a un monde à explorer, à sillonner. C’est notre but à tous de progresser, de grandir ». En s’attachant à définir sa perception si singulière d’un monde pour lequel elle n’est pas conformée, mais qu’elle tente de comprendre et d’appréhender au-delà de ses pulsions imprévisibles et de sa spontanéité, le réalisateur avoue être tombé amoureux du personnage, de son enthousiasme, de son appétence pour la vie, de sa liberté. A l’instar de la créature de l’abominable docteur Frankenstein, dont elle est une version joyeuse et aimée, elle a soif d’évoluer, d’apprendre, par la lecture et par l’observation des hommes. Imperméable aux jugements que l’on peut porter sur elle, elle ne connaît aucune honte, aucun tabou, et l’on suit son émancipation au milieu de ceux qui voudraient la contrôler, voire de la posséder, ou simplement lui imposer des règles fussent-elles bien intentionnées, sans toutefois avoir d’emprise sur sa détermination à grandir, apprendre et rester libre.

« Je m’appelle Bella Baxter… »

Tout se joue à Londres, berceau de l’intrigue : sa naissance artificielle, son éducation hors du monde dans un milieu fermé avec un bestiaire fantastique, ses fiançailles, la révélation de son histoire, et finalement son mariage que l’on prédit heureux, tandis qu’elle deviendra elle-même chirurgien, comme son drôle de père. Le scénario de ce conte pour adultes promet de nombreux rebondissements tout en offrant un rôle à sa (dé)mesure à Emma Stone qui, après La La Land, aura probablement la chance de remporter son second Oscar (avec mention !). Bella Baxter, mi-créature, mi-femme-enfant, nous y entraine dans sa folle course émerveillée à la découverte du monde et d’elle-même, dans une époque victorienne qui convoque tous les Beaux-Arts pour mieux se réinventer.  À noter que ce film résolument littéraire est également touchant dans son rappel d’un temps où la lecture était émancipatrice, particulièrement pour les femmes alors en quête de leurs droits civiques. L’œuvre de Mary Shelley semble s’entre-chasser avec sa propre vie comme les vers d’un poème, et résonne ici de façon bouleversante, comme un écho à sa propre enfance, à son éducation dans un foyer intellectuel hanté par les écrits de sa mère, et à son émancipation douloureuse en tant que femme, mère et écrivaine. Tandis que le récit bafoue les codes de son époque pour mieux en révéler les inégalités, comme il est dit dans la préface de son chef-d’œuvre : « L’invention, nous devons l’admettre humblement, ne consiste pas à créer à partir du vide, mais à partir du chaos. » C’est sans aucun doute le pari réussi de Yórgos Lánthimos !

 

© Quélou Parente


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SIDONIE AU JAPON (2023)

Une histoire intimiste et poétique entre Le Fantôme de Madame Muir et Lost in Translation…

SIDONIE AU JAPON

 

2023 – FRANCE

 

Réalisé par Élise Girard

 

Avec Isabelle Huppert, August Diehl, Tsuyoshi Ihara

 

THEMA FANTÖMES

Sidonie Perceval est écrivaine. A-t-elle un mauvais pressentiment, une appréhension, un simple vertige à l’idée de quitter la terre ferme pendant de trop longues heures de vol pour se rendre au Japon ? Nous n’en savons encore rien au moment où nous la découvrons à l’aéroport de Roissy hésiter à laisser sa valise décider de son destin et suivre son chemin sur le tapis roulant du guichet d’enregistrement. Contre toute attente, l’histoire nous apprendra que, malgré les apparences, Sidonie ne voyage pas seule. Elle est en fait accompagnée partout et tout le temps par le fantôme de son défunt mari, mais elle-même ne le sait pas encore. Car Sidonie est visiblement une personne de bon sens, qui a les pieds sur terre et n’est pas en proie à des lubies. Nous le voyons à sa façon de vivre, de s’organiser, de réagir, mais aussi à sa manière de s’habiller impeccablement, au pli près. Cette rigueur semble maintenir la vie intérieure riche et prolifique qui nourrit ses romans. Car à l’instar de la réalisatrice, en puisant dans son intimité, Sidonie parle aussi des autres, des émotions qu’elle partage avec ses lecteurs, ce qui lui vaut son franc succès. Aussi, son éditeur nippon qui l’espérait avec impatience, pour provoquer des rencontres avec son public, l’attend en personne à sa descente d’avion, pour assurer la promotion de son dernier roman.

Là, au rythme d’une nature sans cesse évoquée avec poésie, le temps semble interrompre sa course pour nous laisser le temps d’observer la douceur du pays du soleil levant et nous promener dans ses lieux iconiques. C’est donc dans une atmosphère propice à l’introspection et au rêve que son fantôme – puisque seule Sidonie peut le voir – se matérialise sous ses yeux effarés. Effrayée au plus haut point, puis résignée à accepter l’impensable tandis que son nouvel ami la rassure : au Japon, les morts ne le sont pas vraiment. Ce phénomène est banal et fait partie de la religion shintoïste la plus répandue dans le pays. Sidonie se laisse donc porter par cette situation singulière qui la conduit à faire son deuil et à découvrir une nouvelle vie où l’attend un bonheur inespéré et radieux. Le spectateur est convié lui aussi à prendre le message très au sérieux, à se l’approprier et à aller à la rencontre de lui-même et de ses propres fantômes, dans ce pays aux cerisiers en fleurs et aux mille merveilles qui sont mises en relief tout au long du film.

Sidonie Perceval en quête de son graal !

Sidonie nous offre ce voyage sous le regard d’une occidentale solitaire qui peu à peu s’abandonne au charme son pays d’accueil. L’Aventure de Mme Muir de Joseph L. Mankiewicz y côtoie la douceur des films sur le couple de Mikio Naruse. Après Valérie Donzelli et Lolita Chammah, pour son troisième long-métrage, Elise Girard (véritable cinéphile qui a également signé deux documentaires sur les exploitants des cinémas Action et St André des Arts) met en scène la mère de cette dernière : Isabelle Huppert qui, contrairement à la réalisatrice avant ce film, comptait déjà des films fantastiques dans sa filmographie (Au bonheur des ogres de Nicolas Bary ou Madame Hyde de Serge Bozon). La protégée de Claude Chabrol se glisse dans la peau de Sidonie comme dans un fourreau de haute-couture et illumine l’écran dans chaque plan, entre situations comiques pince-sans rire et romantisme, face à son partenaire, Tsuyoshi Ihara (acteur vu entre autres dans Letters from Iwo Jima de Clint Eastwood), qui incarne le personnage de Kenzo Mizoguchi, nom banal au Japon mais pas pour autant choisi par hasard dans le film ! La photo et les cadrages rendent une image épurée à l’extrême avec des couleurs qui, sans pour autant bénéficier des techniques du technicolor ou du cinémascope, nous font penser à la ligne claire du Godard des bons jours, celui du Mépris ou de Pierrot le fou. Bien que ce film d’auteur aux allures de série B fantastique, non exempt d’humour, se regarde indépendamment des deux autres, on peut dire qu’Elise Girard a signé avec Belleville Tokyo, Drôles d’oiseaux, et Sidonie au Japon, une trilogie rare et personnelle qui parle de solitude, d’amour, du fil des saisons, et qui résonne en nous comme les trois lignes d’un haïku.

 

© Quélou Parente


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DREAM SCENARIO (2023)

Nicolas Cage incarne un banal professeur de biologie dont la vie bascule lorsqu’il découvre que tout le monde rêve de lui…

DREAM SCENARIO

 

2023 – USA

 

Réalisé par Kristoffer Borgli

 

Avec Nicolas Cage, Lily Bird, Julianne Nicholson, Jessica Clement, Star Slade, David Klein, Kaleb Horn, Liz Adjei, Paula Boudreau, Marnie McPhail, Noah Lamanna

 

THEMA RÊVES

Ari Aster ne pouvait qu’être attiré par le concept de Dream Scenario. Ce récit troublant à la lisière de la comédie noire et de l’épouvante paranoïaque semblait taillé sur mesure pour le réalisateur d’Hérédité, Midsommar et Beau is Afraid. Séduit par le scénario de Kristoffer Borgli (inspiré par les théories de Carl Jung sur l’inconscient), Aster envisage de le porter à l’écran en donnant le rôle principal à Adam Sandler. Mais entretemps, Borgli réalise le long-métrage Sick of Myself qui reçoit un excellent accueil et démontre son savoir-faire derrière la caméra. Aster lui conseille alors de mettre lui-même en scène Dream Scenario sous la houlette de sa compagnie de production A24. L’auteur/réalisateur franchit donc le pas et change de tête d’affiche, jetant son dévolu sur Nicolas Cage. Ça tombe bien : la star de Sailor et Lula admire les films du label A24 et accepte immédiatement de se lancer dans l’aventure. Selon lui, Dream Scenario constituera un troisième volet idéal à la trilogie insolite entamée avec Pig de Michael Sarnovski et poursuivie avec Un talent en or massif de Tom Gormican. Cage s’implique dans le film au point d’imaginer le look du personnage très ordinaire qu’il y joue : un professeur mal fagoté dans un blouson trop ample, affublé d’une barbe broussailleuse, d’une grande paire de lunettes et d’un crâne largement dégarni.

Cage incarne Paul Matthews, un professeur de biologie qui peine à passionner ses étudiants et ambitionne d’écrire un livre sur le comportement des fourmis. Paul est sympathique mais un peu insipide, survolant sa vie plus qu’il ne semble la vivre pleinement, menant une existence sans éclat auprès de son épouse et de ses deux filles adolescentes. Un jour, la bizarrerie s’invite dans son quotidien : plusieurs personnes de son entourage affirment avoir rêvé de lui. Le phénomène s’étend bientôt un peu partout dans le monde. Il semblerait que les rêves de la grande majorité de la population soient hantés par la présence de Paul, qui se contente la plupart du temps d’apparaître de manière passive, comme un simple figurant dénué d’émotion. Alors que chacun se perd en conjectures sur cet événement inexplicable et récurrent, Paul cherche à gérer cette célébrité soudaine et inattendue. Peu à peu, cette situation prend une tournure inquiétante et vire au cauchemar…

Le poids de la célébrité

Drôle, effrayant, triste, déstabilisant, Dream Scenario aborde frontalement le caractère incontrôlable de la célébrité, le dictat de la popularité et le phénomène de la « cancel culture », sans pour autant chercher à délivrer un quelconque message ni même une réflexion claire sur ces sujets. Certains pourront reprocher au film de ne pas discourir de manière plus approfondie sur de telles thématiques, mais telle n’est pas l’intention de Kristoffer Borgli. Sa démarche semble être d’en cerner les aspects les plus absurdes et de forcer le trait. Dans le rôle de cet homme transparent devenu soudain le centre de toutes les attentions, Nicolas Cage est parfait, jouant pour une fois sur le registre de la demi-mesure. Il y avait longtemps qu’il n’avait pas été aussi juste et aussi touchant. Ce film conceptuel et insaisissable nous rappelle d’ailleurs une autre de ses prestations : celle de Charlie et Donald Kaufman dans Adaptation de Spike Jonze. Dream Scenario est donc un exercice de style fascinant, même s’il peine à offrir à ses spectateurs une résolution digne de ce nom, comme si son postulat était trop singulier pour pouvoir s’acheminer vers une fin convaincante. Borgli nous délivre alors un épilogue en demi-teinte, nous abandonnant sur une note frustrante et douce-amère.

 

© Gilles Penso


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FILMS FANTASTIQUES : LE TOP FLOP 2023

C'est la fin de l'année, et donc l'heure des bilans. Quels furent les meilleurs films fantastiques / d'horreur / de science-fiction de 2023 ? Et les pires ? Voici une sélection bien sûr très subjective…

PUBLIÉ LE 30 DÉCEMBRE 2023

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CHICKEN RUN, LA MENACE NUGGETS (2023)

23 ans après leur première aventure, les poules conçues par les créateurs de Wallace et Gromit font leur grand retour…

CHICKEN RUN: DAWN OF THE NUGGETS

 

2023 – GB / USA

 

Réalisé par Sam Fell

 

Avec les voix de Zachary Levi, Thandiwe Newton, Bella Ramsey, Romesh Ranganathan, David Bradley, Daniel Mays, Jane Horrocks, Imelda Staunton

 

THEMA REPTILES ET VOLATILES

Sorti en 2000, Chicken Run est le premier long-métrage du studio Aardman et son plus gros succès. L’idée d’une suite naît très tôt dans l’esprit des trublions britanniques mais tarde à se concrétiser. Entretemps, ils développent les aventures sur petit et grand écran de Shaun le mouton et Wallace et Gromit ainsi que d’autres projets joyeusement délirants comme Souris City, Cro Man ou Les Pirates ! Bons à rien mauvais en tout. Ce n’est qu’au printemps 2018 qu’est annoncée officiellement la suite de Chicken Run, produite conjointement par Aardman, Pathé Films et StudioCanal (Dreamworks ayant entretemps cessé son partenariat avec le studio anglais). Signe des temps, le film ne sortira pas en salles mais sera directement diffusé sur Netflix. Si Peter Lord et Nick Park, réalisateurs du premier opus, sont toujours présents au poste de producteurs exécutifs, ils cèdent le fauteuil du réalisateur à Sam Fell, un spécialiste de l’animation qui dirigea Souris City, La Légende de Despereaux et L’Étrange pouvoir de Norman. Le scénariste du film original, Karey Kirkpatrick, est toujours de la partie, épaulé cette fois-ci par John O’Farrell et Rachel Tunnard. Les interprètes vocaux des deux personnages principaux, Mel Gibson et Julia Sawalha, sont un temps envisagés pour reprendre leurs rôles, mais ils sont finalement remplacés par des acteurs plus jeunes : Zachary Levi et Thandiwe Newton.

Si le premier Chicken Run réinventait sous un angle parodique le principe narratif de La Grande évasion dans un univers de basse-cour, le scénario de Chicken Run : la menace nuggets en inverse le processus. Ici, il ne s’agit pas de s’échapper d’un environnement pénitentiaire mais d’y pénétrer. Lorsque le film commence, le coq Rocky et la poule Ginger vivent paisiblement sur une petite île en compagnie de toute la volaille qui s’est évadé du poulailler de la sinistre Mrs Tweedy. C’est dans cet environnement paradisiaque que naît Molly, la fille du couple vedette. Lorsqu’elle grandit, la turbulente progéniture décide d’aller voir ce qui se passe au-delà de l’île, malgré l’interdiction de ses parents. Molly part donc explorer le monde extérieur et s’embarque à l’intérieur d’un des camions de « Fun Land », qu’elle croit être un parc d’attractions où les poules passent leur temps à s’amuser. Mais il s’agit en réalité d’un poulailler industriel qui a vocation de transformer toutes ses « pensionnaires » en nuggets…

Prises de bec

Dès les premières minutes du film, force est de constater que le charme ne s’est pas dissipé avec les années. La bonne vieille stop-motion à l’ancienne, les figurines en plastiline et les décors miniatures ont même tendance à se bonifier avec le temps. De fait, ce Chicken Run donne presque l’impression d’avoir été réalisé dans la foulée du premier, tant l’esprit, le grain de folie et la mise en forme quasi-artisanale sont similaires. L’usage plus intensif des images de synthèse en renfort de l’animation traditionnelle est d’ailleurs suffisamment discret pour se fondre dans la masse. Même si Peter Lord et Nick Park ne sont plus aux commandes, la patte Aardman est toujours là, avec cet humour « so british » pince-sans-rire, ces dialogues absurdes, ces séquences de poursuites et d’action délicieusement outrancières et cet inimitable sens du timing. Au fil de son scénario, Chicken Run : la menace nuggets s’amuse à pasticher Mission impossible et la saga James Bond, cette fabrique de nuggets ayant tout du repaire ultra-sécurisé d’un super-vilain façon docteur No ou Blofeld. On pense aussi au Pinocchio de Disney, à travers ce parc d’attractions faussement idyllique qui attire notre jeune héroïne désobéissante en l’entraînant vers sa perte. Rien n’empêche d’ailleurs d’y voir aussi une parabole de l’abrutissement des masses par des programmes de divertissement stupides annihilant la capacité de jugement en entretenant un état de béatitude permanent. Bref, voilà une nouvelle réussite à mettre à l’actif des joyeux drilles d’Aardman, l’un des studios d’animation les plus inventifs et les plus décomplexés de sa génération.

 

© Gilles Penso


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FILMS FANTASTIQUES DE NOËL : NOTRE SÉLECTION 2023

Quels films fantastiques voir ou revoir en cette soirée de Noël 2023 ? Voici 36 possibilités. Il y en aura pour tous les goûts !

PUBLIÉ LE 20 DÉCEMBRE 2023

Les soirées de Noël se suivent et ne se ressemblent pas. Mais une tradition ne changera jamais : les films de Noël. Chacun a ses préférences, bien sûr, et pour les fantasticophiles le choix est varié. Pour accompagner les incontournables Piège de cristal, Maman j’ai raté l’avion et Le Père Noël est une ordure, voici une sélection parfaitement subjective de 36 films. Cette compilation festive brasse volontairement large, selon que vous souhaitiez une programmation familiale, enjouée, inquiétante ou horrifique. Des robots, des serial killers, des petits monstres, des elfes, des rennes, des fantômes, des jouets bizarres, des calendriers piégés, des sapins psychopathes, il devrait y en avoir pour tous les goûts… 

 

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LE MONDE APRÈS NOUS (2023)

Que vaut le thriller apocalyptique produit par Barack et Michelle Obama avec Julia Roberts, Mahershala Ali et Ethan Hawke en tête d’affiche ?

LEAVE THE WORLD BEHIND

 

2023 – USA

 

Réalisé par Sam Esmail

 

Avec Julia Roberts, Mahershala Ali, Ethan Hawke, Myha’la, Farrah Mackenzie, Charlie Evans, Kevin Bacon

 

THEMA CATASTROPHES

« Le Monde après nous » est le troisième roman de Rumaan Alam, un huis-clos oppressant écrit avant la pandémie du Covid-19 et anticipant pourtant avec beaucoup d’acuité la peur panique et la paranoïa exacerbées par le confinement planétaire de 2020. Lorsqu’il découvre ce manuscrit avant sa publication, Sam Esmail tombe sous le charme. Créateur des séries Homecoming et Mr. Robot, notre homme compte passer au long-métrage et voit dans ce livre un énorme potentiel cinématographique. La première actrice qu’il a en tête est Julia Roberts, qu’il connaît bien grâce à Homecoming et qui s’engage immédiatement, non seulement en tant que comédienne mais aussi à la production. Pour soutenir le projet, elle pense à deux personnes de poids qu’elle compte parmi ses amis personnels : Barack et Michelle Obama. L’ex-président des Etats-Unis et son épouse ayant monté une structure de production et déjà initié quelques films politiquement et socialement engagés (Fatherwood, Worth, Rustin), ils donnent à leur tour leur feu vert. Voilà comment cet effet boule de neige permet au Monde après nous de se concrétiser et de réunir son budget de 25 millions de dollars. Prévu pour partager l’affiche avec Julia Roberts, Denzel Washington doit finalement se désister et cède sa place à Mahershala Ali. Ethan Hawke complète ce casting décidément très attrayant. Le sujet du film ne l’est pas moins.

Tout commence de manière simple, presque banale. Amanda et Clay (Roberts et Hawke), un couple newyorkais sans histoire, décide de quitter la ville pour des vacances improvisées dans une luxueuse maison de campagne à Long Island, avec leurs enfants Rose et Archie. Amanda travaille dans la publicité et cette coupure dans son quotidien lui semble vitale. Surtout que, comme elle l’exprime clairement dès l’entame du film, elle déteste les gens ! Cette misanthropie n’est pas partagée par Clay, un professeur plutôt enclin à apprécier son prochain, mais l’idée d’un week-end de dernière minute le séduit. Les voilà donc tous les quatre partis sur la route, prêts à débarquer dans ce havre de paix provisoire que l’annonce du Airbnb présente en ces termes : « Entrez dans notre splendide maison et laissez le monde derrière vous. » Sur place, ni le Wi-fi ni la télévision ne semblent vouloir fonctionner. Ce petit désagrément pourrait être dérisoire. Mais si c’était le début de la fin ? Et qui sont ces étranges George (Mahershala Ali) et Ruth (Myha’la) qui frappent à leur porte en pleine nuit ?

C’était mieux avant ?

Pas à pas, en prenant son temps, Sam Esmail parvient à construire un climat anxiogène fait de petits riens et de détails qui, une fois assemblés, suscitent un malaise tenace. La mise en scène sait se faire virtuose, jouer avec les plans-séquence et les prises de vues aériennes vertigineuses soit pour saisir en continuité une banalité apparente (la découverte de la maison par Amanda), soit pour collecter de spectaculaires morceaux de bravoure qui font brutalement basculer le film dans le genre catastrophe (ravivant le souvenir de quelques séquences mémorables empruntées à la série Lost, à Prédictions ou au cinéma de M. Night Shyamalan de manière plus générale). L’univers de Jordan Peele nous vient aussi à l’esprit. Et tandis que la nature reprend peu à peu ses droits (symbolisée par des cerfs qui s’obstinent à empiéter sur le territoire des humains), Esmail égrène tout ce que la civilisation porte en elle d’angoisses et de travers : dépendance addictive à la technologie, fracture sociale, racisme, crises géopolitiques, guerres, terrorisme, menace d’effondrement global… Sans doute le film aurait-il gagné à resserrer sa narration pour renforcer son efficacité (le sujet n’avait pas nécessairement besoin de se déployer pendant 2h20). Il eut également été préférable d’éviter certains monologues trop écrits pour sonner juste (Amanda qui discours sur sa propre misanthropie, George qui explique en détail les raisons possibles de la catastrophe qui s’abat sur eux) ainsi qu’une ou deux scènes disons embarrassantes (la « danse da la paix »). Il n’empêche que cet exercice de style reste fascinant et s’achève sur un épilogue aigre-doux qui utilise la série Friends à la fois comme vecteur nostalgique d’un passé heureux imaginaire et comme plaidoyer contre la dématérialisation – de la part d’un film Netflix, voilà qui ne manque pas d’ironie !

 

© Gilles Penso


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UN STUPÉFIANT NOËL (2023)

Éric Judor et Ragnar le Breton inversent leurs corps dans cette comédie aux gros sabots qui détourne les codes des contes de Noël…

UN STUPÉFIANT NOËL

 

2023 – FRANCE

 

Réalisé par Arthur Sanigou

 

Avec Eric Judor, Matthias Quiviger, Lison Daniel, Alex Lutz, Paul Deby, Jonas Dinal, Kim Higelin, Théodore Le Blanc, Catherine Hosmalin, François Vincentelli

 

THEMA CONTES

Réalisateur de sketches pour l’émission « Clique » et d’un téléfilm parodique pour Canal + (La Vengeance au triple galop), Arthur Sanigou se lance avec Un stupéfiant Noël dans une comédie déjantée conçue pour égayer les programmes de fin d’année sur la plateforme d’Amazon Prime. Le concept ? Faire partager le haut de l’affiche à un acteur comique populaire (Éric Judor) et à un humoriste/sportif apprenti-comédien (Matthias Quiviger plus connu sous son sobriquet de « Ragnar le Breton ») pour les plonger au cœur d’une aventure fantastique s’appuyant sur un concept saugrenu. Quiviger incarne Greg, un policier spécialisé dans les opérations musclées qui sacrifie sans cesse sa vie de famille à cause de son métier. Ce Noël encore, il va devoir laisser tomber sa petite fille pour une opération d’infiltration dans un gang de trafiquants de drogue. Facétieux, le Père Noël (Guy Lecluyse) décide alors d’intervenir en exauçant le vœu de la fillette : faire ressembler son père à Richard Silestone (Éric Judor), héros d’une série télévisée américaine sirupeuse et bourrée de clichés. Soudain, les deux personnages échangent leurs corps et se retrouvent chacun plongé dans l’univers de l’autre. Leur seul moyen d’entrer en contact est une montre talkie-walkie qui émet le même bruit que les communicateurs de Star Trek

L’effet comique principalement recherché dans ce Stupéfiant Noël est donc le décalage. Son principe même veut que deux protagonistes aux antipodes (le flic brutal dur à cuire et le père de famille gentiment niais) inversent leur rôle et vivent chacun la vie de l’autre. Par conséquent, les situations de « poisson hors de l’eau » s’accumulent abondamment : Judor qui prépare de la drogue en croyant être sollicité pour ses talents de pâtissier, Quiviger qui prend des cours de patinage artistique… Voilà pour le moteur principal du film. À l’unisson, les « vedettes invitées » jouent elles aussi ce jeu permanent du décalage, notamment Monsieur Poulpe en « gros bras » aussi maladroit que Pierre Richard, Alex Lutz en vieux milliardaire américain, Bruno Sanches en ancien militaire passablement dérangé ou Philippe Lacheau en assistant gaffeur du Père Noël.

Vis ma vie

Pour fonctionner pleinement, il aurait déjà fallu que le film puisse s’appuyer sur des performances d’acteur solides. Or si Éric Judor sait nous dérider avec son look improbable (moustache, grosse mèche et bronzage excessif) et son jeu puéril devenu une véritable marque de fabrique, Matthias Quiviger a bien du mal à faire exister son personnage. Car il ne suffit pas d’être un humoriste des réseaux sociaux spécialisé dans les paires de baffes pour être un comédien digne de ce nom. La mise en scène elle-même ne fait pas beaucoup d’éclats, jouant la carte prudente du fonctionnel, sauf peut-être au moment du climax qui, par la grâce d’un montage très habile, alterne une bataille mouvementée contre les trafiquants et une chorégraphie sur glace endiablée aux accents d’un morceau de hard rock. Le problème majeur du film reste son scénario pataud qui ne sait que faire de son postulat absurde et laisse donc traîner en longueur chaque scène supposément comique dans l’espoir d’atteindre le plus vite possible les 90 minutes réglementaires. Les dialogues sont médiocres, la caricature est le mot d’ordre général, bref, voilà clairement une fausse bonne idée qui aurait sans doute pu donner lieu à un sketch amusant mais certainement pas un long-métrage digne de ce nom.

 

© Gilles Penso


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GODZILLA MINUS ONE (2023)

Le titan radioactif déploie toute sa rage destructrice dans cet épisode remarquable à mi-chemin entre le drame d’après-guerre et le film catastrophe…

GOJIRA MAINASU WAN

 

2023 – JAPON

 

Réalisé par Takashi Yamazaki

 

Avec Ryunosuke Kamiki, Minami Hamabe, Yuki Yamada, Munetaka Aoki, Hidetaka Yoshioka, Sakura Ando, Kuranosuke Sasaki

 

THEMA DINOSAURES I SAGA GODZILLA

Quel bonheur d’entrer dans une salle de cinéma, de voir les lumières s’éteindre et de contempler le logo Toho qui brille au beau milieu de l’écran, porteur de promesses indicibles pour l’amateur de grands monstres japonais de la première heure ! La dernière fois que les cinéastes nippons avaient ressuscité en live le plus célèbre des dinosaures/dragons atomiques, c’était en 2016 avec Godzilla Résurgence. L’envie ne leur manquait certes pas de poursuivre sur leur lancée, mais le contrat qui liait la Toho au studio américain Legendary Pictures prévoyait d’abord de laisser la place aux variantes hollywoodiennes (en l’occurrence Godzilla II : Roi des monstres et Godzilla vs. Kong). Le créneau étant momentanément libre, un nouveau Godzilla japonais peut enfin revenir sur les écrans, confié cette fois-ci à Takashi Yamazaki, sur la foi de son drame guerrier The Great War of Archimedes sorti en 2019. Fasciné par la deuxième guerre mondiale (comme en témoignent plusieurs de ses films), Yamazaki écrit un scénario qui se situe au lendemain du conflit. « Le Japon de l’après-guerre a tout perdu », raconte-t-il. « Le film dépeint une existence qui suscite un désespoir sans précédent. Le titre Godzilla Minus One a été choisi dans cette optique. Pour illustrer cela, l’équipe et moi-même avons travaillé ensemble pour que lorsque surgit Godzilla, il donne l’impression que la peur elle-même marche vers nous. Je pense que ce film est l’aboutissement de tous les films que j’ai réalisés jusqu’à présent. » (1)

Le héros de Godzilla Minus One est Koichi (Ryunosuke Kamiki), un jeune pilote kamikaze destiné à perdre la vie au combat. Le sujet travaille visiblement le cinéaste, puisqu’il est aussi au cœur de Kamikaze : le dernier assaut sorti en 2013. Sauf que dans le cas présent, notre aviateur refuse d’assumer sa responsabilité, simulant une avarie technique pour éviter de mourir dans le crash de son appareil. Cette décision va désormais le hanter et former le nœud dramatique principal du scénario. De retour dans un Tokyo dévasté où tout est à reconstruire, il n’est plus qu’un étranger qu’on regarde avec suspicion. Comment un kamikaze peut-il rentrer sain et sauf de la guerre ? A-t-il vraiment accompli son devoir ? La culpabilité que traîne désormais Koichi se matérialise à l’écran sous la plus monstrueuse des formes. Car lorsque Godzilla jaillit des eaux pour semer la terreur et la destruction, c’est clairement une métaphore de la mauvaise conscience du héros qui prend corps. Et pour faire la paix avec lui-même, il va lui falloir affronter la bête, quitte à y laisser la vie pour de bon cette fois.

Les sacrifiés

Ce militaire en perdition, la jeune femme qu’il recueille à contrecœur dans un logement de fortune et le bébé qu’ils adoptent pour ne pas l’abandonner forment bientôt une famille dysfonctionnelle et déséquilibrée dont les tourments, au sein d’un Japon en miettes qui panse comme il peut ses blessures physiques et morales, sont palpables, crédibles, terriblement réalistes. Voir surgir Godzilla dans un tel contexte est d’autant plus surprenant. Car une fois n’est pas coutume, les personnages humains nous touchent tant que le film pourrait quasiment se passer de monstre et d’élément fantastique sans cesser pour autant d’intéresser ses spectateurs. Godzilla Minue One joue alors le grand écart entre l’intimisme et le gigantisme, trouvant le juste équilibre qui lui confère toute sa singularité et toute sa saveur. Le monstre lui-même n’a jamais été aussi terrifiant. Véritable machine à détruire, à rugir, à piétiner et à désintégrer (l’allumage progressif de ses plaques dorsales, prélude au redoutable « crachat thermique », provoque à chaque fois des frissons irrépressibles), il s’inscrit dans des séquences de suspense et d’action vertigineuses qui paient à la fois leur tribut au Godzilla original mais aussi aux Dents de la mer et à Godzilla, Mothra et King Ghidorah, l’un des opus préférés de Takashi Yamazaki. Godzilla Minus One célèbre donc avec panache le grand retour du titan radioactif, au moment où la Toho s’apprête justement à célébrer le 70ème anniversaire de sa naissance.

 

(1) Extrait d’un communiqué de presse publié en juillet 2023

 

© Gilles Penso

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GUEULES NOIRES (2023)

Un groupe de mineurs s’enfonce au fin fond de galeries inexplorées et réveille une chose inquiétante en sommeil depuis très longtemps…

GUEULES NOIRES

 

2023 – FRANCE

 

Réalisé par Mathieu Turi

 

Avec Samuel Le Bihan, Amir El Kacem, Thomas Solivérès, Jean-Hugues Anglade, Diego Martin, Marc Riso, Bruno Sanches, Philippe Torreton, Antoine Basler

 

THEMA DIABLE ET DÉMONS

Après Hostile et Méandre, deux incursions très réussies dans le domaine de la science-fiction, Mathieu Turi continue de creuser bravement le sillon du genre fantastique en se focalisant cette fois-ci sur un petit groupe de protagonistes exclusivement masculins – marquant de fait une rupture avec les deux films précédents qui adoptaient chacun le point de vue d’un personnage féminin. À l’origine de Gueules noires, il y a l’envie de combiner les codes du cinéma d’horreur et ceux du film d’aventures à l’ancienne, avec à la clef la découverte sous terre d’artefacts anciens qui réveillent une malédiction vieille de plusieurs milliers d’années. Désireux d’inscrire son récit dans un contexte français, le réalisateur évacue donc les décors antiques situés dans des pays exotiques lointains. D’où l’idée de s’intéresser au monde des mineurs de charbon, à une époque où l’industrialisation commence progressivement à gagner du terrain. Mathieu Turi n’étant pas du genre à faire les choses à moitié, il tient à offrir aux spectateurs la vision la plus réaliste possible de ce milieu ouvrier des années 50, quitte à transporter son équipe sur des sites authentiques du nord de la France, à évacuer tout usage du fond vert et à ne pas recourir au tournage en studio. Si Gueules noires sent la poussière, le calcaire, la pierre, l’humidité et le charbon, c’est parce que les galeries dans lesquelles se promènent les caméras du film sont bien réelles.

Plusieurs séquences qui avancent progressivement dans le temps s’enchâssent les unes dans les autres avant que l’intrigue à proprement parler puisse commencer, histoire de planter le décor et de mettre en place une atmosphère très particulière, partagée entre l’ultra-réalisme et une certaine féerie. Le prologue situé en 1855 nous offre l’image d’Épinal de mineurs à l’ancienne qui détectent les éventuelles fuites de gaz à l’aide d’un pénitent aux allures de sorcier vaudou. Leur destin qu’on imagine funeste ne s’éclairera que bien plus tard. Le film nous transporte ensuite en 1956, d’abord au Maroc où sont recrutés sans ménagement de futurs mineurs destinés à creuser les galeries du Nord de la France, ensuite sur « l’île du diable », une zone de charbonnage extrêmement dangereuse menée avec fermeté par Fouassier (Philippe Torreton, dont le jeu rugueux et naturaliste ajoute une couche de crédibilité supplémentaire au film). Parmi les hommes qu’il coordonne, Roland (Samuel Le Bihan) est l’un des plus expérimentés. Vétéran de la guerre, il mène chaque jour avec poigne une équipe hétéroclite de mineurs qui ne contestent jamais son autorité. Cette routine quotidienne va s’enrayer suite à l’arrivée de deux nouveaux venus : Amir (Amir El Kacem), qui débarque tout juste du Maroc et ne connaît encore rien à la mine, et surtout le professeur Berthier (Jean-Hugues Anglade), qui se soulage de quelques pots de vin pour s’embarquer avec ce petit groupe mille mètres sous terre, à la recherche d’un trésor archéologique mystérieux…

Mauvaise mine

Il ne faut pas longtemps pour détecter les sources d’inspiration majeures de Mathieu Turi. Si ce groupe d’hommes isolés en proie à une créature inconnue nous évoque rapidement les héros de The Thing, la mécanique de sept personnages en huis-clos agressés l’un après l’autre par une entité cachée dans l’ombre nous ramène illico à Alien. Mais si le réalisateur connaît ses classiques (et les assume sans détour), Gueules noires ne joue jamais la carte de la référence, du clin d’œil ou du post-modernisme cinéphilique. Bien campé sur ses positions, le film embrasse son contexte minier réaliste et n’en démord pas. La mise en forme impeccable du film, la photographie soignée d’Alain Duplantier (qui compose habilement avec les lampes portées par les personnages) et les décors bien réels concourent à captiver très tôt les spectateurs et à les embarquer dans cette mission claustrophobique (avec le personnage d’Amir comme pôle d’identification idéal). Le basculement dans le surnaturel est frontal et brutal, porté par des effets spéciaux à l’ancienne qui possèdent la qualité tactile dont sont encore dépourvues certaines images de synthèse (et qui fleurent bon le latex et l’animatronique des années 80, bien sûr !). En ce sens, Mathieu Turi nous offre ce que nous espérions, avec une indiscutable générosité. On pourra regretter qu’à ce stade de la narration le scientifique campé par Jean-Hugues Anglade (une sorte de professeur Tournesol exalté à contre-courant total des autres protagonistes) se sente obligé de surexpliquer à grand renfort de commentaires et de citations la mythologie qui sous-tend l’intrigue. Lever autant le voile sur le mystère n’était peut-être pas nécessaire, et nous n’aurions pas été contre un peu plus d’incertitudes. Après tout, H.P. Lovecraft – auquel le film se réfère ouvertement – n’était-il pas le roi de l’indicible ? À cette réserve près, comment ne pas saluer l’audace sans cesse renouvelée d’un cinéaste qui ne cesse film après film de déclarer sa flamme au genre fantastique ?

 

© Gilles Penso


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