HERETIC (2024)

À contre-emploi, Hugh Grant incarne un homme étrange que viennent visiter deux jeunes missionnaires envoyées par une église mormone…

HERETIC

 

2024 – USA / CANADA

 

Réalisé par Scott Beck et Bryan Woods

 

Avec Hugh Grant, Sophie Thatcher, Chloe East, Topher Grace, Elle Young, Julie Lynn Mortensen, Elle McKinnon, Hanna Huffman, Anesha Bailey, Miguel Castillo

 

THEMA TUEURS I DIEU, LES ANGES ET LA BIBLE

Scott Beck et Bryan Woods ayant écrit l’histoire du remarquable Sans un bruit avant de se lancer dans la mise en scène du poussif 65 : la Terre d’avant, il était difficile de savoir à quoi s’attendre face à leur nouvel opus, un thriller horrifique bâti autour du sujet épineux de la croyance religieuse. L’idée leur vient suite à une série de discussions tournant autour de deux films n’ayant à priori aucun lien l’un avec l’autre : Le Souffle de la haine et Contact. « Beaucoup de films d’horreur utilisent le catholicisme comme justification d’une sorte de menace surnaturelle », explique Bryan Woods. « Mais il est très rare de voir des films comme ceux de Stanley Kramer et Robert Zemeckis capables de discourir de manière adulte sur la religion tout en restant destinés au grand public. Nous rêvions nous-mêmes, avec Scott, de réaliser un jour un film qui aborde tous nos sentiments, toutes nos peurs, toutes les choses que nous trouvons belles et terrifiantes à propos de la religion. Mais pour être honnête, cela semblait impossible. » (1) Il faudra un drame personnel, le décès du père de Bryan Woods, pour décider les deux hommes à franchir le pas. Choisir Hugh Grant pour incarner le rôle principal, celui d’un homme étrange au comportement de plus en plus inquiétant, peut sembler surprenant. Mais l’ex-star des comédies romantiques des années 90 cherche justement à casser son image. En ce sens, Heretic tombe à point.

Pour éviter de décrire le mormonisme de manière caricaturale et simpliste, Beck et Woods s’entretiennent avec de nombreux représentants de l’église et poussent même la minutie jusqu’à embaucher dans le rôle des deux jeunes missionnaires du film deux actrices qui furent elles-mêmes élevées dans la religion mormone avant de s’en éloigner. Leur discours, leur comportement et leurs relations sonnent donc très juste. Dès qu’elles entrent en scène, dans le rôle de sœur Barnes et de sœur Paxton, il n’est pas difficile de croire à leurs personnages. L’une semble confiante et plutôt sûre d’elle, l’autre timide et un peu plus introvertie. Elles ont répété leur petite routine de nombreuses fois. Aussi, lorsqu’elles pénètrent sur le seuil de la maison de Monsieur Reed, un homme anglais d’âge moyen aux petites manies étranges, leur numéro est bien rôdé. Sauf que Reed, qui les invite à discuter avec lui dans le salon pendant que sa femme prépare une tarte aux myrtilles, a un comportement de plus en plus déconcertant et se met à aborder le sujet de la religion sous un angle embarrassant qui rend la situation très inconfortable. Peu à peu, les choses vont dégénérer…

Crise de foi

L’aspect le plus fascinant d’Heretic est sa remise en question des croyances, de la foi et de l’endoctrinement. L’intention de Scott Beck et Bryan Woods n’est pas nécessairement de tirer à coups de boulets rouges sur les religions mais d’en démonter les mécanismes et d’analyser ce qui pousse les fidèles à se plier à leurs règles, si irrationnelles et incohérentes soient-elles. L’argument que défend Reed face à ses deux visiteuses repose sur l’idée que chaque confession est l’itération (le plagiat ?) d’une conviction précédente, et que toutes ces variantes finissent par masquer ce qu’est la « vraie religion ». Pour étayer son propos, l’homme multiplie les exemples : les jeux de sociétés, les reprises musicales ou les pensées philosophiques et théologiques réadaptées à la culture populaire. Ainsi, une même citation peut évoquer Voltaire ou Spider-Man, Robert Frost ou la Créature du Marais ! L’immaculée conception elle-même n’a-t-elle pas été revisitée dans La Menace fantôme ? Mais Heretic ne se borne évidemment pas à un simple échange d’opinions autour d’une table basse. Le huis-clos devient de plus en plus étouffant, à mesure que l’invitation de Reed prend la tournure d’un piège dont l’issue semble fatale. Discrète, la mise en scène de Beck et Woods n’en est pas moins redoutablement efficace, osant quelques échappées lyriques comme cet hallucinant plan en plongée au-dessus d’une maquette qui fusionne l’espace d’un instant deux échelles distinctes et rappelle le plan d’ouverture d’Hérédité. Heretic est donc une excellente surprise, doublée d’un joli succès critique et public.

 

(1) Extrait d’une interview publiée dans Gizmodo en novembre 2024

 

© Gilles Penso


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FILMS FANTASTIQUES DE NOËL : NOTRE SÉLECTION 2024

Quels films fantastiques voir ou revoir en cette période de Noël 2024 ? Voici 40 propositions. Il y en aura pour tous les goûts !

Les fêtes de fin d’année se suivent et ne se ressemblent pas. Mais une tradition ne changera jamais : les films de Noël. Chacun a ses préférences, bien sûr, et pour les fantasticophiles le choix est varié. Voici une sélection parfaitement subjective de 40 films qui brasse volontairement large, selon que vous souhaitiez une programmation familiale, enjouée, inquiétante ou horrifique. Des robots, des serial killers, des petits monstres, des elfes, des rennes, des fantômes, des clowns, des bonhommes de neige, des calendriers piégés, des sapins psychopathes, il devrait y en avoir pour tous les goûts… 

Les plus classiques

Les plus féeriques

Les plus monstrueux

Les plus grincheux

Les plus meurtriers

Les plus drôles

Les plus gore

Les plus ludiques

Les plus improbables

Les pas très catholiques

 

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WICKED (2024)

La première partie de l’adaptation de la comédie musicale racontant la jeunesse de la méchante sorcière de l’ouest du Magicien d’Oz

WICKED

 

2024 – USA

 

Réalisé par Jon M. Chu

 

Avec Cynthia Erivo, Ariana Grande, Jeff Goldblum, Michelle Yeoh, Jonathan Bailey, Marissa Bode, Peter Dinklage

 

THEMA CONTES

Wicked est l’adaptation d’une comédie musicale à succès qui se joue à New-York et Londres depuis 2003, elle-même tirée du roman homonyme de Gregory Maguire, auteur prolifique qui, à plusieurs reprises, a revisité les contes pour en renverser le manichéisme. Il imagine ici la jeunesse d’Elphaba (Cynthia Erivo) (un nom dérivé phonétiquement des initiales de L. Frank Baum, l’auteur des romans originaux) et les circonstances qui l’amèneront à devenir la tristement célèbre sorcière de l’Ouest, incarnée par Margaret Hamilton dans le Magicien d’Oz. Wicked débute d’ailleurs là ou s’achevait le classique de Victor Fleming, les habitants de Munchkinland célébrant la mort de la vilaine à la peau verte, une victoire qui laisse néanmoins un goût amer à la bonne sorcière du Sud, Glinda (Ariana Grande, succédant à Billie Burke), qui se remémore l’amitié qui la liait jadis à Elphaba, lorsque toutes les deux étudiaient à l’Université de magie de Shiz. Wicked ne reprend que le premier acte de la comédie musicale, pour une durée pourtant égale au show complet et un second film à sortir en décembre 2025. Si on pouvait craindre légitiment que la sauce s’en trouverait diluée, il n’en est rien : conservant toute la richesse dramatique et thématique du texte original, le réalisateur Jon M. Chu a ainsi le temps (et les moyens !) de poser l’univers et les personnages et d’ajouter des petites respirations là où tout devait s’enchainer à un rythme effréné sur scène. Il opte également pour des décors « en dur », afin d’assurer la continuité esthétique avec le film de 1939, une rupture bienvenue avec le tout numérique des productions Disney des années 2010 (Le Monde fantastique d’Oz de Sam Raimi notamment). Et au détour d’un bref plan en contreplongée sur la fameuse route de briques jaunes, on se prend à croire que nous sommes de retour dans le même décor qu’arpentait Judy Garland en 1939. Le chef décorateur Nathan Crowley qui, pour avoir régulièrement collaboré avec Christopher Nolan, n’est plus à un défi près, aura pu dépenser sans compter : pour sa ville des Munchkin édifiée en extérieur et visible une dizaine de minutes à l’écran, il a ainsi fait planter des milliers de jonquilles dans les collines à l’arrière-plan plutôt que de recourir à une peinture numérique. À ce niveau, on peut parler d’une production pharaonique digne de l’âge d’or hollywoodien !

Ces décors fastueux offrent de plus une liberté totale de cadrage et de placement à la caméra, permettant de nous immerger totalement dans un monde crédible. A l’instar de la saga Harry Potter, Wicked se déroule en grande partie dans une université. Intégrant des éléments de l’architecture vénitienne, le lieu met d’emblée en exergue la marginalité d’Elphaba avec ses habits noirs et sa peau verte, alors que Glinda, en émule de la Reese Witherspoon de La Revanche d’une blonde, tout de rose vêtue, se fond parfaitement dans le décor. Bien sûr, ILM (et d’autres prestataires) se charge d’augmenter numériquement les panoramas de ce monde merveilleux mais les acteurs sont toujours ancrés dans leurs environnements. Au niveau musical, c’est le parolier et compositeur du show, Stephen Schwartz (déjà à l’œuvre sur Pocahontas et Le Bossu de Notre-Dame pour Disney, ou encore Le Prince d’Égypte chez Dreamworks) qui se charge de réorchestrer sa partition, en passant d’une quinzaine de musiciens au théâtre à un ensemble symphonique ici. Et grâce à sa distribution composée de chanteurs émérites, toutes les performances vocales ont pu être enregistrées en direct sur le plateau, ce qui permet de lier parfaitement les intonations au jeu d’acteur. Bien que le doublage des chansons soit un mal nécessaire pour ne pas s’aliéner le public français, il parait impensable de ne pas découvrir Wicked en version originale pour apprécier la précision et la subtilité des textes de Schwartz. Soutenue par des chorégraphies hypnotisantes, chaque numéro a des allures de grand final, en un crescendo menant au titre « Defying Gravity » emportant tout sur son passage en mêlant le drame intimiste à l’action, les dilemmes personnels devenant les principaux enjeux du suspens.

En vert et contre tous

Comme tout conte qui se respecte, Wicked décrit le combat du bien et du mal, sauf que la frontière entre les deux y est décrite comme floue et tortueuse. L’affiche du show représentait les silhouettes d’Elphaba et Glinda, respectivement noire et blanche, s’entremêler comme le symbole du Ying et du Yang, ce qui illustre parfaitement le propos du film, les personnages déjouant toujours nos premières impressions. Voire ainsi comment la chanson « Dancing through Life », dans laquelle plusieurs couples se déclarent leur flamme, entre en échos contradictoires avec la scène sur le quai de la gare, durant laquelle les sentiments et intentions réels mais réprimés nous sont signifiés. Quant à Elphaba, elle est tout à la fois portée aux nues par la directrice de l’université pour ses capacités, et rejetée par les autres étudiants pour son apparence physique et son attitude mal assurée en société. C’est cette souffrance et sa foi déçue dans les institutions qui vont la pousser à enfourcher son balai et employer ses pouvoirs pour imposer sa justice ; un chemin pavé de bonnes intentions qui la mènera à sa perte et qu’Anakin Skywalker avait déjà emprunté dans La Revanche des Sith : une similitude parmi d’autres avec les préquelles de Star Wars, mais aussi une thématique dans l’air du temps puisque depuis la fin des années 90, le public semble avoir succombé au pouvoir de séduction des figures du mal : les antagonistes d’antan sont devenus les héros, ceux auxquels on aime s’identifier, de Darth Vader à Hannibal Lecter, en passant par Dexter, Norman Bates ou… Elsa ! Oui, la Reine des neiges… car il apparait clairement que Disney a emprunté à Wicked son arc dramatique principal pour ce qui reste son plus grand succès populaire de ce siècle. Aveu silencieux de cette inspiration : c’est Idina Menzel, la Elphaba originale, qui prête sa voix à Elsa. Même la fameuse chanson « Let it go » (« Liberée, delivrée ») est un démarquage brillant mais évident de « Defying Gravity ». Ainsi, le parcours tragique d’Elsa suit celui d’Elphaba, et leur relation respective avec Anna et Glinda repose sur la même dynamique. Il y a fort à parier que Wicked parviendra à conquérir le cœur des fans de la Reine des neiges qui ont aujourd’hui grandi, ce qui parait déjà chose faite aux États-Unis où le film suscite un engouement populaire totalement inattendu. Reprenant au mot et à la mimique près le show de Broadway, on attribuera donc plus volontiers la réussite du film à Stephen Schwartz qu’à Jon M. Chu, tout en reconnaissant la maestria visuelle et l’application de ce dernier dans la mise en scène. Impossible aussi de ne pas mentionner le charisme des deux actrices principales : Ariana Grande, célèbre fan du show depuis son plus jeune âge, prend un plaisir non dissimulé à incarner la très superficielle Glenda. Quant à Cynthia Erivo, elle parvient à exprimer tout à la fois la force intérieure d’Elphaba, sa colère contenue et une sensibilité à fleur de peau, faisant d’elle une véritable bombe à retardement. Si l’actrice militante semble vouloir faire du personnage un porte-étendard de la communauté noire américaine, il serait dommage de le limiter la portée du message du film à cette unique dimension raciale, la couleur de peau verte représentant initialement toutes formes de discriminations. Des nominations aux Oscars pour les décors, costumes, chansons et musiques semblent déjà acquises et il n’est pas impossible que Grande et Erivo retiennent également l’attention de l’académie.

 

 © Jérôme Muslewski


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DEAR SANTA (2024)

En croyant envoyer une lettre au Père Noël, un garçon dyslexique écrit « Satan » à la place de « Santa »… Et Jack Black débarque !

DEAR SANTA

 

2024 – USA

 

Réalisé par Bobby Farrelly

 

Avec Jack Black, Robert Timothy Smith, Brianne Howey, Hayes MacArthur, Jaden Carson Baker, Kai Cech, Keegan-Michael Key, Post Malone, P.J. Byrne

 

THEMA DIABLE ET DÉMONS

C’est au tout début des années 2010 que les scénaristes Pete Jones et Kevin Barnett pitchent aux frères Farelly l’idée de Dear Santa : un enfant envoie une lettre au Père Noël mais se trompe dans l’orthographe, écrivant « Satan » au lieu de « Santa ». Les créateurs de Mary à tout prix et Dumb & Dumber sont immédiatement conquis. Il leur faudra pourtant plus de dix ans pour monter le film, trouver la juste tonalité et les interprètes idéaux. « Nous ne voulions pas faire de film d’horreur, nous voulions faire un vrai conte de Noël qui puisse s’adresser à toute la famille », explique Bobby Farrelly. « Voilà pourquoi nous avons choisi Jack Black dans le rôle principal. Il a un côté diabolique, et en même temps vous ne pouvez pas vous empêcher de l’aimer, parce qu’il est très drôle. » (1) La star du King Kong de Peter Jackson retrouve ainsi les Farrelly deux décennies après L’Amour extra large. Bizarrement, un autre film produit en même temps repose exactement sur le même principe et possède d’ailleurs un titre très similaire : Dear Satan, réalisé par le Philippin RC Delos Reyes et prévu pour une sortie en septembre 2024, mais jamais distribué à cause de sérieuses démêlées avec la censure (visiblement, on ne s’amuse pas à mélanger le diable et les fêtes de fin d’années dans cette partie de l’Asie). Il est donc difficile de savoir s’il y a plagiat ou s’il s’agit d’un étrange hasard.

Dear Santa tourne autour de la vie de Liam Turner (Robert Timothy Smith), un gamin de onze ans sympathique mais un peu à l’écart, qui souffre de dyslexie et surtout de la tension permanente qui règne entre ses parents. Un drame passé semble avoir frappé la petite famille, mais à ce stade nous n’en savons pas plus. Amoureux d’une fille qui lui semble inaccessible, ami avec un garçon aussi peu populaire que lui, Liam est un peu trop grand pour croire encore au Père Noël. Mais s’il y a ne serait-ce qu’une infime chance qu’il existe, pourquoi ne pas lui écrire et formuler un vœu ? Qu’y a-t-il à perdre ? Malgré la réaction embarrassée de son père (Hayes MacArthur), qui voudrait le voir grandir, et avec l’approbation de sa mère (Brianne Howey), qui a tendance à le surprotéger, Liam rédige donc une lettre à l’attention de ce bon vieux Santa Claus. Mais la dyslexie lui joue des tours : au lieu de « Cher Santa », il écrit « Cher Satan ». Aussitôt, la missive arrive à bon port, c’est-à-dire en Enfer. Le soir-même, Satan (Jack Black) débarque dans la chambre de Liam et lui propose d’exaucer trois de ses vœux en échange de son âme…

Un Noël d’enfer

Au-delà de la force de son concept, Dear Santa s’appuie sur la justesse de son casting. Jack Black dévore bien sûr l’écran dans le rôle de ce diable sympathique mais machiavélique. Les Farrelly le laissent en totale roue libre, permettant à son enthousiasme exubérant de se propager chez les spectateurs. Robert Timothy Smith lui donne la réplique avec beaucoup de conviction, dans le rôle d’un garçon complexé mais particulièrement vif qui désarçonne Satan par sa logique imparable et son empathie incompréhensible. Du côté des adultes, Brianne Howey et Hayes MacArthur nous livrent une prestation à fleur de peau en perpétuel équilibre entre le rire et l’émotion, offrant au film son supplément d’âme. On note aussi la présence toujours délectable de Keegan-Michael Key, qui campe ici un psychiatre hilarant. Pris séparément, tous ces ingrédients fonctionnent à merveille. Le mélange a pourtant du mal à prendre. Dear Santa nous donne sans cesse le sentiment de ne pas aller assez loin, comme si Bobby Farrelly se bridait, partagé entre l’envie de faire rire en gardant son impertinence naturelle et celle de ne pas trop heurter le grand public. Nous nous retrouvons de fait avec un film hybride qu’on aurait aimé plus percutant dans ses rebondissements et plus incisif dans ses traits d’humour. Un peu tiède, le résultat ne convainquit sans doute qu’à moitié les dirigeants de Paramount, qui le sortirent directement sur leur plateforme de streaming en toute discrétion.

 

(1) Extrait d’une interview publiée sur ComingSoon.net en novembre 2024.

 

© Gilles Penso


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STREET TRASH (2024)

Cette suite tardive du film culte de Jim Muro peine à convaincre malgré sa profusion de séquences gore et dégoulinantes…

STREET TRASH

 

2024 – USA

 

Réalisé par Ryan Kruger

 

Avec Sean Cameron Michael, Donna Cormack-Thomson, Joe Vaz, Lloyd Martinez Newkirk, Shuraigh Meyer, Gary Green, Warrick Grier, Andrew Roux, Ryan Kruger

 

THEMA MUTATIONS I FUTUR

Très amateur du cinéma fantastique des années 80, l’acteur/réalisateur Ryan Kruger avait créé une petite surprise avec son film déjanté Fried Barry qui, à travers son histoire invraisemblable de junkie enlevé par des extra-terrestres, ne cessait de rendre hommage à la pop culture des eighties (les films de Spielberg, Cameron, Dante, Carpenter, mais aussi les clips musicaux de l’époque). Lorsque se présente pour lui l’opportunité de revisiter Street Trash, il n’hésite pas longtemps. « Dans les années 80 et au début des années 90, Street Trash faisait partie de ces films que mes amis et moi regardions en vidéo à deux heures du matin – nous l’avions en VHS et nous le faisions circuler », raconte-t-il. « Cela faisait partie de notre enfance. » (1) Pour autant, Kruger ne veut pas se lancer dans un remake (contrairement à ce que pourrait faire croire la simple reprise du titre original) mais plutôt dans une suite centrée sur d’autres personnages et d’autres péripéties. « Il était très important pour moi, en tant que fan du film original, de ne pas le copier mais de proposer autre chose » (2), confirme-t-il. Installé en Afrique du Sud depuis 2008, il y situe logiquement son action. Et si un dialogue mentionne rapidement « l’incident survenu à New York en 1987 », l’intrigue suit sa propre voie, indépendamment de celle du film de Jim Muro.

Nous sommes à Cape Town, 25 ans dans le futur. Le chômage s’est mis à grimper à la vitesse grand V, la misère a gagné les rues et les pronostics de réélection du maire Mostert (Warrick Grier) ne sont pas très engageants. Pour régler le problème des sans-abris une bonne fois pour toutes, Mostert demande à un groupe de scientifiques de créer secrètement et de produire à la chaîne un gaz susceptible de liquéfier tous les clochards, seul moyen selon lui de nettoyer enfin les rues de la cité. Pour plus d’efficacité, ce gaz est installé dans des drones qui sillonnent les quartiers mal famés en pleine nuit. Dans ce contexte sinistre, le scénario s’intéresse à un petit groupe de « homeless » survivant comme ils peuvent dans cette jungle urbaine qui prend vaguement les allures de celle de New York 1997 : l’ancien vétéran Ronald (Sean Cameron Michael), le philosophe Chef (Joe Vaz), les frères Wors et Paps (Lloyd Martinez et Shuraigh Meyer), le taciturne 2-Bit (Gary Green) et la nouvelle venue Alex (Donna Cormack-Thomson). Cette « famille » hétéroclite ne va pas tarder à se retrouver au cœur d’un affrontement explosif avec les forces de l’ordre…

Liquéfactions

La volonté de s’écarter du film original en installant celui-ci dans un cadre futuriste et dystopique est compréhensible, mais Ryan Kruger n’a ni les moyens de ses ambitions (l’étroitesse du budget est très souvent palpable, notamment dans les séquences de mouvement de foule), ni de véritables enjeux dramatiques à défendre. Ses personnages sont en effet des archétypes volontiers caricaturaux auxquels il est bien difficile de s’intéresser, et dont l’interprétation varie entre le charisme solide (Sean Cameron Michael) et le cabotinage embarrassant (Warrick Grier). Kruger continue de multiplier ses clins d’œil au cinéma qu’il aime (2-Bit est habillé comme Roger Rabbit, Alex joue les émules de Ripley dans Aliens, Chef a le même look que Stanley Kubrick) et développe quelques idées surprenantes (l’ami imaginaire qui apparaît sous forme d’un petit monstre bleu hargneux et lubrique). Mais une grande partie de ses effets comiques tombe à plat (notamment ce gag récurrent au cours duquel les personnages se tournent vers la caméra en s’adressant à un certain Offley dont on ne voit que les mains). Le bilan reste donc très mitigé. Fort heureusement, ce Street Trash a la bonne idée de ne jamais se réfréner sur les effets gore excessifs. En digne successeur de son modèle, il éclabousse donc régulièrement l’écran d’explosions de pustules multicolores, de liquéfactions visqueuses et de décompositions gluantes, en s’appuyant sur des effets spéciaux 100% physiques particulièrement efficaces. C’est hélas la seule chose véritablement réjouissante qu’il faudra se mettre sous la dent.

 

(1) Extrait d’une interview publiée sur Gizmodo en novembre 2024

 

© Gilles Penso


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ANIMALE (2024)

Un conte fabuleux, cruel et libératoire dans lequel se noue une étrange connivence entre un taureau et une jeune camarguaise…

ANIMALE

 

2024 – FRANCE

 

Réalisé par Emma Benestan

 

Avec Oulaya Amamra, Damien Rebattel, Vivien Rodriguez, Claude Chaballier, Elies-Morgan Admi-Bensellam, Pierre Roux, Marinette Rafai, Renaud Vinuesca

 

THEMA MAMMIFÈRES

Nous sommes en Camargue, au pays des courses de taureaux, de celles où l’on respecte le plus l’animal, où blessures et mise à mort sont exclues. Après avoir gagné sa place au milieu des raseteurs (acteurs d’un sport traditionnellement réservé aux hommes), Nejma rêve à présent de se distinguer dans l’arène. Mais une étrange connivence semble s’établir entre elle et l’animal, tandis que des hommes de son entourage disparaissent… Depuis Animale,  il existe désormais une légende en Camargue qui raconte qu’une femme, à l’instar de La Féline de Jacques Tourneur, ou des héros de films de lycanthropes comme Le Loup-garou de Londres, se transformerait non pas en panthère noire, ni en canidé sanguinaire, mais en taureau (un taureau-garou en quelques sortes) ! L’action se passe dans l’univers peu connu des manades, là où les bovidés vivent en liberté en attendant, pour les plus vigoureux, d’être capturés lors des fêtes votives. Ils sont alors guidés par les guardians jusque dans l’arène, où les raseteurs doivent attraper une cocarde placée entre leurs cornes. Point de folklore ni de tourisme dans ce film, mais au contraire une image respectueuse de la nature et de la région dont elle révèle toute la splendeur.

Ce merveilleux film de métamorphose revisite les codes du genre pour mieux les réinventer avec un point de vue résolument féministe, et un animalisme discret que ne renieraient pas les auteurs du Règne animal. Le résultat est un sincère chant d’amour, remarqué dans de nombreux festivals : film de clôture de la Semaine de la Critique à Cannes, film d’ouverture du NIFF 2024, accueilli au FEFFS, etc. La splendide photo du très prisé chef-opérateur belge Ruben Impens, qui s’est distingué avec les deux premiers films de Julia Ducournau, Grave et Titane, sublime ici l’authenticité d’un environnement sauvage, des hommes qui l’habitent, de ses bêtes puissantes, et parmi eux, la beauté naturelle d’une jeune femme qui poursuit un rêve émancipatoire, celui d’être dans l’arène et d’y remporter les honneurs de la prochaine course camarguaise. Toutefois, une étrange connexion s’établit entre elle et le taureau. Peu à peu, l’empathie que ressent la belle pour la bête va lui révéler sa propre animalité, tandis que le bovin et son regard vont nous sembler de plus en plus humains. L’actrice principale Oulaya Amamra crève l’écran dans chacun des plans serrés où transpire sa volonté de vivre libre dans un monde en partie hostile, et contre lequel il va falloir se battre.

Libre, passionnée et engagée

Détentrice, comme John McTiernan, d’une licence en anthropologie, et ancienne étudiante de la Fémis, Emma Benestan, dont c’est le second long-métrage, fait ses débuts dans le cinéma dans les salles de montage avant de passer à la réalisation. Elle tournera deux courts-métrages et deux documentaires en Camargue avant son premier long-métrage, Fragile, qui a reçu un accueil critique chaleureux. Animale est le fruit de son envie de continuer à exprimer son amour pour la région taurine (dont elle est issue), les habitants et la faune, et de montrer une autre image que celle stéréotypée de la femme franco-algérienne au cinéma, tout en conjuguant sa passion pour les westerns (qu’elle aimait regarder avec son père) et les films de genre avec lesquels elle a grandi dans son adolescence. Animale est donc un des grands chocs de la saison, un film fantastique rare, original, beau, écologique et engagé. Avec ce conte moderne, la cinéaste bouscule les stéréotypes de genre, et du genre et nous offre un film lyrique et fantastique qui est avant tout un hymne à la liberté !

 

© Quélou Parente


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HERE – LES PLUS BELLES ANNÉES DE NOTRE VIE (2024)

Robert Zemeckis réunit l’équipe de Forrest Gump et se lance dans un défi technique et artistique insensé pour explorer – encore – les caprices du temps…

HERE

 

2024 – USA

 

Réalisé par Robert Zemeckis

 

Avec Tom Hanks, Robin Wright, Paul Bettany, Kelly Reilly, Lauren McQueen, Harry Marcus, Michelle Dockery, Zsa Zsa Zemeckis

 

THEMA VOYAGES DANS LE TEMPS

Avec la trilogie Retour vers le futur, Qui veut la peau de Roger Rabbit ? et Forrest Gump, Robert Zemeckis a déjà inscrit son nom au panthéon du 7ème Art. Malheureusement, son dernier grand succès critique et commercial remonte à Seul au monde en 2000. Depuis, il a alterné avec une fortune déclinante les films familiaux (Le Pôle express, Le Noël de Scrooge, Sacrées sorcières, Pinocchio) et les sujets plus adultes ancrés dans le monde réel (The Walk, Flight, Alliés, Bienvenue à Marwen), en n’ayant cesse de repousser les limites technologiques et narratives de son cinéma via la « performance capture », la 3D et les chorégraphies vertigineuses de ses plan-séquences virtuels, de façon plus ou moins ostentatoire. Le voilà qui nous revient avec un projet digne de son prestigieux curriculum et de son talent. Et si Here est vendu comme la suite spirituelle de Forrest Gump, c’est qu’il en réunit non seulement son duo vedette Tom Hanks/Robin Wright devant la caméra, mais que derrière celle-ci, on retrouve Eric Roth au scénario ainsi que les fidèles collaborateurs Don Burgess à la photo et Alan Silvestri à la musique. Il n’y a pas d’intrigue à proprement parler dans Here, seulement un propos et un concept narratif, dont l’originalité est de voir se dérouler le quotidien de plusieurs familles à différentes époques depuis un unique point de vue fixe durant 1h40, un procédé déjà employé dans le roman graphique de Richard McGuire et ici repris à l’identique mais avec une différence lié à l’« image qui bouge » : dans la bande dessinée, des vignettes se juxtaposaient au décor « vide » pour montrer différents personnages à différentes époques. Chez Zemeckis, elles apparaissent et disparaissent, le changement de mobilier ou de période s’opérant via des fondus ou des « morphings », les vignettes flottantes s’ouvrant comme des fenêtres dans le continuum espace-temps cher à Doc Brown.

Le prologue du film nous offre ainsi un voyage immobile depuis l’ère préhistorique jusqu’au début du 20ème siècle, la maison se construisant autour de la caméra et donc du spectateur, condamné à être le témoin passif de ces vies bien éphémères en regard des millions d’années déjà passées. On peut légitimement se demander si Here a sa place dans L’Encyclopédie du Film Fantastique. Cela tient au caractère fantomatique de cet observateur statique qui fait basculer le film du simple mélodrame à une expérience onirique. Au cinéma, aucune image n’est réellement neutre : le choix du cadre, la valeur de plan, le son, la musique, le mouvement… Tous ces paramètres témoignent ou trahissent toujours le point de vue du réalisateur et influencent aussi la perception et le ressenti du spectateur. Ici, le point de vue est absolument neutre et ce dispositif théâtral mise dès lors tout sur les situations décrites, les acteurs et les dialogues ; avec toutefois une différence de taille par rapport à la scène, Zemeckis pouvant passer d’une époque à l’autre et transformer physiquement ses acteurs de façon plus probante et rapide que n’importe quel maquillage. À ce petit jeu-là, les effets de rajeunissement numérique de l’ensemble de la distribution sont les plus crédibles qu’on ait jamais vus. L’intelligence artificielle est bien sûr passée par là et on mesure les progrès déterminants réalisés en à peine deux ans depuis la sortie de Indiana Jones et le cadran de la destinée. Here permet à Zemeckis de poursuivre ses expérimentations narratives, car impliquer le spectateur avec un long plan fixe implique de repenser la grammaire cinématographique classique. Si on remettait les différentes temporalités du film dans un ordre linéaire et chronologique, on aboutirait à un film à sketches très inégal tant certaines situations ne constituent que de simples flash-backs. Il ne fait d’ailleurs aucun doute que le véritable point d’ancrage émotionnel soit le personnage de Tom Hanks, que l’on suit de sa naissance à son 4ème âge, et que les autres récits n’agissent qu’en contrepoint thématique ou philosophique. Certes, le montage par association d’idées a déjà fait les beaux jours du cinéma expérimental et surréaliste, mais tout innovateur qu’il soit, Zemeckis n’a jamais été un auteur marginal ou abscons. On peut rapprocher Here de Tree of Life de Terrence Malick, qui convoquait lui aussi des dinosaures au milieu de sa saga familiale pour mettre en perspective l’intime et l’infini univers. Mais là où Malick appliquait une forme poétique et abstraite (ésotérique ?), Zemeckis adopte une approche immédiatement compréhensible, plus directe et rationnelle pour ne pas s’aliéner le public.

Le passé, toujours présent

Here est peut-être l’ultime variation sur un thème cher à Robert Zemeckis : le temps. Dans Retour vers le futur déjà, il nous emmenait 30 ans en arrière pour montrer comment les lieux, les codes et les mentalités avaient évolué. Dans Forrest Gump, le personnage est l’arbre qui cache la forêt : certains reprochent au film sa candeur toute américaine mais c’est aussi la chronique parfois mordante, parfois désabusée de 40 d’histoire américaine pas toujours glorieuse. Marty et Forrest sont des protagonistes constants dans des environnements changeants. Dans Here, bien que le passage du temps soit à nouveau l’axe principal, le point de vue semble inversé : c’est l’Univers qui regarde les personnages évoluer. A vouloir condenser l’histoire entière d’une famille sur deux générations, Zemeckis et Roth recourent à certaines facilités scénaristiques pour nous tirer quelques larmes, mais les événements qu’ils choisissent de raconter sont volontairement génériques pour parler au plus grand nombre (première rencontre amoureuse, grossesse, naissance, dispute, rêves déçus, décès, vieillissement). On pourrait ainsi reprocher le caractère trop consensuel et lisse du mélodrame, mais le plan final n’évoque sans doute pas par hasard le celui qui ouvrait Tout ce que le ciel permet de Douglas Sirk, le roi du mélodrame domestique hollywoodien. Sous la surface se cachent des saillies plus critiques (voir l’époque à laquelle les premiers occupants de couleur peuvent enfin s’offrir cette maison cossue et les recommandations qu’ils font à leur fils). On retrouve également la volonté de mêler petite et grande Histoire déjà observée dans le scénario de 1941, co-signé par Zemeckis pour Steven Spielberg en1979. Le temps passe aussi vite dans la vie qu’à l’écran et Zemeckis n’a plus 20 ans depuis longtemps : il livre ici une œuvre lui permettant à nouveau d’innover techniquement et narrativement, mais aussi empreint de sagesse et de bienveillance, une histoire sans antagoniste sinon la Grande Horloge elle-même, avançant sans état d’âme ni cruauté mais n’épargnant personne. Le temps passe, une vie s’écoule et la mémoire collective n’en retiendra pas tous les faits. Mais pour chacun d’entre nous, les moments et les petits riens partagés avec les personnes qui nous accompagnent représentent TOUT. Et en écoutant le thème d’Alan Silvestri durant le générique, c’est avec l’idée bouleversante d’une vie bientôt oubliée mais dont la valeur de chaque instant vécu ne fait aucun doute que nous laisse Here.

 

 © Jérôme Muslewski


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SMILE 2 (2024)

Cette suite supérieure à son modèle s’intéresse à une star de la pop frappée à son tour par la terrible malédiction du sourire diabolique…

SMILE 2

 

2024 – USA

 

Réalisé par Parker Finn

 

Avec Naomi Scott, Rosemarie DeWitt, Lukas Gage, Miles Gutierrez-Riley, Peter Jacobson, Ray Nicholson, Dylan Gelula, Raul Castillo, Drew Barrymore

 

THEMA DIABLE ET DÉMONS

Excellente surprise doublée d’un joli succès au box-office, Smile propulse en 2022 le scénariste et réalisateur Parker Finn sur le devant de la scène. Aussitôt, Paramount lui propose un deal pour signer d’autres films d’horreur, avec en priorité une suite de Smile. Finn accepte mais souhaite éviter les idées scénaristiques trop évidentes. « Je ne voulais pas faire ce que l’on attendait de moi, je ne voulais pas emprunter la voie de la facilité », explique-t-il. « Je voulais me mettre au défi de créer quelque chose de frais et de différent, avec une nouvelle thématique émotionnelle. J’avais besoin de trouver un personnage qui me semble être la bonne colonne vertébrale sur laquelle accrocher l’histoire, et c’est ainsi que j’ai développé le personnage de Skye Riley. » (1) Ainsi, même si le policier incarné par Kyle Gallner assure momentanément le lien avec le film précédent, Smile 2 s’intéresse à un tout autre protagoniste, en l’occurrence une pop star mondialement célèbre dont le rôle est confié à Naomi Scott (la Jasmine d’Aladdin, l’une des drôles de dames du Charlie’s Angels de 2019, Kimberly dans Power Rangers). L’actrice s’inspire de Lady Gaga pour son personnage, puis se lance dans une session accélérée de répétition des chansons et des chorégraphies avant que le tournage commence.

L’environnement glamour, coloré et scintillant dans lequel évolue cette superstar contraste à merveille avec le caractère horrifique du scénario. De ce point de vue, Parker Finn parvient effectivement à créer la surprise. En pleins préparatifs de sa tournée événementielle après plusieurs drames personnels ayant lourdement entravé sa carrière (l’accident de voiture qui a coûté la vie de son petit-ami, sa lutte contre la toxicomanie), la newyorkaise Skye Riley est gonflée à bloc, sous l’œil attentif de sa mère Elizabeth qui fait aussi office de manager (Rosemarie DeWitt). Si Skye semble enfin libérée de ses addictions, les douleurs que provoquent les séquelles physiques de son accident la poussent à solliciter les services d’un dealer local, Lewis (Lukas Gage) pour obtenir sa dose d’analgésiques. Mais lorsqu’elle se rend un soir en douce chez lui, la chanteuse sent bien que quelque chose ne tourne pas rond. Le jeune homme est paniqué, extrêmement fébrile, au bord du malaise. Soudain, il se redresse et la fixe avec un sourire figé effrayant. Pour Skye, c’est le début de la fin…

Une tournée en enfer

D’emblée, Finn tient à nous faire comprendre que cette suite quittera les sentiers battus pour jouer la carte de l’originalité. Le plan-séquence mouvementé de 8 minutes qui ouvre le film, puis le plateau télévisé animé par Drew Barrymore (dans son propre rôle) entérinent cette sensation. Smile 2 ne va pas là où on l’attend. Si la mécanique narrative établie par le premier film est un élément incontournable avec lequel il faut forcément composer, le scénario parvient à la décliner sous un jour nouveau. Grâce à cette volonté de sang neuf, à la pleine implication d’une Naomi Scott très convaincante et à l’exploration sans fards des états d’âme de cette héroïne aux fêlures encore profondes, Smile 2 parvient à surpasser son modèle et à captiver ses spectateurs. Si les jump-scares un peu faciles continuent à pointer parfois le bout de leur nez, le cinéaste sait la plupart du temps éviter les effets d’épouvante classiques qui sont légion dans la majorité des films d’épouvante post-Conjuring. Il ose même un clin d’œil savoureux, le temps d’une apparition de l’acteur Ray Nicholson qui imite soudain le sourire de son père Jack dans Shining ! On pourra regretter que le dernier acte cède aux effets un peu grossiers et grand-guignolesques, couplés à un enchaînement de rebondissements un tantinet excessifs. Mais l’impact du film n’en souffre pas outre-mesure et sa chute est une excellente trouvaille qui fait froid dans le dos.

 

(1) Extrait d’une interview publiée dans « Bloody Disgusting » en octobre 2024

 

© Gilles Penso


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VENOM : THE LAST DANCE (2024)

Eddie Brock et son alter-ego dégoulinant sont pris en chasse par des créatures extra-terrestres voraces et par des soldats armés jusqu’aux dents…

VENOM : THE LAST DANCE

 

2024 – USA

 

Réalisé par Kelly Marcel

 

Avec Tom Hardy, Chiwetel Ejiofor, Juno Temple, Rhys Ifans, Stephen Graham, Peggy Ku, Clark Backo, Alanna Ubach, Cristo Fernandez, Jared Abrahamson

 

THEMA SUPER-HÉROS I SAGA MARVEL COMICS

Certains succès hollywoodiens échappent à toute logique. Objectivement, comment expliquer que le public ait répondu aussi favorablement à un film aussi mal fagoté que le premier Venom ? Admettons qu’il s’agissait de l’effet de surprise. Mais sa suite calamiteuse, Venom Let There Be Carnage, provoqua un enthousiasme tout aussi invraisemblable. Allez comprendre. La mayonnaise prenant aussi bien, il n’y avait aucune raison de s’arrêter en si bon chemin. Andy Serkis, réalisateur du second opus, se prépare donc à rempiler pour un troisième épisode. Mais la pré-production de sa version de La Ferme des animaux lui prend beaucoup de temps et le contraint à céder sa place. C’est donc la scénariste Kelly Marcel (Dans l’ombre de Mary, Cinquante nuances de Grey, Cruella et les deux premiers Venom) qui prend le relais, effectuant du même coup ses premiers pas derrière la caméra. Avec à sa disposition un budget de 120 millions de dollars (l’enveloppe a encore augmenté depuis les deux films précédents), l’apprentie-réalisatrice peut se faire plaisir. Au détour du casting, on retrouve deux visages ayant déjà payé leur tribut aux adaptations Marvel en endossant d’autres rôles : Chiwetel Ejiofor (Mordo dans Doctor Strange) et Rhys Ifans (Curt Connors alias Le Lézard dans The Amazing Spider-Man).

Co-scénariste du film avec Kelly Marcel, Tom Hardy a visiblement trouvé une rente juteuse avec Venom. Le Mad Max de Fury Road semble pourtant se traîner sans la moindre conviction d’une scène à l’autre, comme s’il s’acquittait de mauvaise grâce de ce boulot routinier en attendant de pouvoir toucher son chèque. Comment interpréter autrement ses regards hagards, sa mine défaite et son jeu désincarné en pilote automatique ? Si le post-générique de Let There Be Carnage promettait un crossover avec le Marvel Cinematic Universe et notamment avec les Spider-Man interprétés par Tom Holland, cette suite se débarrasse des multiverses en quelques secondes. En vérité, le récit se résume à peu de choses : Eddie Brock et son alter-ego quittent le Mexique pour les États-Unis, traînent à Las Vegas puis dans la zone 51, tandis que des militaires veulent leur peau et que le Xenophage, un vilain monstre extra-terrestre en images de synthèse qu’il nous semble avoir déjà vu dans une centaine de films, cherche à se les mettre sous la dent. Voilà, c’est à peu près tout. Le film dure à peine un peu plus de 90 minutes, c’est une qualité indiscutable à mettre à son compte. L’une des seules, hélas.

« Nous ne sommes pas les méchants »

Kelly Marcel et Tom Hardy ne prenant même plus la peine de bâtir un semblant d’histoire, Venom : The Last Dance prend les allures d’un road movie erratique aux péripéties sans intérêt et aux enjeux inexistants. Certaines idées sont à peine explorées (un drame survenu dans le passé de la scientifique incarnée par Juno Temple) puis abandonnées aussitôt. Pour ne pas réclamer trop d’efforts de la part des spectateurs, on prône la simplicité : les militaires et les Xenophages sont vilains, les savants et Venom sont gentils. Et pour ceux qui seraient un peu distraits, l’un des symbiotes juge utile de dire au soldat belliqueux incarné par Ejiofor : « nous ne sommes pas les méchants ». Le principal objectif de ce scénario anémique semble être de multiplier les situations les plus ridicules possibles dans l’espoir de faire rire un public décidément jugé peu exigeant : Venom/Brock qui prépare un cocktail, s’accroche au fuselage d’un avion en plein vol, chante en chœur avec une famille de hippies, dépense tout son argent dans une machine à sous, fait des chorégraphies sur « Dancing Queen »… Nous avons aussi droit à des clins d’œil à Thelma et Louise et Rain Man, à un cheval-Venom, un piranha-Venom, une grenouille-Venom et tout un tas d’autres variantes pour le grand final pétaradant. Le succès de ce troisième opus ayant été très modéré, la formule semble enfin s’être épuisée…

 

© Gilles Penso


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DON’T MOVE (2024)

Une jeune femme, dévastée par la mort de son fils, devient la proie d’un tueur en série qui lui injecte un puissant paralysant…

DON’T MOVE

 

2024 – USA

 

Réalisé par Adam Schindler et Brian Netto

 

Avec Kelsey Asbille, Finn Wintrock, Daniel Francis, Moray Treadwell, Denis Kostadinov, Kate Nichols, Skye Little Wing Dimov Saw

 

THEMA : TUEURS

Principalement produit par le légendaire réalisateur Sam Raimi, à qui l’on doit les trilogies Evil Dead et Spider-man, et distribué par Netflix, Don’t Move aligne au casting un solide duo avec Kelsey Asbille, repérée dans la série Yellostone, et Finn Wintrock, acteur récurrent de American Horror Story. Sur le papier, avec un concept fort de survival couplé à l’idée d’une héroïne prisonnière de son propre corps, le long métrage promettait un suspense serré, et la caution Raimi, lourdement appuyée, pouvait en effet allécher le chaland et susciter au minimum la curiosité. Le nom du réalisateur de Darkman, mis très en avant par le géant du streaming, était de fait devenu un argument marketing. Car la marque mise de plus en plus sur des noms célèbres pour enrichir son catalogue qui, sporadiquement, peut révéler quelques pépites comme Rebel Ridge de Jeremy Saulnier, mais qui malheureusement, dans la grande majorité des cas, se cantonne à enchaîner des séries B frileuses et sans grand intérêt. Si les deux acteurs principaux arrivent à sortir leur épingle du jeu dans des rôles sans grande consistance, la réalisation confiée à Adam Schindler et Brian Netto ne brille pas par son originalité. Pourtant habitués aux films d’horreur avec Intruders (2016) et la série anthologique 50 States of Fright, les deux hommes livrent un métrage plutôt plat et académique, surtout si l’on pense à leur fougueux producteur et à ses expérimentations filmiques.

Don’t Move nous plonge donc au cœur d’une forêt dans laquelle Iris (Kelsey Asbille), traumatisée par la mort de son fils, décide de mettre fin à sa vie en se jetant d’une falaise. Elle est interrompue par Richard (Finn Witrock), un homme charmant qui la dissuade de commettre l’irréparable, tout en évoquant la perte de sa petite amie, Chloé, dans un accident de voiture. Une fois revenus à leurs véhicules respectifs, Richard dévoile son vrai visage en agressant et tentant d’enlever Iris. La jeune femme parvient à s’enfuir mais le tueur lui fait une révélation effrayante : il lui a administré une drogue paralysante qui la rendra totalement inerte et impuissante dans les prochaines vingt minutes. Le concept même du film contient ses propres limites : la drogue paralysante, qui aurait pu être un ressort essentiel du récit, représente certes une contrainte pour l’héroïne, mais son utilisation et ses effets à géométrie variable évacuent inévitablement toute idée de tension. Iris perd rapidement l’usage de son corps et se retrouve à la merci du hasard. Des rencontres fortuites au moment le plus propice sauvent donc notre héroïne avant que les effets du paralysant ne se dissipent, là aussi au moment idéal. Si on ajoute à cela les poncifs inhérents au genre, comme les personnages qui ont une vision plus qu’étroite, ne voyant pas à plus d’un mètre d’eux, et des décisions incohérentes et fatales, ce thriller horrifique estampillé Raimi se prend rapidement les pieds dans le tapis. L’issue de chaque séquence est terriblement prévisible et la réalisation, bien trop sage, déçoit.

Don’t move, don’t see and don’t think

Alors que l’idée de départ aurait pu donner lieu à une course-poursuite toute en tension, le scénario se perd dans des péripéties inutiles, rallongeant juste un peu la sauce d’un film qui ne dure pourtant que 90 minutes. Autre point négatif, les personnages souffrent d’une écriture superficielle, les réduisant à des rôles-fonctions. Iris, mère endeuillée au bord du suicide, retrouve soudainement goût à la vie en luttant contre Richard, tueur en série dont on ne saura pas grand-chose au final. Le reste du casting ne servant qu’à rentabiliser le budget maquillage et faux sang, il est bien compliqué de s’impliquer dans cette histoire. Restent de beaux décors naturels, des acteurs convaincants comme Kelsey Asbille, qui arrive à insuffler un peu de vie dans ce rôle relativement mutique, jouant avec l’intensité de son regard, et Finn Wintrock, à l’aise en tueur manipulateur et chevronné, même si certaines de ses décisions relèvent de l’amateurisme ou de la stupidité. Malgré tout son potentiel, Don’t Move ne sera donc pas encore la grande révélation horrifique de Netflix. Peut-être devraient-ils investir dans des scénaristes…

 

© Christophe Descouzères


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